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La votation sur le stationnement des SUV à Paris, un reflet des revenus et du taux de motorisation

Publié le 06/02/2024
Auteur(s) : Matthieu Adam, chargé de recherche - CNRS
Une votation, organisée par la Mairie de Paris en février 2024, a adopté l'augmentation du tarif de stationnement des véhicules les plus encombrants. La carte des résultats peut être comparée aux cartes des revenus médians et du taux d’équipement automobile des ménages, ce qui montre que les arrondissements opposés à une régulation des SUV sont les plus aisés et les plus motorisés.

Bibliographie | citer cette brève

Le dimanche 4 février 2024, la ville de Paris organisait un referendum local (une votation) sur la place des « voitures individuelles lourdes, encombrantes et polluantes », ciblant particulièrement les SUV.

Les SUV, un bilan environnemental désastreux

Les SUV, de l’anglais sport utility vehicle, matérialisent la tendance de l’industrie automobile à produire des véhicules de plus en plus gros, lourds, et chers. Particulièrement rentables pour les constructeurs (ils se vendent plus cher que des berlines à coût de production équivalent), ils ont conquis le continent européen lors des deux dernières décennies, après avoir déferlé sur l’Amérique du Nord dès le milieu des années 1960. En 2023, 47 % des véhicules particuliers vendus en France étaient de ce type de carrosserie (contre 45 % de berlines, source). Si certains SUV sont électriques, à l’image de la voiture particulière la plus vendue en Europe, la Tesla Model Y (source), l’essentiel des SUV vendus ces dernières années demeurent thermiques (essence ou diesel principalement), même s’ils sont parfois hybridés.

S’ils émettent moins de GES que les voitures anciennes, ils en émettent beaucoup plus que si les constructeurs avaient investi dans la sobriété et l’efficience, plutôt que dans l’augmentation de la taille et du poids des véhicules. Selon l’Agence internationale de l’énergie, la croissance mondiale du marché des SUV a tout simplement constitué la seconde cause de la hausse des émissions de GES sur la décennie 2010-2021 (après l’augmentation de la demande énergétique). L’essor des SUV a même réduit à néant les réductions d’émissions réalisées sur les autres types de voitures individuelles (source AIE). Par ailleurs, dans un contexte de critiques croissantes à l’égard d’une économie extractiviste, la production de ces véhicules requiert une quantité considérable de ressources.

Les SUV ont donc progressivement incarné la fuite en avant de la société de consommation face aux défis environnementaux, d’où une volonté des pouvoirs publics locaux d’encadrer, voire de tenter de dissuader, leur utilisation. L’idée est d’agir sur les consommateurs et consommatrices, dans l’espoir d’infléchir les stratégies des constructeurs, à défaut d’une législation plus contraignante au niveau national ou européen.

Une tentative de régulation par le tarif de stationnement

Par l’organisation de cette votation, un terme emprunté à la démocratie directe suisse, la Mairie de Paris a aussi cherché à légitimer une mesure qu’elle savait de nature à froisser les habitants des quartiers les plus favorisés, dont certains, dans la capitale, pouvaient être en mesure de trouver des soutiens à l’échelon national. La question posée était la suivante : « Pour ou contre la création d’un tarif spécifique pour le stationnement des voitures individuelles lourdes, encombrantes, polluantes ? »

La proposition était de tripler le tarif horaire de stationnement pour les véhicules thermiques ou hybrides rechargeables de plus de 1,6 tonne et les véhicules électriques de plus de 2 tonnes (la star du marché européen Tesla Model Y et ses 1900 kg à vide n’étant donc pas concernée). Une heure de stationnement dans les arrondissements centraux (du 1er au 11e) passant par exemple de 6 € en tarif « léger » à 18 € en tarif « lourd et polluant ». La tarification proposée est « au poids » et non fonction de la typologie de carrosserie. Elle ne cible donc pas uniquement les SUV, mais aussi de lourdes berlines ou monospaces. Mais ce sont bien les SUV qui ont été explicitement visés lors de la campagne pour le vote. Ils sont du reste surreprésentés dans ces catégories de poids (et en ville, 8 acheteurs de SUV sur 10 vivant en milieu urbain, source). 16 % des véhicules d’Île-de-France seraient concernés par la hausse des tarifs (Breteau, 2024). Les véhicules professionnels et ceux des personnes disposant d’un abonnement résident ne sont pas concernés.

La votation s’est déroulée dans 222 bureaux de vote. 54,55 % des participants ont voté pour le nouveau tarif de stationnement des SUV. Toutefois, le taux de participation n’a atteint que 5,8 % (78 000 votants) malgré les campagnes d’affichage organisées avant le scrutin. La votation a encore moins mobilisé que la précédente, en avril 2023 et déjà sur le thème des mobilités, lors de laquelle 103 000 parisiens et parisiennes s’étaient prononcés à 89 % pour l’interdiction des trottinettes électriques en libre-service (source Mairie de Paris). Le prix du stationnement n’a pas déplacé les foules, même si on semble s’être davantage mobilisé dans les quartiers aisés (8,9 % de taux de participation dans le 8e arrondissement) que dans les plus pauvres (4,35 % dans le 20e).

