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Les grands stades et l'aménagement du territoire, deux études de cas

Publié le 28/11/2011
Auteur(s) : Stéphane Merle, docteur en géographie, chercheur associé - université de Saint-Étienne
Sylviane Tabarly, professeure agrégée de géographie, responsable éditoriale de Géoconfluences de 2002 à 2012 - Dgesco et École normale supérieure de Lyon

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Au delà du clin d'œil rappelant l'importance de ce derby rhônalpin, ce sont deux visions de l'aménagement sportif qui s'opposent, plus que deux projets sportifs. En effet, le contexte de marchandisation du football marque fortement les deux clubs, certes depuis plus de temps du côté lyonnais (principalement à l'arrivée du président Aulas en 1987), plus tardivement du côté stéphanois (modifications des statuts en 1992 et en 2003, arrivée des présidents Caïazzo et Romeyer en 2004), mais ils s'inscrivent aujourd'hui dans la même tendance nationale de montée en puissance des acteurs privés. Le relatif affaiblissement des acteurs publics (collectivités locales marquées par leur endettement et/ou par leur prudence dans le financement du sport professionnel) et les limites de l'investissement de l'État dans l'organisation de l'Euro 2016 créent une situation commune d'opportunités mais les rapports public / privé sont très différents à Saint-Etienne et à Lyon.

Geoffroy-Guichard à Saint-Etienne, un stade rénové sur fonds publics

Le stade Geoffroy-Guichard de Saint-Etienne est un monument du sport local, un haut lieu sportif et patrimonial. La construction sociale et symbolique de cette patrimonialisation repose sur un processus ancré sur du long terme, depuis sa construction d'origine en 1931 (Merle, 2004) et rythmé en trois temps. La période du stade privé, patrimoine de la famille Guichard (Geoffroy Guichard est le fondateur en 1898 des magasins Casino dont le siège est à Saint-Etienne, son fils Pierre est le "président historique" du club) qui, des années 1930 aux années 1950, a fait passer l'Association sportive de Saint-Etienne (ASSE) d'un club corporatif multisports à un club professionnel de football et le stade G. Guichard de simple terrain de jeu à un grand stade de 30 000 places.

Les années 1960 aux années 1980 est le temps de l'affirmation du stade comme lieu emblématique du sport-spectacle, associant l'épopée sportive de l'ASSE et l'ambition de la municipalité stéphanoise désormais propriétaire du stade : c'est la construction du triptyque "un club, un stade, une ville" (Merle, 2005). Enfin, ces vingt-cinq dernières années, on assiste au décalage progressif entre réalité sportive et valorisation patrimoniale. Dans l'effacement d'une réalité socio-sportive (aller au stade et vibrer avec son équipe et ses victoires), l'imagerie du club populaire se fige, principalement autour de la vision idéelle du supportérisme, tandis que la collectivité gestionnaire (ville puis communauté d'agglomération depuis 2001) tentent de renouveler l'image de stade moderne gardant ses racines et son identité à travers l'organisation de grands événements sportifs : Euro 1984 et Mondial 1998 pour le football, Coupe du monde de rugby en 2007 (Merle, 2004).

Les évolutions du stade des années 1930 aux années 1980

 

De haut en bas, de gauche à droite :

  • le stade G. Guichard dans les années 1930 : une petite tribune de 800 places, une main courante, quelques centaines de spectateurs (source : AM Saint-Etienne, Icono 5Fi 6920),
  • dans les années 1950 : deux grandes tribunes, des gradins, un terrain multisports, des milliers de spectateurs (source : AM Saint-Etienne, Icono 7Fi 1400),
  • dans les années 1970 : quatre grande tribunes couvertes, des pylônes d'éclairage, un terrain de football proche des tribunes, 40 000 spectateurs (source inconnue),
  • dans les années 1980, le stade dans son environnement encore largement industriel : aciéries à gauche, site manufacture à droite, voies ferrées (source : AM Saint-Etienne Icono 2Fi1750).

Evolution de la capacité du stade : 1931 > 1 800 places ; 1935 > 5 000 ; 1938 > 15 000 ; 1957 > 30 000 ; 1968 > 39 570 ; Euro 1984 > 48 274, dont 22 200 assises ; rénovation coupe du Monde 1998 > 35 616 assises ; prévision nouveau stade 2014 > 40 000 assises.

