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Archive. La forêt guyanaise française : entre valorisation et protection

Publié le 21/03/2005
Auteur(s) : Patrick Blancodini, professeur agrégé d'histoire et géographie en lycée et classes préparatoires - lycée Saint-Exupéry et lycée Ampère, Lyon
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NB. Le contenu de cet article donne des informations disponibles au moment de sa publication en 2005.

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>>> Pour des informations à jour, lire par exemple : Fabrice Clerfeuille, « Le conflit autour du projet minier "Montagne d’or" en Guyane au prisme de la géopolitique locale », Géoconfluences, mars 2022.

Bibliographie | citer cet article

Le territoire de la Guyane française résulte d'une géographie singulière et d'une histoire originale. Cet espace sud-américain, recouvert à 90 % d'une forêt tropicale humide, appartient au vaste ensemble forestier amazonien. Il porte encore les marques des premières sociétés amérindiennes et de celles issues de la période esclavagiste et coloniale. Depuis son intégration à la nation française, un système moderne, projection d'un pays européen développé, se superpose à des structures économiques et sociales fragmentaires et fragiles.

La densité de population du seul espace forestier guyanais avoisine les 0,3 hab/km² , ce qui en fait un quasi désert humain, aux limites de l'écoumène. La forêt a longtemps été négligée, oubliée. Pourtant, depuis peu, elle devient un enjeu pour les groupes d'acteurs qui se partagent déjà l'espace et pour ceux qui veulent se l'approprier. La gestion durable du territoire forestier tropical guyanais par la France, au XXIe siècle, implique des choix d'ordre éthique, politique et scientifique orientés vers deux finalités parfois contradictoires : la préservation et la valorisation de la forêt tropicale humide.

Un territoire, des acteurs

Le territoire est un lieu de luttes d'influence : les objectifs et les intérêts des populations résidentes, des élus des collectivités territoriales, de l'État, des scientifiques, des orpailleurs, des entreprises forestières et des associations diverses, peuvent s'opposer et rivaliser. Chacun a ses représentations et différents degrés d'appropriation de l'espace qui nourrissent les conflits. Des jeux d'alliance, des systèmes lobbyistes peuvent être à l'œuvre. Voici quelques uns de ces acteurs.

Complément 1. Les Amérindiens et la forêt
Principaux groupes humains en Guyane

Pour les populations Bushi-Nenge (les "hommes de la forêt" en langue vernaculaire), appelées aussi Noirs réfugiés ou Noirs marrons, principalement installées le long du Maroni, de Saint-Laurent jusqu'à Maripasoula, la forêt a été, pendant longtemps, un espace refuge permettant aux esclaves fugitifs des XVIIIe et XIXe siècles de se dissimuler. Les autorités françaises ou hollandaises n'osaient s'aventurer trop profondément en forêt et abandonnaient rapidement les recherches des esclaves évadés. Les Bushi-Nenge ont constitué des communautés à fort repli identitaire, replongées dans leurs racines africaines. Ils empruntent aux Amérindiens une partie de leurs coutumes et traditions, leurs méthodes de chasse, de pêche et de survie dans la forêt. Mais à la différence des Amérindiens, leur insertion dans la société "moderne" est bien entamée. Leur pouvoir d'achat, acquis grâce aux prestations sociales ou à la location de services de canotage pour le transport des marchandises, par exemple, leur permet de consommer de nombreux produits venus du littoral.

La raréfaction des ressources de chasse ou de pêche peut désorganiser les équilibres sociaux. Les Amérindiens peuvent aussi vivre des conflits ouverts et parfois violents avec les populations exploitant les richesses minières, notamment les orpailleurs Bushi-Nenge.

Le fleuve Maroni, seul axe de communication de la région, reste aussi un puissant élément de leur identité culturelle. Mais les trois principaux groupes de Bushi-Nenge, libérés à des époques différentes et fortement rivaux (du nord au sud : les Paramaka, les Djuka et les Boni), vivent de façon cloisonnée. Les frontières ethniques s'organisent le long du fleuve, à partir des sauts qui sont des rapides, lieux de rupture de charge des transports.

Les orpailleurs constituent un groupe d'acteurs influents, capables de bloquer les projets de protection environnementale. L'orpaillage permet aux Bushi-Nenge de s'intégrer dans une économie monétaire en leur fournissant des revenus importants. La reprise vigoureuse de l'orpaillage, depuis les années 1990, a provoqué un afflux des garimpeiros brésiliens ou surinamais, qui installent leur placer (gisement d'or alluvionnaire) plus ou moins légalement. Les orpailleurs considèrent que l'accès à la ressource aurifère est un droit imprescriptible au même titre que l'accès à toutes les autres ressources "naturelles" accordé aux autres groupes de population. Il en résulte un "climat tendu où chaque communauté fait bloc contre l'autre" [1]. Face aux différents conflits provoqués par l'orpaillage, l'État français a du mal à jouer sérieusement son rôle de garant de la paix sociale en forêt profonde.

