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Les bases spatiales dans le monde : les interfaces Terre-espace

Publié le 04/03/2021
Auteur(s) : Vincent Doumerc, professeur en classes préparatoires - lycée d’État Saint-Sernin, Toulouse

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Les bases spatiales sont les points d'accès terrestre à l'espace extraterrestre. Le comptage du nombre de lancements récents fait apparaître deux puissances spatiales majeures, la Chine et les États-Unis, deux puissances secondaires, la Russie et l'Union européenne, et plusieurs autres acteurs, parmi lesquels les entreprises privées jouent un rôle croissant, au côté des États. Répondant à des critères de localisation contraignants, les choix de leurs emplacements obéissent aussi à des motifs stratégiques, économiques et logistiques. Secrètes et liées au secteur militaire, ou touristiques et liées à la puissance douce, voire tout cela à la fois, les bases spatiales sont le théâtre d'une nouvelle course à l'espace.

Bibliographie | glossaireciter cet article

L’espace constitue une nouvelle frontière dans la course de l’humanité à l’extension de son œkoumène. Si, avec le vol de Youri Gagarine le 12 avril 1961, le XXe siècle a été pour l’espèce humaine celui de la sortie de son espace habité terrestre, le XXIe siècle, avec toutes les incertitudes inhérentes à ce type d'entreprises, semble être celui des grandes annonces et des grandes aventures extra-planétaires. L’alunissage d’un rover chinois en janvier 2019, avec la pose de la sonde Chang’e 4 dans le bassin Aitken du pôle Sud de la Lune, sur sa face cachée, symbolise ces envies de conquête spatiale.

En 2019 (dernière année complète d’exercice avant la crise sanitaire), on a comptabilisé quelques 102 tentatives de lancement orbital, dont 97 succès, soit un taux de 95 %. À ces chiffres, il faut ajouter 3 missions en vols habités qui ont amené 9 astronautes dans la station spatiale internationale, tous en partance de Baïkonour et opérés par le lanceur Soyouz. En 2018, année record, le nombre de lancements avait été de 110. Si ces chiffres sont considérables, il n’en demeure pas moins que l’accès à l’espace reste le privilège de quelques nations dans le monde : la Chine, les États-Unis et la Russie ont en effet réalisé 84 % des lancements en 2019, contre 8 % pour l’Europe, 6 % pour l’Inde et 2 % pour le Japon. L’année 2019 n’a pas été marquée par l’entrée de nouvelles puissances spatiales dans ce club très fermé. L’Iran, dont le premier lancement orbital remonte à 2009, a connu 3 échecs.

Si l’espace ouvre des perspectives d’extension de la présence humaine dans l’univers, la Terre sera pour de nombreuses décennies encore le point de départ de ces aventures dont l’avenir dira si elles seront réelles ou virtuelles. Dans ce contexte, les « ports spatiaux » pour reprendre cette analogie maritime si parlante dans ce que fut la conquête de l’espace terrestre par les sociétés humaines, seront des pôles majeurs, des lieux incontournables.

La course à l’infiniment grand passera donc sur Terre par le contrôle de ces sites réduits en taille : le Centre Spatial Guyanais (CSG) couvre ainsi 700 km2. De la gestion, de l’aménagement, de la concurrence ou de la coopération entre ces bases dépendra aussi une large part du devenir de la conquête spatiale.

Document 1. Planisphère des sites de lancement spatial

Carte du monde des sites de lancement spatial nombre de lancements depuis l'origine par pays

 
Document 2. Lancements spatiaux 2016-2020 par site de lancement 
horizontalBar

Nombre de lancements par base, 2016-2020

true

Vandenberg (ÉU);Cap Canaveral (ÉU);Kourou (UE);Baïkonour (Ru);Plessetsk (Ru);Jiuquan (Ch);Xichang (Ch);Taiyuan (Ch);Kagoshima (Ja);Mahia (NZ)

Bases;Lancements

true

 

Lancements 2016

2;17;11;12;6;9;5;4;0;0

 

#F9CBCC

 

Lancements 2017

8;18;10;11;4;4;6;2;6;1

 

#F5AEBA

 

