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Archive. Pauvreté et mobilités circulaires campagnes—villes au Niger (2006)

Publié le 13/03/2006
Auteur(s) : Patrick Gilliard, Intervenant à l'IGUL - Université de Lausanne et à l'IUED, université de Genève
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NB. Le contenu de cet article donne des informations disponibles au moment de sa publication en 2006.

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NB. Le contenu de cet article donne des informations disponibles au moment de sa publication en 2006.
>>> Pour des informations plus récentes, lire par exemple : Natacha Gourland, « Vendre ou courir, il faut choisir : déguerpissements et réinstallations des commerçants de rue à Lomé », Géoconfluences, janvier 2017.

Depuis la saison 2004 - 2005, le Niger est affecté par une nouvelle grave crise alimentaire qui nous rappelle l'extrême fragilité des conditions de vie des populations sahéliennes. Face à ces difficultés, les populations rurales et urbaines ont adopté des stratégies de survie. Les agriculteurs survivent grâce à des opportunités urbaines, tout comme certains pauvres dans les villes survivent grâce à des activités rurales. Globalement, l'utilisation de l'espace à travers différentes formes de migrations est l'une des réponses essentielles à la paupérisation de la population nigérienne. L'étude de la pauvreté au travers de ces dynamiques migratoires est particulièrement féconde pour l'approche géographique parce qu'elle met en évidence les interactions sociales existant entre les différents milieux.

Cette étude basée, entre autres, sur une approche biographique et immersive [2], tente de montrer le caractère "dynamique" du processus de paupérisation de cette société sahélienne. Elle est distincte de l'approche standard et "statique" de la Banque mondiale [3] et de la République du Niger, qui se base essentiellement sur des enquêtes de budget et de consommation des ménages [4]. L'étude "micro" de la mendicité au Niger nous a montré comment nous pouvons, à partir d'acteurs de la pauvreté, comprendre l'ensemble des transformations "macro" de cette société en voie de paupérisation [5]. Comme le souligne Franco Ferrarotti (1983) : "elle permet d'atteindre des faisceaux sociaux et des structures de comportement qui, par leur caractère de marginalité et leur état d'exclusion sociale, échappent irrémédiablement aux données acquises et élaborées formellement ainsi qu'aux images officielles que la société se donne d'elle-même."

La pauvreté ne se définit pas uniquement par des seuils de revenus, mais aussi par la mise en évidence d'un ensemble de processus, d'actions, de dynamiques spatiales et de changements sociaux en cours au Niger. L'observation des victimes de la misère permet de mettre à jour les mécanismes de la pauvreté dans la société sahélienne. L'analyse des dynamiques de régulations socio-économiques existant entre les milieux urbain et rural témoigne, bien avant la famine contemporaine, de l'extrême fragilité de la société nigérienne.

Insécurité alimentaire et pauvreté rurale

L'équilibre fragile de la population par rapport à ses ressources

Le problème d'insécurité alimentaire n'est pas uniquement d'ordre conjoncturel, il a des causes avant tout structurelles. L'agriculture nigérienne reste une agriculture d'autosubsistance, peu productive et incapable de satisfaire les besoins de sa population. Les projections démographiques, le contexte économique général et l'apparente inadéquation des encadrants et de certaines interventions extérieures seraient potentiellement générateurs de famines à répétition.

Le Niger, un pays en faillite

La croissance démographique du Niger est explosive : la population estimée à 11 millions d'habitants en 2000, croît au rythme rapide de 3,3% par an depuis les années 1980 ; un individu sur deux a moins de 15 ans. L'inégale répartition de la population s'explique par les contraintes climatiques. Les 4/5e des Nigériens sont concentrés au sud, sur une étroite bande de 150 à 200 km de large où l'agriculture peut être pratiquée. Au Niger, la terre reste la principale source de revenus modiques, c'est pourquoi la question de la pauvreté se pose avec une particulière acuité. Depuis les années 1970, un profond déséquilibre écologique est apparu avec l'aridification progressive de la bande sahélienne. La pression anthropique, aggravée par les différentes sécheresses de 1973, 1984 et 1987, a entraîné non seulement la réduction des terres cultivables, mais aussi la diminution des jachères, et par conséquent l'épuisement des sols. Depuis les années 1980, le Niger, s'enfonce dans une crise économique majeure. Sa principale ressource provenant de la rente de l'uranium s'effondre face aux aléas de la demande sur le marché mondial.

