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Un vignoble en crise : la viticulture française et le marché mondial du vin en 2004

Publié le 17/10/2004
Auteur(s) : Marie Liégeois - ENS LSH

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Ces dernières années, la crise viticole française et la réforme de l'Appellation d'Origine Contrôlée (AOC) ont été fréquemment évoquées dans les médias. La situation semble préoccupante puisque les médias se relaient pour décrire la profondeur de cette crise. La France est mondialement reconnue pour sa capacité à produire des grands crus qui s'exportent dans le monde entier, mais elle est sévèrement concurrencée par les producteurs du Nouveau Monde (Afrique du Sud, Argentine, Australie, Californie, Chili).

Si crise il y a, quelles en sont les données ? De quelle manière les viticulteurs français pourront-ils s'adapter ? La réforme de l'AOC actuellement en chantier, suffira-t-elle ? Les réponses ne sont pas simples car, lorsqu'il est question de vin, il est autant question de biologie, d'agriculture spécialisée, de culture et d'art de la table que de commerce et de stratégie.

 

La crise viticole française dans un marché mondial en recomposition

L'origine de la crise viticole française est complexe. Elle relève de plusieurs causes. La baisse de la consommation de vin, ajoutée à l'arrivée de nouveaux producteurs, ont obligé les viticulteurs français à diminuer leur production. La production française a des difficultés à l'exportation, car la concurrence est plus sévère. Plus généralement, à partir de 1990, la production mondiale commence à baisser. Mais la situation varie considérablement entre les principaux pays producteurs : la production de la France, de l'Italie, de l'Afrique du Sud diminue, alors qu'elle augmente pour la Grèce, les États-Unis et le Chili par exemple. C'est principalement la viticulture de masse qui est en chute libre, alors que les vignobles de qualité résistent mieux.

La crise de la viticulture française est aussi liée à l'évolution de la consommation nationale et à la lutte contre l'alcoolisme. Le consommateur français préfère boire moins mais mieux, d'où une forte diminution de la consommation des Vins de Table. La loi Evin, très controversée dans les milieux viticoles, a été motivée par le souci de préservation de la santé. Il est bien difficile de trancher entre morale, santé et culture, entre bienfaits et méfaits de l'alcool. Comment peut-on faire simultanément la promotion du vin français, et, en même temps, des campagnes de prévention contre l'alcoolisme et pour la sécurité routière ?

Document issu du rapport du Sénat sur la viticulture (10 juillet 2002) :

www.senat.fr/rap/r01-349/r01-3490.html

Victime d'une baisse de la consommation domestique, la viticulture française subit aussi un fléchissement de ses exportations. Elle est soumise à la concurrence des vins du Nouveau Monde, ainsi que de celle de ses voisins européens (Grèce, Espagne, Italie) et du Maghreb.

L'exemple de la Grande-Bretagne (plus grand importateur de la planète et historiquement lié aux vins de Bordeaux) illustre bien ce propos, car les vins français ne représentent actuellement plus que 25% de ses importations, contre 40% détenus par les vins du Nouveau Monde. Les restaurants britanniques proposent d'ailleurs une carte des vins illustrant parfaitement cette tendance puisqu'on y trouve, côte à côte, des vins australiens, français, californiens et chiliens.

Les grands crus français et les champagnes ne sont pas touchés par cette crise : ils relèvent d'une toute autre logique de production et de consommation. Ils sont dépendants de certaines fluctuations (euro fort, boycott conjoncturel de certains produits français), mais leur hégémonie n'est pas pour autant remise en cause. Les vins ordinaires occupent une part importante des échanges or, ils sont directement soumis à la concurrence des vins du Nouveau Monde. La chute a commencé dans les années 1980 : les vins français étaient de qualité médiocre et leurs prix, en moyenne, trop élevés. Comparativement, les vins du Nouveau Monde étaient moins chers et, surtout, de qualité gustative constante d'une année sur l'autre.

Le succès des vins du Nouveau Monde a été facilité par le manque de vins intermédiaires, accessibles et connus du grand public, entre les Vins de Table souvent médiocres et les grands vins de dégustation. Les Vins de Pays, assez méconnus et souvent confondus avec les Vins de Table, ont des difficultés à attirer une clientèle désireuse de se faire plaisir sans dépenser trop. Cependant, certains ont su relever le défi et se reconvertir à la production de qualité à l'instar des vins du Languedoc-Roussillon, les AOC et Vins de Pays du Minervois, de Faugères, du Pic-saint-loup par exemple. On est passé d'une production de masse à un vignoble de qualité en faisant baisser les rendements (politique d'arrachage, introduction de nouveaux cépages, arrêt de l'irrigation, amélioration des techniques de taille).