Lancements 2018

10;21;11;8;6;16;16;8;2;3

 

#EF7D9C

 

Lancements 2019

3;16;8;13;8;8;13;9;1;6

 

#EB5989

 

1er semestre 2020

13;2;4;3;4;6;2;0;2;0

 

#E72775

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1. Les bases spatiales : un levier de puissance à l’échelle mondiale

En 2019, on a recensé 102 les lancements orbitaux dont 97 ont été des réussites. Au premier semestre 2020, malgré les restrictions de l’activité liées à la situation sanitaire, on a comptabilisé 42 lancements. La répartition des puissances à l’origine de ces projets de lancement nous éclaire sur les nouvelles positions de force mondiales en matière d’activités spatiales.

1.1. Le remarquable essor de la Chine : la plus vaste gamme de bases spatiale au monde

Document 3. La base de Jiuquan, la base pionnière de l’aventure spatiale chinoise

base de Jiuquan en Chine image satellite

Source : Geoimage. Prise de vue : 2016.
Contient des informations PLEIADES © CNES 2016, Distribution Airbus DS, tous droits réservés. Usage commercial interdit.

 

Avec 33 % des vols réussis, soit 32 lancements au total dont 27 pour les lanceurs de la famille « Longue Marche », la Chine s’est affirmée comme la première puissance dans l’accès à l’espace, en nombre de lancements. Cette position de championne mondiale s’est affirmée en 2018 et elle s’est confirmée en 2019. Elle repose sur une assez grande variété des bases de lancement. Là où l’Union européenne ne dispose que du centre spatial guyanais, la Chine possède quatre bases terrestres (plus une plate-forme maritime mobile) soit un chiffre proche de celui des États-Unis (six).

La grande diversité de sites de lancement lui assure aujourd’hui une totale autonomie dans la plupart des types de lancement spatiaux : la mise à poste des satellites sur des orbites multiples répondant aux différents objectifs (géolocalisation, observation de la terre, télécommunications…), les vols habités…. Un des exemples les plus symboliques de cette nouvelle affirmation chinoise réside dans le programme CLEP (Chinese Lunar Exploration Program). Ce projet, autrement nommé Chang’e, a pris pour dénomination celle d’une divinité mythologique chinoise qui avait fait, selon la tradition, de la Lune, son lieu de vie. La référence est donc double : se positionner en contre-point de la mission Apollo, elle-aussi marquée par la référence à la mythologie grecque, mais également être en mesure d’assurer une présence permanente de l’Homme à la surface de la Lune d’ici 2036. Cette présence, symbolique certes, s’explique également par la volonté chinoise de mettre en exploitation les ressources minières de la Lune. La Chine est aujourd’hui une puissance spatiale incontournable sur la scène internationale.

La répartition des tirs est la suivante en 2019 : 13 à Xichang dans la Province du Sichuan, 9 à Taiyuan dans la Province du Shanxi, 8 à Jiuquan en Mongolie intérieure et 2 à Wenchang dans l’Île d’Hainan. À ces lancements à partir de bases terrestres, il faut ajouter la capacité chinoise à procéder à des lancements à partir de structures marines : la Chine est actuellement la seule puissance à détenir une plate-forme maritime mobile de lancement, en mer Jaune, au large du littoral du Shandong (l'Italie a entretenu une base jusqu'en 1988 au large du Kenya, et la société Sea Launch en activité depuis les années 1990 au large de la Californie, appartient à des capitaux privés).

La base de Xichang est spécialisée dans la mise en orbite de satellites tournés vers la terre puisqu’elle constitue le poste de lancement des satellites d’observation (optiques par exemple) mais également des satellites appartenant au projet Beidou. Encore peu connue sur la scène internationale, cette constellation de satellites vise à assurer le développement d’un système de navigation sur le globe. On relève ici toute l’ambition de la puissance chinoise puisque ce système doit permettre au pays de se défaire du monopole américain (GPS) en mettant au point sa propre technologie de géolocalisation. Seules deux autres puissances sont parvenues à mettre au point leur propre technologie de géolocalisation : l’Europe avec le système Galileo et la Russie avec le système Glonass.