Lire aussi : Patrick Blancodini, « Archive. Orpaillage, pollution et problèmes sanitaires : l'exemple de la Guyane française », Géoconfluences, juillet 2004.

En forêt, des Métropolitains et des Créoles vivent dans les bourgs comme Maripasoula et Saül. Ils sont souvent très revendicatifs, d'autant plus qu'ils ont, en général, un bon niveau d'instruction, ce qui leur permet de prendre la parole et de défendre leur point de vue lors des réunions publiques. Certains d'entre eux peuvent relayer des associations écologistes actives (Gépog, Kwata, le Pou d'Agouti, Sépanguy, etc.).

Les Assemblées de Guyane (Conseils général et régional) regroupent des élus locaux très impliqués dans les politiques d'aménagement du territoire. Ils revendiquent une augmentation de leurs pouvoirs et de leur autonomie. Les élus manifestent volontiers et traditionnellement une hostilité à l'égard des projets en provenance de Paris et notamment celui de parc national (voir ci-dessous). Les deux députés de Guyane jouent aussi un rôle de première importance mais, à une autre échelle, puisque leurs fréquents déplacements en métropole les mettent en contact direct avec les ministres et les autres députés de l'Assemblée Nationale.

Les modes de scrutin et le découpage des circonscriptions favorisent l'émergence d'une classe politique issue des foyers de population de la côte. En raison de leur plus faible poids démographique et du découpage des circonscriptions électorales, les Amérindiens, qui ne sont majoritaires que dans les communes d'Awala-Yalimapo et de Camopi, n'ont que très peu d'élus. Leurs revendications, mal relayées, sont souvent jugées "tribales", "communautaires" ou "ethniques", par conséquent accusées d'être des obstacles à la formation d'une véritable "guyanité" pluriethnique. Cette guyanité est plus rêvée qu'objectivement réalisable. Les Amérindiens font davantage entendre leur voix directement auprès de la métropole qui peut voir d'un œil bienveillant leurs revendications, ce qui a tendance à renforcer leur antagonisme avec les Créoles.

Une marginalité entretenue

La marginalité de la forêt guyanaise découle largement des formes de mise en valeur historique de ce territoire longtemps "boudé" par les grands projets d'aménagement. L'exploitation agricole de la colonie (canne à sucre, café, coton, cacao, riz) occupait les meilleures terres, non forestières de la bande littorale : les "terres basses", des savanes poldérisées où les eaux sont naturellement drainées. Elles se situent entre Roura à l'est et Iracoubo à l'ouest. La forêt n'intéressait pas.

La création du bagne en 1852 devait relancer le développement économique du territoire : des milliers de forçats ont remplacé les esclaves libérés en 1848. La forêt est devenue "l'enfer vert" : lieu de souffrance, de mort. Le développement économique du territoire n'était que prétexte et l'exploitation de la forêt restait marginale. En fait, de 1870 à 1920, la prospérité du territoire venait déjà de l'exploitation de l'or et le développement de la Guyane se faisait sans la forêt, voire contre elle. En 1931, le premier service forestier (service des eaux et forêts) voit le jour pour être immédiatement assujetti au bureau des mines du territoire de l'Inini sans jouer aucun rôle déterminant.

Dans les années 1960 - 1970, la décolonisation française en Afrique a provoqué l'afflux d'entreprises d'exploitation forestière. Bien que l'État n'ait imposé que peu de contraintes à l'exploitation, les entreprises n'ont pas retrouvé, en Guyane, les conditions de productivité des forêts africaines. Les débouchés étaient restreints à un marché local limité et irrégulier et à quelques exportations vers les Antilles. Certaines entreprises ont abandonné, d'autres ont poursuivi leur activité mais sur le mode de la cueillette.

Le début des travaux, en 1965, du Centre spatial guyanais (CSG) à Kourou, avec les pas de tir du lanceur Ariane, a constitué une nouvelle forme de mise en valeur en marge de l'immense espace forestier [4].

Dans ce contexte, comment améliorer les conditions d'existence de la population guyanaise en dépassant l'actuelle économie d'assistanat et de transferts financiers d'origine métropolitaine et européenne : prestations familiales et sociales, salaires des fonctionnaires, aides spécifiques de l'UE destinées aux régions ultra-périphériques ? Ainsi devient-il urgent de réfléchir à une politique de valorisation durable du territoire forestier.

