Archive. Les effets spatiaux de l'investissement direct étranger (IDE) en Chine : intégration ou désintégration ?
NB. Le contenu de cet article donne des informations disponibles au moment de sa publication en 2004.
NB. Le contenu de cet article donne des informations disponibles au moment de sa publication en 2003.
>>> Pour des informations à jour, lire : Benjamin Claverie, « La rangée portuaire chinoise et ses arrière-pays, connecter la Chine au Monde », Géoconfluences, avril 2024.
Dans la mesure où l'intégration des villes côtières chinoises dans les échanges économiques internationaux procède de l'absorption de l'IDE, leurs liens avec les autres villes portuaires asiatiques semblent plus forts et avec des effets à long terme plus importants que leurs liens avec l'hinterland de Chine continentale. Les flux d'IDE proviennent à 80% des pays de la région Asie - Pacifique. Si l'on déplace la perspective en la centrant non plus sur la Chine mais sur le corridor économique de l'Asie de l'est, la fracture relevée entre Chine côtière et Chine de l'intérieur insère aussi la Chine dans un autre espace, beaucoup plus mondialisé et dont la dynamique a pour moteur les échanges intra-asiatiques.
Les effets intégrateurs du "corridor économique d'Asie orientale"
Cette fracture intègre alors tout autant qu'elle sépare. Certes elle coupe la Chine en deux, soulignant l'hétérogénéité de deux logiques économiques. Mais ne provient-elle pas davantage d'une dynamique extérieure que d'un développement endogène du capitalisme chinois ? C'est peut-être en se plaçant hors de Chine qu'il faut alors lire la dynamique des forces qui travaillent l'espace chinois. Et c'est sur le pourtour de cette "méditerranée asiatique", dont il faut cerner les contours et les flux, qu'il importe de chercher l'un des foyers de son développement.
La Méditerranée n'est pas seulement le titre de l'un des plus célèbres ouvrages de Fernand Braudel*. C'est également un concept de portée plus générale, qui lui a permis de rendre compte de la dynamique du capitalisme européen au XVIème siècle à travers l'étude des villes du pourtour méditerranéen. L'appliquant à un tout autre contexte, Denys Lombard* en a fourni une illustration magistrale dans son étude sur la Mer de Chine du sud. Mais nous ne sommes plus au XVIème siècle et une autre mondialisation est à l'oeuvre.
Des éléments du concept de "méditerranée" méritent d'être mis en relief et peuvent contribuer à comprendre, aujourd'hui, les enjeux économiques de la dynamique économique du corridor qui court du détroit de La Pérouse à celui de Malacca :
1 - En dépit de l'étymologie du mot, une "méditerranée" ne définit pas un espace clos. Cela n'était pas le cas pour la Méditerranée à l'époque de Philippe II. Ce n'est pas le cas non plus pour le corridor est- asiatique aujourd'hui. Les échanges avec l'Amérique du Nord, d'une part, avec l'Europe d'autre part sont deux dimensions fondamentales qui caractérisent l'ouverture de cette zone. Les délocalisations massives qui se sont produites tout au long des années 1990 dans les pays de l'ASEAN* et, ensuite, dans les zones côtières chinoises ont fait apparaître un arc manufacturier à vocation mondiale travaillant pour des marchés très éloignés.
2 - Une "méditerranée" est un creuset où se fondent les initiatives industrielles, l'activité d'innovation, les initiatives entrepreneuriales. Il s'agit d'un laboratoire pour l'expérimentation de nouvelles normes sociales et de nouvelles modes.
3 - Une "méditerranée" constitue par conséquent un espace multiplicateur au sein duquel les flux de capitaux, l'intensité des échanges, le réseau des infrastructures produisent des dynamiques spécifiques, qui arrachent les zones côtières à leur profondeur continentale et réordonnent l'espace chinois selon d'autres lignes de force brouillant ainsi le quadrillage étouffant de la planification bureaucratique.
4 - Une "méditerranée" est un lien entre différentes aires de civilisation. Plus précisément, le développement des échanges autour de la Mer du Japon, de la Mer jaune ou de la Mer de Chine du sud contourne habilement les obstacles relevant de systèmes économiques et sociaux très hétérogènes.
Une telle vision a plusieurs implications pour notre conception de l'économie, de l'espace et des territoires, des relations économiques internationales. Gardons-nous cependant de tout déterminisme géographique. Les acteurs sont ici plus importants que les structures. Les entrepreneurs et leurs réseaux, et peut-être, en dernière instance, des structures de concertation informelles d'élaboration de normes techniques, comme le Pacific Basin Economic Council (PBEC)*, pèsent plus que les gouvernements. Les métropoles portuaires, c'est-à-dire les plates-formes de traitement des flux de biens et services, mais aussi de l'information, comptent plus que les contours de l'espace ainsi défini.
Voir les cartes proposées ci-dessous en annexe
Ce corridor économique de l'Asie de l'est a des effets centrifuges sur l'espace chinois. Les zones côtières sont en quelque sorte "aspirées", happées par des échanges intra-asiatiques, des flux d'investissements, des dynamiques régionales. L'espace chinois est violemment polarisé par ce corridor et recomposé selon une dynamique qui échappe en partie au centre. Le découplage entre la Chine côtière et la Chine de l'intérieur est aussi déterminée par cette "méditerranée", dont elle est la limite occidentale, la séparant d'un hinterland asiatique. La physionomie des espaces côtiers est remodelée : Xiamen a, en 1997, enregistré des flux d'investissement considérables, en particulier dans le domaine des infrastructures portuaires (Hutchinson Delta Ports) qui anticipent l'établissement de liens directs avec Taiwan. De même, les investissements coréens à Qingdao ont transformé le Shandong, ou encore les investissements japonais à Dalian, en les insérant dans un réseau intra-asiatique. Pour ne rien dire des synergies qui se produisent entre Hong Kong et les ports du delta de la rivière des Perles.