Pendant ces vingt dernières années, la situation est devenue très difficile pour les segments les plus fragiles des sociétés rurale et urbaine. L'aide internationale a été passablement réduite et les différentes mesures d'assainissement des finances publiques préconisées par le FMI ont eu de lourdes conséquences sociales. On assiste au déploiement d'un ensemble d'activités proches de la survie (économie informelle), ainsi qu'à diverses stratégies migratoires de désespoir des agriculteurs, réduits à mendier dans les principales villes du Niger et des pays côtiers.

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Le premier point fondamental pour comprendre l'insécurité alimentaire est le déséquilibre existant entre la croissance de la population et le potentiel des ressources. Avec environ 600 000 naissances par an et 200 000 décès, dont la moitié sont des enfants, la population s'accroît au Niger de 400 000 personnes par an ; elle devrait être multipliée par deux d'ici 2025 et passer à 50 millions en 2050 (Guenguant J-.P, 2005) ! Ce constat est inquiétant, même si, pour un géographe, la notion de surpeuplement est relative, puisque ce n'est pas la densité de la population qui engendre la pauvreté mais sa capacité à générer des ressources, alimentaires dans ce cas. Or, selon le gouvernement du Niger, la croissance de l'agriculture et de l'élevage n'a progressé que de 2,2% sur la période de 1995-2000, alors que la progression démographique affiche un taux de 3,3% pour la même période. La légère amélioration de la production a été obtenue par l'augmentation de la superficie cultivée, passée de 5,8 millions à 7 millions d'hectares de 1985 à 1989 (Banque mondiale, 2001). La forte croissance démographique entraîne une pression sur les ressources, une surexploitation des sols. On estime le déficit chronique des besoins alimentaires à environ 20% depuis la fin des années 1990.

Certains facteurs climatiques doivent être pris en compte, comme l'irrégularité et la forte diminution des précipitations moyennes observées depuis 1970. Les superficies cultivables en mil et en sorgho, c'est-à-dire recevant au moins 400 mm de pluies par an, ont été réduites de 25% à 12% du territoire nigérien. Mais surtout, les systèmes agraires locaux restent archaïques, avec une faible utilisation du fumier et des engrais ainsi qu'une maîtrise de l'eau insuffisante. L'extension des cultures a abouti à une situation de blocage foncier et de dégradation des terres.

En dehors des sécheresses historiques, on est donc dans une situation de crise structurelle, masquée jusqu'à maintenant par l'exode et les transferts de revenus. Face à cet écart constant entre les ressources en milieu rural et la croissance démographique, un certain nombre de mécanismes régulateurs existent.

Entre campagne et ville : survie, entraide et dépendances

Différentes activités peu rentables permettent aux familles démunies de survivre pendant la période de soudure : la mobilité saisonnière vers les villes ; la vente d'animaux ou la vente de champs ; les petits métiers comme la maçonnerie, la cueillette ; l'emprunt ; la recherche de l'aide auprès des parents, amis ou connaissances ; plus marginalement, la mendicité, qui prend ce terme lorsqu'il s'agit de l'aide demandée à des personnes inconnues.

La condition précaire de l'agriculteur nécessite l'appui de ses proches ou de son entourage. Bien souvent, les individus investissent dans leurs réseaux de relations sociales pendant les bonnes périodes. Chacun va rendre visite à ses amis, à ses connaissances, à des personnes du même clan, pour apporter un poulet ou un autre don symbolique qui entretient la relation. Une personne aisée redistribue pour assurer sa position sociale. Pendant les périodes de soudure, celui qui possède des réseaux de relations assez larges est avantagé. Si la famine s'abat sur le village, il est fort probable que les réseaux de connaissances urbains puissent fonctionner et apportent une aide substantielle. L'individu qui se fait aider devient alors débiteur pendant un certain temps. Si l'année suivante s'avère meilleure, il peut se positionner à son tour dans une situation de créditeur. Beaucoup d'échanges existent ainsi entre les urbains et leur village d'origine. La possession de réseaux multiples permet de diluer les demandes dans le temps et l'espace. L'aide peut se faire sous forme de prêt d'un champ, d'argent pour commercer ou de dons sans autre contrepartie.

