Apport d’une démarche prospective pour la gestion de l'eau du bassin versant du Blavet (Bretagne)
Jean-Baptiste Narcy - AScA – ENGREF RGTE
Xavier Poux - AScA – ENGREF RGTE
Le bassin versant du Blavet, deuxième bassin versant breton par sa superficie (2 130km²), se distingue, dans le contexte régional, par sa bonne qualité relative et par la sécurité qu'il apporte à l'ensemble de la Bretagne sur le plan de l'adduction en eau potable. Ces caractéristiques flatteuses lui sont notamment conférées par une pluviométrie abondante et par l'existence du barrage de Guerlédan, situé dans sa partie amont, qui permet un confortable soutien d'étiage. Bien qu'il présente de fortes disparités internes sur le plan qualitatif, compte tenu de l'impact des bassins de production agricole (porcins, laitiers…) et de leur niveau d'intensification, il constitue à l'échelle régionale une entité incontournable. Cette étude vise à présenter la démarche prospective mise en place pour aider les décideurs à élaborer une gestion de l'eau efficace à long terme intégrant les problématiques relevant des échelles locales et globales (Houet, 2006a ; Narcy et al., 2006).
Bassin versant du Blavet, localisation des sites d'étude et chevelu hydrographique
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La démarche prospective : une méthodologie fondée sur la réalisation de scénarios
Le bassin versant du Blavet, localisé dans la zone centrale de la Bretagne (carte ci-dessous) est très largement dominé par une utilisation agricole des terres. Les territoires agricoles occupent plus de 80% de la surface du Blavet, contre 4,5% de territoires artificialisés et 13,6% d'espaces forestiers.
L'analyse des déterminants territoriaux de l'évolution de la gestion de l'eau et des milieux aquatiques montre ainsi que ce bassin versant est en réalité constitué de trois entités territoriales très différentes et particulièrement typées (carte ci-contre). Ainsi, l'amont du bassin constitue un territoire en marge, rattachable à la Bretagne centrale, dominée par une problématique de déprise et de vieillissement de la population. La section médiane, autour de Pontivy, est fortement structurée par ce qu'il est convenu d'appeler le modèle agricole breton, impliquant l'existence d'une agriculture particulièrement intensive et par la présence d'un important complexe agro-industriel garantissant un relatif dynamisme économique. Enfin, la section aval, orientée vers le littoral et marquée par la présence de Lorient, connaît un réel dynamisme du fait du tourisme et de la reconversion réussie de Lorient vers le tertiaire. Au total, ce bassin versant est en fait traversé par des dynamiques sans lien entre elles, ce qui lui confère une absence d'identité sociologique, économique et politique. |
Un gradient amont - aval |
Représentatifs de cette diversité paysagère et agricole, trois sous-bassins versants du Blavet ont été choisis pour affiner, à l'échelle locale, les implications possibles sur les ressources en eau des évolutions futures possibles des usages des sols. Le site du Lestolet, situé dans la zone amont du Blavet, dans les Côtes d'Armor, est représentatif d'un paysage agricole au bocage dense et aux zones humides de fonds de vallées bien présentes. La plupart des exploitations agricoles sont spécialisées dans la production laitière, quelques unes possédant des ateliers hors-sol avicoles ou porcins. Le site du Coët-Dan situé dans la zone médiane du Blavet est représentatif d'une agriculture intégrée et intensive, basée sur le modèle agricole breton (Canévet, 1992). Les productions porcine et avicole y sont dominantes, souvent complétées avec une production laitière. Les paysages sont plus ouverts que sur le Lestolet, le bocage et les zones humides y étant aujourd'hui relictuels. L'agriculture sur le sous-bassin versant du Stang-Varric, est dominée par la production laitière et présente aussi quelques élevages hors-sol. Le paysage de ce site est caractérisé par une dichotomie marquée entre des plateaux ouverts et des versants et des fonds de vallées largement boisées.
La prospective est une discipline à laquelle on fait appel afin d'avoir "un regard sur l'avenir destiné à éclairer l'action présente" (Hatem, 1993 ; de Jouvenel, 1964). L'élaboration de scénarios constitue une des approches la plus communément utilisée en prospective. La "méthode des scénarios", méta-méthode conceptualisée par Godet (1986, 1992) en est un cadre méthodologique général utilisé ici pour réaliser des scénarios d'une part à l'échelle du Blavet, et d'autre part à l'échelle de trois sous-bassins versants du Blavet.
Qu'est-ce que la prospective ?La prospective a véritablement émergé en France au début des années 1950 grâce à G. Berger et B. de Jouvenel. Le terme même de "prospective" est créé par G. Berger en 1957 (Berger, 1957 & 1958), néologisme exprimant que le regard porte vers l'avenir par opposition au terme "rétrospective" qui regarde vers le passé. La prospective est une manière originale "de regarder au loin et de loin" une situation déterminée (Decouflé, 1972). C'est avant tout une attitude de l'esprit qui inverse le changement traditionnel, en partant de futurs possibles ou souhaitables pour revenir au présent. Les tendances passées et présentes sont utilisées "comme support à la réflexion" et non comme une cage qui emprisonne le futur dans les limites du présent (Massé, 1965). La prospective constitue un va-et-vient entre le présent et le futur, non pas pour prédire celui-ci mais plutôt pour aider une société à se construire un avenir désiré. >>> Voir aussi le terme géographie prospective dans le glossaire |
Les scénarios réalisés à l'échelle du Blavet doivent avoir une portée stratégique, éclairant la cohérence des différents objectifs visés en matière de gestion quantitative de l'eau et des moyens disponibles, compte tenu des dynamiques territoriales. Ces considérations ont amené à envisager la construction de plusieurs types de scénarios. Le scénario de référence est un scénario tendanciel : il envisage l'évolution plausible des différents territoires du bassin versant (amont, médian, aval) et les conséquences pour la gestion de l'eau "si rien de plus qu'aujourd'hui n'est entrepris", c'est-à-dire si le SAGE n'était pas mis en place, afin de justifier son existence, de cerner précisément ses plus-values potentielles et voir si les dynamiques externes (économique, démographique) se poursuivent à l'identique. Partant au contraire d'objectifs de reconquête de la qualité des eaux et des milieux, des scénarios contrastés sont confrontés à ce scénario tendanciel et font apparaître l'organisation d'acteurs et les outils de gestion nécessaires pour atteindre ces objectifs (Narcy et al., 2006).