La mode des vins du Nouveau Monde s'inscrit aussi dans l'élargissement des pratiques gustatives. Nos palais sont de moins en moins réticents à de nouvelles expériences plus exotiques. Ainsi, la découverte de la gastronomie de ces pays est peut-être à mettre en parallèle avec cet engouement naissant pour des vins venus d'ailleurs. Il devient effectivement très en vogue de déguster un pavé d'autruche avec un vin australien ! En outre, les grandes surfaces facilitent l'accès à ces vins du Nouveau Monde puisque maintenant, un rayon spécial leur est presque systématiquement réservé.

Ce qui inquiète vraiment les viticulteurs français, c'est l

a capacité des producteurs du Nouveau Monde à augmenter encore leur part de marché. Ces nouveaux producteurs sont parfaitement capables de produire de très grands crus, qui, jusqu'à présent étaient l'apanage de la France.

À titre d'exemple, Monsieur Perrin, viticulteur de renom en Châteauneuf-du-Pape, a exporté ses cépages et son savoir-faire Outre-Atlantique : il élabore en Californie un vin somptueux, très proche de ses crus français et démontre ainsi que le vin de qualité en Californie est possible. Pour l'instant, la production de très haute gamme du Nouveau Monde est encore distribuée en quantité limitée chez quelques cavistes et dans quelques très bons restaurants. Certains de ces excellents vins ont pour principal objectif de faire connaître un produit et d'élargir, par la suite, la gamme proposée à la vente.

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Que sont ces vins du Nouveau Monde ?

Le Nouveau Monde, formule à la fois admirative et énigmatique, désigne avant tout l'Afrique du Sud, l'Argentine, l'Australie, les États-Unis (Californie) et le Chili. Leurs pratiques viticoles diffèrent des pratiques hexagonales et, pour comprendre leur succès actuel, il est nécessaire de s'intéresser de plus près à ces nouvelles approches qui semblent faire recette.

Tout d'abord, la vinification et l'élaboration de leurs vins font preuve d'un modernisme dont la "Vieille Europe" ne sait pas encore exactement que penser. L'industrialisation des techniques viticoles est appliquée sur tous les maillons de la chaîne de production. Il en résulte une baisse des coûts de production évidente, et donc, une meilleure compétitivité sur le marché international. Les différences de coût de main d'oeuvre jouent également un rôle important (Argentine, Chili).

Les producteurs du Nouveau Monde ont eu pour souci constant de partir du marché. Cette situation n'est pas révolutionnaire, car, même en France, de nombreux ajustements ont été réalisés au fil des ans pour produire le vin que réclamaient les consommateurs : nous ne buvons plus les mêmes vins que nos arrière-grands-parents. L'adaptation de la production aux goûts des consommateurs n'est en réalité pas aussi simple, car ils ne sont pas seuls à fixer les règles du jeu en matière de goût : le guide Parker ou d'autres références, la grande distribution y contribuent aussi. Typiquement, l'exemple du Beaujolais Nouveau est là pour montrer que des habitudes de consommation peuvent résulter d'heureuses initiatives. C'est le 13 novembre 1951 qu'est accordée l'autorisation de "libération anticipée de l'appellation Beaujolais", occasion saisie par Georges Duboeuf pour commercialiser des vins primeurs grâce à une logistique audacieuse. Pari réussi puisque maintenant la fête du Beaujolais Nouveau est célébrée partout en France et s'exporte aussi largement dans d'autres pays du monde, même au Japon. La notion d'adaptation au marché est donc complexe.

Néanmoins, cet effort d'adaptation comporte des limites car, en fonction des années, plus ou moins pluvieuses, plus ou moins ensoleillées, le goût du vin n'est pas le même. Les producteurs du Nouveau Monde ont réussi à passer outre cette contrainte, sans faire de référence explicite au terroir. Les assemblages sont réalisés sur des surfaces immenses, permettant ainsi de palier aux aléas climatiques et favorisant la régularité du goût d'une année sur l'autre. Le vin australien est, quant à lui, élaboré grâce à l'assemblage des vins de tout le pays pour obtenir une qualité constante ! Dans un tel contexte de production, on est évidemment très loin des petites régions viticoles françaises, très loin de la notion de terroir aussi. Néanmoins, on évite de décevoir le consommateur en ne lui présentant que des vins auquel il s'attend. On évite aussi de le surprendre en ne lui présentant jamais ce que les années ensoleillées et très sèches (comme l'été 2003) savent produire de meilleur.