La marginalité de ce territoire a aussi été entretenue par les modes de découpage administratif. Les prises de positions récurrentes des élus locaux s'expliquent par ce que J.P. Gachet (Silvolab, groupement d'intérêt scientifique créé en 1992) appelle le "syndrome de l'Inini". En 1930, la Guyane a été découpée en deux zones aux statuts administratifs distincts. Une étroite frange côtière où se concentrait la population s'opposait à un vaste ensemble intérieur presque vide, le territoire de l'Inini, peuplé de quelques groupes d'Amérindiens et de Bushi-Nenge, placé sous l'autorité directe et exclusive du préfet jusqu'en 1969. Ainsi, les Guyanais étaient-ils privés de toute capacité de décision relative au territoire de l'Inini.

Il leur était même interdit, pour raison sanitaire [2], de se déplacer dans cette zone. Il en résulte une forme "d'allergie", de rejet tout au moins, vis-à-vis de tout projet reconstituant une frontière à l'intérieur du département. C'est ainsi que peut s'expliquer "l'hostilité de principe" (J.P. Gachet) et les blocages concernant la création d'un parc national dans le tiers sud du département. En revanche, les collectivités territoriales, dans leurs schémas d'aménagements, prônent avec conviction la construction de routes pour pallier le manque d'infrastructures de transport en direction du sud du département [3] : route de Saint-Laurent à Maripasoula ; de Maripasoula à Saül ; Saül à Bélizon. Il s'agit de projets coûteux qui modifieraient l'organisation du territoire, avec le risque d'accélérer le départ des populations locales résidentes vers le confort onirique de Cayenne ou Kourou. On peut aussi craindre la recrudescence d'une immigration clandestine brésilienne et l'installation d'exploitations agricoles illégales le long des nouvelles voies.

Organisation et aménagement de l'espace guyanais

La présence des forces armées dans la forêt guyanaise est une conséquence de cette marginalité. Le 3e REI (Régiment étranger d'infanterie, autrement dit, la Légion) est stationné à Kourou ; le 9e RIMa (Régiment d'infanterie de marine) est basé à Saint-Jean et patrouille sur le Maroni. Ils sont chargés de la défense du territoire et du maintien de l'ordre en cas de troubles graves, ils assurent la sécurité du CSG. Des missions sont fréquemment organisées en forêt profonde pour entraîner les militaires dans des conditions difficiles et contribuer à donner à la France une compétence pour les actions en milieu tropical ainsi que pour assurer une présence dans un territoire vide.

Un espace forestier faiblement mis en valeur

La mise en valeur de l'espace forestier guyanais s'est souvent limitée à des activités traditionnelles ponctuelles : agriculture de subsistance, chasse, orpaillage.

L'abattis agricole, hérité d'anciennes traditions agraires amérindiennes, reprises par les Bushi-Nenge, est, non seulement lié à un mode de vie, mais c'est aussi une forme d'expression culturelle. L'agriculture itinérante sur brûlis contribue au lien émotionnel qu'entretiennent les populations avec la terre et la forêt, aux interrelations entre l'homme et son territoire. Localisée le long des fleuves, sur les collines, elle vient compléter la chasse, la pêche ou la cueillette dans une économie de subsistance. Les abattis ont généralement une superficie inférieure à 2 hectares mais leur surface moyenne tend à augmenter. De plus, le nombre d'abattis connaît une forte augmentation : + 40% de 1994 à 2004. Ce phénomène est lié à la forte croissance de la population.

D'après les travaux de Nathalie Paralieu : Dynamique d'occupation et de mise en valeur agricole le long des axes routiers de la commune de Mana (Guyane). Bordeaux III

Complément 2. L'abattis agricole en pratique

C'est un système qui respecte, autant que faire se peut, l'environnement, à condition de laisser les terres en jachère. Le cultivateur ne peut pas défricher, compte tenu de son modeste équipement, de très larges zones. L'abattis n'exige pas d'investissements financiers importants et permet l'auto-subsistance des familles. Mais ce système pose aussi des problèmes. Les productions sont difficilement commercialisables et sont concurrencées par celles du Brésil ou du Surinam. La capacités logistiques et de valorisation en Guyane, restent, en moyenne, trop limitées. Les contraintes démographiques obligent parfois à pratiquer des rotations de plus en plus courtes et à augmenter les défrichements, ce qui rend les cultures plus vulnérables. Les insectes ravageurs, en particulier les fourmis - manioc peuvent s'abattre sur une parcelle et la dévaster en une journée.