Depuis Wenchang sont tirées les fusées « Longue Marche 5 » qui doivent être à terme les bases de la stratégie chinoise de voyages spatiaux à destination de la planète Mars. Si la Chine s’affirme comme un des leaders sur la scène internationale spatiale, l’année 2019 a également été marquée par des échecs retentissants avec par exemple la destruction du lanceur « Longue Marche 3 » après son décollage de la base de Taiyuan en mai 2019.

1.2. Les États-Unis : un leader fragilisé, à la croisée des chemins

Dans la hiérarchie internationale, on relève ensuite l’importance des États-Unis. Avec un peu moins du quart des vols spatiaux, le pays a certes perdu son rôle de première puissance mondiale mais il n’en demeure pas moins toujours dominant. Symbole de cette position privilégiée, la base de Cap Canaveral est celle qui a opéré le plus de lancements dans le monde en 2019 avec 16 décollages d’engins spatiaux.

En mai 2020, de cette même base floridienne, le groupe privé Space X a envoyé dans la station internationale des astronautes américains. Ce vol marque le grand retour des États-Unis dans la catégorie des pays à-même de pratiquer des vols habités et de pouvoir amener des hommes dans la station spatiale internationale. En-cela, ils brisent le monopole du Soyouz russe. En pleine crise liée au Covid-19 et aux mouvements de protestation du « Black Lives Matter », ce décollage de la fusée Falcon 9 du groupe d’Elon Musk a été l’occasion pour Donald Trump, président en campagne, de se mettre en scène devant le pas de tir.

Cet évènement n’a fait que confirmer la prise d’importance de la société Space X (et plus globalement du secteur privé) dans une industrie qui depuis la fin de la seconde Guerre mondiale dépendait presque intégralement de subventions publiques. Le rôle des États tend à diminuer et les États-Unis apparaissent comme un précurseur dans cette dynamique. Ainsi, par le programme COTS (Commercial Orbital Transportation Services), la NASA a négocié avec la société Space X (société privée), le transport de marchandises et de personnes vers la station spatiale internationale : pour ce faire, il est possible pour Space X d’utiliser les bases spatiales de la NASA tels Cap Canaveral. D’ailleurs, le vol habité réalisé par Space X le 20 mai dernier, s’est élancé du pas de tir 39A d’où décollaient les fusées du mythique programme Apollo dans les années 1960 et 70.

1.3. La Russie et l’Union européenne : exister entre les 2 Grands

Document 4. Baïkonour, un site en voie de déclassement

base de Baikonour  Kazakhstan mage satellite CNES

Source : Geoimage. Prise de vue : 2013.
Contient des informations PLEIADES © CNES 2013, Distribution Airbus DS, tous droits réservés. Usage commercial interdit.

 

Derrière la Chine et les États-Unis, dans cette répartition des vols de l’année 2019, viennent ensuite la Russie et l’Europe.

Avec 21 vols, malgré le vieillissement de la base de Baïkonour, la Russie continue à jouer un rôle majeur, en particulier dans la mise en relation entre la Terre et la station spatiale internationale (ISS). L’année 2019 a marqué la fin du pas de tir à partir duquel s’étaient élancées les fusées qui avaient mis en orbite Spoutnik (1957) et permis à Youri Gagarine d’être le premier humain dans l’espace. La base de Plessetsk tend à prendre le relais de Baïkonour dont la localisation en territoire kazakh rend la Russie dépendante des éventuelles tensions pouvant exister avec l’ancienne république soviétique d’Asie centrale. De plus, la réussite du vol SPACE X vers la station spatiale internationale de mai 2020 ne fait plus de Baïkonour le seul port spatial mettant en relation la Terre avec la station orbitale. La perte de ce monopole peut représenter un coup très dur (fatal ?) à cette base porteuse pourtant de tout un pan de l’histoire de la conquête spatiale.

L’Union européenne a opéré 8 lancements depuis la base de Kourou en 2019, soit un total relativement inférieur aux résultats des années précédentes. Le CSG constitue la seule base européenne de lancement mais tous les satellites européens ne sont pas mis en orbite à partir de Kourou. Un rapport sénatorial français de 2019 regrette d’ailleurs l’absence de « préférence européenne » pour la mise en orbite des satellites. Ainsi, la société Space X a mis en orbite en 2018 un satellite luxembourgeois et un satellite d’observation de la terre espagnol (Paz).

