Exploration de la Lune : le retour d’une compétition géopolitique
Bibliographie | citer cette brève
Lors des premières conquêtes spatiales portées par les deux géants mondiaux qu’étaient les États-Unis et l’URSS, avec leurs programmes respectifs « Apollo et « Spoutnik » à partir des années 1960, l’espace était déjà un enjeu majeur de domination géopolitique. Après un certain déclin de l’intérêt porté à ces questions au milieu des années 1970, on retrouve aujourd’hui une importante accélération des ambitions spatiales, caractérisée par une multiplicité de nouveaux acteurs, publics comme privés. L’Inde, le Japon et l’Union européenne mettent ainsi en place des projets spatiaux à partir des années 2000 et surtout 2010 : le programme Terra Novae de l’Agence spatiale européenne a pour objectifs de permettre l’exploration lunaire par les européens d’ici 2030 et la participation européenne à la première mission humaine vers Mars ; le programme indien Chandrayaan-Pratham vise l’exploration de la Lune.
Rivalités sino-étatsuniennes
La Chine représente la plus importante des nouvelles puissances spatiales. En 1970, elle parvient à lancer sa fusée Chang Zheng 1. En 1993, l’Administration spatiale nationale chinoise est créée, mais la Chine ne devient une puissance spatiale qu’à partir des années 2000. En septembre 2011, elle crée Tiangong 1, sa première station spatiale prototypale, qu’elle achève de construire à l’automne 2022. Dans le cadre de sa stratégie du « rêve chinois », elle place ses efforts sur la réalisation d’exploits comme celle de la première expérience biologique menée ailleurs que sur la Terre (sur la face cachée de la Lune, ce qui représente un autre exploit) ou la pose du rover « Zhurong » sur Mars en mars 2021.
Cette avancée spectaculaire de Pékin dans le domaine spatial pousse les États-Unis à se remettre dans la course, dans un contexte de rivalité géopolitique avec la Chine. Le programme « Artemis » porté par la NASA depuis 2017 vise ainsi à dépasser les projets chinois en projetant un retour humain et robotique durable sur la Lune. Après le vol d’essai sans équipage du vaisseau spatial Orion, lancé avec le Space Launch System (SLS) lors de la mission « Artemis I » en novembre 2022, la construction de la station spatiale Gateway en orbite autour du satellite est prévue ainsi que la réalisation de deux nouvelles missions. En novembre 2024, « Artemis II » représentera le premier vol d’essai avec équipage du programme, et permettra la vérification de tous les systèmes du vaisseau Orion, habité par quatre astronautes pendant dix jours. Dès 2025, la mission « Artemis III » permettrait de réaliser l’exploit d’envoyer de nouveau des hommes se poser sur la Lune, cinquante ans après la fin du programme « Apollo ».
La Lune redevient ainsi un objet géopolitique de première place et cristallise les rivalités spatiales sino-américaines. Ces deux puissances se retrouvent dans une nouvelle course à l’espace, qui est pensée au-delà de la Lune : la Chine comme les États-Unis ambitionnent la construction d’une base sur le pôle sud de la Lune, espace stratégique en lien avec de potentielles expéditions sur Mars, et Pékin projette de lancer des missions d'exploration vers Neptune et Uranus en 2035 et 2040 (Le Monde).
Document 1. Deux grandes phases dans l’intérêt pour l’exploration lunaireSource : d’après Carto, n° 76, 2023. Licence C.C. 4.0 NC BY SA (usage non commercial). Réalisation : Marie Vernin et J.-B. Bouron, Géoconfluences, 2023. |
Intérêts économiques et privatisation de l’exploration lunaire
Au-delà des intérêts politiques, le sol lunaire constitue une réserve de ressources valorisables comme un ensemble de terres rares et une quantité non négligeable d’hélium 3, un gaz non radioactif qui pourrait servir de combustible pour de futures centrales nucléaires.
L’intérêt actuel pour la Lune est également caractérisé par la présence d’entreprises privées intéressées par son exploration, comme Blue Origin, Rocket Lab, Virgin Galactic, ou l’entreprise israélienne SpaceIL. Les missions à l’œuvre sont alors financées par des fonds privés (à l'instar d'une mission lunaire menée par SpaceIL et SpaceX), ou bien réalisées pour le compte d’États ou d’agences spatiales nationales. C’est le cas de la compagnie américaine SpaceX, chargée par la NASA du transport des astronautes jusqu’à la station spatiale internationale depuis 2020 et choisie pour développer l’atterrisseur en charge du transport des astronautes jusqu’à la surface de la Lune.
Sources
- Un poster à retrouver dans la revue Carto avec une carte des sites d’exploration lunaire passés, actuels et projetés dans Rouiaï, Nashidil, « Objectif Lune : vers une nouvelle géopolitique spatiale », Carto, n° 76, 2023, p. 41–44.
- Angelier Clarisse et Guyomarc’h Alban, « La Lune constitue un lieu d’acquisition des compétences pour aller demain vers Mars et au-delà », Le Monde, 3 septembre 2022.
- Gouvernement du Canada, « Le programme Artemis : le retour des êtres humains sur la Lune », 3 avril 2023.
- Lemaître Frédéric, « La Chine voit l’exploration spatiale en grand, mais ne séduit plus les Occidentaux », Le Monde, 27 novembre 2022.
- ESA (Agence spatiale européenne) « Terrae Novae: Europe's exploration vision » [en anglais], non daté.
- Witt Monica, Rowe Jena, Brown Katherine, « As Artemis Moves Forward, NASA Picks SpaceX to Land Next Americans on Moon », NASA, 2021 [en anglais].
Pour compléter avec Géoconfluences
- Vincent Doumerc, « Les bases spatiales dans le monde : les interfaces Terre-espace », Géoconfluences, mars 2021.
Marie Vernin
Étudiante en licence 3 de géographie, université Lumière-Lyon 2, stagiaire à Géoconfluences
Édition et mise en web : Marie Vernin
Pour citer cette brève :
Marie Vernin, « Exploration de la Lune : le retour d’une compétition géopolitique », brève de Géoconfluences, mai 2023.
URL : https://geoconfluences.ens-lyon.fr/actualites/veille/breves/exploration-lune-geopolitique