Mais la création de réseaux nécessite du temps et des moyens. Les personnes précaires bénéficient généralement de réseaux assez restreints. Dans les ménages très appauvris, les réseaux de sociabilité ne peuvent être entretenus. À plus ou moins long terme, la sociabilité s'épuise, l'isolement s'installe et l'échange se brise. Cette situation aboutit à une autre logique, celle de l'assistance caritative, du don à sens unique qui n'est que l'expression d'une logique sociale issue des différents chocs de pauvreté : d'une part une atomisation des stratégies entraînant l'individualisation des comportements, et, d'autre part, le renforcement du droit des pauvres à travers deux forces, l'Islam et la modernité.

La paupérisation, vecteur de transformations sociales en milieu rural

La pauvreté en aire Zarma-Songhaï

La pauvreté en milieu Zarma-Songhaï comporte différents aspects sociaux et économiques.

Le talaka, "c'est celui qui n'est pas descendant du chef de canton", dit l'un des nobles de Nasey. "Mais parmi ces pauvres, il y a d'autres pauvres qui sont les gens qui manquent de vivres, c'est là la vraie pauvreté". Cette remarque montre bien à quel point la pauvreté déclenche un basculement des valeurs dans ces sociétés : les nobles deviennent les sujets "matériels" des anciens esclaves. Selon J.-P. Olivier de Sardan (1982), le talaka est à la fois le dépendant, l'homme exclu du pouvoir politique et le pauvre au sens économique, souvent associé pour les urbains au roturier. Historiquement la sujétion et la pauvreté étaient liées dans les sociétés zarma-songhay. Ce lien a changé et la pauvreté prend de plus en plus un sens matériel. Cette évolution est particulièrement remarquable à Nasey dans le rapport entre les anciens esclaves et les nobles.

Les ethnies au Niger

Deux pôles ethniques forment les 3/4 de la population sédentaire : d'un côté les Haoussas (53%), qui occupent la partie centrale du pays et dont l'aire culturelle est largement étendue au Nigéria, et de l'autre les Zarmas (ou Djerma, 14,7%) et les Songhaïs (8,1%), qui occupent l'ouest du pays. On peut dénombrer environ 25 millions d'Haoussas répartis dans les pays de l'Afrique occidentale et centrale. Agriculteurs dans la plupart des cas, ils se sont forgés une réputation d'habiles commerçants et d'artisans. On peut considérer les Zarmas et les Songhaïs comme des cousins, puisqu'ils parlent la même langue et se retrouvent dans la vallée du fleuve Niger.

Les ethnies nomades sont essentiellement les Peuls et les Touaregs. Les Peuls (10%) sont présents un peu partout en Afrique. Ils sont restés nomades dans le Nord et se sont plutôt sédentarisés dans le Sud. Les Peuls Bororo, qui occupent la bande sahélienne, forment un sous-groupe ethnique bien distinct. Les Touaregs (11%), descendants des Berbères, se sont implantés dans le massif de l'Aïr dès le VIIe siècle. Ils sont encore aujourd'hui nomades, mais les sécheresses ont contribué à sédentariser certains d'entre eux. Leur dialecte, le Tamasheq, est l'une des rares langues africaines écrites.

De petits groupes ethniques minoritaires se retrouvent à l'Est du pays, comme les Kanouris ou Béri-Béris, situés entre Zinder et le lac Tchad. Les Kanouris travaillent la terre et sont spécialisés dans la préparation du sel. Les Toubous, peuple nomade, vivent également dans l'Est du pays.

Les anciens esclaves recherchent une forme de pouvoir symbolique à travers l'accumulation matérielle, tandis que les nobles appauvris ont des difficultés à maintenir leur position, mais aussi à s'insérer dans cette société en crise et en pleine mutation. D'après nos enquêtes, les anciens esclaves disposent en moyenne d'au moins 100 kg de céréales par habitant et par an de plus que les nobles. La diversité de leurs activités extra-agricoles en milieu rural est nettement supérieure à celle des nobles. Ils apparaissent à plus d'un titre comme les innovateurs : ils possèdent des charrettes, leurs enfants fréquentent plus systématiquement l'école. Parmi les stratégies extra-agricoles, seuls 30% des ménages d'anciens esclaves ont recours en priorité à l'exode, contre 55% chez les nobles. Sur la liste des problèmes cités en période de soudure [6], les difficultés alimentaires constituent une priorité avec 81% de fréquence pour les nobles, contre 31% pour les anciens esclaves.