Les photos ci-dessus donnent un aperçu illustré de l'ancrage progressif du stade dans l'histoire sportive locale mais aussi dans l'histoire des aménagements du quart Nord-Est de Saint-Etienne, très largement dédié à la pratique et au spectacle sportifs. Les deux premières illustrent la première période, les deux suivantes la seconde. L'image Google Earth ci-dessous, datant de 2006, montre le résultat de la dernière grande rénovation du stade pour le Mondial 1998, à laquelle il faut ajouter les travaux de valorisation et de mise aux normes pour l'accueil du Mondial de rugby en 2007. Plus précisément, la rénovation de 1998 concernait principalement les abords du stade, dans un quartier nord-est en pleine transformation du fait de l'implantation du technopole dans les années 1990 : libération d'espaces, création de parkings, d'une nouvelle boutique-cafétéria. Celle de 2007 était centrée sur le stade : il s'agissait surtout d'une mise aux normes internationales, le stade restant assimilé à un temple du football presque sanctuarisé, un stade vitrine pour Saint-Etienne [1]. Un des enjeux du projet de nouveau stade G. Guichard est de casser cette sanctuarisation, cette image de stade "à l'anglaise" (sans virage reliant les tribunes), surnommé "le Chaudron" depuis la grande épopée des Verts dans les années 1970, pour promouvoir un caractère durable mais aussi desgin (nouvelle toiture avec ses panneaux photovoltaïques), deux fers de lance de la communication stratégique de Saint-Etienne Métropole.

Le stade G. Guichard rénové dans son environnement urbain et institutionnel au cours de la décennie 2010

On peut distinguer le parc sportif en haut à gauche, d'anciennes usines en haut à droite, le technopôle en bas à droite, un pôle commercial en bas à gauche qui comporte : la boutique des Verts, une cafétéria, des concessionnaires automobiles, etc. Les accès se font désormais tout autour du stade.

GEarth.gif    Pour visualiser le site avec Google Earth (image ci-contre), le fichier .kmz et ses coordonnées : 45°27'38.00"N / 4°23'24.20"E

Pour une visualisation avec le Géoportail de l'IGN : www.geoportail.fr/index.do

Conception, réalisation : S. Merle

Ce stade rénové contient 35 600 places assises dont 18 loges et 1 200 places VIP dans la tribune principale. Il a été amputé d'environ 10 000 places par rapport aux années 1980, les kops (mot qui désigne les tribunes les plus animées des stades situées juste derrière les buts), tribunes populaires nord et sud, ayant perdu pour des raisons de sécurité et de confort leurs places debout. En termes de fréquentation, le public reste nombreux depuis une quinzaine d'années malgré de nombreuses désillusions sportives, dont des descentes en seconde division en 1984, 1996 et 2001. Cette relative stabilité de la fréquentation, au-delà des variations en fonction des résultats chaque saison, s'explique par au moins deux phénomènes : une politique commerciale plus agressive, inscrite dans la marchandisation progressive du football professionnel faisant du club une véritable entreprise de spectacle sportif, mais aussi des formes de supportérisme qui encouragent la fidélité, y compris à distance. Depuis les stratégies d'accueil du public propres au club initiées par le président Rocher dès la fin des années 1970 (vente par correspondance, réservation de places pour les industriels locaux, boutique des verts ouverte dès septembre 1977) jusqu'à la promotion d'accès au stade par des modes alternatifs à la voiture (co-voiturage, parking-relais et navettes) à la fin des années 2000, les associations de supporters valorisent la fréquentation et l'animation du stade. Le schéma ci-dessus à droite montre l'ensemble des acteurs et des forces qui soutiennent le développement de la popularité de l'ASSE.

Le supportérisme stéphanois organise depuis longtemps de longs déplacements à Saint-Etienne, beaucoup plus qu'à Marseille, le seul autre club français disposant de clubs de fans disséminés sur tout le territoire national, mais qui valorise surtout le supporter local (Lestrelin, 2010). Ce supportérisme à distance est géré par plusieurs associations de supporters : en tête la Fédération des associés supporters et ses quelques 12 000 membres dans 200 sections dont les cars traversent la France (documents ci-dessous), puis la fédération de l'Union des supporters stéphanois qui comporte une trentaine de sections mais aussi les deux groupes ultras Magic Fans et Green Angels. Avec son capital sympathie, en partie hérité de l'épopée sportive des années 1960-1970 (Merle, 2004), l'ASSE attire chaque année 1 million de supporters dans les stades, dont 55% à domicile, soit près de 30 000 spectateurs de moyenne (cf. L'Euro 2016, révélateur des enjeux de l'aménagement des grands stades en France).