La constance gustative de la production n'est pas le seul point fort des vins du Nouveau Monde. L'effort impressionnant qui est fait sur le marketing participe largement de leur succès. Les étiquettes sont colorées et d'une extrême simplicité. Souvent, on peut y lire le nom du cépage (chardonnay, merlot, etc.), les contraintes d'étiquetage étant beaucoup moins lourdes qu'en France. L'étiquette du dos de la bouteille donne à lire au consommateur les informations dont il a besoin pour faire son choix (cépage, élaboration du vin, etc.). La France commence à mieux renseigner le consommateur sur la manière dont est élaboré le vin.

Le budget investit dans la publicité complète largement cette machine de production. On est vraiment dans une logique de conquête du marché très proche de celle de Danone, Mac Donald ou Coca-Cola. La publicité imaginée par les producteurs de vins du Nouveau Monde sort des sentiers battus. Ainsi, les vins Jacob's Creek (élaborés au sud-est de l'Australie, vers Adélaïde) ont mis en place le Jacob's Creek Open de golf, ils ont réussi à faire de leur vin la boisson officielle des repas servis à Wimbledon. Ils ont même créé un Jacob's Creek Tour en cyclisme (un des plus grands d'Australie). La marque est omniprésente et elle s'associe à des valeurs différentes de celles classiquement associées au vin comme la gastronomie, l'art de la table, etc. Le fait d'associer le vin au sport relève de la nouveauté la plus audacieuse. Les producteurs français rivalisent difficilement sur le volet publicitaire, car ils sont obligés de se plier aux obligations de la loi Evin qui interdit la publicité sur les alcools dans les manifestations sportives.

Le succès de ces nouveaux vins peut également s'expliquer par leur simplicité, leur goût, doux et sucré, qui les rend plus faciles à apprécier. La dégustation semble davantage à la portée de tous, faisant disparaître le complexe du novice qui n'osait dire s'il trouvait bon tel ou tel vin. Publicité, marketing, études de marché et de goût, tels sont les atouts de ces nouveaux concurrents.

La question que soulève l'exposé de ces pratiques viticoles est évidemment celle de la délicate limite entre la fraude et l'amélioration. L'exemple des sciures de chêne utilisées par les pays du Nouveau Monde reflète la polémique qui existe autour de ces pratiques. L'utilisation de ces sciures (qui sont plongées en sachet dans le vin à la manière d'une infusion) permet d'obtenir le vin boisé recherché à moindres frais : l'utilisation du fût reste beaucoup plus coûteuse que la sciure. En France, les copeaux sont utilisés pour les Vins de Pays, mais sont prohibés dans le cas des AOC.

Les stratégies de communication sont aussi différentes : en France, on fait parler le terroir, aux États-Unis, on fait parler le consommateur.

Une adaptation aux nouveaux modes de consommation !

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Ce portrait doit être nuancé par le cas particulier de l'Afrique du Sud qui échappe effectivement à cette règle. Le pays privilégie largement la qualité, la notion de terroir et la typicité. La directive Production vinicole intégrée (PVI) s'est engagée pour une viticulture de qualité, soucieuse de la préservation des ressources naturelles non renouvelables. Ainsi, une attention particulière est portée à la maîtrise de l'érosion des sols, au traitement des déchets, au choix des cépages (qui doivent être économiquement viables), à l'orientation de la pente, à la réduction optimum des divers intrants (facilitée par le maintien en herbe), à la régularisation de l'irrigation, à la lutte intégrée contre les parasites, etc.. Il n'est pas question ici de produire des vins industriels et sans esprit. Il n'est pas question non plus de mélanger tout ce qui se produit dans le pays. La typicité et la qualité des vins d'Afrique du Sud est une réalité que la directive PVI tente de préserver.

 

La réforme de l'AOC… une arme fatale ?