Cette faiblesse de la demande institutionnelle – 34 % de la demande européenne contre 73 % aux États-Unis – est un élément de fragilisation de l’industrie spatiale européenne puisqu’elle oblige les lanceurs opérant à Kourou à trouver des contrats privés, largement plus sujets aux fluctuations du marché. Cette fragilité doit être prise en compte pour les grands débuts de la fusée Ariane 6 prévus pour le courant de l’année 2021.

1.4. L’Inde, le Japon et la Nouvelle-Zélande : les puissances de troisième rang 

L’Inde, le Japon et la Nouvelle-Zélande complètent le cercle très fermé des pays capables d’assurer des lancements spatiaux.

Le cas de la Nouvelle-Zélande est particulier puisque la base de la Péninsule de Mahia est opérée par une société américaine Rocket Lab, qui est présente également dans la base nord-américaine de Wallops. Cette base de lancement présente la particularité d’avoir été une des premières à fonder son existence sur des capitaux privés, ceux de la société Rocket Lab. La stratégie de cette société américaine d’origine néo-zélandaise est avant tout commerciale : elle cherche à répondre à la demande d’opérateurs désireux de mettre en orbite des petits satellites. D’ordinaire, les petits satellites (de plus en plus prisés par les utilisateurs) doivent être placés en complément de vols embarquant des pièces plus imposantes. Ils sont considérés comme des compléments dans la charge utile. Le but de Rocket Lab est de planifier des lancements spécifiquement adaptés à ces petits satellites : ils sont donc mis en orbite de manière plus rapide car autonome même si le prix du transport est forcément plus cher puisque le lancement ne les associe plus à un autre satellite. Ainsi, le prix d’un lancement au kilogramme par Rocket Lab est de l’ordre de 14 000 $ alors que dans une fusée Space X, il avoisine les 3 000 $ le kg. La rapidité de mise en orbite explique le choix de certains opérateurs de payer ce prix supérieur.

L’Inde s’est fixé pour objectif de devenir une puissance spatiale. L’année 2019 a été marquée par une cruelle désillusion puisque le vaisseau Chandrayaan 2 a rompu toute relation avec la Terre à moins de 2 km du pôle sud de la Lune. Cet évènement devait faire de l’Inde la quatrième puissance à toucher le sol lunaire. Cette tentative marque bien la volonté de l’Inde d’apparaître comme une puissance du futur et explique le choix d’un programme lunaire, certainement un des symboles les plus médiatisés de la conquête spatiale, sans en être forcément celui aux plus grandes implications pratiques.

Israël, la Corée du Nord, la Corée du Sud sont les autres puissances capables d’accéder à l’espace mais ces pays n’ont pas réalisé de tirs en 2019. Ils viennent compléter le groupe très restreint des États ayant une capacité à accéder à l’espace : celle-ci instaure des déséquilibres majeurs entre les États puisque nombreux sont ceux qui sont placés dans la dépendance à d’autres pour assurer la mise en orbite de leurs satellites.

 

2. La localisation géographique des grandes bases spatiales à la surface du globe, des enjeux majeurs

La localisation des bases spatiales se fonde sur des choix multiples. Si les données naturelles (latitude, ouverture maritime, caractéristiques géologiques des sols…) ont un rôle potentiellement déterminant, les aspects géopolitiques et géostratégiques pèsent de manière de plus en plus importante dans le choix des sites.

2.1. L’exemple des choix de localisation du Centre Spatial Guyanais de Kourou en Guyane

Document 5. La base de Kourou, l’accès à l’espace pour l’Union européenne

base de Kourou Guyane image satellite CNES

Source : Geoimage. Prises de vue : 2015-2016.
SPOT 6/7 © Airbus DS 2015-16, tous droits réservés. Usage commercial interdit.

 

Dans le choix de la plupart des grandes bases spatiales, on retrouve souvent des avantages comparatifs liés à la fois au site et à la situation du lieu. Concernant le Centre spatial guyanais (CSG), les arguments ayant conduit à son choix sont nombreux et en font une des bases de lancement les plus performantes et les plus efficaces de la planète.