Les scénarios réalisés sur les trois sous-bassins versants ont eu pour objectifs de mettre en évidence les répercussions possibles sur la qualité de l'eau des changements d'usages des sols au regard de la réforme de la Politique agricole commune (PAC) de 2006 et de l'agrandissement des exploitations agricoles (Houet et al., 2008a).
Méthodes d’élaboration des scénarios prospectifs
Les scénarios élaborés se fondent sur la méthode générique des scénarios (Godet, 1992 ; Poux, 2003). Certains cadres méthodologiques diffèrent toutefois selon l'échelle d'analyse et la dimension stratégique des scénarios. Afin d'éclairer les enjeux de gestion de l'eau à l'échelle du Blavet, les scénarios réalisés reposent sur :
- une analyse spatiale afin de caractériser les dynamiques territoriales en jeu à travers des typologies spatiales ;
- une analyse économique, considérant les modalités d'adaptation des agents présents sur le bassin (exploitants agricoles, filières, employés, propriétaires fonciers, acteurs du tourisme…) à différentes perspectives d'évolution des marchés agricoles et, plus généralement, de l'économie régionale et de l'emploi ;
- une analyse des acteurs, embrassant les logiques et les modes d'organisation socio-politique envisageables ;
- une analyse technico-économique des différents thèmes de gestion de l'eau (Narcy et al., 2006).
Par exemple, l'hypothèse que l'usage des sols sera en grande partie déterminé par l'évolution de l'agriculture sur des critères de performance économique est maintenue. Dans cette optique, les perspectives macro-économiques des grandes filières (lait, volailles, porcs, cultures) sont comparées et des hypothèses à long terme sont proposées (recul des volailles, concentration des exploitations laitières et porcines…), tenant compte des tendances démographiques et socioprofessionnelles régionales. Ainsi le scénario tendanciel, projetant l'organisation territoriale du Blavet à l'horizon 2030, est construit d'après les dynamiques actuelles en extrapolant les mécanismes de régulation du territoire en place actuellement. À la lumière de ce scénario, des scénarios thématiques, fondés sur des hypothèses "pro-actives" (Godet et Roubelat, 1996), sont réalisés afin d'identifier les dimensions stratégiques du SAGE, c'est-à-dire de tester différentes options et/ou différents niveaux d'ambitions pour l'ensemble des compartiments de la gestion de l'eau (alimentation en eau potable / AEP, tourisme, milieux aquatiques, etc.).
Les scénarios réalisés à l'échelle locale reposent sur une adaptation en quatre étapes de la méthode des scénarios intégrant la dimension spatiale tout au long du processus de construction. La première étape consiste à choisir un/des site(s) représentatif(s) de la diversité des situations. La deuxième étape vise à déterminer les trajectoires d'évolution des modes d'occupation et d'utilisation des sols et à identifier les forces motrices des changements observés et des règles d'usages des sols. Cela a été réalisé à partir de données de télédétection sur des pas de temps long (1952-1999) et court (1996-2002), de réunions participatives avec les acteurs locaux et les gestionnaires de l'eau et d'une analyse systémique croisant des approches quantitatives et qualitatives. La méthode est plus précisément décrite dans Houet et al (2008b). La troisième étape consiste à traduire spatialement les scénarios qui auront préalablement été définis. La méthode utilisée diffère selon le type de scénario (voir ci-dessous) : elle est réalisée à l'aide d'une plateforme de modélisation des usages des sols pour les scénarios exploratoires et à l'aide d'un SIG et de requêtes multicritères pour les scénarios normatifs (Houet et Gaucherel, 2007 ; Houet et al, 2008a). La dernière étape vise à évaluer, à l'aide d'outils spatialement explicites (indicateurs cartographiques, modèle) l'impact possible des changements futurs des modes d'usages de sols.
De manière succinte, les scénarios relèvent de deux principales familles et types.
- Les scénarios exploratoires ou normatifs (forecasting et backcasting) se différencient par leur construction. Les premiers partent d'une situation connue, initiale, pour explorer progressivement le futur. Les seconds partent d'une norme de désirabilité (image souhaitable ou non) et remontent du futur vers le présent. Le cheminement est alors construit de façon rétrospective. Ils éclairent davantage les risques de ruptures et les moyens à mettre en œuvre pour parvenir à des objectifs prédéfinis (éviter telle situation ou atteindre telle autre) alors que les premiers illustrent les tendances les plus vraisemblables.
- Les scénarios tendanciels ou contrastés. Les premiers ou scénarios "sans surprise" (Hatem, 1993) correspondent à une poursuite des tendances actuelles, sans rupture majeure, et intègrent des facteurs de changements déjà connus dont la probabilité est certaine. À l'inverse, les scénarios contrastés sont destinés à explorer des hypothèses de rupture, ayant ou non un degré de probabilité faible mais dont l'impact est potentiellement important.
Thomas Houet, juin 2009.
Des scénarios pour identifier les leviers d'actions de la gestion de l'eau : le suivi, l'orientation et l'accompagnement des pratiques agricoles
À l'échelle du Blavet, en résumé des scénarios élaborés, les disparités territoriales internes au Blavet s'accentuent entre 2000 et 2030. Ainsi en 2030, la zone amont est représentative d'une agriculture en marge du modèle agricole breton, où la spécialisation dans la production laitière est très marquée au sein d'exploitations de plus en plus grandes et extensives, avec quelques ateliers avicoles très concentrés. L'occupation des sols est dominée les surfaces en herbe et les bois. Les plateaux continuent de s'ouvrir (arasement du bocage) et les milieux humides de fonds de vallées poursuivent leur fermeture. Les problématiques liées aux nitrates et aux pesticides, et dans une moindre mesure aux phosphates, ne constituent plus un enjeu significatif sur ce secteur.