Les sections de supporters de l'ASSE : un réseau à travers toute la France

Exemples de sections de supporters :

Malgré des résultats en dents de scie, le stade G. Guichard connaît un succès de fréquentation régulier, à nuancer par l'effritement de ces dernières années qui s'inscrit dans une tendance générale en France : le taux de remplissage moyen était de 83% de 2004 à 2008 contre 76% ces deux dernières saisons 2009/2010 et 2010/2011. En fait, le stade de Saint-Etienne manque de places populaires, les places en kop étant quasiment toutes prises par les abonnés et/ou par les groupes ultras. Le club et les supporters sont donc demandeurs d'un agrandissement du stade, face à une collectivité locale gestionnaire hésitante. En effet, dans les années 2000, le stade G. Guichard, seul équipement sportif transféré à l'échelon intercommunal et seul équipement prestigieux mais associé au passé de la ville, ne rentre plus dans la communication stratégique de Saint-Etienne Métropole, désormais centrée sur la culture (Zénith, salle des musiques actuelles, opéra-théâtre, patrimoine Le Corbusier à Firminy ...) et le design (cité du design sur le site de la Manufacture). Seuls quelques événements ponctuels, sportifs (matchs internationaux en football et rugby) ou non (concerts), assurent une mise en lumière du stade.

La perspective d'accueil de l'Euro 2016 couplée à une mise aux normes pour les matchs européens de l'ASSE pousse Saint-Etienne Métropole à adapter le stade aux contraintes de l'UEFA avec des travaux à prévoir dans le stade et aux alentours immédiats en termes de sécurité, de confort et de capacité portée à 40 000 places minimum [2]. La communauté d'agglomération gestionnaire saisit donc l'opportunité de moderniser le stade avec le soutien, comme pour l'Euro 1984 et le Mondial 1998, des échelons de gouvernance supérieurs (Conseil général, Conseil régional, État) dans un souci de maîtrise des dépenses municipales, défi majeur de la nouvelle municipalité socialiste depuis les élections de 2008 et les révélations sur les "emprunts toxiques" [3]). La rénovation du stade peut également renforcer l'image de dynamisme souhaité pour cet équipement vitrine et pour l'ensemble du quart Nord-Est en profonde mutation : surnommé à la fin des années 2000 la plaine des Parcs il est relié à l'ensemble Manufacture / Plaine-Achille qui comprend la Cité du design, le Zénith et des espaces publics en cours d'aménagement pour relier ces éléments (encadré ci-dessous). Bref, un atout local à valoriser, un patrimoine qui par sa modernisation, doit éviter la muséification qui se joue dans l'image de marque de Saint-Etienne par le sport, un patrimoine idéel qui tend à se figer dans le temps, entretenu par un fort courant nostalgique (Merle, 2005).

Le nouveau stade Geoffroy-Guichard dans le projet urbain stéphanois

En termes de localisation, le projet stéphanois de nouveau stade a, dans un premier temps, été associé aux dynamiques urbaines privilégiant la périphérie nord, au sud de la Plaine du Forez. Le premier site envisagé, ex-nihilo, était situé près de l'aéroport et de l'autoroute A72, à Andrézieux-Bouthéon, une commune périphérique dynamique de l'agglomération mais hors de la communauté d'agglomération issue de la construction des intercommunalités en région stéphanoise dans les années 1980-1990. Face aux incertitudes liées aux procédures d'aménagement dans cette zone périphérique convoitée et touchée par des projets routiers, mais aussi face à la crainte des élus stéphanois de perdre tous les grands équipements d'agglomération, les dirigeants de l'ASSE ont alors réfléchi à un nouveau site, sur la commune de Saint-Etienne : la zone de la Doa à l'entrée nord de la ville, à moins de deux km du stade actuel, une zone en attente d'aménagement depuis plus de vingt ans mais également dans l'incertitude, conservée par la ville pour une éventuelle extension du musée d'Art moderne.

Finalement, en 2009, c'est le site même du stade G. Guichard qui est envisagé pour une reconstruction totale in situ. Au cours de l'année 2010, le club se rallie au projet de rénovation piloté par la communauté d'agglomération, Saint-Etienne Métropole, gérant le stade actuel [4].

Document en .pdf.