Le département de la Guyane ne possède pas de loi sur la chasse : ainsi il n'est pas besoin de posséder un permis, tout le monde peut chasser, n'importe où, n'importe quand (de jour ou de nuit à la lampe frontale) et n'importe quoi. Il existe pourtant quelques limites spatiales (restriction ou interdiction de chasser dans les espaces naturels protégés) et une liste des espèces animales protégées ou interdites à la vente. La chasse se pratique surtout pour l'autoconsommation (la consommation de gibier est très importante) et dans une moindre mesure pour la vente. Les espèces les plus consommées, le "cochon bois" ou Pécari à lèvre blanche (Tayassu pecari) et le "Maïpouri" ou Tapir (Tapirus terrestris) sont victimes d'une pression cynégétique très forte. Les chasseurs, de plus en plus nombreux, prélèvent des quantités croissantes de gibier. L'utilisation du fusil, plus efficace que l'arc, a un impact négatif sur les densités de gros mammifères. D'où la raréfaction de certaines espèces, par exemple, la pérennité du "Maïpouri", qui a une longue période de gestation (18 mois), est menacée.

La réglementation de la chasse apparaît comme incontournable à plus ou moins long terme, au moins dans les forêts du nord du département, celles qui sont les plus sollicitées. Au centre et au sud, les populations résidentes s'opposent avec véhémence à toute restriction. La solution pourrait consister à délimiter des zones témoins, avec interdiction totale de chasser, afin de protéger intégralement la biodiversité dans des espaces suffisamment vastes. L'élevage pourrait constituer une alternative à la chasse, principalement chez les Bushi-Nenge, car les Amérindiens n'aiment pas tuer leurs animaux domestiques : susceptibles de manger les déjections humaines, ils les jugent impropres à la consommation [6]. Une étude menée sur les Amérindiens Wayampi du Haut-Oyapock [7] montre que la pression exercée par les populations locales sur les zones de chasse augmente.

Depuis la découverte de l'or en Guyane en 1855, l'activité de l'orpaillage a connu des hauts et des bas. Les premiers temps ont été caractérisés par une véritable ruée vers l'or. Les premiers orpailleurs ont utilisé des méthodes artisanales, puis, par la suite, de grandes sociétés aurifères ont développé des techniques industrielles. La Première guerre mondiale a vu ralentir l'activité avec l'épuisement des premiers gisements. Mais ce sont surtout les désordres économiques nés de la seconde guerre mondiale qui mettent un quasi terme à l'orpaillage. Il faut attendre les années 1980 et la réévaluation des cours mondiaux de l'or pour que des Brésiliens expérimentés relancent l'activité en Guyane.

Plus récemment, des formes de mise en valeur plus intensives ont été développées : agriculture intensive et foresterie

L'agriculture développée en forêt par les Hmong est d'un type particulier. Réfugiés du Laos en guerre dans les années 1970, ils se sont installés au cœur de la forêt dans deux petits villages isolés : Cacao et Javouhey. Grâce à un travail agraire acharné et intensif, les Hmong fournissent des légumes et des fruits frais sur les marchés guyanais. Les cultivateurs Hmong ont démontré que l'espace forestier pouvait être fortement productif tout en s'affranchissant des contraintes de la mise en jachère, sans doute au prix d'intrants phytosanitaires en quantité importante. Ce succès économique a facilité l'intégration sociale de cette communauté.

La forêt guyanaise peut être, ponctuellement, exploitée de façon intensive. On peut classer les activités pratiquées en deux grandes catégories : premièrement, une exploitation des ressources s'intégrant dans une économie monétaire et deuxièmement, une exploitation de type traditionnel ou vivrier. Avec une pression démographique qui tend à augmenter, l'espace forestier, à proximité immédiate des villages, se réduit et se mite : mitage ponctuel (par exemple par les exploitations aurifères), auréolaire (abattis autour des villages), linéaire (installation de populations le long des fleuves ou le long de la nouvelle route Régina - Saint-Georges [5]).

La Guyane est le seul département français où la terre est presque exclusivement domaine de l'État qui la cède sous forme de baux emphytéotiques de trente ans. Il peut aussi attribuer des concessions provisoires d'une surface d'environ 5 hectares en général. Leur concessionnaire peut en devenir propriétaire au bout de 5 ans s'il en a réalisé la mise en valeur agricole. Dans les zones habitées par les Amérindiens, il existe un droit d'usage collectif, faire-valoir direct lié à la communauté des habitants. Mais la pratique d'exploitation des terres sans titre est courante.