La zone médiane constitue à l'inverse, le "cœur" du modèle agricole breton, où l'accentuation de la spécialisation hors-sol est prononcée tant pour les productions porcine et avicole que laitière. L'occupation des sols est dominée par des cultures, laissant une forte part de sols nus en hiver au sein d'un parcellaire qui ne cesse de s'agrandir. Les zones humides de fonds de vallées ont été soit abandonnées, soit drainées, soit artificialisées et la baisse des fonctionnalités écologiques (biodiversité, épuration) est notoire, sauf sur certains secteurs de la rive droite. Les usines de traitements de lisiers permettent de réduire la problématique liée aux nitrates, mais l'intensification de la production agricole induit une augmentation des concentrations en phosphates et pesticides, ainsi que l'émergence de nouvelles pollutions (antibiotiques…).
La zone avale, quant à elle, subit une pression foncière non agricole sensible. L'urbanisation s'y est largement développée à proximité de Lorient, et les zones agricoles restantes sont dominées par une production avicole hors sol très concentrée. Les milieux humides se sont considérablement réduits, au même titre que sur la partie médiane. La pression anthropique désormais plus forte engendre des flux importants de phosphates, de pesticides et de matières organiques.
Résumé du scénario tendanciel pour le bassin versant du Blavet : 2000 à 2030
Le cheminement 2000-2015
Dans la zone amont, le territoire est marqué sur la période par un processus de dévitalisation, l'agriculture restant dominante faute d'autre secteur d'activité significatif. Toujours en marge du modèle breton, celle-ci poursuit sa spécialisation laitière, qui comporte une réelle dimension identitaire et patrimoniale. Dans un contexte très concurrentiel, on assiste à la poursuite de la dynamique de concentration des exploitations, ainsi qu'à une stratégie d'extensification herbagère induisant une restructuration du parcellaire : les terres les plus favorables à l'herbe sont exploitées en optimisant l'efficacité du travail (disparition de haies et talus), tandis que les plus difficiles sont délaissées (fonds de vallées en particulier). Fragiles économiquement, elles négligent les investissements de mise aux normes, ce qui explique le maintien du classement en Zone d'Excédent Structurel (ZES) en 2015. Certaines exploitations font le choix de valoriser la qualité (filière "bio" par exemple), sans aller jusqu'à induire cependant une véritable dynamique économique territoriale.
Dans la section médiane, on assiste à la poursuite d'une restructuration marquée du secteur agricole. Pour les exploitations, l'enjeu est de faire face à la fois à la volatilité des cours et à la pression réglementaire environnementale. Elles s'inscrivent alors dans un modèle agro-industriel de plus en plus intégré, marqué par la spécialisation porcine et la recherche d'une qualité industrielle globale : les exploitations sont à la fois plus intensives (recul de l'herbe au profit du maïs) et plus équipées pour le respect des normes (le traitement des déjections remplaçant progressivement l'épandage agronomique des effluents). Cette dynamique économique induit un solde démographique positif, conforté par la résidentialisation de la zone (bassin d'emploi de Pontivy et influence de la section aval) et accompagné d'un développement des services à la faveur d'un essor rapide des voies de communication. Toutes ces tendances sont nettement plus marquées en rive gauche du Blavet, la rive droite continuant de constituer un intermédiaire avec le centre Bretagne.
Dans la section aval enfin, l'évolution marquante est la périurbanisation, sous l'effet à la fois de la tertiarisation de l'économie locale (avec le déclin de l'industrie portuaire) et de l'attractivité des zones littorales. Dans se contexte, l'activité agricole périclite sur la période.
L'image 2015
Les évolutions différenciées des déterminants territoriaux aboutissent à une image de l'eau et des milieux aquatiques contrastées selon les secteurs. Ainsi la zone amont, ayant connu sur la période une baisse des pressions en termes d'occupation des sols et de flux de polluant, voit la qualité de ses cours d'eau rester globalement stable (les améliorations n'étant pas encore sensibles en raison de l'inertie des milieux et de phénomènes de relargages, notamment pour le phosphore). Le patrimoine écologique se dégrade en revanche ainsi que sa fonctionnalité pour l'eau, en raison du manque d'entretien des fonds de vallées et de la disparition de nombreuses structures fixes du paysage sur les plateaux. Dans la zone médiane, la qualité de l'eau continue de se dégrader sur l'ensemble des paramètres (augmentation des flux de polluants, perte des derniers éléments de fonctionnalités liés aux zones humides), à l'exception des nitrates, dont l'augmentation ralentit en raison de la généralisation des usines à lisier. Enfin, le mitage des milieux et l'arrivée de nouvelles populations induisent là aussi une dégradation généralisée de la fonctionnalité des milieux et de la qualité de l'eau.
Le cheminement 2015-2030
En secteur amont, les stratégies extensives agricoles se poursuivent et, alors que la demande globale en produits de qualité se confirme, la part d'agriculteurs visant ce type de marché (label rouge, bio) devient très significative. Par rapport à la période précédente, le fait nouveau est l'arrivée de nouveaux habitants saisissant les opportunités foncières issues de la période précédente : parisiens et anglais apprécient en particulier ce secteur moins saturé que le reste de la Bretagne, tandis que d'autres stratégies purement foncières (sylviculture et chasse) sont également observées. Ces nouveaux arrivants concourent à une privatisation accrue de l'espace (clôture des propriétés). Dans la zone médiane, la phase de restructuration agricole est désormais achevée, la phase d'investissement passée : les aléas des marchés tout comme les enjeux environnementaux sont gérés dans un modèle industriel maîtrisé. Par ailleurs, le développement des services et la résidentialisation observés dans la période précédente se perpétuent. Enfin, la zone aval connaît peu de changements (si ce n'est un croissance de la fréquentation estivale), la dynamique étant stabilisée.