La plupart des ménages, agriculteurs comme éleveurs, qui souffrent de pénuries sont ceux qui n'ont pas adopté par le passé des stratégies urbaines sources de capitalisation et de réserves économiques. Pour les agriculteurs, le faible capital productif entraîne l'épuisement des champs, empêchant leur fumure. Les dettes contractées d'une saison à l'autre s'accumulent. Le manque de formation des plus pauvres leur interdit aussi l'accès à un exode lucratif.

Les dynamiques de la pauvreté dans le village Haoussa de Bazazaga

Le schéma ci-dessous présente les dynamiques socio-économiques perçues dans la population de Bazazaga. Un premier groupe voit sa sécurité économique assurée grâce à la diversification de ses sources de revenus au sein d'un ménage possédant de nombreux enfants. La multiplication des stratégies au sein du ménage étendu permet de sécuriser les apports alimentaires en anticipant les difficultés inhérentes à l'agriculture des zones sahéliennes. Certains membres de la famille développent des stratégies de mobilités saisonnières vers les villes (boucherie, commerce), qui permettent un investissement commercial dans le village ou de mieux mettre en valeur des parcelles agricoles par des intrants ou des ouvriers agricoles.

Dynamiques socio-économiques dans le village de Bazazaga (aire Haoussa)

Un second groupe se trouve dans une situation de vulnérabilité alimentaire chronique, qui peut être compensée soit par des prêts ou par des migrations saisonnières vers les villes. La situation économique de ce groupe est très fluctuante d'une année à l'autre. Un décès ou une maladie peut briser cet équilibre précaire et faire basculer les membres vers les "très pauvres".

Ces derniers ont une marge de manœuvre extrêmement réduite pour faire face à leur déficit vivrier. Ils sont contraints souvent de louer leurs bras aux autres agriculteurs en délaissant leurs propres parcelles. L'exode vers les villes répond davantage à des stratégies désespérées et ne peut guère compenser les déficits vivriers entraînant les membres du ménage dans le cercle vicieux de la pauvreté : endettement, vente du bétail à bas prix, malnutrition et affaiblissement physique. À ce stade, les ménages font appel à leurs réseaux sociaux (famille ou connaissances) qui peuvent les soutenir temporairement. Si la situation ne s'améliore pas et si le ménage ne dispose plus de revenus sociaux, il peut en dernier recours se livrer à une mendicité publique.

L'urbanisation de la pauvreté

Les migrations de survie vers les villes

Au Niger, les migrations vers les villes représentent l'une des réponses majeures à la pauvreté rurale, le paysan sahélien est aussi un urbain. Derrière sa façade d'immobilisme, le milieu rural s'est adapté à la modernité urbaine. L'économie rurale du Niger dépend de celle des pays côtiers, qui absorbent les migrations saisonnières ou définitives des ruraux. Ce phénomène est particulièrement bien représenté au Niger. Des centaines de milliers de migrants vont chaque année vers les villes de l'intérieur du Niger et vers les villes côtières comme Abidjan, Cotonou, Lomé, Lagos. Ainsi, le niveau de pauvreté du monde rural ne dépend pas uniquement des aides de l'État mais aussi de la santé économique des grandes villes côtières. Un équilibre précaire existe entre la misère des paysans sahéliens et les stratégies d'exode.

Le partage entre les activités rurales et urbaines correspond à un division du travail au sein de la famille. On observe une spécialisation des activités entre les deux milieux pour mieux en tirer parti avec, souvent, un éclatement saisonnier de la famille. Vivre au village permet une existence meilleure que de s'agglutiner dans les périphéries urbaines, le coût de la vie y est moins élevé. Le fait de ne pouvoir s'appuyer sur les deux milieux peut être une source de pauvreté supplémentaire.