Volumes des grumes sorties de forêt
Année
Volume
en m3

1954

 20 000
1967
 60 000
1973
 28 000
1980
120 000
1984
 68 000
1989
100 000
1994
 50 000
1999
 72 000
2001
 58 000
2003
 65 000
2004
 67 000

 

Débouchés de la filière bois
Utlisation
 

Ossature, charpente

46%
Menuiserie
23%
Parquets, lambris, bardages
17%
Mobilier et ébénisterie
7%
Caisserie, emballages
7%

Les principales espèces exploitées dans la forêt guyanaise

- Angélique (Dicorynia guianensis) = 34%
- Gonfolo (Qualea rosea et Ruitzerania albiflora) = 32%
- Grignon franc (Sextonia rubra) = 7%
- Amarante (Peltogyne) = 4%
- Goupi (Goupia glabra) = 3%

Source : Atlas illustré de Guyane, sous la direction de J. Barret, 2002

L'ONF, qui gère 90% des forêts du département, a délimité une cinquantaine de massifs forestiers, d'une surface moyenne de 11 000 hectares, dans le nord de la Guyane. Les forêts aménagées de la frange côtière, sur une faible superficie du total (481 000 ha, environ 6% de la surface totale boisée), sont inaliénables et consacrées en priorité à la production de bois. L'Office accorde un permis d'exploitation à des sociétés concessionnaires qui choisissent les grumes qu'elles souhaitent couper. Ces sociétés possèdent une importante marge de manœuvre et d'indépendance. La production de bois, organisée dans des filières pas toujours bien structurées, pâtit de l'étroitesse du marché local mais surtout des surcoûts liés aux prix élevés du matériel et de la main d'œuvre : la départementalisation de 1946 et l'application aux entreprises des lois et règlements français en matière salariale, rendent les coûts de production beaucoup plus élevés qu'au Brésil voisin ou que dans d'autres pays africains.Les problèmes de d'accès à la ressource, de logistique sont également dissuasifs.

Les activités dans la forêt guyanaise - Diaporama

Clichés de Patrick Blancodini, 2002

Commentaires

1 et 2 - L'exploitation forestière. Ici, le débardage des grumes qui nécessite des moyens mécaniques et des voies d'accès (route ou voie d'eau) adaptés. Il n'est pas possible d'exploiter la forêt de cette manière dès que l'on s'éloigne des voies de pénétration.

3 - La voie d'eau est un moyen essentiel de pénétration de la forêt. Ici, la construction d'une pirogue chez les Bushi - Nenge du Maroni.

4 - Une barge d'orpailleur sur le Bas - Maroni. Une des techniques utilisée pour l'orpaillage en Guyane.

5 - Les villages constituent des enclaves défrichées au cœur de la forêt. Ici, des habitations du village de Saül.

6 à 9 - Les abattis sont une forme de mise en valeur agricole traditionnelle en forêt tropicale. Successivement, dans les environs du Maroni : préparation de l'abattis par le feu (6) ; un abattis et son désordre apparent, les troncs gisent carbonisés sur le sol et les plantes, dachine, manioc et bananiers poussent sur les cendres (7) ; un abattis jardiné en dachine, maïs, bananier (8) ; sur les bords du fleuve, des abattis au pied de la colline, à proximité des habitations (9).

10 - Contrastant avec les abattis, les cultures intensivesdans la forêt défrichée par les Hmong à Cacao.

11 - Culture de papayes et de courges par les Hmongs à Javouhey

12 - Du côté de Saül, vue d'avion d'un carbet (hutte en bois recouverte d'un toit en feuilles de palmier et sans mur, afin de permettre la circulation de l'air) et de son champ défriché.

13 - Une piste, ouverte dans la forêt près de Kourou, met en évidence le sol ferrallitique. Au loin, l'orage se prépare, il tombe de 2 000 à 4 000 mm d'eau par an.

Préserver et valoriser la forêt : une équation insoluble ?

L'objectif premier de la protection est d'éviter des atteintes irréversibles à l'environnement comme cela est déjà arrivé dans le passé : par exemple, disparition du bois de rose ou extinction du caïman noir chassé à l'excès pour sa peau. Or, la surface protégée en Guyane ne représente aujourd'hui que 6% du territoire du département. Une majeure partie des populations guyanaises (Amérindiens, Bushi-nenge, voire les nouveaux colons agricoles) est avant tout concernée par la question foncière [8] et plus indifférente à la gestion de la biodiversité. En conséquence, les élus et les responsables locaux reprennent rarement à leur compte les discours protectionnistes, d'autant plus que la volonté de protéger l'environnement puise parfois ses origines dans un romantisme teinté d'écologisme militant. Entre protection de la nature et revendications sociales, quels équilibres trouver ?

La biodiversité de la forêt guyanaise est l'une des plus importantes au monde. Les scientifiques dénombrent quelques 1 600 espèces de vertébrés dont 186 espèces de mammifères, 715 d'oiseaux, 162 de reptiles, 101 d'amphibiens, 438 de poissons d'eau douce, et 5 500 espèces de plantes supérieures [9]. Une quarantaine de nouvelles espèces de plantes y sont décrites chaque année. Mais une grande partie de ce patrimoine ne serait pas encore répertorié. La grande diversité des espèces répartie sur un espace de près de 8 millions d'hectares et l'accès très difficile aux milieux rendent la connaissance biologique partielle. La protection de la biodiversité et de l'environnement forestier est un enjeu planétaire. La France dote l'UE d'un "morceau d'Amazonie" presque inviolé et dont la biodiversité, sauvegardée jusque là, est d'un grand intérêt pour la recherche. Souvent soucieuse de son image internationale, elle pourrait devenir un exemple mondial de gestion durable d'une forêt tropicale humide.