L'image 2030
Les contrastes qui s'esquissaient en 2000 et se confirmaient en 2015 sont désormais extrêmement marqués. Dans la zone amont, la qualité des cours d'eau s'est très nettement améliorée, sur l'ensemble des paramètres, puisque les systèmes laitiers extensifs prédominent dès lors depuis une quinzaine d'année au moins – même l'eutrophisation du barrage de Guerlédan, qui en 2015 restait problématique, est cette fois en voie de disparition. En revanche, la fermeture des fonds de vallée s'est encore accentuée, avec notamment le développement des peupliers ou des taillis pour le bois de chauffe, provoquant ponctuellement des problèmes liés au phosphore. Dans le secteur médian, seul le paramètre nitrate a connu une inversion de tendance, tandis que le phosphore et les pesticides notamment deviennent très problématiques, les pressions agricoles et domestiques (résidentialisation) augmentant de concert. Enfin, le secteur aval connaît une situation très similaire à celle de 2015. Un point commun à l'ensemble du bassin ressort de cette image composite : son potentiel touristique a été totalement hypothéqué, soit en raison d'une fermeture des espaces (amont), soit en raison d'une dégradation généralisée de la qualité et de la fonctionnalité des milieux (secteurs médian et aval).
Thomas Houet, juin 2009.
La présentation du scénario tendanciel à l'ensemble des acteurs impliqués dans la gestion de l'eau du Blavet a été suvie d'un travail participatif par commissions thématiques (qualité de l'eau, milieux naturels, gestion de la ressource, tourisme) dnt l'objectif était de tester différentes options stratégiques ou différents niveaux d'ambitions. Ces scénarios ont permis de dégager le matériau nécessaire à la construction de stratégies alternatives d'ensemble pour le SAGE.
À l'échelle locale des sous-bassins versants, deux types de scénarios ont été réalisés : des scénarios exploratoires et des scénarios normatifs. Les premiers avaient pour objectifs de montrer les influences possibles de la PAC sur les modes d'usages des sols sur les trois sous-bassins versants ainsi que l'impact de l'agrandissement des exploitations agricoles sur le Lestolet, seul site où des données exhaustives sur les exploitations étaient disponibles. Les scénarios normatifs avaient quant à eux pour objectifs de délimiter l'espace des possibles et d'évaluer dans quelle mesure des facteurs endogènes et/ou exogènes au Blavet pouvaient faire évoluer favorablement ou non la qualité des eaux et des milieux. Cela a été réalisé uniquement sur le sous-bassin versant du Lestolet.
Ainsi, pour les scénarios exploratoires, il a été défini que la PAC de 2006 pouvait induire trois stratégies possibles d'adaptation des agriculteurs volontairement contrastées : "Pas de changement", "Option Herbe" et "Option cultures". La stratégie "pas de changement" reproduit les mêmes pratiques agricoles (assolement, successions culturales) qu'avant la PAC 2006 jusqu'en 2020 et constitue le scénario de référence. La stratégie "Option cultures" prévoit une légère augmentation de la part en cultures de vente (céréales) pour s'assurer l'obtention des aides aux grandes cultures. Inversement, la stratégie "Option Herbe" se fonde sur le principe des primes à l'hectare, qui rend l'herbe plus lucrative que les céréales. Les scénarios, pour être les plus contrastés possibles, supposent une adoption de la même stratégie par l'ensemble des agriculteurs dès 2006. La spatialisation des résultats relatifs à chacune de ces stratégies produit des cartes d'évolution de l'occupation du sol entre 1998 et 2020. Les implications spatiales entre le scénario "pas de changement" et le scénario "option herbe" sont évidentes avec une forte hausse des surfaces en herbe. En revanche le scénario "option culture" ne produit pas des cartes et des proportions d'occupation des sols très différentes du scénario "pas de changement" ce qui peut sembler décevant dans un premier temps.
Évolution de l'occupation des sols sur le Stang-Varric pour les scénarios prospectifs exploratoires : le maïs
Scénarios des occurrences en maïs pour la période 1999 - 2020
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La culture du maïs présente un risque pour la qualité de l'eau puisqu'elle n'est pas sensible à une sur-fertilisation et qu'elle s'accompagne parfois de l'absence de couverture hivernale des sols favorable aux transferts de flux polluants de surface (phosphore, pesticides) et de sub-surface (nitrates). |
Les scénarios prospectifs normatifs s'attachent à décrire des images du futur très contrastées (scénario idéal, scénario catastrophique, scénario alternatif) et à étudier les processus d'évolution qui conduisent à l'une ou à l'autre de ces situations. Le processus de modélisation est ici inverse aux scénarios exploratoires. La construction des scénarios normatifs s'effectue de façon rétrospective en partant d'images théoriques finales, fondées sur le croisement d'hypothèses plausibles et contrastées pour chacune des composantes paysagères en 2027 (bocage, zone humide et occupation des sols), et en reconstituant le cheminement jusqu'à la situation actuelle.