Source : Ville de Saint-Etienne, www.saint-etienne.fr/.../projet-urbain

 

Le projet architectural retenu en 2010 est d'ailleurs en rupture avec l'image traditionnelle du stade stéphanois, celle du Chaudron et du stade "à l'anglaise". Trois géants du BTP avaient répondu à un appel à projet : Vinci avec un projet évolutif amplifiant l'effet chaudron sans trop modifier les kops ; Eiffage proposant un stade à l'anglaise laissant les angles ouverts ; Bouygues, plus ambitieux et plus coûteux pour un projet surnommé "le plateau de fromage". Le choix s'est porté sur l'entreprise Léon Grosse associée au cabinet d'architectes Chaix et Morel en faveur d'un compromis innovant pour un coût maitrisé : 58 millions d'euros contre 71 pour le projet Bouygues [5]. Les quatre tribunes sont transformées, rejointes par une seule toiture (documents ci-dessous) : loges et espaces VIP en tribune principale, balcons au dessus des kops. Deux fois 2 000 places supplémentaires sont ainsi créées pour un total de 40 000 places conformément aux exigences de l'UEFA. Mais surtout trois angles sur quatre sont fermés, le quatrième angle (sud-ouest), laissé libre dans un premier temps, serait disponible pour des locaux utiles au club : billetterie, musée.

Horizon 2016 : le futur Chaudron, entre mythe et modernité

Ce nouveau stade poursuit la rationalisation de l'aménagement des abords avec de nouveaux emplacements pour la sécurité, les médias ou la gestion des mobilités (piétonnes et automobiles). Dans le prolongement des travaux de 1998, il s'agit de limiter la place de la voiture à proximité du stade et de favoriser les déplacements piétons, cette fois tout autour du stade.

Source : Le nouveau Geoffroy-Guichard, Saint-Etienne Métropole, www.geoffroyguichard2016.com
> Le Chaudron, mag' du nouveau Geoffroy-Guichard, www.geoffroyguichard2016.com/.../1016

Il s'agit donc bien de valoriser un patrimoine et surtout de confirmer le statut d'équipement vitrine pour l'agglomération stéphanoise. Toutefois, face à l'image d'un stade G. Guichard reconnu comme stade mythique, la réalité de terrain ne correspond pas à la vision idéalisée d'un patrimoine commun, partagé de la même façon par les acteurs locaux. Dans le long processus d'élaboration du projet, les tensions ont été fortes entre la collectivité maître d'ouvrage et le club qui, du fait des procédures, s'est retrouvé écarté de la prise de décision. Cela peut se résumer dans la formule suivante : Geoffroy-Guichard est davantage le stade de l'agglomération que celui du club. Les dirigeants du club ont exprimé à plusieurs reprises leur mécontentement sur la manière dont ils ont été associés – trop peu, selon eux – à la consultation sur le projet. Ils ont même boycotté la présentation officielle de la rénovation du stade en octobre 2010, pour protester contre le fait d'être écartés du jury final constitué de six élus de Saint-Etienne Métropole [6].

De fait, le projet écarte plusieurs demandes du club, à savoir : le maintien du terrain annexe qui a été supprimé à cause du recul de 18 mètres par rapport aux tribunes imposé par l'UEFA ; la suppression des grilles entre la pelouse et les tribunes pour, entre autre, responsabiliser les supporters ; de nombreuses places VIP ; et surtout la création d'un musée évoqué depuis une quinzaine d'années à l'ASSE (Merle, 2004). Les critiques dont la presse locale s'est fait l'écho portaient aussi sur le parti-pris architectural (un angle laissé vide, sans tribune) et sur le volet financier ayant incité au choix du projet le plus économique. Sur le plan financier justement, les tensions portent sur l'augmentation de la redevance de la location du futur stade (avec un loyer fixe plus une partie variable, soit environ le triple de ce que l'ASSE paie aujourd'hui), alors que des demandes de revenus annexes (loges, musée, voire restaurant) n'ont pas été satisfaites.

Dans ces polémiques, c'est le projet de musée qui cristallise le débat, bien au-delà des seules considérations techniques : le club demande un espace de 800 m² digne de l'histoire et du palmarès du club (La Gazette des communes, 28 oct. 2010), comme pour rappeler l'attachement des élus stéphanois à ce patrimoine local. En effet, depuis plusieurs années, face à un football marchand assimilé à la "folie des grandeurs" et face à un club géré de plus en plus comme une entreprise de spectacle, la ville propriétaire et la communauté d'agglomération gestionnaire se posent en garantes des valeurs stéphanoises, voire en défenseures d'un patrimoine local comme le montre par exemple les réactions épidermiques à l'arrivée des nouveaux dirigeants et actionnaires (les co-présidents Caïazzo et Romeyer) à l'été 2004 lors de la remontée en Ligue 1, mais aussi en 2007 à l'annonce d'un projet de stade privé.

En effet, les dirigeants du club stéphanois, ambitieux et peut-être envieux des projets du voisin lyonnais (voir infra), se déclarent dès le milieu des années 2000 partisans de la construction d'un nouveau stade. En 2007 et en 2008, plusieurs annonces de l'ASSE évoquent un projet de nouveau stade de 50 000 places financé sur fonds privés, pour un coût estimé de 250 millions d'euros, mais intégrant des équipements assurant des revenus annexes. Le club argue le risque de voir le stade G. Guichard rénové cantonné au statut de stade de réserve pour l'Euro 2016 (voir L'Euro 2016, révélateur des enjeux de l'aménagement des grands stades en France [7]) face à un nouveau stade ultra-moderne, dans le top cinq français [8].