Face à une telle crise les producteurs français s'efforcent de réagir. Une grande partie des difficultés rencontrées par les viticulteurs proviendrait de trop grandes contraintes imposées par l'AOC créée en 1935. Cette appellation, dont le cahier des charges est extrêmement lourd, n'est plus forcément synonyme de qualité. Certains Vins de Pays se vendent beaucoup plus cher et sont bien meilleurs que certains vins AOC. Dans ce contexte, le consommateur néophyte, s'il est mal informé, a forcément toutes les peines du monde à s'y retrouver. La multiplication des appellations provoque l'embarras du consommateur. Elle est symptomatique d'une confusion beaucoup plus générale qui touche l'ensemble de la filière alimentaire (Label Rouge, AB, Produit de l'année, etc.).

L'Institut National des Appellations d'Origine (INAO) souhaite donc réformer l'AOC. L'idée est d'en concevoir une nouvelle : l'AOCE pour les vins d'excellence. Ces grands crus seront ainsi soumis à des règles très strictes et pourront être bien plus facilement identifiés par les consommateurs. Dans le même temps, les vins AOC continueront à exister, mais différemment. La réforme prévoit une plus grande lisibilité des étiquettes de sorte que le texte imprimé parle avec une plus grande clarté du produit consommé (mention du cépage, etc.). Les vins produits en AOC simple pourront également bénéficier d'un assouplissement du cahier des charges pour les rendre plus concurrentiels vis-à-vis de ceux du Nouveau Monde.

Cette réforme, qui intervient pour alléger et clarifier les appellations existantes, paraît contradictoire puisqu'elle ajoute un nouveau label (AOCE) aux appellations existantes (AOC, VDQS, Vin de Pays). Il n'est pas évident qu'elle aide réellement le consommateur à y voir plus clair. Les vins d'excellence seront certes plus facilement identifiables, mais l'imbroglio observé sur les vins de qualité moyenne semble devoir rester le même. Quelle sera la place effective de l'appellation AOC dans cette nouvelle logique ? Il semble qu'elle soit amenée à devenir redondante avec l'appellation Vin de Pays ou VDQS.

 

Conclusion

Le succès de la réforme des AOC dépend largement des mesures ultérieures qui pourront être prises pour clarifier la situation des appellations restantes. On peut se demander dans quelle mesure elle ne dépend pas aussi d'une meilleure cohérence internationale en matière de législation sur le vin. Quelle peut réellement être l'efficacité d'une mesure strictement française dans un contexte mondialisé ? Plutôt que d'agir ponctuellement et de manière isolée, la crise viticole française ne serait-elle pas l'occasion de réfléchir à une politique commune européenne en matière de vin ? L'harmonisation des appellations européennes pourrait constituer une nouvelle arme face à l'arrivée des vins du Nouveau Monde. Par ailleurs, une éventuelle réforme des appellations ne permettra pas aux producteurs de faire l'économie d'une réflexion globale sur les stratégies d'exportation et de reconquête des marchés.

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Annexe 1 - Viticulture et paysage

Les pays de vignobles doivent leur originalité à leur vie sociale faite de convivialité, à leur économie fondée sur la commercialisation, mais aussi et surtout à leurs paysages intensément humanisés et spécialisés.

La vigne est fondamentalement une culture durable, permanente. Les cartes topographiques repèrent les vignes avec un figuré particulier, signe d'une culture pérenne, à haute valeur ajoutée économique mais aussi paysagère. Les visions obliques, depuis les "routes du vin", ou verticales (photos aériennes), permettent une identification immédiate d'un type de paysage parmi les plus originaux du monde rural.

Le caractère géométrique des vignobles contribue à signer leur personnalité paysagère : espacement régulier des ceps, alignement d'échalas en bois, piquets en béton ou en métal, taille uniforme. Le vignoble est le monde de la régularité, de la répétitivité.

 

Paysage du Beaujolais, région des Pierres dorées, des "paysages - patrimoines"

Photos en montage panoramique - Sylviane Tabarly - septembre 2004

Ci-contre à gauche, localisation, à deux échelles, de l'angle de prise de vue (cliquer pour agrandir)

Prise de vue depuis la D. 120, au nord d'Oingt, en direction de l'ouest (vallon du ruisseau de Vervuis). L'exposition vers l'ouest est plus rare pour les vignobles et suppose une viticulture rentable. En arrière-plan, la partie occidentale des monts boisés du Beaujolais. Voir carte TOP 100, IGN, n° 43 (Lyon - Vichy). Notons le double alignement des ceps convergeant vers le talweg ou suivant les courbes de niveau. Parcelles de taille moyenne limitées par des talus, des bandes enherbées et des chemins d'exploitation. Arbres, friches et îlots boisés résiduels.

