Abattis agricole, abattis-brûlis
La culture sur brûlis, ou abattis-brûlis, est un mode traditionnel extensif de mise en valeur agricole consistant à abattre et brûler la forêt d'une parcelle pour la mettre en culture puis à l'abandonner pour permettre la reconquête forestière. Le paysage qui en résulte est l’abattis agricole. La forêt, coupée, brûlée, puis replantée en espèces nourricières, fournit la part d'alimentation végétale indispensable aux communautés rurales qui pratiquent l'abattis. Elle semble constituer une réserve d'espace sans limite sauf celle de l'accessibilité. Les cultivateurs procèdent à des rotations de terres afin de laisser celles-ci en jachère suffisamment longtemps (8, 9 ou 10 ans) pour permettre aux sols de se reposer et à la végétation de se régénérer.
En début de saison sèche, le cultivateur choisit un terrain bien drainé. Il coupe à la machette les arbustes, les lianes et les plantes recouvrant le sol. Ensuite, il abat à la hache ou à la tronçonneuse les arbres qui ne présentent pas d'intérêt. Il conserve ceux dont on peut tirer un produit ou un avantage : les troncs très fins peuvent faire fonction de tuteurs aux haricots et autres ignames. À la fin de la saison sèche, le cultivateur met le feu à l'ensemble. L'incendie détruit en partie la biomasse (la végétation coupée et laissée sur place), mais épargne les arbres laissés debout. Des troncs et des souches carbonisés, mais pas entièrement consumés, gisent au sol. Ces troncs restants, apparemment abandonnés pêle-mêle, répondent en vérité à une logique. Ils freinent le ruissellement des eaux de pluie et les racines des souches limitent l'érosion de la couche d'humus en la retenant. Derrière l'apparente désinvolture de l'agriculteur peu enclin à « nettoyer » sa terre, se dissimule, en fait, un grand savoir-faire. Le feu détruit les insectes ravageurs et les graines des adventices (« mauvaises herbes »). Il enrichit le sol par des éléments nutritifs contenus dans les cendres. En début de saison des pluies, le paysan sème ou repique une dizaine d'espèces de plantes : manioc, riz, dachine, maïs, igname, piment, gingembre, canne à sucre, ananas, bananier, citronnier.
Document 1. Plan d’exploitation d’un abattis Djuka d’après Paralieu (1991)
Cette polyculture lui garantit une production suffisante, y compris en cas de mauvaises conditions météorologiques, car il est rare que toutes les plantes subissent les mêmes pertes. Le complantage (ou association végétale) évite aussi qu’une maladie ou qu’un ravageur ne détruise toute la récolte. Cette pratique traditionnelle n’est pas sans rappeler la permaculture ou l’agroforesterie. Les associations végétales pratiquées dépendent des populations et de leurs traditions culturelles : en Guyane, on distingue ainsi les abattis sante-luciens, créoles, boni, etc.
Dès la seconde année, il faut préparer un nouveau terrain, car très rapidement le recrû des végétaux et l'invasion d'insectes, comme les fourmis-manioc, compromettent la récolte future. Le travail d'entretien, de sarclage, de désherbage, exige beaucoup d'énergie. En général, après la troisième année, au plus tard, l'abattis est abandonné pour une période d'une dizaine d'années. La végétation secondaire reprend le dessus. À l'issue des dix ans, il sera possible de cultiver à nouveau, grâce à une quantité suffisante de végétaux à brûler. Les émissions de CO2 sont en partie compensées par son absorption par la végétation en phase de croissance.
Patrick Blancodini, mars 2005. Dernières modifications (JBB), octobre 2024.
Références citées
- Blancodini Patrick (2005), « La forêt guyanaise française : entre valorisation et protection », Géoconfluences, mars 2005.
- Paralieu Nathalie (1991), Dynamique d'occupation et de mise en valeur agricole le long des axes routiers de la commune de Mana (Guyane), mémoire, université de Bordeaux III.
Pour compléter avec Géoconfluences
- Arthur Guérin-Turcq, « Les forêts dans le monde, des milieux anthropisés : un état des lieux », Géoconfluences, septembre 2023.
- Jean-Benoît Bouron, « Carte à la une. Représenter l’agriculture et les espaces nourriciers à l’échelle mondiale », Géoconfluences, février 2021.
- Jean-Daniel Cesaro, « Transformation des agricultures en Asie du Sud-Est : la paysannerie face aux défis de la mondialisation », Géoconfluences, septembre 2020.
- Samuel Depraz, « Habiter les espaces de faible densité : impensés et richesse des "vides" », Géoconfluences, mars 2020.