Finalement, au cours de l'année 2010, le club se rallie au projet de rénovation piloté par la communauté d'agglomération gérant le stade actuel : dans un contexte d'incertitude financière pour les clubs de football professionnel mais aussi d'incertitude sur le choix final des stades pour l'Euro 2016, les tensions s'apaisent. C'est alors un discours de consensus apparent qui se construit, d'intérêts concordants autour de l'idée phare d'un projet local, celui d'une ville de football, incontournable dans le paysage sportif français, au moment même où la FIFA annonce l'attribution du Mondial 2022 au Qatar, petit pays "déconnecté de la planète football" mais puissant économiquement et misant sur les grands événements sportifs pour asseoir son aura internationale. De plus, le pilotage par les seuls acteurs publics peut rendre le projet plus sûr que les montages complexes impliquant des acteurs privés et reposant sur des réalisations ex nihilo sur des sites controversés.

 

Notes

[1] Pour 1,8 million d'euros, le gestionnaire Saint-Etienne Métropole a fait installer 800 panneaux photovoltaïques, des écrans géants entre les tribunes Nord et Est ainsi qu'entre les tribunes Sud et Ouest, mais aussi poser une nouvelle pelouse, créer un nouveau système d'éclairage, réamanéger la billetterie et créer des locaux pour les stadiers, les entraîneurs et les kinés, évinçant ainsi les derniers locaux de supporters, ceux des Associés supporters pourtant très proches du club.

[2]  Il faut ajouter des problèmes techniques découverts en 2009 sur une des quatre tribunes (Henri Point, tribune déjà marquée par des soucis lors des travaux de rénovation en 1998), à savoir un enfoncement de quelques centimètres dû à l'instabilité du sous-sol minier.

[3] Le maire socialiste élu en 2008, Maurice Vincent, n'a de cesse de critiquer la gestion financière de l'ancienne municipalité de centre-droit, quant au choix de prêts risqués, à taux variables, que ce soit auprès de banques spécialisées dans les prêts aux collectivités locales comme Dexia, ou non. Voir : www.lefigaro.fr/flash-eco/2011/10/10/.../dexiaactifs-toxiques-un-maire-inquiet.php

[4]  Les principaux actionnaires du club rédigent un document mis en ligne sur le site Internet du club à l'été 2009, rappelant "Les avantages d'un stade neuf sur le site de Geoffroy-Guichard" (site mythique et historique de l'ASSE, stade moderne garantissant l'accueil de l'Euro 2016, augmentation de 10 000 places en tribune populaire favorisant "la présence au stade d'un plus grand nombre de supporters aux revenus modestes". Ils ajoutent : "Cependant, la construction d'un stade neuf sur le site de Geoffroy Guichard semble poser des problèmes financiers et techniques apparemment insurmontables pour Saint-Étienne Métropole. L'ASSE en tant que locataire n'a donc pas d'autre choix que d'accepter de la part du propriétaire Saint-Étienne Métropole, une rénovation de Geoffroy Guichard à 42 000 spectateurs." (www.asse.fr  du 2 juillet 2009).

[5]  Des trois dossiers rejetés, seul le projet Bouygues transforme profondément le stade, les deux autres gardant "une architecture respectueuse de l'âme de Geoffroy Guichard" (La Tribune - Le Progrès du 17 novembre 2010). Le choix s'est fait sur quatre critères : fonctionnalité, coût, qualité architecturale et calendrier.

[6]  Les tensions sont également purement politiques puisque le Conseil général de la Loire, financeur annoncé du projet mais d'un bord politique opposé à l'agglomération stéphanoise, boycotte également cette présentation dans un contexte d'incertitude sur la participation de l'État.

[7]  Outre les logiques marchandes et financières, le choix des sites retenus par la FFF dépend de logiques politiques et territoriales visant à privilégier les grandes métropoles et un équilibre spatial dans le territoire national, Saint-Etienne étant alors quasiment placée en situation de concurrence avec son voisin lyonnais.

[8] Quant à l'avenir du stade Geoffroy-Guichard, potentiellement abandonné, il serait mis à la disposition des équipes de jeunes mais surtout de l'équipe féminine (ex-RCSE, en pleine ascension). Il accueillerait en plus le projet de musée, dans les cartons depuis de nombreuses années, mais selon un projet architectural flou quant à la nouvelle définition des tribunes pourtant si importantes dans un stade (Mangin, 2001).