Paysages et occupation du sol du sous-bassin versant du Lestolet en 2005
Une sélection paysagère (de haut en bas, de gauche à droite, localisations ci-contre) :
1) Partie aval du ruisseau du Lestolet, bordé de prairies permanentes à Juncus effusus (jonc épars, jonc spiralé) pâturées. 7) Petite parcelle de sol nu après maïs, entourée de talus et de haies sur talus. 6) Vue générale en direction du sud-ouest du bocage du Lestolet (talus et haies sur talus). 8) Prairie permanente partiellement située en zone humide de fonds de vallée présentant une très forte densité de Juncus effusus. |
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Extrait de la carte IGN (Géoportail)
Le Géoportail de l'IGN : www.geoportail.fr Le pointeur .kmz sur l'image Google Earth ci-contre : la confluence du Blavet et du Lestolet, |
Image Google Earth
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Appliqué au sous-bassin versant du Lestolet, un premier scénario projette ainsi un développement généralisé des cultures OGM (biocarburants, alimentation cheptel, cultures de rente) accompagnant la production laitière qui se fait alors sous forme d'élevages hors-sol, la fermeture quasi-totale des zones humides des fonds de vallées et une forte disparition des haies situées sur les versants. Ce scénario est dans le prolongement des trajectoires paysagères observées depuis les années 1980 et est jugé le plus probable par les acteurs locaux. Le second scénario envisage une gestion fonctionnelle optimale qui se traduit par le maintien et l'aménagement d'un bocage fonctionnel, une reconquête maximale des zones humides et la généralisation des surfaces en herbe résultant d'un changement des modes de production (extensification) largement accompagné par les structures agricoles en place et soutenu par l'Agence de l'eau. Le dernier envisage une évolution radicale des modes d'usages des sols : le territoire du Lestolet n'a plus de réelle vocation agricole et est devenu un espace largement privatisé. Les paysages ne sont guère différents du scénario précédent mais le paysage social et économique est exsangue, la dévitalisation du tissu rural sévère et par conséquent, la qualité de l'eau excellente.
Scénarios prospectifs normatifs appliqués au sous-bassin versant de Lestolet
Cartes initiale, intermédiaire et finale des scénarios normatifs (optimiste et pessimiste) réalisés sur le sous-bassin versant du Lestolet |
En pop-up, scénario optimiste / scénario pessimiste pour le sous-bassin versant du Lestolet,
le récit et la carte Ces récits, optimiste ou pessimiste relativement à la qualité prévisible de l'eau, s'appuient sur des hypothèses plausibles mais aussi sur des faits réels et/ou prévisibles. Les présupposés communs à ces scénarios sont les suivants : En rubrique "savoir faire", une proposition d'activité inspirée des scénarios et des récits ci-dessus : Prospective et scénarios, des méthodes pour simuler et préparer l'avenir |
Scénario optimiste / scénario pessimiste pour le sous-bassin versant du Lestolet : les récits et les cartes en 2014 et en 2027
1) Scénario optimiste sur le Lestolet : une gestion fonctionnelle et durable du bassin versant par les agriculteurs et les gestionnaires de l'eau
Entre 1998 et 2005, le paysage du Lestolet a peu changé, les proportions des principales classes d'occupation des sols restant relativement stables. En novembre 2005, les modalités de la PAC de 2006 sont enfin révélées et les agriculteurs découvrent le montant des primes qu'ils toucheront annuellement jusqu'en 2013-2014. Le système complexe du Droit à paiement unique (DPU) incite les agriculteurs à produire au moins la même quantité de céréales voire à l'augmenter de 5% pour conserver la totalité des "Aides aux grandes cultures". Le prix du blé sur le marché mondial poursuit, en 2006, la tendance à la baisse observée mais les agriculteurs du Lestolet sont éleveurs avant tout. Tout concorde pour ne pas engendrer de modification profonde et immédiate des assolements au niveau du système de production.
Au cours de la même année, le SAGE Blavet est adopté. Le Syndicat mixte de gestion des eaux du Lestolet (SMKU) s'étant lancé dans une politique forte en matière de gestion des zones humides de fonds de vallées et du bocage, trouve dans la mise en place du SAGE un nouveau soutien politique et financier. Le SAGE voit dans le site du Lestolet un site "témoin" qui servira d'exemple aux démarches futures sur d'autres bassins versants. Une structure partenariale (SAGE Blavet, SMKU, Chambre d'agriculture, agriculteurs et élus locaux) est instaurée pour une mise en place efficace et durable de ces objectifs. Trois exploitations "témoins", choisies sur la base du volontariat, entament un changement de leur système de production. Le travail collaboratif avec la Chambre d'agriculture apporte une nouvelle vision des possibilités de gestion du système de production notamment en lien avec les contraintes économiques de la PAC de 2006 et l'augmentation de leur Surface agricole utile (SAU) et de leur Surface fourragère principale (SFP) liée à la restauration des prairies permanentes des fonds de vallées. Des formations sont prises en charge par la Chambre d'agriculture ainsi que des Aides à la reconversion par la Région et l'Agence de l'eau Loire-Bretagne.
Les exploitants réduisent ainsi la taille de leur cheptel du fait de l'optimisation de la production laitière par vache (efficacité alimentaire, génétique). Ils amorcent en parallèle un changement progressif (sur 5 ans) de cheptel qui accompagne les modifications d'assolement. Le passage progressif à l'herbe amène les agriculteurs à adopter de façon toute aussi progressive soit la race Normande, soit la Montbéliarde, plus adaptées à cette alimentation que la Prime Olstein. Ils passent au bout de 5 ans à un mode de gestion extensif avec un système "Tout herbe". Ils réduisent ainsi considérablement leurs charges liées aux achats d'intrants et à l'arrêt du recours à des Entreprises de travaux agricoles (ETA) pour les semis et récoltes des cultures de blé et de maïs. Durant la même période, quelques opérations de protection des cours d'eau et de restauration de quelques haies de ceintures stratégiques, de défrichements et de déboisements à partir de l'inventaire des zones humides du Haut-Blavet, ont été réalisées, notamment pour les parcelles des exploitations témoins. Certaines friches et landes sont conservées et entretenues pour leur potentiel dénitrifiant et leur richesse patrimoniale (mégaphorbiaies, magno-cariçaie, landes humides).
Les autres agriculteurs du bassin versant n'ont jusqu'alors pas changé leur système de production. Lors d'une journée de démonstration en 2010 où sont conviés l'ensemble des exploitants, l'ensemble des résultats obtenus sur les trois exploitations sont présentés : estimations des retombées financières, investissements du nouveau système de production et simulations "temps/coûts" en cas d'adoption du système présenté. La mobilisation des agriculteurs est totale lors de cette journée car les cours du blé continuent de descendre et parce qu'une bonne partie d'entre eux ont perdu une partie de leurs aides en raison du non respect du principe d'éco-conditionnalité faute d'entretien des zones humides et du bocage issu de l'agrandissement des exploitations. De plus, les crises sanitaires (grippe aviaire) de 2006 et 2008 ont sérieusement touchés les producteurs de lait + volaille. Près de la moitié des agriculteurs du Haut-Blavet (dont 60% des agriculteurs du Lestolet) sont convaincus par les arguments présentés et adoptent la même démarche de changement de système de production en se réfugiant vers la valeur refuge, le lait.