Comment concilier la conservation de ce patrimoine naturel et le développement économique de la forêt guyanaise ? Une des difficultés de la valorisation de la biodiversité vient de son absence, a priori, de valeur économique immédiate, contrairement à une exploitation directe de la forêt. Mais certains s'inquiètent du risque de dépossession des populations qui ont découvert et utilisent de façon traditionnelle et parfois depuis très longtemps, les ressources forestières, en particulier les plantes médicinales. Les industries pharmaceutiques (à l'heure actuelle, près de 60% des médicaments consommés dans le monde sont issus, plus ou moins directement, de substances naturelles) soulignent que la valeur des produits ne provient pas de la ressource elle-même mais des efforts de recherche et d'innovation effectués dans les laboratoires. Or, une invention doit réunir trois critères pour prétendre à la brevetabilité : la nouveauté absolue, l'activité inventive et l'application industrielle [10]. En Guyane, les populations forestières ne peuvent, à travers leur utilisation traditionnelle des plantes, prétendre à des droits sur celles-ci. C'est donc à l'État français de valoriser la biodiversité de la forêt guyanaise dans une perspective d'exploitation des ressources génétiques potentielles en rassemblant scientifiques, industriels et acteurs locaux.

L'écotourisme peut être une autre forme de valorisation de la biodiversité. La part des voyages de nature est appelée à croître dans les pays en voie de développement comme dans les pays développés. Par exemple, les Aras du Pérou sont devenus un attrait touristique appréciable pour le pays. La raréfaction de la nature dite sauvage à la surface de la Terre renforce la valeur du potentiel de la forêt tropicale humide guyanaise.Dans la région de Sinnamary, un projet de valorisation à partir de l'Ibis rouge a vu le jour. La première étape a consisté à en limiter la chasse pour le protéger. Il a fallu faire face à de nombreuses réticences des populations qui perçoivent d'un mauvais œil toute restriction du droit de chasse.

La forêt de Saül est une des mieux préservée de la planète. Seules quelques activités dispersées d'extraction de l'or causent des dégâts localisés. La chasse locale de mammifères (pécaris, tapir, cerf, singe, agouti) ou d'oiseaux (hocco) n'a qu'un impact limité. Depuis 1965, l'IRD poursuit l'inventaire botanique de la région à partir de layons tracés dans la forêt. Or, la curiosité scientifique est un des éléments moteurs de l'écotourisme, ainsi, des guides locaux peuvent être formés par les chercheurs. À condition d'être régulièrement entretenus, les layons, utilisables par les touristes et les guides, font d'ores et déjà découvrir la flore et la faune du secteur. Au demeurant, toutes les études de faisabilité excluent la possibilité de faire de la forêt de Saül une destination d'un tourisme de masse, ce qui deviendrait incompatible avec sa préservation.

La création de zones réglementées peut paraître indispensable mais elle doit tenir compte des nécessités du développement économique. La Guyane qui est à la fois le pays d'Amérique latine le moins peuplé et celui dont le niveau de vie est le plus élevé accumule cependant les retards dans la préservation de sa forêt : le Surinam voisin possède déjà 16 parcs ou réserves, le Costa Rica, 20.

Historique du projet de parc national de la Guyane française

1992 - Signature d'un protocole d'accord par les présidences des Conseils général et régional de Guyane et les ministères des DOM-TOM, de l'Environnement et de l'Agriculture et de la Forêt.

1993 - Mise en place d'une mission d'étude chargée d'élaborer un avant-projet.

1995 - Rejet en masse de l'avant-projet par les populations résidentes qui ne se sentent pas assez consultées.

1996 - Reprise des discussions avec l'ensemble des partenaires : élus locaux, autorités coutumières, associations locales et internationales, services administratifs, scientifiques. Formation d'Amérindiens chargés de relayer l'avancement des travaux auprès des populations résidentes.

1997 - Installation d'un nouveau comité de pilotage et de trois commissions thématiques : champ de compétences du parc, respect des modes de vie, parc et activités minières.

1998 - Nouvelles propositions pour un avant - projet. Mise en place de groupes de travail chargés de définir les orientations du futur parc, en matière d'aménagement, de gestion et de réglementation.

1999 - Un débat au Conseil régional aboutit à la condamnation de la politique de la Mission Parc en considérant "qu'elle réalise un chantage à l'équipement public auprès des communes". Une plus large consultation de la population guyanaise est réclamée. Commence alors, une période de mise entre parenthèse du projet.