Bibliographie de référence

  • Charroin P. – 'Allez les Verts' ! De l'épopée au mythe : la mobilisation du public de l'ASSE, thèse de doctorat de sociologie, Université de Lyon, 394 p., 1994
  • Lestrelin L. – L'autre public des matchs de football. Sociologie des "supporters à distance" de l'Olympique de Marseille, éditions de l'Ecole des hautes études en sciences sociales (EHESS), 380 p., 2010
  • Mangin C. – "Les lieux du stade, modèle et médias géographiques", Mappemonde, vol.64, n°4, pp.36-40, 2001
  • Merle S. – "Le stade Geoffroy-Guichard de Saint-Etienne, un 'monument' du sport local ?'", Géocarrefour, vol. 79, n°3, pp.213-222, 2004, http://geocarrefour.revues.org/723 .
  • Merle S. – "Saint-Etienne : l'image de marque d'une ville par le sport", in Bouchet P. et Sobry C. (coord.), Management et marketing du sport : du local au global, Presses Universitaires du Septentrion, pp.143-166, 2005
  • Merle S. – Politiques et aménagements sportifs en région stéphanoise, L'Harmattan, 420 p., 2008

Sources et ressources web

 

OL Land à Lyon, un stade ex nihilo sur fonds privés

OL Land constitue le projet phare des grands stades en France, le seul totalement financé par le secteur privé, appuyé sur un seul club,  l'Olympique Lyonnais (OL), le plus riche du pays et le plus puissant sportivement jusqu'en 2009. Présidé depuis 1987 par l'entrepreneur Jean-Michel Aulas, selon une rare continuité dans le football professionnel français, ce club nourrit des ambitions fortes sur le plan sportif : il a conquis sept titres successifs de champion de France en Ligue 1 de 2002 à 2008 et il a atteint régulièrement les huitièmes de finale de la Ligue des Champions, la plus prestigieuse des coupes européennes, atteignant les quarts de finale en 2004, 2005 et 2006 et la demi-finale en 2010. Il suit clairement le modèle des grands clubs européens qui ont tous un grand stade mythique et sont souvent propriétaires de leur stade comme : le Bayern de Munich et les 70 000 places de l'Allianz Arena, le FC Barcelone et les 98 600 places du Camp Nou, le Real Madrid et les 80 000 du stade Santiago Bernabéu ou encore le Milan AC et les 83 000 places de San Siro.

C'est la puissance financière et médiatique du club qui doit permettre de financer le stade, par ses fonds propres mais surtout par diverses ressources disponibles liées à l'introduction en bourse d'OL Groupe, propriétaire du club (février 2007), à plusieurs emprunts et aux opérations commerciales de type naming. En fait, il s'agit surtout pour OL Groupe de diversifier ses revenus, le stade privé devenant le fer de lance de la marchandisation du football professionnel. Le stade lui-même est provisoirement appelé Stade des Lumières, dans l'attente du naming. Sa capacité prévue est d'environ 60 000 places, soit la même jauge que le Stade Vélodrome de Marseille, tel un reflet de la hiérarchie urbaine française : Paris/Saint-Denis avec le Stade de France de 80 000 places, Lyon et Marseille avec leurs stades de 60 000 places, Lille, Bordeaux ou Nice avec leurs futurs stades de 40 à 50 000 places. Cette grande capacité correspond à plusieurs types d'événements sportifs : bien évidemment pour l'OL les matchs de football du championnat de Ligue 1 et si possible de la Ligue des Champions, mais également de grands matchs internationaux de football, voire de rugby (Euro 2016, finale de la Ligue des Champions, équipe de France de football et de rugby). Enfin sont prévus, comme dans d'autres grands stades, des grands spectacles et des concerts, soit environ 35 événements par an.

Mais le Stade des Lumières est avant tout celui de l'OL. C'est pour OL Groupe un investissement financier de grande ampleur,  environ 450 millions d'euros, relatifs à sa taille et aux nouveaux canons des grands équipements collectifs : architecture innovante et de qualité environnementale grâce à un partenariat avec l'Ademe. Il doit être compensé par des revenus importants le jour des matchs, notamment grâce aux places VIP dont le nombre passe pour le club de 1 800 (maximum au stade Gerland) à environ 6 000, mais aussi en dehors du stade, presque au quotidien grâce aux autres équipements prévus dans l'enceinte d'OL Land (encadré ci-dessous).