Ainsi, les migrations circulaires rural-urbain sont une dynamique structurelle qui permet de faire face à des déficits alimentaires chroniques. Il faut savoir composer avec plusieurs espaces pour assurer le minimum vital. Partir en ville pour l'exode ou la mendicité relève du même circuit. La ville offre une forme de sécurité qui permet aux villageois de s'organiser différemment et d'y trouver des formes d'activité plus lucratives qu'en milieu rural et l'ouverture vers l'espace urbain change fortement l'organisation villageoise. Comme le souligne J. Giri (1989), "l'existence de l'aide alimentaire, même si elle n'atteint pas toujours les zones rurales qui en ont besoin, et l'envoi de migrants en ville, jouent désormais le rôle d'assurance vie que jouaient autrefois les greniers." On peut ajouter que l'envoi des pauvres en ville remplace les formes de solidarité villageoise tout en permettant l'individualisation des stratégies économiques des ménages.

Mais ces stratégies peuvent participer à la stagnation du milieu rural en entravant les innovations dans les systèmes de production ruraux. Le manque d'investissement productif est parfois un choix délibéré en faveur des stratégies économiques urbaines. À court terme, la probabilité de voir la pauvreté rurale s'aggraver et se reporter vers les villes est à prendre en compte.

Niamey : une croissance au risque de l'hypertrophie

C'est au sein de la capitale macrocéphale que se joue l'avenir politique et économique du Niger. Une élite urbaine minoritaire occidentalisée mais dominante sur le plan économique, s'est formée. Cette ville attire de longue date une population d'exodants ruraux.

Les étapes de la croissance de Niamey

Historiquement, la ville a toujours été un lieu d'opportunité économique pendant les années de croissance et un espace refuge pour les ruraux lors des sécheresses, de telle sorte que d'importantes dynamiques spatiales existent entre les villes et la campagne, essentielles pour comprendre la pauvreté du pays.

La ville comptait 1 730 habitants en 1931 et en possède près d'un million actuellement. Sa croissance depuis les années 1930 reste cependant relativement modeste par rapport aux autres villes des pays côtiers. L'économie nigérienne jusqu'en 1975 est encore essentiellement agricole, fondée sur l'élevage et la culture de l'arachide. Le moteur de la croissance économique reste lié à l'implantation de fonctionnaires dans la capitale et à la réforme de 1964, qui découpe le pays en sept départements. Elle explique l'exode rural vers Niamey ou les centres secondaires qui ont pris de l'importance.

Mais cette poussée reste modeste par rapport à l'énorme impact de la grande famine de 1972-1973 et au boom de l'uranium, période de croissance la plus importante de la capitale.
La population est en effet passée de moins de 100 000 hab. en 1970 à 200 000 en 1975 (Alpha Gado B. 1998) puis à 398 265 en 1986 (Motcho K.H. 1991).

L'arrivée d'un grand nombre de ruraux à la fécondité élevée fait passer la taille des ménages de 3 personnes en 1962 à 5 en 1978.

Depuis les années 1980 c'est surtout le secteur informel urbain qui draine une population rurale inactive pendant plusieurs mois en raison de la courte saison des pluies. La ville de Niamey attire toujours d'une manière saisonnière une population itinérante. Aucune statistique n'existe sur cette dernière, mais on estime que sa population pendant la saison sèche et au cours des périodes de sécheresse peut s'accroître de 20% (Motcho K.H. 1991).

La politique urbaine de Niamey consiste à repousser vers l'extérieur les quartiers pauvres peuplés par les réfugiés des famines.

Pauvreté urbaine et mobilités spatiales

À l'origine de la croissance de la ville, on peut donc distinguer une migration progressive de personnes venant s'implanter dans les réseaux familiaux ou de connaissances, et une migration catastrophique et cyclique qui correspond aux sécheresses localisée dans les quartiers périphériques informels qui s'étendent. Depuis les années 1990, l'exode rural a diminué au profit des migrations circulaires. Deux mouvements peuvent être observés : une migration intra-urbaine, caractérisée par un départ des quartiers centraux vers les quartiers périphériques, et une migration externe plus typique, qui correspond à l'exode rural des personnes qui arrivent à s'implanter en ville grâce à leurs réseaux de relations. Si beaucoup d'éleveurs et d'agriculteurs repartent après les sécheresses, ils gardent à l'esprit que la ville peut leur venir en aide en cas de problème et ils ont intégré cette dimension sécuritaire de l'espace urbain. À travers certains projets dispendieux et une aide mal coordonnée, l'image d'une ville riche et donatrice s'est profondément ancrée dans le milieu rural.