2012 est une année charnière dans l'évolution des exploitations agricoles : la gestion du DPU historique (fondé sur des subventions antérieures d'années de référence) étant trop complexe, la France rejoint l'Angleterre, les Pays-Bas et d'autres pays de l'Union européenne (UE) et adopte le principe du découplage total et la mutualisation des aides. La Région aura à l'avenir la gestion des subventions de la PAC : quel que soit le montant des primes allouées, celles-ci seront indépendantes des cultures implantées. Cette "pseudo réforme" de la PAC à l'échelle nationale prend effet en 2014. Ainsi, à cette date, les prairies deviennent prédominantes sur le Lestolet et les zones humides stoppent leur dynamique de fermeture. En 2014, la PAC 2006 est maintenue grâce à la présidence française de l'Union européenne et les primes sont désormais des primes à l'hectare. Rassurés face aux rumeurs de suppression des subventions de la PAC après 2014 et par les nouvelles modalités des primes, les agriculteurs du Lestolet qui n'avaient pas encore adopté cette démarche de changement de système de production y adhèrent.
En 2015, le canton est déclassé et n'est plus en excédent structurel et le label rouge, demandé en 2011, est obtenu l'année suivante. Quelques exploitants valorisent leur activité à l'aide de la réhabilitation de corps de ferme en gîtes ruraux parfois accompagnés de la transformation et de la vente directe des produits de la ferme. Toutefois, l'entretien du bocage constitue encore une véritable contrainte pour les exploitations qui ne cessent de s'agrandir. Une démarche concertée est engagée entre les agriculteurs, les gestionnaires de l'eau et les élus locaux pour définir une stratégie de gestion. Les agriculteurs proposent de réduire le nombre de haies n'ayant pas de rôle majeur sur les transferts de flux d'eau et de nutriments en contrepartie de l'entretien de l'ensemble des haies et notamment celles qui ont été et qui seront restaurés par le SMKU et le SAGE Blavet. Ils auraient souhaité re-négocier la densité bocagère à maintenir au final mais le marché du bois de chauffage, économie parallèle non négligeable (10 000 euros pour 50 cordes de bois), est très porteur en raison de la flambée des prix du pétrole et du gaz.
Enfin, malgré le désengagement financier du SAGE en 2018, "qui souhaite concentrer ses actions volontaristes sur des secteurs où les exigences de la DCE ne sont pas atteints", le Lestolet devient dès 2020 une région où agriculture et environnement cohabitent. De plus, l'augmentation des prairies permanentes hydromorphes a augmenté le potentiel hydrologique du bassin versant et permet de soutenir les étiages estivaux des sécheresses consécutives de 2018 et 2019 plus sévères que celles de 2003 et de 2005. En 2027, la SAU du Lestolet est totalement en herbe
2) Scénario pessimiste : du "modèle agricole breton" aux modèles couplés de la "production laitière hors-sol" hollandais et de la "Corn-Belt" américain
Entre 1998 et 2005, le paysage du Lestolet a peu changé, les proportions des principales classes d'occupation des sols restant relativement stables. En novembre 2005, les modalités de la PAC de 2006 sont enfin révélées et les agriculteurs découvrent le montant des primes qu'ils toucheront annuellement jusqu'en 2013-2014. Le système complexe du Droit à paiement unique (DPU) incite les agriculteurs à produire au moins la même quantité de céréales voire à l'augmenter de 5% pour conserver 100% des "Aides grandes cultures". Le prix du blé sur le marché mondial poursuit, en 2006, la tendance à la baisse observée mais les agriculteurs du Lestolet sont éleveurs avant tout. Tout concorde pour ne pas engendrer de modification profonde et immédiate des assolements au niveau du système de production. Au cours de la même année, le SAGE Blavet est adopté. La priorité est mise sur les bassins versants les plus intensifs : le Lestolet n'est pas concerné. Le SMKU ne possède que très peu d'outils juridiques et de moyens financiers pour lutter efficacement contre la dégradation de la qualité des eaux. L'objectif est donc de tout faire pour sauvegarder la situation telle qu'elle l'était en 1998.
Entre 2005 et 2014, quelques exploitations s'agrandissent de façon non négligeable à la suite du départ à la retraite d'un tiers des exploitants du Lestolet. La reprise des quotas laitiers, des DPU et des terres induit une intensification du système de production et une augmentation de la charge de travail. Le DPU incite l'exploitant à augmenter la part des cultures dans l'assolement dont la gestion (semis, récolte) est réalisée par une entreprise de travaux agricoles. Par incidence, seules les prairies permanentes hydromorphes localisées à proximité du siège d'exploitation sont encore utilisées, les autres sont abandonnées, faute de temps pour les entretenir. Suivant le même principe, les initiatives individuelles d'arasement des haies poursuivent la tendance des cinquante dernières années. Les haies situées autour du siège et des prairies qui l'entourent, en limite de propriété ou d'usage entre deux exploitations, ainsi que les haies de ceinture de fonds de vallées ne sont pas concernées.