En raison de sa latitude équatoriale (5,3° de latitude nord), elle offre une vitesse additionnelle liée à la rotation de la terre lors du lancement. Cet élément permet de réduire les coûts liés à une charge supérieure en carburant et, de ce fait, permet d'augmenter la charge utile (poids des satellites par exemple) du lanceur. Par rapport à la position de ses principales concurrentes dans l’accès à l’espace, Kourou dispose de rendements supérieurs de 27 % par rapport à Cap Canaveral et de 55 % par rapport à Baïkonour.

Document 6. Latitude des principales bases spatiales dans le monde

Latitude des bases de lancement

 

Autre point majeur, la position littorale de la base autorise des lancements vers l’Atlantique, à la fois vers le nord et vers l’est, sans que des régions habitées ne soient survolées par le lanceur : le risque pour les populations locales est donc réduit. Techniquement, cette large ouverture vers le nord et l’est permet surtout la mise à poste de satellites aux orbites différentes : les orbites géostationnaires (dites GEO), à quelque 36 000 km d’altitude qui se situent dans le plan de l’équateur (lancement en direction de l’est) ; les orbites basses polaires (dites LEO pour Low Earth Orbite), entre 500 et 1 000 km d’altitude qui ont une trajectoire rejoignant globalement les pôles (lancement vers le nord).

La base de Kourou offre également des conditions climatiques et géologiques favorables à l’installation d’une base spatiale : la région est située à l’écart des trajectoires cycloniques et son appartenance à l’Amérique cratonique, constituée de boucliers appartenant au socle ancien, réduit de manière considérable les problèmes d’origine sismique.

Toutes ces raisons expliquent le choix français de Kourou. Après quatre années de travaux, le premier lancement d’une fusée (Véronique) à partir de Kourou a lieu le 9 avril 1968. Il fallut attendre le 24 décembre 1979 pour voir décoller de la base une fusée Ariane, dont l’aventure se poursuit encore avec le projet Ariane 6. C’est pour cela que la zone de tir de ce nouveau lanceur (ELA4), bien visible sur l’image (« site de lancement d'Ariane 6 »), repose sur des infrastructures importantes : une superficie de 170 ha, une excavation pour les fondations de la zone de lancement de 182 000 m3, une structure d’intégration du lanceur à l’horizontale et les fondations pour accueillir le futur portique d’Ariane 6 haut de 90 m et pesant 7 000 tonnes.

2.2. La localisation des autres bases

La majorité des bases spatiales obéissent aux règles de localisation suivantes même si chacune présente des spécificités.

La faible densité de population est une réalité dans les bases russes de Baïkonour (Kazakhstan) ou de Plessetsk (180 km au sud d’Arkhangelsk) mais aussi de Jiuquan en Mongolie intérieure. À la fois pour des raisons de sécurité mais aussi pour des motivations liées au secret entourant ces activités, le faible peuplement des régions à proximité des pas de tir est un atout. Par contre, cette dimension n’est pas une règle absolue puisque les bases américaines de Vandenberg et surtout celle de Cap Canaveral ne se situent pas dans des zones aussi désertiques et peu peuplées que celles de leurs principales concurrentes.

Document 7. Plessetsk, une base du grand Nord russe

base de Plessetsk — image satellite CNES

Source : Geoimage. Prise de vue : 2018.
Contient des informations © COPERNICUS SENTINEL 2018, tous droits réservés.

 

La diversité des orbites de lancement est également un enjeu majeur. Si Kourou, par l’orientation du littoral guyanais sud-est/nord-ouest offre une double trajectoire de lancement, le Kennedy Space Center de Cap Canaveral n’offre pas la même variété. En effet, des trajectoires de lancement vers le nord ou le sud conduirait les fusées à survoler les régions très peuplées de la côte Est des États-Unis et pourrait rendre dramatique tout accident potentiel. C’est pour cela que la base de Vandenberg, sur la côte californienne, offre une complémentarité appréciable à Cap Canaveral puisqu’elle offre une trajectoire de lancement vers l’ouest/sud-ouest impossible à atteindre depuis Cap Canaveral.