Extraits cartographiques d'après le site du RNDE:www.rnde.tm.fr/francais/ls/lsgen.jsp

Acquérir ou consulter les cartes de l'IGN :www.ign.fr/affiche_rubrique.asp?rbr_id=1766&lng_id=FR

Paysages d'hier à aujourd'hui

Ce qui pourrait être facteur de monotonie et créer la lassitude est un puissant motif de structuration et donne au paysage une clarté et une lisibilité évidente. Le caractère soigné de la culture : des tuteurs, des terrasses, des murs, des haies d'arbustes, des clôtures confirme cette impression de maîtrise et de rigueur. La marqueterie des parcellaires allant des grands enclos des châteaux du Bordelais aux petites parcelles de certains secteurs du Beaujolais ou des côtes de Toul donne à chaque pays de vignoble une touche paysagère particulière. La place de la vigne, dans l'ensemble du paysage agraire, de la monoculture, la "mer de vignes", à la "coltura promiscua", où la vigne se marie, plus ou moins discrètement, avec d'autres plantes, constitue un puissant facteur de différenciation régionale. Les dispositifs topographiques : vignobles de coteaux, de plaines ou de plateaux différencient également des paysages qui n'ont de stéréotypés que l'espacement réguliers des pieds de vigne. L'habitat rural des pays de vignoble est un élément fort du pittoresque paysager. Les villages souvent groupés, denses, serrés se donnent des allures de petites villes, comparaison justifiée par l'aspect cossu des maisons et l'importance des commerces. L'habitat isolé des mas du Languedoc ou des châteaux du Bordelais, leur qualité architecturale, leurs matériaux de construction signent également l'originalité des terroirs viticoles. La maison vigneronne est enfin une des pièces maîtresses du puzzle paysager des pays de vignoble, qu'elle soit maison bloc, en hauteur, château, demeure aristocratique ou plus modeste édifice elle est toujours structurée en liaison avec son lieu magique et en partie secret, son cœur invisible mais où l'on pénètre avec émotion et cérémonial, la cave.

Texte original, proposé par Paul Arnould, professeur à l'ENS de Lyon, pour Géoconfluences.

L'exemple du vignoble mosellan - Le village de Vaux

Une étiquette de la fin du XIXe siècle en langue allemande. À l'arrière-plan, Metz reconnaissable à sa cathédrale. Au premier plan à gauche le château de Vaux (Schloss Vaux) qui était transformé en champagnerie. Le vignoble n'est pas l'élément dominant du paysage représenté : le culturel et le bâti l'emportent.

Étiquette montrant le vignoble de Vaux avant la crise du phylloxera. La parcelle représentée (exposition à l'est), en haut à droite de l'étiquette, se retrouve sur la photographie ci-dessous, identifiable par le bâtiment (de nos jours, le chalet des "Amis de la nature") situé au contact de la forêt.

Photographie Gérard Liégeois, septembre 2004

Vignes récemment plantées sur la commune de Vaux (à l'arrière-plan, l'église du village, exposition à l'sst) : l'encépagement du vignoble mosellan progresse ici. Une vigne nouvellement plantée n'est productive qu'au bout de deux à trois ans.

Photographie : Gérard Liégeois, septembre 2004

Le paysage devient support de communication pour la filière. Le vignoble est à ce point un paysage culturellement riche que le Saint-Émilion est un site inscrit au Patrimoine Mondial de l'UNESCO. Ce type de mesure de protection montre à quel point ces paysages peuvent dégager de fortes valeurs identitaires et culturelles. La juridiction de Saint-Émilion, site inscrit au patrimoine mondial de l'Unesco :http://whc.unesco.org/nwhc.fr/pages/sites/main.htm

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Annexe 2 - Le terroir

Le terroir fait-il le goût du vin ? Il n'est pas évident de répondre à cette question, car la réponse peut difficilement trancher en faveur d'un OUI ou d'un NON.

Il semble actuellement que la relation qualité du vin - terroir ne soit pas totalement vide de sens. En revanche, la relation typicité - terroir est bien moins évidente à démontrer, car on ne sait toujours pas quelles molécules du sol donnent au vin des goûts spécifiques de violette, de griotte, etc.. Plusieurs expériences (notamment dans le vignoble de Bordeaux) ont été tentées pour démontrer le rôle joué par le terroir. En prenant des terroirs différents porteurs des mêmes cépages, on obtient des vins (pourtant élaborés de manière strictement identique) forts différents :

  • il semble ainsi que les sols argileux donnent des vins colorés, tanniques et plutôt gras,
  • les sols de graves (bords de la Gironde) produisent davantage des vins fruités, aux tanins moins agréables mais d'une grande longueur en bouche,
  • les sols calcaires de plateau engendrent des vins d'une grande finesse, très peu tanniques, qui gagnent en complexité en vieillissant.