Fin 2008, les exploitants de type "lait + viande" se réfugient dans la production laitière, suite aux crises sanitaires (grippes aviaires) de 2006 et 2008. D'autres abandonnent leur production de viande bovine par pessimisme (investissements, risque sanitaire – rumeurs d'une variante de la maladie de la vache folle –, etc.). De plus, en 2009-2010, la conjoncture internationale est défavorable à l'agriculture française pour trois raisons : la concurrence des pays de l'Europe de l'Est devient plus prégnante ; la pression internationale de la coalition "USA – Brésil – Grande-Bretagne" mise en place en novembre 2005 "contre la situation privilégiée de la France liée à la PAC" se fait de plus en plus ressentir ; l'augmentation des prix des carburants issue des crises pétrolières de 2006 et 2008 met sérieusement en péril la rentabilité des exploitations agricoles. Dès 2010, la production de biocarburants devient une nécessité et se généralise alors qu'elle était marginale avant 2008. Ainsi, après 2010, on observe une augmentation sensible de la production d'oléo-protéagineux (colza diester), de maïs et de céréales pour la production de bioéthanol. Les exploitations laitières tendent donc à augmenter la part de cultures dans leur assolement, à réduire au maximum les surfaces de pâturage pour tendre vers une production laitière quasiment hors-sol, telle qu'elle est déjà pratiquée depuis près de 10 ans aux Pays-Bas.
En 2014, le système d'aides de la PAC 2006 n'est pas fondamentalement remis en cause et il est prolongé jusqu'en 2022 grâce à la présidence de la France à l'UE. La pression de la DCE est forte et les tensions entre le monde agricole et les gestionnaires de l'eau se font de plus en plus ressentir. Les agriculteurs du Lestolet restent sensibles aux préoccupations environnementales de leur bassin versant et s'attachent à avoir des pratiques (de fertilisation) les meilleures possibles, tant que cela reste rentable pour eux. Mais les tensions avec le SMKU et ses exigences environnementales sont palpables et la scission imminente alors que le cours du blé continue de baisser et les prix du pétrole d'augmenter.
À partir de 2015, sous la pression de la communauté internationale s'appuyant sur des études scientifiques américaines et en raison de l'absence de résultats scientifiques fondés des laboratoires européens, l'État et l'UE autorisent l'utilisation de cultures transgéniques. Des sociétés américaines et brésiliennes implantent alors des usines de transformation pour la production de biocarburants. Certains OGM réduisent les coûts de traitements pour les agriculteurs. En l'espace de 2 ans, un réseau d'Industries agro-énergétiques (IAE) se structure pour absorber cette production massivement adoptée par les agriculteurs bretons. Le modèle américain de la "Corn Belt" des années 2000-2005 se met en place en Bretagne et dans d'autres régions françaises. La production céréalière est toutefois maintenue pour percevoir les "Aides grandes cultures".
À l'échelle de l'exploitation, la part des prairies se limite au strict minimum pour le pâturage du cheptel bovin afin de respecter le principe d'éco-conditionnalité (bien-être animal). Une partie de la production de maïs est destinée aux fourrages, le reste aux IAE. La production de céréales et d'oléo-protéagineux est maintenue pour toucher à la fois le DPU et la production personnelle de biocarburant. Les deux sécheresses consécutives de 2018 et 2019, encore plus sévères que celles de 2003 et de 2005, ont fini de convaincre les derniers agriculteurs réticents. Les cultures OGM ont beaucoup moins souffert de la sécheresse. Après 2020, l'agrandissement des exploitations se poursuit et engendre un abandon quasi-total des zones humides de fonds de vallées. Seules les prairies permanentes situées à proximité des sièges d'exploitation n'ont pas évolué en friches et en bois, et seules les haies situées autour du siège d'exploitation et des prairies qui l'entourent, en limite de propriété ou d'usage entre deux exploitations et les haies de ceinture de fonds de vallées n'ont pas été arasées. Au final, cette évolution se traduit essentiellement par une hausse des cultures OGM et une production laitière de type hors-sol.
Le SAGE du Blavet à une période charnière
D'une manière générale, les scénarios réalisés à l'échelle des sous-bassins versants ont apporté des éléments de compréhension indispensables pour une gestion spatiale de l'eau plus efficace (Narcy, 2004). Les scénarios exploratoires ont mis en évidence d'une part la complexité des processus de changements subtils des modes d'usages des sols et d'autre part, que ceux-ci ne doivent surtout pas être minimisés même s'ils représentent des quantités de changements très faibles. En effet, les changements d'occupation de sols simulés peuvent avoir des conséquences non négligeables sur la qualité des eaux en raison de leur localisation et de l'augmentation de la fréquence de retour du maïs. Par ailleurs, ils ont également démontré que la mosaïque des exploitations agricoles constitue potentiellement un facteur de risque structurel vis-à-vis de la ressource en eau en fonction de sa configuration par rapport au réseau hydrographique : plus les parcelles situées à proximité des cours d'eau correspondent à des parcelles éloignées par rapport au siège de l'exploitation dont elles dépendent, plus le risque sera important. Dès lors, la gestion foncière constitue un levier d'action essentiel à la gestion de l'eau.
À l'inverse, les scénarios normatifs produits exclusivement sur le Lestolet ont mis en évidence le fait que, dans un contexte économique structurant et contraignant, l'engagement ou non du SAGE localement pouvait avoir des répercussions diamétralement opposées tant sur le plan des ressources en eau, que sur le plan économique et social. Par exemple, si le positionnement du SAGE et l'animation autour de ses actions et de leur planification à court ou moyen terme ne sont pas clairement établis, cela peut engendrer des évolutions différenciées sur le Lestolet. Ils permettent également d'appréhender l'impact de facteurs exogènes tels que l'autorisation des cultures OGM dans un contexte énergétique difficile ou encore la baisse de la démographie agricole.