L'investissement direct étranger en Chine a en définitive un triple effet sur le développement économique régional
Premièrement, il accélère la différenciation de l'espace économique chinois. On peut raisonnablement prévoir que l'implantation future de l'IDE n'obéira pas seulement à des préoccupations de coûts ou de potentiel d'un marché donné, mais s'orientera aussi en fonction de deux lignes de force qui travaillent l'espace économique chinois, et dont il est partie prenante : le degré de décomposition de la propriété publique et la diversification du tissu urbain, ou plus précisément, la restauration des fonctions marchandes de la ville.
Deuxièmement, il souligne la frontière invisible qui divise la Chine en deux macro-régions distinctes. Chacune d'entre elles fonctionne avec sa propre logique : échangiste dans un cas, relativement autarcique dans l'autre, en raison d'abord de l'inertie particulière induite par la propriété étatique.
Troisièmement, il renforce l'intégration des zones côtières dans un réseau de sous-traitance internationale impulsé par les "Quatre Dragons", le Japon, et dans une certaine mesure, les entreprises américaines et européennes. La vocation de ces zones est clairement orientée vers l'exportation : ce qui se dessine dans le delta de la Rivière des Perles, le triangle Shanghai-Nankin-Hangzhou, et, dans une moindre mesure, le golfe du Bohai (le rôle de Dalian pour les réexportations japonaises est à cet égard remarquable) est la constitution d'un arc manufacturier visant des marchés éloignés, en Europe ou aux États-Unis.
De ce point de vue là, l'émergence d'une "Méditerranée asiatique" confirme ce que de nombreuses compagnies étrangères pratiquent aujourd'hui : l'investissement direct n'est plus seulement un flux de capital enfermé dans une dimension bilatérale (par exemple entre Japon et Chine), mais bien partie prenante d'une dynamique multilatérale qui implique plusieurs pays ou régions transnationales.
Reste une interrogation centrale, celle de la partition économique de la Chine
On peut la décliner en deux thèmes : celui de la montée du protectionnisme provincial, et celui, connexe, de la naissance de nouvelles macro-régions qui deviendront les centres de gravité de la Chine de demain. La Chine "utile" a basculé vers l'est, au terme d'une translation qui mine l'acharnement nationaliste d'un Parti communiste chinois à construire ou maintenir un contrôle du centre sur le développement économique. Une telle dynamique renoue, paradoxalement, à l'âge de la mondialisation, avec le dessein impérial et sa logique des souverainetés floues, des réseaux flexibles, des frontières fluctuantes, comme avec ses ambitions : projeter hors de Chine une puissance géo-politique et économique bien réelle.
Sauf mention particulière, ce qui précède résulte des travaux de François Gipouloux, (directeur de recherches au CNRS - Centre Chine, École des Hautes Études en Sciences Sociales) et de l'adaptation des sources suivantes :
- une présentation power-point,
- Determinants in Foreign Direct Investment's Uneven Distribution in China : A comparative Study of three Macro-regions–East Centre and West. Intervention à la 7ème conférence des études asiatiques - Institute of Asian Cultural Studies, International Christian University, Tokyo - 21-22 Juin 2003
- Intégration ou désintégration ? Les effets spatiaux de l'investissement direct étranger en Chine - Perspectives chinoises, n°46 - mars - avril 1998
Annexes
Le corridor économique de l'Asie orientale par les cartes
1 - Balance commerciale de pays d'Asie orientale en 2002© Géoconfluences - Réalisation C. Dodane |
2 - Quantités de marchandises manutentionnées des grands ports d'Asie orientale© Géoconfluences - Réalisation C. Dodane Le "corridor économique" représenté sur la carte inclus les pays membres de l'ASEAN |
3 - Trafic portuaire de conteneurs en Asie orientale - Comparaison entre 1995 et 2001
© Géoconfluences - Réalisation C. Dodane
Télécharger les fichiers (tableur excel) des données correspondant à ces cartes
Références, bibliographie
- Fernand Braudel - La Méditerranée et le monde méditerranéen à l'époque de Philippe II - A. Colin - 1946, 1985
- Denys Lombard (avec Jean Aubin, éd.) - Marchands et hommes d'affaires asiatiques dans l'océan Indien et la Mer de Chine, 13e-20e siècles - EHESS - 1988
- Site officiel de l'Association des nations du Sud-Est asiatique (ANSEA) ou Association of South East Asian Nations (ASEAN) : www.aseansec.org/home.htm
- Le Pacific Basin Economic Council (PEBC) : www.pbec.org
Mise en ligne le 19 décembre 2003
Mise à jour : 05-03-2004
Pour citer cet article :
François Gipouloux, « Archive. Les effets spatiaux de l'investissement direct étranger (IDE) en Chine : intégration ou désintégration ? », Géoconfluences, mars 2004.
https://geoconfluences.ens-lyon.fr/doc/etpays/Chine/ChineScient4.htm