L'OL Land : un projet de grande ampleur dans le contexte péri-urbain de l'est lyonnais

Étendu sur une surface d'environ de 45 ha, le projet du Grand stade est inscrit dans un vaste projet d'aménagement sportif, hybride entre le complexe sportif et le centre de loisirs multiusages, avec casino, bowling, cinéma, bureaux, commerces, voire résidences, comme à Munich, Bolton et Coventry.

L'enceinte du stade lui-même (1, plan de masse ci-contre en bas), d'une capacité de 58 000 spectateurs, intègrera également les bureaux du siège d'OL Groupe, la boutique OL Store, une salle des trophées et un musée ainsi que des espaces de restauration.

À côté du stade sont prévus : un parc sportif, centre de formation et d'entraînement pour le club professionnel OL (2) avec un ensemble de six terrains extérieurs ou couverts et des équipements annexes, salles médicale et de musculation ; des hôtels de deux ou trois étoiles (3) ; divers équipements de loisirs, dédiés au monde du football (centre de foot indoor) mais aussi destinés à un public familial et jeune à travers plusieurs ludo-sports, bowling, centre de fitness, karting, golf indoor, etc (4).

Il faut ajouter diverses opérations immobilières, résidentielles ou de bureaux avec amphithéâtre et salles de conférence (5), a priori limitées à une surface de 8 000 m², à proximité du stade.

Un parvis de 34 000 m² permettra d'accueillir certains événements et animations (6).

Eléments de repérages sur la miniature ci-dessus : (1) réservoir du Grand Large (2) habitat résidentiel, collectif et pavillonnaire, de Décines (3) les côtières de Miribel (4) V Vert Nord (Biézin) (5) la rocade Est (N 346)

Source : Grand Stade de l'Olympique Lyonnais, www.grandstadeol.com/projet/projet-amenagement

Les documents ci-dessus témoignent de l'ampleur des aménagements prévus pour ce grand stade et de l'attention donnée à l'unité architecturale et urbanistique. OL Groupe a ainsi mobilisé deux cabinets d'experts reconnus en Europe : les urbanistes Intens-cité (réalisation, entre autre, du village olympique pour les JO de Turin sur un ancien site industriel) et les architectes de l'atelier Populous (Emirates stadium d'Arsenal à Londres ou Estádio da Luz du Benfica à Lisbonne pour l'Euro 2004 au Portugal). Le stade est enfin censé répondre aux canons du développement durable, autour du tryptique "écologie-accessibilité-emploi" : la presse locale parle d'écostadium, notamment par les 22 000 m² de panneaux photovoltaïques sur les 60 000 m² de toiture, tandis que l'OL annonce la création de 2 000 emplois pendant la construction de l'enceinte puis de 800 postes pérennes a posteriori.

Le projet de stade ex nihilo s'inscrit dans la perspective de quitter Gerland, plus ancien grand stade français et à l'architecture prestigieuse, ancré dans une identité locale autour des œuvres de l'architecte Tony Garnier [1]. En effet, l'OL joue depuis sa naissance en 1950 dans ce grand stade municipal, construit entre 1913 et 1920 dans la perspective de grands événements mais aussi pour la simple éducation physique des masses (section sport et éducation physique de l'exposition internationale de Lyon en 1914), le seul grand stade inscrit, depuis le 4 octobre 1967, à l'inventaire des monuments historiques. D'abord agrandi, notamment pour l'Euro 1984 où il atteint 51 860 places, il est à nouveau sérieusement rénové pour le Mondial 1998 : pour des raisons de sécurité et de confort (passage aux places toutes assises, virages reconstruits plus proches du terrain donc plus petits), sa capacité est ainsi ramenée à 43 050 places. Quelques modifications mineures (nouvelles loges en 2005 et Mondial de rugby 2007) lui donnent une capacité de 41 840 places ce qui en fait le quatrième plus grand stade en France. Celle-ci est jugée insuffisante par l'OL : en effet, avec la réussite sportive du club, le stade de Gerland apparaît trop petit et les taux de remplissage frôlent les 100% [2].

D'autres choix, d'autres contraintes rendent le projet d'une nouvelle rénovation du stade Gerland compliqué : la volonté du groupe OL de disposer d'un stade privé, la privatisation de Gerland serait alors juridiquement complexe ; la présence de zones exposées au risque Seveso [3] ; enfin le statut patrimonial de Gerland qui limite son agrandissement à environ 50 000 places, sans toutes les normes de confort et de sécurité demandées par l'UEFA.