2002 - Création du parc naturel brésilien de l'Amapa limitrophe à la Guyane française : les scientifiques rêvent d'un immense espace protégé transfrontalier. Léon Bertrand, député de Guyane, est nommé secrétaire d'État au tourisme : le projet de parc repart avec un relais au gouvernement.

2003 - Un nouveau comité de pilotage élargi est mis en place. Il passe d'une trentaine de membres à une cinquantaine : les populations amérindiennes et Bushi-Nenge sont mieux représentées. Quatre commissions thématiques se réunissent périodiquement pour mettre au point les champs de compétence du parc, les formes de développement durable et des modes de vie des populations locales, le zonage du parc…

2005 - Le dépôt du nouveau projet est attendu pour le premier semestre.

Les espaces protégés en Guyane

Le jeu d'acteurs dans le projet de création du parc national de Guyane

Le projet de parc national dans le sud du département se heurte aux rivalités entre acteurs et aux conflits d'usage de l'espace. Les blocages résultent notamment de la difficulté à délimiter des zones où les activités humaines seraient réduites. Ce projet devait permettre de protéger une vaste superficie de forêt au sud du département : près de 3 millions d'ha, soit le tiers du département, répartis sur plusieurs communes (celles de Maripasoula, Camopi, et en partie celles de Régina et Saül). Les limites du parc posent actuellement un problème délicat. D'autant plus que certains pensent que la logique devrait consister à protéger d'abord les forêts les plus menacées de Guyane c'est-à-dire celles du nord du département et celles qui présentent le plus grand intérêt scientifique (autour de Saül par exemple). L'idée de créer un espace protégé englobant les populations amérindiennes résulte du postulat que ces populations font partie intégrante de la "nature". Cela revient à une patrimonialisation des hommes ce qui n'est pas sans poser des questions d'ordre éthique. Le risque ne consiste-t-il pas à placer les Amérindiens aux côtés de la faune à conserver ? De nombreux spécialistes, comme les ethnologues Pierre et Françoise Grenand [11], pensent que la question des droits territoriaux est un préalable à celle de la protection du milieu.

Trois types de zones avaient été proposées par la mission mise en place en 1993 (voir la chronologie ci-dessus) : des zones de vie que les populations locales pouvaient continuer à parcourir et à exploiter, à condition que cela se réalise de façon harmonieuse avec le milieu ; une zone de nature sans aucune présence ni activité humaines ; et enfin, une zone périphérique de développement économique (pour l'agriculture, l'orpaillage, le tourisme, etc.). Ainsi les populations amérindiennes se retrouvaient prises en tenaille entre "forêt vierge" et espace de développement, positionnées, malgré elles, entre nature et culture. Les Amérindiens Wayana ont refusé cette situation, n'acceptant pas de se voir interdire l'accès à ce qu'ils considèrent comme leur territoire. Parmi les Bushi-Nenge, les Bonis rejettent majoritairement l'idée de création d'un parc [12] par crainte d'avoir à abandonner leur terre et de subir des restrictions de circulation, de chasse et de pêche. Ils craignent aussi que leurs lieux de culte et de prière soient profanés par des touristes. Mais c'est surtout la peur de ne plus pouvoir orpailler qui motive leur refus.

L'échec du premier projet de parc en revient donc, d'une part, aux aménageurs, qui avaient oublié que le territoire ne relève pas seulement de décisions administratives mais possède aussi une haute valeur symbolique, et, d'autre part, à la complexité du jeu d'acteurs sur le terrain, fait de rivalités et atomisé [13]. Le nouveau projet, à paraître en 2005, saura-t-il relever les défis d'un développement durable du territoire de la forêt guyanaise ?


Notes

[1] Bureau des Recherches Géologiques et Minières. En 1974, après le choc pétrolier, la France décide une prospection systématique des ressources de son sous-sol. Le BRGM est alors chargé de réaliser l'inventaire minier de la Guyane. Ce dernier est publié au milieu des années 1990

[2] La restriction de déplacement qui existe toujours aujourd'hui (au sud d'une ligne Maripasoula - Camopi) vise à protéger les populations amérindiennes des virus et microbes.

[3] Le schéma d'aménagement 2000 propose de relier Saint-Laurent-du-Maroni à Maripasoula, Maripasoula à Saül, Saül à Cacao.

[4] L'activité du CSG contribue, en 2004, à près de la moitié du PIB de la Guyane (source INSEE). Notons qu'en 2007, un nouveau pas de tir doit permettre d'acceuillir le lanceur russe Soyouz 2-1b.