2.3. Plessetsk / Baïkonour : des décisions géopolitiques et géostratégiques

La base de Plessetsk représente une exception en raison de sa latitude très septentrionale Il faut voir dans le développement de cette base un double motif, plus géopolitique et stratégique que naturel.

Cette base était à l’époque de la guerre froide une base de lancement de missiles balistiques tournés vers les États-Unis. Sa position à proximité de l’Arctique la mettait à proximité immédiate du territoire américain et lui assurait donc une vitesse de tir importante. La présence de ces pas de tir a été progressivement associée à des lancements d’engins spatiaux civils, pour éviter d’avoir à reconstruire en totalité une base. Il s’agissait également pour la Russie de trouver une base de lancement qui puisse à terme réduire l’activité de la base de Baïkonour puisque ce fleuron de l’industrie spatiale soviétique se situe, depuis la fin de l’URSS, au Kazakhstan.

Si Moscou a négocié avec Astana une poursuite de l’utilisation de la base de Baïkonour, les sommes engagées pour la location de la base dépassent les 100 millions de dollars par an et placent de toute façon la Russie en position de dépendance et de fragilité vis-à-vis de son voisin. En outre, le Kazakhstan exige le paiement de fortes sommes d’argent en cas d’accidents qui viendraient à affecter le territoire kazakh au moment d’un décollage.

 

3. Aménager la Terre afin de conquérir l’espace

Chaque base spatiale, en tant qu’interface entre la Terre et l’espace, se doit de disposer d’une mise en relation avec un foreland et un hinterland : si le foreland est matérialisé par le système solaire et l’univers, l’hinterland est représenté par tous les territoires terrestres avec lesquels la base spatiale est mise en relation.

3.1. L’organisation interne d’une base spatiale

Les bases spatiales peuvent avoir une double origine. Soit elles ont été précédées ou associées à un complexe militaire consacré au développement des programmes de missiles balistiques (Cap Canaveral, Vandenberg, Plessetsk), soit elles ont été développées dans une dimension « civile », sans tâches de développement de programmes militaires (Kourou, Tanegashima au Japon…). L’organisation interne d’une base spatiale dépend donc de la présence de cette dimension duale.

Document 8. Cap Canaveral, une base double

base de Cap Canaveral — image satellite CNES

Source : Geoimage. Prise de vue : 2018.
Contient des informations © COPERNICUS SENTINEL 2018, tous droits réservés.

 

L’image de Cap Canaveral permet de bien mettre en évidence les différents sites de la base. Sur l’océan Atlantique, le Cap Canaveral en lui-même regroupe les installations militaires du CCAFS (Cape Canaveral Space Force Station) : on y relève les complexes de tir 34 et 37 qui ont permis le lancement de fusées Saturn pour le programme Mercury ainsi que dans le domaine militaire le pas de tir des fusées Pershing 1 (1960/1963) dont le nom évoque à lui tout seul la course aux armements liée à la Guerre Froide.

L’alignement des complexes de lancement (Launches Complex) témoigne des différents programmes qui se sont succédé sur le site et offre un panorama continu des grandes étapes de la conquête spatiale puisque chaque pas de tir correspondait le plus souvent à un programme précis. Sur l’île Merritt, on peut également distinguer quelques-uns des sites les plus connus de l’aventure spatiale américaine : on relève le centre de contrôle des tirs,  le VAB (Vehicle Assembling Building), la piste d’atterrissage des navettes de retour de l’espace (SLF : Shuttle Landing Facility d’une longueur de 4,5 km) et les complexes de lancement 39A et 39B. Le complexe 39A fut celui de l’immense majorité des missions Apollo dont celle qui devait conduire les premiers hommes à fouler le sol lunaire. Un centre spatial se compose de sites récurrents, comme le montre le plan du CSG ci-dessous.

Document 9. L’organisation interne du Centre spatial guyanais

Kourou plan CSG base de lancement sites pas de tir musée

Image sous licence creative commons, attribution, partage à l’identique, usage non commercial. Géoconfluences, 2021.