 

Quels sont alors les éléments qui font qu'un terroir peut être qualifié de "bon" ?

  • le bilan hydrique du sol : il est effectivement préférable que le plant de vigne subisse un stress hydrique pendant l'été,
  • la porosité du sol : la vigne se plait dans un sol bien égoutté,
  • l'alimentation minérale de la vigne : la présence d'azote est un facteur prépondérant. Trop d'azote peut nuire à la plante, mais trop peu d'azote limite fortement sa croissance. Les blancs sont plus exigeants en azote, ce qui explique que des sols favorables aux rouges ne le soient pas forcément pour des blancs,
  • les conditions climatiques : l'ensoleillement doit être maximal, c'est la raison pour laquelle les vignobles exposés au nord ne peuvent obtenir l'AOC, l'exposition au sud et à l'est sont en revanche très privilégiées. Le gel printanier est également un facteur limitant, mais certains viticulteurs s'adaptent à cette contrainte en développant de nouvelles techniques (arrosage, feux dans les vignes), notamment en Champagne, en Moselle et en Allemagne.

 

On peut donc affirmer qu'il existe des terroirs plus favorables que d'autres à la culture de la vigne. Cependant, le terroir ne fait pas tout. On peut très bien produire un mauvais vin sur un terroir d'exception. Il fut même un temps où on élaborait un vin particulièrement mauvais sur les terres du Château Pétrus. Inversement, le terroir du Clos Vougeot n'est pas un modèle de terroir viticole. Il est dans la vallée (et non pas sur les coteaux). Historiquement lié à la production viticole monastique, il est devenu très prestigieux, alors que rien dans son implantation ne laissait supposer qu'il puisse produire un vin d'exception.

Les techniques de vinification sont par ailleurs primordiales dans l'élaboration d'un vin. Elles prennent en quelque sorte le relais du terroir.

 

Annexe 3 - Viticulture et environnement

La question du respect de l'environnement par les agriculteurs (et en particulier les viticulteurs) est particulièrement sensible et polémique. On leur reproche souvent de maltraiter leur terroir à grands renforts d'intrants, alors que de gros efforts sont fournis par la profession, désormais bien plus respectueuse que dans les années 1950 des sols qu'elle cultive.

Tout commence au lendemain de la seconde guerre mondiale. L'arrivée des produits phytosanitaires est vécue comme un véritable soulagement par les viticulteurs. Les pesticides ont permis de rendre le travail moins difficile, de réduire les coûts et donc de permettre à une partie de la profession de survivre. Dix ans plus tard, les vignerons se rendent compte que ces pratiques stérilisent le sol et empêchent la vie microbienne qui permettait l'amendement en matière fertile des vignes. Pour faire face à ce problèmes, le recours aux engrais s'est généralisé. Puis, les années 1970 annoncent l'ère de la mécanisation. Les engins sont lourds et engendrent un compactage des sols, empêchant la vigne de se nourrir en profondeur et l'obligeant à se développer en surface. Or, des racines traçantes rendent la plante plus dépendante des conditions climatiques de surface (température, pluviométrie) et moins dépendante des qualités du sol en profondeur.

Cette situation peu réjouissante amène la profession à prendre réellement conscience des problématiques environnementales. Il n'est plus possible de continuer à alimenter cette spirale qui éloigne toujours plus le vin de son terroir d'origine. Les problèmes d'érosion ont été l'élément déclencheur de pratiques plus environnementales. Le compactage des terres a favorisé le ruissellement aux dépends de l'infiltration. Ainsi, après chaque épisode pluvieux, il fallait sans cesse remonter la terre en haut des pentes. Ce phénomène étant particulièrement visible, il est apparu comme le révélateur des problèmes environnementaux.

C'est ainsi qu'un grand nombre de viticulteurs s'orientent vers une viticulture raisonnée, respectueuse de l'environnement. Certains viticulteurs ont même développé des vins labellisés "Bio". Toute la profession ne se tourne pas vers ces pratiques nouvelles, mais le développement d'une viticulture raisonnée ou intégrée suscite un large engouement. Certaines pratiques restent encore à améliorer (notamment sur les questions d'érosion des sols), mais globalement la marche vers le respect de l'environnement est bien avancée.