Ce travail témoigne de la dimension stratégique du SAGE et de sa structure pilote aussi bien à l'échelle du Blavet qu'à celles des territoires qu'il englobe. Il démontre également que son élaboration intervient à une période charnière bien mise en évidence par les différents scénarios réalisés. À titre d'exemple, à l'échelle du Blavet, les indicateurs socio-économiques et démographiques tendent vers une extensification de l'agriculture dans la zone amont. À l'échelle locale, sur le Lestolet, les trajectoires d'évolution des modes d'usages des sols témoignent d'une tendance à l'intensification à travers la hausse de la part en cultures, l'ouverture des plateaux et la fermeture des fonds de vallées. Selon les échelles, les évolutions futures envisagées dans les scénarios normatifs peuvent tantôt converger, tantôt diverger avec celle du scénario tendanciel à l'échelle du Blavet. L'influence des échelles d'analyse est ici clairement soulevée. Mais cela témoigne néanmoins que la période 2000-2006 est une période charnière, à la suite de laquelle des évolutions fort diversifiées peuvent se produire. Si le SAGE, par son positionnement et le choix de sa stratégie de gestion de l'eau à long terme, ne peut au final qu'apporter une évolution favorable vis-à-vis des ressources en eau, il peut également contribuer au développement durable de l'ensemble de son territoire.
Conclusion
La Directive-cadre européenne sur l'eau (DCE) adoptée par le Parlement et le Conseil européens le 23 octobre 2000 inscrit la politique de l'eau dans des logiques de gestion à moyen / long terme et d'obligation de résultats afin d'atteindre le bon état écologique des eaux entre 2015 et 2027. Elle insuffle, d'abord et avant tout, une nouvelle dimension à la politique de l'eau en fixant des objectifs écologiques, une méthode de travail et des délais à respecter. Sa traduction dans la politique de l'eau en France se fait au niveau des SDAGE et des SAGE (voir l'encadré de la page associée : Politiques de l'eau en Europe et en France). Pour répondre à ces objectifs, à moyen ou à long terme, et pour être efficaces aux échelles locale (sous-bassins versant d'ordre 1ou 2) et globale (le bassin versant du SAGE dans son ensemble), les SAGE doivent être définis à la lumière d'une démarche prospective. Dans le cas du Blavet, l'approche méthodologique a consisté à réaliser des scénarios prospectifs à des échelles variées, celles du Blavet et de trois sous-bassins versants, qui se sont avérées complémentaires pour quantifier les changements futurs possibles, identifier les leviers d'action et les situations à éviter et pour élaborer diverses stratégies possibles de gestion de l'eau à long terme.
Bibliographie
>>> Lire aussi : Thomas Houet, « Mutations de l'agriculture et politiques de l’eau en région Bretagne », Géoconfluences, juin 2009.
Ressources bibliographiques
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Quelques ressources sitographiques
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> La directive-cadre européenne : www.ecologie.gouv.fr/-La-directive-cadre-.html
> La loi n° 2006-1772 du 30 décembre 2006 sur l'eau et milieux aquatiques (LEMA) :
www.ecologie.gouv.fr/-La-loi-no-2006-1772-du-30-decembre-.html
> Programme de maîtrise des pollutions d'origine agricole (PMPOA 2) :
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Autres ressources sur la directive cadre :
> le Cemagref : www.cemagref.fr/Informations/Actualites/Actu/directiveau/index.htm
> Synthèse de la législation européenne sur la protection et la gestion des eaux :
http://europa.eu/scadplus/leg/fr/s15005.htm
- Agence de l'eau Loire - Bretagne : www.eau-loire-bretagne.fr
> SDAGE et SAGE : www.eau-loire-bretagne.fr/sdage_et_sage
> Qualité des rivières dans le Morbihan entre 2003 et 2005 (dont le Blavet) :
www.eau-loire-bretagne.fr/informations_et_donnees/cartes_et_syntheses/cartes_lineaires/56F03-05.pdf
- Office national de l'eau et des milieux aquatiques (ONEMA) : www.onema.fr
- Bretagne Environnement (Dans le cadre de la mise en cohérence de la politique régionale en matière d'accès et de diffusion de l'information environnementale l'État et le conseil régional de Bretagne ont souhaité se doter d'un outil d'intérêt communautaire de diffusion et de valorisation des données environnementales concernant la Bretagne : le GIP Bretagne environnement) :
www.bretagne-environnement.org
> Eau Bretagne, observatoire de l'eau en Bretagne :
www.eaubretagne.fr/Quelles-actions/La-directive-cadre-sur-l-eau
> Réseau Cellule d'orientation régionale pour la protection des eaux contre les pesticides (Corpep) :
www.eaubretagne.fr/Media/Acteurs/Organismes/Corpep
- La région Bretagne, politique de l'eau :
www.bretagne.fr/internet/jcms/c_13208/contribuer-au-bon-etat-des-eaux
- DIREN Bretagne, rubrique eau : http://160.92.130.82/rubrique.php3?id_rubrique=2
- Par le réseau des sites ENS - Dgesco :
> Sciences de la Vie, L'eau et sa gestion,
www.snv.jussieu.fr/vie/dossiers/eau/eaugestion/eaugestion.html
et www.snv.jussieu.fr/vie/bib/dos-doc/1documents.htm
> une compilation transversale de ressources, réalisée en 2004
> Culture Sciences Chimie, Chimie et questions de société :
http://culturesciences.chimie.ens.fr/dossiers-chimie-societe-ind.html
Remerciements : Les auteurs tiennent à remercier l'Institution du SAGE Blavet, la Chambre d'Agriculture des Côtes d'Armor, la Communauté de Communes de Plouay, l'INRA et le CEMAGREF de Rennes pour la mise à disposition des données. Que l'ensemble des personnes ayant participées aux réunions préparatoires à l'élaboration des scénarios prospectifs soient également remerciées.
Thomas Houet, Laboratoire GEODE UMR 5602 CNRS
Jean-Baptiste Narcy et Xavier Poux, AScA – ENGREF RGTE
Édition web : Sylviane Tabarly, pour Géoconfluences le 30 juin 2009.
Habillage web revu par JBB en mars 2023.
Pour citer cet article :
Thomas Houet, Jean-Baptiste Narcy et Xavier Poux, « Apport d’une démarche prospective pour la gestion de l'eau du bassin versant du Blavet (Bretagne) », Géoconfluences, juin 2009.
https://geoconfluences.ens-lyon.fr/doc/transv/DevDur/DevdurScient10.htm