Document 1. Résultat de la votation du 4 février 2024, revenu médian et taux d’équipement des ménages

votation SUV Paris + revenus et taux d'équipement

 

La carte du résultat offre peu de surprise : elle montre un rejet très fort de la mesure dans les « beaux quartiers » à l’ouest, tandis que l’est a voté majoritairement pour. Une comparaison avec le revenu médian et le taux d’équipement des ménages montre que ces deux données ont une influence sur le vote, mais qu’aucune d’entre elle ne permet seule d’interpréter le vote. Les arrondissements à la fois les plus équipés et où le revenu est le plus élevé ont voté majoritairement contre, tandis qu’un faible équipement ou un revenu moins élevé conditionnent en partie un vote favorable à la mesure. Ainsi, les quatre arrondissements centraux, regroupés lors du vote, aux revenus élevés mais parmi les moins équipés d’automobiles, ont voté à 62,67 % pour la mesure. Les arrondissements périphériques de l’est de la ville, plus équipés mais moins riches, ont également voté pour. En somme, le vote « contre » semble avoir été principalement déterminé par le fait de se projeter comme propriétaire potentiel de SUV. 88% des acheteurs de SUV neuf sont considérés comme « aisés ou très aisés » (source).

Cette votation illustre la volonté des échelons politiques locaux de s’emparer de sujets plus globaux (la stratégie des constructeurs, la place de l’automobile dans l’espace urbain, la lutte contre les changements climatiques). Au-delà du coût du stationnement, l’enjeu est d’encourager le développement industriel et l’achat de véhicules légers et moins polluants. Il sera probablement difficile de mesurer l’effet réel de telles politiques à long terme. Les acheteurs de voitures neuves (tous modèles confondus) sont pour la plupart aisés et leurs choix de véhicule sont donc moins influencés par le coût d’utilisation (stationnement, entretien, carburant) que ceux des conducteurs qui se fournissent en occasion. Ces derniers subissent les choix des premiers lorsqu’ils cherchent des voitures de seconde main et feront donc rouler les SUV encore longtemps même si leur part de marché venait à décroitre. Tout comme les péages urbains ou les zones à faibles émissions (qui, elles, ont plutôt tendance à cibler les conducteurs pauvres, lire Adam et Mariani, 2023), les politiques visant à pénaliser financièrement l’usage de certains véhicules sont en vogue un peu partout en Europe. En France, d’autres villes, Lyon par exemple, ont précédé Paris en prenant des mesures similaires (annoncée le 30 janvier 2024, l’augmentation « au poids » des tarifs de stationnement lyonnais sera mise en œuvre dès le 1er juin) sans passer par un vote citoyen.

 
Encadré 1. Les arguments avancés par la Mairie de Paris

La consultation visait à répondre à plusieurs enjeux de sécurité, de partage de l'espace public et de pollution. Si, depuis dix ans, la place de la voiture n’a eu de cesse de diminuer dans Paris, dans le même temps, la taille moyenne des voitures, elle, a augmenté dans la capitale.

Cela s'explique par l’explosion des ventes de SUV et 4x4 en France.

Depuis trois décennies, la taille et le poids moyens des voitures en France augmentent, prenant de plus en plus de place sur la chaussée, les trottoirs et l’espace public en général : en moins de trente ans, les voitures se sont ainsi alourdies de près de 250 kilos. Le poids moyen d’un véhicule représentait 975 kilos en 1990, il est aujourd’hui de 1 233 kilos.

Enfin, du fait de leur taille toujours, les SUV sont aussi plus dangereux pour les piétons : en cas de collision avec un enfant, un adulte ou une personne âgée, ces accidents impliquant un SUV sont deux fois plus mortels pour les piétons qu’avec une voiture standard.

Pour un meilleur partage de l’espace public dans Paris, faire baisser la pollution et réduire les accidents, la Ville consultera, le 4 février, les Parisiennes et les Parisiens sur l’augmentation des tarifs de stationnement non résidentiel des SUV et 4x4.

Source : rapport du WWF sur les SUV, cité par Mairie de Paris, 2023.


 
Références citées
Pour compléter

 

Matthieu ADAM

Chargé de recherche CNRS, UMR 5600 EVS (environnement-ville-société)

 

Édition et mise en web : Jean-Benoît Bouron

Pour citer cette brève :

Matthieu Adam, « La votation contre les SUV à Paris, un reflet des revenus et du taux de motorisation », Géoconfluences, février 2024.
URL : https://geoconfluences.ens-lyon.fr/actualites/veille/breves/la-votation-contre-les-suv-a-paris-un-reflet-des-revenus-et-du-taux-de-motorisation/