 

Les pas de tir sont appelés à Kourou Ensemble de lancement (EL) et ils sont ensuite précisés par la lettre correspondant au lanceur concerné : A pour Ariane, V pour les fusées européennes Vega et S pour les fusées russes Soyouz. À chaque type de lanceur correspond donc un pas de tir particulier.

Cette multiplicité explique l’extension en surface d’une base spatiale puisque les zones de tir doivent être différentes et également assez éloignées les unes des autres afin d’éviter qu’un accident sur une zone ne vienne endommager une structure voisine. On note par exemple l’éloignement de la zone Soyouz sur cette image. Ce plan peut être complété par l’étude de l’image satellitaire de la base de Kourou (document 5) sur laquelle apparaît la zone de construction de l’ELA4 qui servira au cours de l’année 2021 à assurer les premiers lancements d’Ariane 6. Ainsi, même pour des lanceurs d’une même famille, la construction (ou l’adaptation) d’un nouveau pas de tir est une nécessité. Dans son organisation interne, le CSG a choisi de mettre en réserve des sites afin de développer d’autres types de lanceurs pour les futures décennies.

À proximité (relative) des ensembles de lancement, on note la présence de bâtiments industriels dans l’enceinte même de la base : assemblage des lanceurs, usine de propergol (combustible nécessaire au décollage de la fusée)… Les centres de contrôle et les centres de télécommunication complètent la gamme des différents bâtiments observables dans une base spatiale. À l’intérieur du site, la mise en réseau des différents lieux peut s’opérer par voie routière (« la route de l’espace » au CSG) ou par voie ferrée interne (en particulier pour le déplacement des différents étages du lanceur : voir l’image satellite du site de Baïkonour). Enfin, toutes les bases ne présentent pas une piste d’atterrissage dans la mesure où une telle infrastructure dépend du retour sur la Terre de l’engin spatial : les navettes américaines pour les vols habités revenaient se poser avec leurs occupants alors que par exemple les lanceurs (fusées) se désintègrent tout ou partie après le décollage et leur mission accomplie.

3.2. Quand la base crée la ville

L’organisation de l’espace (terrestre) autour d’une base spatiale obéit à des contraintes incontournables, à une mise en relation par des infrastructures de transport et à des aménagements du territoire bien spécifiques.

Construites le plus souvent dans des endroits présentant des densités de populations réduites, voire même quasiment nulles, les bases spatiales n’en sont pas moins des lieux nécessitant une main d’œuvre nombreuse et qualifiée. Ainsi, on estime que sur la base de Kourou un peu plus de 1 500 personnes travaillent régulièrement et que cette présence induit le développement de plus de 7 000 emplois. L’INSEE indique que cela représente 15 % de la richesse guyanaise (INSEE, 2018). La ville de Kourou est devenue une localité majeure du littoral guyanais. Par déduction, chaque base spatiale est accompagnée de la présence d’un centre urbain à proximité destiné à accueillir les professionnels.

À 800 km au nord de Moscou, la base de Plessetsk a vu se construire, dès 1957, la ville fermée de Mirny. En raison de sa fonction première de base de lancements de missiles, on comprend que cette ville soit considérée comme « secrète » ou « fermée ». Les estimations démographiques la situent autour de 30 000 habitants. La logique a été la même à Jiuquan puisque la ville de l’espace de Dongfeng a été construite ex nihilo afin d’accueillir les travailleurs de la base spatiale.

La ville de Port Canaveral présente un développement tout à fait particulier (voir la fiche Geoimage sur Cap Canaveral). Le port qui avait été créé en 1953 pour accompagner la création du centre spatial et acheminer matériaux et ressources énergétiques nécessaires au développement de la base est devenu depuis le début des années 2000 un port de croisière important.

D’abord timide, cette activité s’est développée de manière importante puisque l’ouverture vers les Caraïbes rend sa position extrêmement favorable, en particulier vers les Bahamas. Parmi les compagnies présentes dans le port, on peut citer Disney (filiale de la société-mère très implantée en Floride) ou Norwegian Cruise, la troisième compagnie de croisière au monde. Le navire Oasis of the Seas (compagnie Royal Carribean International) qui entre 2009 et 2015 était le plus grand navire de croisière du monde, a son port d’attache à Port Canaveral (plus de 6 000 passagers de capacité maximale et plus de 2 000 membres d’équipage).