Puisque l'AOC va vraisemblablement être réformée, il ne serait peut-être pas inutile d'intégrer au cahier des charges certaines règles de respect de l'environnement. L'AOCE peut être perçue comme une "récompense" pour le viticulteur qui élabore un bon vin sur un bon terroir.

 

Glossaire

  • Ampélographie - Étude des cépages. Cette discipline est récente (fin du XIXe siècle) mais la notion de cépage est ancienne car les romains avaient déjà repéré certaines variétés supérieures aux autres (L'amineum notamment).
  • AOC, Appellation d'Origine Contrôlée - Elle est créée en 1935, principalement pour lutter contre la fraude qui s'est largement développée suite à la crise du phylloxéra. Le principe est simple : une zone délimitée (en fonction de l'exposition, de la nature du sol, etc.) et des règles communes de production (encépagement, taille de la vigne, etc.). Le tout est strictement noté dans un cahier des charges soumis à l'INAO et à la Chambre d'Agriculture.
  • Cépage - Variété de plant de vigne. L'étude des cépages constitue une science : l'ampélographie. A ce jour, plus de 5 000 cépages sont répertoriés. Mais une centaine seulement présente un réel intérêt œnologique.
  • Chaptalisation - Ajout de sucre dans le jus de raisin lorsque celui-ci n'est pas assez chargé en sucre. Cette opération a pour objectif soit de sucrer davantage le vin, soit de relever le niveau d'alcool (car le sucre se transforme en alcool au cours de la fermentation).
  • INAO, Institut National des Appellations d'Origine - Cet institut doit, entre autre, approuver ou non les cahiers des charges qu'on lui soumet pour de nouvelles propositions d'AOC. Il doit également veiller au respect du cahier des charges.
  • Moût - Il correspond au jus des raisins après la vendange. Il est stocké dans les cuves pour fermenter et donner du vin.
  • Œnologie - Science qui étudie le vin, les éléments qui le constituent, sa préparation, son élevage et sa conservation. Elle est un ensemble de connaissances scientifiques relatives au vin.
  • Phylloxéra - Maladie attaquant les ceps de vignes. Elle se déclenche au XIXe siècle avec l'importation en France de cépages d'Amérique du Nord. Ces cépages étaient porteurs d'un parasite, le phylloxéra, desséchant les feuilles). L'arrivée de ce parasite dans les vignes françaises a provoqué des pertes immenses dans tout le pays. La solution trouvée pour éradiquer le problème (en plus des arrachages et de l'ennoiement des vignes) a été de greffer nos cépages sur des porte-greffes américains qui étaient immunisés.
  • Terroir - C'est l'ensemble des éléments naturels qui caractérisent un vignoble : la nature du sol et du sous-sol, l'exposition, le climat, l'ensoleillement, etc. Un terroir viticole idéal doit avoir un bilan hydrique négatif ou faiblement positif. Pour plus d'informations, se reporter à l'annexe sur le terroir.
  • VDQS, Vin Délimité de Qualité Supérieure - On le situe généralement entre l'AOC et le Vin de Pays. Certains producteurs préfèrent rester dans cette appellation car les règles sont moins strictes qu'en AOC (notamment en ce qui concerne le choix des cépages). Aujourd'hui, il devient très difficile de dire qu'un VDQS est moins bon qu'un AOC. Il est simplement élaboré avec un cahier des charges différent et plus souple.
  • Vins de garde - Ce sont des vins qui présentent une grande capacité de conservation. Ils sont généralement élaborés en vue d'être conservés plusieurs années. Il est préférable de ne pas les consommer trop jeunes, car c'est en vieillissant qu'ils révèlent toute leur saveur.
  • Vins d'assemblage - Ce sont des vins élaborés à partir de plusieurs cépages. Le viticulteur, aidé de l'œnologue, assemble ainsi différents vins de cépage (syrah, grenache, merlot par exemple) et tente de chercher le bon équilibre entre toutes ces saveurs. Il peut être aussi bien un vin de très grande qualité (grands Bordeaux par exemple) qu'un mauvais vin assemblé à partir de productions très hétéroclites (Kiravi élaboré avec le mélange de vins français et algériens).
  • Vins de Pays - Ce sont des vins produits en dehors des AOC et des VDQS. Leur aire de production est délimitée géographiquement. Ils peuvent être des vins de cépages ou des assemblages entre différents cépages de la même aire géographique. Ils sont devenus complexes à définir tant leur gamme s'est élargie. Ils peuvent tout aussi bien ressembler à certains Vins de Table qu'à certains excellents AOC. Leur typicité est leur principal argument de vente.
  • Vin de Table - Ce sont généralement des vins de qualité médiocre au prix peu élevé. Ils sont souvent réalisés à partir d'assemblages de vins provenant de régions plus ou moins éloignées. Il existe en Europe les vins de "différents pays de la communauté européenne", mais la zone de fabrication n'est pas forcément toujours aussi étendue.