La pauvreté urbaine est située plutôt en périphérie ou dans des zones peu favorables à la construction. Des poches de pauvreté urbaine existent également dans les quartiers centraux pour une population mouvante ne possédant pas toujours de toit. C'est dans ces quartiers que la probabilité de pauvreté des ménages est la plus forte. Mais bien souvent, la situation économique des ménages dépend des récoltes annuelles dans les villages. Des échanges continus se sont établis entre ces deux milieux pour minimiser les aléas chroniques. Les bonnes années, les familles qui ont entretenu leurs réseaux de relations en brousse reçoivent des vivres et peuvent aider financièrement ou accueillir temporairement certains membres. Or, pour déterminer le niveau de pauvreté des ménages en milieu urbain, la méconnaissance de cette dynamique peut entraîner des erreurs d'appréciation.

La régression des revenus en milieux urbain et rural atteint de telles proportions que les stratégies de survie doivent être multipliées. Parmi les pauvres se retrouvent tous les migrants implantés en ville qui n'ont pas réussi à améliorer leur situation économique. Ils sont d'autant plus précaires qu'ils se trouvent "entre deux mondes", c'est-à-dire sans appuis de leur milieu d'origine et sans connaissances en ville. À ce manque de relations sociales s'ajoute un manque de capital qui les empêche d'avoir une activité suffisamment rentable.

Niamey : Histoires de vie

On peut voir à travers des extraits d'histoires de vie issus d'enquêtes (ci-dessous en pop-up), d'une part l'attrait que peut susciter la ville sur la population rurale et d'autre part les transformations de la solidarité sociale. Ces éléments fins ne peuvent ressortir d'une étude par les seuils et les chiffres.

« (…) Par le passé l'agriculture était très bénéfique, en une année on pouvait conserver la nourriture d'à peu près cinq mois et en vendre une partie. Cet argent nous permettait de faire un petit commerce, de nous habiller. Ma principale source de revenu était l'agriculture. Mais maintenant, avec l'irrégularité et l'insuffisance des pluies, on obtient le minimum pour boucler les derniers mois d'avant la prochaine saison. Je faisais du commerce de bétail, j'achetais des chèvres (…) Aujourd'hui, il y a un manque d'eau, la stérilité des terrains, le manque surtout de moyens financiers et matériels qui rendent la vie très difficile en campagne. Ce qu'on pouvait faire avant, on ne peut plus le faire maintenant.(…) On recevait de l'aide de la part de certains parents, aide purement alimentaire et mutuelle, mais de nos jours ces pratiques sont en perte de vitesse, voire mêmes inexistantes. La situation actuelle est très difficile. On ne gagne plus ce que l'on gagnait avant. Les produits de première nécessité sont devenus chers. »

Fati, jeune conductrice d'aveugle à Niamey. Propos recueillis par Patrick Gilliard, 2003

« (…) La femme que je conduis, c'est ma mère, ma propre mère. Je suis à Niamey depuis deux ans avec ma mère. Nous avons quitté notre village après le décès de mon père. J'ai eu une petite sœur, qui est décédée également. Ma mère est aveugle. Ici, j'ai beaucoup de problèmes parce que je ne suis pas libre de mes mouvements. C'est ma mère qui m'a forcée à la conduire pour mendier. Au début, arrivant à Niamey, on avait un peu d'argent que mon père nous avait laissé. Après quelque temps, les difficultés ont commencé à voir le jour. On arrive à peine à manger. Je n'ai jamais fréquenté l'école. Mon père voulait m'inscrire, mais c'est ma mère qui s'était opposée, parce qu'elle m'utilisait déjà pour la conduire. Actuellement, nous habitons à Foulan Koira. Nous venons chaque matin à pied pour gagner d'autres endroits aux alentours du Grand marché, au Petit marché, aux feux optiques. Ma mère garde tout l'argent que l'on gagne. Avec cet argent, on achète de la nourriture et l'on s'habille. Ma mère garde de côté une réserve au cas où l'une d'entre nous tomberait malade. J'ai des amies qui sont aussi conductrices d'aveugle. À la fin de la journée, je vais les rejoindre. Ce n'est pas vrai que les conductrices d'aveugle doivent se prostituer. Mais vous ne vous êtes pas posé la question : "Comment se comportent les jeunes de Niamey ?" Ils ont violé mon amie, il y a trois mois. En ce qui me concerne, je ne me suis jamais bagarrée avec les enfants, certes, certains d'entre eux me provoquent ; c'est ma mère qui intervient en les suppliant de me laisser tranquille. (…) D'autre part, j'ai tout fait pour que ma mère me laisse faire de la couture, mais elle a refusé en me disant : "tu oublies que je suis aveugle et que je n'ai personne à part toi." »