Document 10. Port Canaveral, base spatiale et diversification de l’activité au « paradis de l’entertainement »

Port Canaveral — image satellite CNES

Source : Geoimage. Prise de vue : 2018.
Contient des informations © COPERNICUS SENTINEL 2018, tous droits réservés.

 

3.3. Un réseau de communication performant

L’exemple de Port Canaveral nous démontre également que l’aménagement de l’espace à proximité d’une base spatiale s’appuie également sur un réseau de communication performant. En effet, aucune base spatiale ne dispose à proximité des ressources nécessaires à la construction du lanceur ou bien de la charge utile à la fusée (satellites). Comme dans tous les fonctionnements d’interface, il est donc nécessaire d’assurer l’approvisionnement de la base.

La ville de Kourou a été dotée d’un port sur le fleuve Kourou : le port de Pariacabo est quasi exclusivement dédié au transport de marchandises à destination du CSG (voir la puce 2 sur l’illustration du plan de Kourou). De plus, l’aéroport de Cayenne Felix Éboué a été modernisé afin de permettre l’approvisionnement du centre spatial. Port Canaveral jouait le même rôle pour le Kennedy Space Center. Pour les bases continentales, à distance des littoraux, la voie ferrée et la voie autoroutière remplacent le transport maritime et permettent l’arrivée des marchandises. Par contre, en fonction des degrés de secret et de protection des sites, la dimension touristique n’est pas homogène entre les grandes bases de lancement. Le CNES à Kourou et surtout la NASA à Cap Canaveral (la base spatiale où le développement de l’industrie du divertissement est de très loin le plus développé) ont su adapter leur site à une activité de loisirs destinée aux touristes : 2,5 millions de personnes visitent le Kennedy Space Center chaque année (et le Centre spatial guyanais, 16 000, source INSEE, 2018) D’autres bases sont largement fermées et viennent rappeler que le monde de la conquête spatiale prend d’abord ses racines dans le domaine de la défense et des activités secrètes.

 

Conclusion

Ce sont donc bien des zones réduites du globe, les bases spatiales, qui assurent l’interface entre la planète Terre et la conquête de l’espace. Elles revêtent une importance stratégique de premier ordre en garantissant aux puissances qui les exploitent une autonomie dans l’accès à l’espace. Si elles ont le regard tourné vers l’infiniment grand, elles sont également des outils de puissance et de domination à l’échelle du globe puisqu’elles se livrent entre elles une farouche guerre commerciale et peuvent jouer, pour certaines, un rôle militaire. Elles peuvent être aussi des espaces de synergie entre les différents pays et ainsi contribuer au succès de coopérations internationales abouties en permettant par exemple d’accéder à la station spatiale internationale.

 


Sources et bibliographie

  • Latitude 5, les magazines du Centre spatial guyanais : une publication périodique sur l’actualité du CSG mais également sur l’actualité des lancements spatiaux à l’échelle mondiale.
  • INSEE, 2018, « Bilan économique 2017 – Guyane » INSEE Conjoncture Guyane no 4. 31/05/2018.
Site Géoimage du service éducatif du CNES

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Glossaire

Cet article contextualise les entrées de glossaire suivantes : Arrière-pays et avant-pays (hinterland, foreland) | Puissance.

 

 

Vincent DOUMERC
Professeur en classes préparatoires, lycée d'État Saint-Sernin, Toulouse.

 

 

Mise en web : Jean-Benoît Bouron

Pour citer cet article :

Vincent Doumerc, « Les bases spatiales dans le monde : les interfaces Terre-espace », Géoconfluences, mars 2021.
URL : https://geoconfluences.ens-lyon.fr/informations-scientifiques/articles/bases-spatiales

Pour citer cet article :  

Vincent Doumerc, « Les bases spatiales dans le monde : les interfaces Terre-espace », Géoconfluences, mars 2021.
https://geoconfluences.ens-lyon.fr/informations-scientifiques/articles/bases-spatiales