Les start-up françaises dans la vertigineuse course à la suprématie quantique
- Martin Koppe, « Les start-up françaises parées pour la transition quantique », CNRS Le Journal, 27 novembre 2020, mis à jour le 12 janvier 2021.
Vertiges des chiffres
Alors que les ordinateurs classiques stockent les informations à partir d’une unité élémentaire, le bit, qui est binaire (soit 0 soit 1) les calculateurs quantiques reposent sur des bits quantiques ou qubits qui peuvent être 0 et 1). Leur puissance de calcul en est démultipliée : Google a annoncé en 2017 avoir réalisé en 3 minutes 20 une opération qui aurait nécessité 10 000 ans avec un calculateur classique (source). En décembre 2020, la Chine annonce avoir mis en œuvre une technologie différente d’ordinateur quantique lui permettant de faire des calculs 100 billions de fois plus rapidement que le supercalculateur classique le plus performant au monde, celui le japonais Fugaku (source). Pour comparer avec l’annonce de Google, le système chinois, Juizhang, a réalisé en 3 minutes un calcul qui aurait nécessité deux milliards d’années avec un superordinateur classique (source). On est cependant encore loin des applications concrètes car de nombreuses difficultés se posent à cette technologie très récente. Comme l’indique Martin Koppe :
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Outre calculer beaucoup plus rapidement en utilisant moins d’énergie, les ordinateurs quantiques peuvent avoir de nombreuses application dans tous les domaines nécessitant une grande puissance de calcul : la planification urbaine (notamment l’optimisation des réseaux dits intelligents), la chimie et la pharmacie, les matériaux et les nanotechnologies… sans oublier les applications militaires et la cyberdéfense.
La course technologique vers la suprématie quantique, une démonstration de puissance
Le fait de disposer d’un calculateur capable de faire un calcul impossible ou décidément trop long sur les meilleurs ordinateurs classiques s’appelle l’avantage quantique ou la suprématie quantique (voir Wikipédia). La course opposant la Chine aux États-Unis (ou la Ligue C9 à la Silicon Valley) vise à atteindre ce stade et au moins un acteur semble y être parvenu dans ces deux États. Le but est à la fois de briser un verrou technologique pour prendre de l’avance dans les applications concrètes, et de faire étalage de sa puissance scientifique. Cet enjeu de puissance est à la croisée entre le soft power qui vise à impressionner et à exercer une attractivité (dont la renommée du secteur de la recherche est l’un des paramètres) et la puissance économique et industrielle qui peut relever davantage du hard power, la puissance concrète visant à intimider les rivaux.
La France entre modèle chinois et modèle californien
Deux modèles s’affrontent : le modèle californien, décentralisé, en essaim, basé sur la grappe d’entreprise, l’initiative individuelle et l’investissement privé (soutenu par des fonds publics), d’une part, et d’autre part le modèle chinois, centralisé, en réseau, basé sur l’interventionnisme étatique et l’investissement public massif. L’université des sciences et des technologies de Chine, basée à Hefei dans l’Anhui, fait partie du réseau de neuf universités massivement financées par l’État, la ligue C9 (dont le nom imite l’Ivy League étasunienne). La France, après avoir longtemps été planificatrice, étatique et dirigiste dans l’organisation de sa recherche, ce dont le CNRS est un héritage, suit davantage aujourd’hui le modèle californien, sans les moyens budgétaires équivalents. Le vocabulaire employé dans l’article de CNRS Le Journal témoigne bien de ce changement, en insistant fortement sur les start-up, les levées de fonds et les initiatives individuelles, voir les aventures entrepreneuriales. Ce changement de paradigme fait écho à celui qui a marqué l’aménagement du territoire en France avec le passage d’une logique d’équilibre à une logique de compétitivité (voir l’entrée de glossaire « aménagement du territoire, aménagement des territoires » et l’article d’Antoine Grandclement sur les pôles de compétitivité). L’Union européenne n’est citée qu’incidemment dans l’article, à propos d’une startup française répondant à un appel d’offres pour équiper un supercalculateur européen. La France y apparaît peu reliée à ses partenaires européens, or on voit mal toutefois comment elle pourrait courir seule cette course technologique.
Mise à jour (21 janvier 2021) : Quelques jours après la publication de cette brève, l'Elysée a annoncé dans la presse un « plan quantique » de 1,8 milliards d'euros sur cinq ans (voir par exemple cet article dans Le Monde avec AFP, 21 janvier 2021). Des crédits privés et des fonds européens sont avancés, mais il n'est pas encore question d'une coopération européenne sur le sujet.
Sources
- Martin Koppe, « Les start-up françaises parées pour la transition quantique », CNRS Le Journal, 27 novembre 2020, mis à jour le 12 janvier 2021.
- « Suprématie quantique, que de la Google ? » La Méthode scientifique sur France Culture par Nicolas Martin, 16 octobre 2019, 58 minutes.
- Elina S., « Un ordinateur quantique 100 billions de fois plus rapide que le supercalculateur le plus avancé du monde », Le Big Data, 9 décembre 2020
- Marie Bellan, « Informatique quantique : la Chine passe un nouveau cap », Les Echos, 6 déc. 2020
Pour compléter
- Sur le soft power chinois : Nashidil Rouiaï, « Sur les routes de l'influence : forces et faiblesses du soft power chinois », Géoconfluences, septembre 2018.
- Sur la Silicon Valley : Laurent Carroué, « La Silicon Valley, un territoire productif au cœur de l’innovation mondiale et un levier de la puissance étatsunienne », Géoconfluences, mai 2019.
- Sur la Silicon Valley « à la française », Laurent Carroué, « Paris-Saclay, une Silicon Valley à la française ? », Géoconfluences, mars 2017.
- Sur les pôles de compétitivité en France : Antoine Grandclement, « Les pôles de compétitivité : d’une géographie de l’innovation à une géographie de la production », Géoconfluences, décembre 2020.
Mise à jour : 21 janvier 2021.