Birni N'Konni, Peul provenant d'Alela. Propos recueillis par Patrick Gilliard, 2003

Les femmes précaires

La pauvreté au Niger est associée à l'isolement social. C'est la raison pour laquelle les femmes chefs de ménage sont des groupes à risque. On les retrouve bien souvent dans les quartiers populaires. Certaines s'en sortent grâce au commerce alimentaire. Une des caractéristiques de cette économie informelle est la rapidité avec laquelle les revenus peuvent évoluer en fonction de la concurrence et de la capacité à revendre des produits au moment où la demande est la plus favorable. Les femmes dans les quartiers informels soulignent le manque d'eau, problème crucial. Certaines nous ont avoué qu'elles devaient se résoudre à utiliser l'eau des flaques et des marigots (mares temporaires) pour étancher leur soif et celle de leurs enfants. Le manque d'eau ne permet pas le jardinage, activité annexe qui peut aider les familles. En outre, ce déficit hydrique pose le problème de l'embouche de caprins. Certaines femmes souffrent de l'absence de leurs maris, qui partent en exode pendant des mois sans leur envoyer d'argent. Leurs filles ne peuvent épouser personne en dehors du quartier.

Une mendiante dans le centre ville de Niamey. La ville c'est l'espace anonyme où le mendiant évolue sans honte. C'est un espace injuste mais aussi un espace de redistribution

Cliché : Patrick Gilliard, 2002

En définitive, le quartier informel est une réponse à la pauvreté urbaine. Mais cette tendance manifeste surtout des capacités d'adaptation et d'innovation propres aux secteurs informels des villes d'Afrique de l'Ouest. Le quartier informel est créateur de richesse, des niveaux de vie fort disparates s'y côtoient, des emplois y sont créés. Une solidarité discrète y règne, conforme aux prescriptions de l'islam : on doit aider les plus pauvres si on en a les moyens. On assiste cependant à une régression de ces formes de solidarité primaires dans le contexte actuel (2005 - 2006) de crise économique. Les ménages sont de plus en plus individualistes, même si des formes d'entraide subsistent. Le nombre de personnes capables d'aider diminue face à l'amplification de la pauvreté au Niger.

Nous constatons qu'il est excessivement difficile pour les exodants de s'implanter durablement dans ces quartiers informels. La vision traditionnelle de l'exode rural comme facteur de croissance des périphéries urbaines paraît peu représentative. L'implantation en ville nécessite une assise économique dans le monde rural et aussi en ville. À moins de posséder un emploi stable ou rémunérateur, l'économie des ménages dépend des activités agricoles (rurales ou urbaines) et s'installer définitivement en ville de Niamey nécessite des capacités d'adaptation que ne possèdent pas tous les ruraux.

Conclusion

Nos différentes enquêtes nous ont montré la diversité des stratégies employées par les ménages précaires pour faire face à leurs besoins. Nous avons pu confirmer le fait que la situation économique du ménage repose sur des variables dépassant de loin les critères usuels des différentes études sur la pauvreté. Il faut prendre en compte l'emprise sociale et économique des individus dans leur communauté d'origine rurale, ainsi que l'importance des liens noués avec les réseaux familiaux ou les connaissances en ville. La situation de pauvreté synchronique d'un ménage dépend des relations qui se sont construites dans le passé (diachronie).

