En finir avec le mythe des « procès du coq »

Publié le 28/11/2019

La presse se fait régulièrement l’écho de procès de voisinage entre néo-ruraux et « anciens ruraux » en particulier à propos de nuisances sonores (chant du coq, bruit des travaux agricoles…). Deux articles récents remettent en cause ce mythe selon lequel l’arrivée de nouveaux habitants dans l’espace rural ne peut qu’entraîner des conflits avec ceux qui y vivent déjà.

André Torre, « Coq Maurice et autres "bruits de la campagne", une vision fantasmée de la ruralité », The Conversation, 25 novembre 2019
Valentine Watrin, « Ruraux et urbains en campagne, pas en guerre », Libération, 28 août 2019.

Ces deux articles insistent sur plusieurs points. D’abord, si les conflits de voisinage sont en augmentation, on peut y voir une judiciarisation généralisée des rapports sociaux, davantage qu’une cohabitation difficile à la campagne, d’autant que le phénomène concerne autant les espaces périurbains. Ensuite, insister sur les plaintes des néoruraux est une manière d’essentialiser les catégories, comme s’ils étaient par essence des citadins et que les ruraux l’étaient, eux aussi, par essence. C'est également ne pas tenir compte des nombreux conflits de voisinage qui ne débouchent pas sur une procédure en justice, en ville comme à la campagne. Certes, la part plus importante de maisons individuelles et de propriétaires de leur logement, dans les espaces ruraux et périurbains par rapport aux pôles urbains, peut expliquer à la marge qu'une petite partie des conflits s'enveniment. Mais cela occulte les cohabitations pacifiques et les installations réussies. Finalement, l’intérêt porté aux très rares « procès pour cause de chant du coq » s’explique peut-être par l’image d’Épinal qu’ils véhiculent et qu’ils confortent sur les rapports des citadins à la campagne. Cette image est amusante mais elle ne rend pas compte des multiples modalités de cohabitation entre différents habitants du rural, qu’ils soient mobiles ou ancrés. Contrairement à ce qu'écrit Le Monde dans un article consacré au procès du coq Maurice, ces conflits de voisinage se sont donc pas le symbole d'une « ruralité menacée ».

Une bibliographie pour aller plus loin

Habiter l’espace rural

Le concept de mode d’habiter comme grille de lecture des mutations sociales : Nicole Mathieu, 2012, « Le mode d'habiter. À l'origine d'un concept », in A. Morel-Brochet et N. Ortar (dir.), La Fabrique des modes d'habiter. Hommes, lieux et milieux de vie, L'Harmattan, p.35-53.
Un article qui offre un appareillage théorique précis sur la question des attachements : Yannick Sencébé, 2011, « Multi(ples) appartenances en milieu rural », Informations sociales, vol. 164, n° 2, p. 36-42.
Une approche de l’habiter par les jeunes : Gambino Mélanie, « Pratiques de jeunes et participation à la vie locale : regards croisés France Irlande », Pour, 2011/4, n° 211, p. 177-185.

Qui sont les néo-ruraux ?

[mise à jour 2025] lire l'ouvrage de 64 pages de Gabrielle Saumon et Greta Tommasi, La néoruralité, recours à la campagne, presses universitaires Blaise Pascal.
Parmi les nombreux travaux sur les prémices du néoruralisme ancré dans un rapport renouvelé à la nature : Daniel Léger et Bertrand Hervieu, 1985, « La nature des néo-ruraux », in Alain Cadoret (dir.), Protection de la nature, Paris, L’Harmattan, p. 152-160.
Un dossier déjà ancien mais dont les constats restent actuels : Dossier Transrural : « Nouveaux arrivants, nouveaux habitants, nouveaux acteurs », Transrural n° 366, 23 septembre 2008.
Sur la question du décalage des attentes, un sondage ancien qui illustre l’antériorité du questionnement (et l’ambiguïté des catégorisations) : Ipsos, 2003, « Néo-ruraux : portrait des citadins venus s'installer à la campagne », Ipsos, 4 juin 2003.
Pour approcher la question des liens avec le développement local : Françoise Cognard, « Migrations d’agrément » et nouveaux habitants dans les moyennes montagnes françaises : de la recomposition sociale au développement territorial », Carnets de géographes [En ligne], 1 | 2010, mis en ligne le 01 octobre 2010.
Une monographie intéressante sur les mutations sociales d’un village méditerranéen : Jean-Pierre Le Goff, 2012, La fin du village : une histoire française, Gallimard, 592 p.

Cohabitations et liens entre habitants du rural

Sur les liens renouvelés entre les habitants et les agriculteurs : Vincent Banos et Jacqueline Candau, 2011, « Les agriculteurs, des voisins reconnus par les nouveaux résidents », Informations sociales, vol. 164, n° 2, p. 24-31.
Sur les incidences économiques : S. Michun (dir.), « Démographie et mutations économiques : les territoires en mouvement », dossier « Emploi, compétences et territoires » paru dans la revue Relief no.33, p. 11-21.
Dans sa thèse, Pierre-Marie Georges fait l’hypothèse que la cohabitation, longtemps considérée comme l’apanage des auteurs de l’urbain, est un nouveau statut de l’espace rural (le « rural traversé ») et une caractéristique de la ruralité. Ses travaux montrent que les logiques d’ancrage et de mobilité se superposent sans se contredire. Pierre-Marie Georges, Ancrage et circulation des pratiques artistiques en milieu rural : des dynamiquse culturelles qui redessinent les ruralités contemporaines. Thèse de géographie sous la direction de Claire Delfosse, Université de Lyon, 2017 [pdf]. Voir aussi : Pierre-Marie Georges. « Le Royans, une interface alpine à l’épreuve de nouvelles spatialités résidentielles : une territorialité traversée ? » Première Université d’Hiver Internationale du Labex ITEM, Janvier 2014, Sarcenas, France. ffhal-00952402f

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