[5] La RN2 Régina - Saint-Georges est, pour l'insant, sans continuité vers le Brésil, en l'absence d'un pont sur l'Oyapock. Le Développement, magazine d'information de la CCI (n°90, janvier 2004) précise que le projet stratégique de construction de ce pont a fait l'objet d'un accord international avec le Brésil. Le CIAT (Comité Interministériel d'Aménagement du territoire) du 18 décembre 2003 a "décidé d'inclure la réalisation du pont sur l'Oyapock dans le périmètre de l'établissement public intermodal de financement des infrastructures". Le pont devrait être opérationnel en 2008 :
www.guyane.cci.fr/telechargement/Dev90.PDF

[6] Ouhoud-Renoux F. - Se nourrir à Trois Sauts, analyse diachronique de la prédation chez les Wayãpi du Haut-Oyapock - 1998. Etude comparée de la prédation dans le village de Zidock (près de 220 personnes actuellement) en 1994-95 et 1976-77.

[7] Enquête menée en 1998 auprès des populations Bushi-Nenge (Aluku) et Amérindiennes (Wayana) par Marie Fleury (laboratoire d'Ethnobiologie-Biogéographie, MNHN, Paris)

[8] Gombauld P., Gachet J. P. - Préservation et valorisation des ressources naturelles en Guyane : quel compromis ? - 1999

[9] Moretti C. - Valorisation et exploitation des plantes médicinales de la Guyane : le point de vue d'une phytochimiste - 1999

[10] - Valorisons la diversité de la nature, un document de la FAO : www.fao.org/DOCREP/004/V1430F/V1430F04.htm. Gérer la biodiversité : www.fao.org/DOCREP/004/V1430F/V1430F07.htm

[11] - Grenand F. et P. - Situation des populations indigènes des forêts denses humides - Office des publications officielles des Communautés européennes - 1994

[12] Enquête menée en 1998 auprès des populations Bushi-Nenge (Aluku) et Amérindiennes (Wayana) par Marie Fleury (laboratoire d'Ethnobiologie-Biogéographie, MNHN, Paris)

[13] Leprêtre L. - Les Amérindiens Wayana et la mise en place du projet de parc national guyanais - 1999

 


Ressources bibliographiques, une sélection

  • Bataillon C., Deler J-P., Théry H. (dir) - Amérique latine - Tome 3 de la Géographie universelle - Belin-Reclus - 1991
  • Coll. - Forêt guyanaise : gestion de l'écosystème forestier et aménagement de l'espace régional - SEPANGUY - 1993
  • Demangeot J. - Tropicalité, géographie physique intretropicale - Armand Colin - 1999
  • Droulers M. - L'Amazonie. Vers un développement durable - Coll. U, Armand Colin - 2004
  • Droulers M. - L'Amazonie - Éditions Nathan-Université - 1995
  • Fleury M., Bushi-Nenge - Les Hommes - forêt. Essai d'ethnobotanique chez les Aluku (Boni) en Guyane française - Thèse de l'Université P. et M. Curie - Paris 6, 1991
  • Fournier M. et Weigel J. (edit.) - Connaissance et gestion de la forêt guyanaise - N° spécial de la Revue forestière française - 2003
  • Hurault J. M., Grenand F., Grenand P. - Indiens de Guyane: Wayana et Wayampi de la forêt - coll. Monde / Photographie - Autrement - 1998
  • Lézy E. - Guyane, Guyanes, Une géographie "sauvage" de l'Orénoque à l'Amazone - Belin / Mappemonde - 2000
  • Ministère de l'écologie et du développement durable - Forêts tropicales : comment la France peut-elle contribuer à leur gestion durable ? - coll. Réponses environnement, La Documentation française - 2003
  • Prost G. et Zonzon J. - Géographie de la Guyane - Servedit - 2000
  • Puig H. - La forêt tropicale humide - Belin- 2001
Atlas et cartes

Ressources en ligne, une sélection

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Patrick BLANCODINI
Doctorant à l'Université de Lyon III, formateur à l'IUFM de Lyon

Documentation complémentaire et mise en pages web : Sylviane Tabarly
Réalisations cartographiques, Hervé Parmentier.

Pour citer cet article :

Patrick Blancodini, « La forêt guyanaise française : entre valorisation et protection », Géoconfluences, mars 2005.
URL : https://geoconfluences.ens-lyon.fr/informations-scientifiques/dossiers-thematiques/developpement-durable-approches-geographiques/corpus-documentaire/la-foret-guyanaise-francaise-entre-valorisation-et-protection

Pour citer cet article :  

Patrick Blancodini, « Archive. La forêt guyanaise française : entre valorisation et protection », Géoconfluences, mars 2005.
https://geoconfluences.ens-lyon.fr/informations-scientifiques/dossiers-thematiques/developpement-durable-approches-geographiques/corpus-documentaire/la-foret-guyanaise-francaise-entre-valorisation-et-protection