La pauvreté au Niger contredit les thèses néo-malthusiennes. En effet, la sécurité familiale repose encore sur des stratégies natalistes, même en milieu urbain. Les processus conduisant à la pratique d'une forme de quasi-mendicité, ou d'une mendicité de rue, s'observent lorsque sont présents les facteurs résumés ci-dessous : structure familiale réduite ; nombre réduit d'enfants en âge de travailler ; réseaux de connaissance étroits ; décès ou départ du conjoint ; stratégies économiques réduites à un seul milieu urbain ou rural ; ne pas avoir été créditeur vis-à-vis de sa communauté. Lorsque plusieurs, ou la totalité, de ces facteurs ont été relevés dans les ménages enquêtés, on a pu observer un début d'activités conduisant à une mendicité voilée ou avérée.

Seule une politique davantage axée sur une redistribution des revenus, visant à sécuriser les gains des agriculteurs, pourrait être une base solide pour transformer des pratiques agricoles extensives et pour endiguer la croissance explosive de la population et son recours à des stratégies migratoires.


Notes

[1] Patrick Gilliard - L'extrême pauvreté au Niger. Mendier ou mourir ? - Paris, Karthala - 2005
Toutes les remarques présentées sont issues de nos études sur l'extrême pauvreté et la mendicité au Niger, centrées directement sur un groupe acteur et témoin de la pauvreté.
- Mourir ou mendier ? Dynamiques spatiales de l'extrême pauvreté au Niger - Université de Lausanne, thèse de doctorat - Travaux et recherche de l'Institut de géographie no 26 - 2004

[2] Claude Javeau - La société au jour le jour, écrits sur la vie quotidienne - De Boeck – Wesmael - 1991 ; Sociologie de la vie quotidienne, PUF - 2003
- Henri Lefebvre - La vie quotidienne dans le monde moderne - NRF - Gallimard - 1968

[3] Direction de la Statistique et des comptes nationaux, Niamey, Niger. Enquête sur le budget et la consommation des ménages, profil de la pauvreté, novembre 1994. Direction générale du plan, table ronde générale des aides au développement du Niger pour le développement durable. Avant-projet de rapport de synthèse, mars 1995. Le document final qui fait actuellement référence est celui qui a été élaboré par le cabinet du premier ministre : Secrétariat permanent du Document Stratégique de Réduction de la Pauvreté (SRP), janvier 2002.

[4] Notre approche identifie la pauvreté dans la lignée des travaux de Amartya Sen - Éthique et économie, et autres essais, traduits par Sophie Mermat - PUF - 1993 ; Un nouveau modèle économique. Développement, justice, liberté - Odile Jacob - 2000

[5] Selon les définitions adoptées, l'on distingue donc deux groupes les pauvres et "les non pauvres", deux catégories distinctes que l'on sépare par des indicateurs variables, comme les seuils de revenus. Au Niger selon les seuils mentionnés 63% des Nigériens sont pauvres. On utilise également un deuxième seuil qui distingue la pauvreté de l'extrême pauvreté (34%), qui lui-même est pondéré en distinguant le milieu urbain du milieu rural. Ces 63% de Nigériens, soit 6 millions d'individus définis de la sorte regroupent des situations fort diverses. Cette subdivision assez grossière est-elle véritablement un outil efficace pour guider les actions sur le terrain ou n'est-elle là que pour légitimer les fondements des mesures macro-économiques actuelles ?

[6] La soudure, pour les agriculteurs, est la période située entre deux récoltes. Généralement les vivres diminuent à l'approche de la nouvelle récolte.

Bibliographie

  • Banque mondiale - Global Development Finance - 2001
  • Bourdieu P. - Questions de sociologie - Éditions de Minuit - 1980 ; La misère du monde - Seuil - 1993
  • Ferrarotti F. - Histoire et histoires. La méthode biographique dans les sciences sociales - Éditions Librairie des Méridiens - 1983
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Patrick Gilliard,

Intervenant à l'IGUL, université de Lausanne et à l'IUED, université de Genève

Pour Géoconfluences le 28 février 2005

Mise à jour :  13-03-2006

Pour citer cet article :  

Patrick Gilliard, « Archive. Pauvreté et mobilités circulaires campagnes—villes au Niger (2006) », Géoconfluences, mars 2006.
https://geoconfluences.ens-lyon.fr/informations-scientifiques/dossiers-thematiques/mobilites-flux-et-transports/articles-scientifiques/pauvrete-et-mobilites-circulaires-campagnes-villes-au-niger