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Des ressources pour aller plus loin, une sélection

Bibliographie
  • Bérard L. et Marchenay P. - Les produits de terroir entre cultures et règlements - CNRS Editions - 2004
  • Corvol A. - Forêt et vigne, bois et vins - L'Harmattan - 2002
  • Dion R. - Histoire de la vigne et du vin des origines au XIXe siècle - Flammarion - 1959
  • Dion R. - Le paysage et la vigne. Essais de géographie historique - Payot - 1990
  • Enjalbert H. - Histoire de la vigne et du vin : l'avènement de la qualité - Bordas - 1975
  • Galet P. - Dictionnaire encyclopédique des cépages - Hachette - 2000
  • Insee Première - Boissons alcoolisées : 40 ans de baisse de consommation - n° 966 - mai 2004
  • Lachiver M. - Vins, vignes, vignerons : histoire du vignoble français - Fayard - 1988
  • Le Gars C. et Roudié P. (dir) - Des vignobles et des vins à travers le monde : hommage à Alain Huetz de   Lemps. Colloque tenu à Bordeaux les 1, 2 et 3 octobre 1992 - PUF de Bordeaux - 1996
  • Liégeois M. - Le vignoble transfrontalier de la vallée de la Moselle - Mémoire de maîtrise, Paris IV - 2000
  • Pitte J.-R. - À propos du terroir - Les Annales de Géographie - 1999
  • Pitte J.R. (dir) - La nouvelle planète des vins - Annales de géographie, n° spécial 614-615 - juillet-octobre    2000
  • Pomerol C. (dir.) - Terroirs et vins de France. Itinéraires oenologiques et géologiques - Paris, Orléans -    BRGM - 1986
  • Ribereau-Gayont P. (dir) - Atlas Hachette des vins de France - Hachette - 2000
  • L'IGN, ou les éditions Benoît, éditent un certain nombre de cartes relatives au vignoble français.
Quelques mots-clés (pour des recherches documentaires autonomes)

Français : vin, viticulture, vigneron, viticulteur, vinification, vin d'assemblage, vin boisé, Vin de Pays, Vin de Table, cépage, cru, AOC, Appellation d'origine contrôlée, VDQS, INAO, terroir, paysage, consommation, production, producteur, superficie viticole, exportation, importation, globalisation, vins du Nouveau Monde, crise viticole, publicité.

Anglais - Title : Vineyards in crisis : the French viticulture and the world wine market

Keywords : wine, viticulture, wine grower, vinification, blended wine, wine of a district region, ordinary wine, type of vine, great wine, AOC, VDQS, INAO, native soil and climate, landscape, consumption, production, producer, wine growing area, export, import, globalisation, wines from the New World, wine-producing crisis, advertising.

Espagnol - Título : Un viñedo en crisis : la viticultura francesa y el mercado mondial del vino

Palabras claves : vino, vinicultura, vinicultor, vinificación, vino de mescla, vino con denominación de orígen, vino de mesa, cepa, caldo de vino, AOC, VDQS, INAO, terruño, consumo, producción, productor, superficie vitivinícola, exportación, importación, globalización, vinos del Nuevo Mundo, crisis vitivinícola, publicidad.

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Marie Liégeois, doctorante au Laboratoire BioGéo à l'ENS de Lyon de Lyon

Première mise en ligne le 30/09/2004

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Mise à jour :  17-10-2004

 


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Pour citer cet article :  

Marie Liégeois, « Un vignoble en crise : la viticulture française et le marché mondial du vin en 2004 », Géoconfluences, octobre 2004.
http://geoconfluences.ens-lyon.fr/informations-scientifiques/dossiers-thematiques/le-vin-entre-societes-marches-et-territoires/corpus-documentaire/un-vignoble-en-crise-la-viticulture-francaise-et-le-marche-mondial-du-vin-en-2004