En revanche, le site de Gerland présente de nombreux avantages quant à l'implantation historique de l'OL et des terrains de sport en général (parc sportif depuis les années 1980), mais aussi quant aux dynamiques récentes de recomposition de cet espace péricentral [4]. Le projet d'OL Land supposant de laisser Gerland déserté, à la charge de la collectivité du Grand Lyon, la Communauté urbaine de Lyon (coût d'entretien estimé à environ 800 000 euros par an), d'autres usages du stade sont imaginés. Le principal est l'accueil en résidence du grand club de rugby local, le Lyon Olympique Universitaire (LOU), installé en pro D2 depuis 2002 et ambitionnant d'atteindre l'élite depuis sa montée en top 14 en 2011. Mais ce projet sportif est incertain, voire contesté, tout comme le réaménagement du stade de Gerland [5]. Le projet d'un grand stade privé et moderne cher au président Aulas l'a emporté sur la réflexion quant au devenir de l'ancien stade de Gerland. Ce qui supposait le choix d'un nouveau site et le rapprochement avec le président du Grand Lyon, Gérard Collomb, pour envisager un projet de développement sportif et urbanistique à l'échelle de l'agglomération lyonnaise. L'agenda du choix, puis de la confirmation du site va être long, voire embrouillé.

Pour simplifier, c'est en 2004 que Jean Michel Aulas annonce sa volonté d'avoir un stade de 60 000 places à Lyon. S'assurant le soutien des dirigeants politiques lyonnais dès 2005, non sans contestations (cf infra) et après quelques réticences du côté du maire et président du Grand Lyon, G. Collomb, le stade devient un véritable projet d'aménagement à l'échelle de l'agglomération lyonnaise. Les intérêts privés se rapprochent des intérêts publics pour le Grand Lyon, non seulement en termes d'image et de renommée internationale et européenne, mais également dans une logique de développement de la métropole lyonnaise, comme équipement vitrine voire comme levier économique : emploi, fiscalité, accélération des aménagements (cf. G. Collomb dans un dossier du Moniteur : "Cap à l'est pour l'OL Land", 18 janv. 2008). Étant entendu que le grand stade se ferait dans une commune du Grand Lyon, son soutien s'inscrit dans des stratégies anciennes de planification territoriale : le Schéma directeur de l'agglomération lyonnaise (SDAL) de 1992 se fixe comme objectif de "doter l'agglomération d'équipements et d'aménagements modernes pour les loisirs et les sports" (Cossoul, 2008).

Un grand stade à Lyon : sites examinés à partir de 2005 et critères de sélection

Source : Grands projets > Grand Est > Stade des Lumières. Secteur du Grand Montout - Décines, www.grandlyon.com/.../Grand_stade/.../accessibilite_synthese.pdf

Plusieurs sites ont été retenus entre 2005 et 2007. Celui du Puisoz à Vénissieux, appartenant au fond d'investissement américain Apollo a été longtemps débattu entre les acteurs concernés (OL, Apollo, Grand Lyon, mairie de Vénissieux, habitants) de 2005 à l'été 2006 [6]. Après son rejet, cinq autres sites sont alors étudiés (ainsi que Gerland), tous situés dans l'Est lyonnais, confirmant le potentiel de développement dans ce vaste secteur périphérique de l'agglomération. Ils seront également rejetés pour les principales raisons suivantes : Pusignan, à la limite de Meyzieu et de Pusignan, hors du périmètre du Grand Lyon et au foncier non maitrisé ; le Carré de soie, sur un ancien hippodrome, à l'assiette foncière insuffisante et difficilement inscrit dans le projet d'aménagement global du site ; la Porte des Alpes à Saint-Priest, à l'assiette foncière également insuffisante et incompatible avec le contexte urbain de la porte des Alpes ; Eurexpo sud, toujours à Saint-Priest, en contradiction avec la présence de l'aéroport de Bron ainsi qu'avec les perspectives d'extension d'Eurexpo ; enfin la ZAC des Gaulnes à Meyzieu / Jonage, là encore incompatible avec le site.

Finalement la décision sera prise en 2007, quasi sans concertation avec les élus locaux, d'implanter OL Land à Décines-Charpieu dans l'Est lyonnais, sur le site du Montout, rebaptisé Grand Montout. Ce site de Décines, étendu sur 45 ha, est imaginé comme un nouveau lieu de vie et d'animation dans l'Est lyonnais (encadré ci-dessous). À côté du stade est prévu un immense parvis de 34 000 m² et, en vis-à-vis, un mail constitué de divers grands espaces verts plantés. L'ensemble du site avec ses nouvelles dessertes (cf. infra) doit devenir, à moyen terme, un "pôle de développement emblématique offrant une mixité de fonctions urbaines" dont le nouveau stade "est le levier de la mutation" (source : www.grandlyon.com). Pourtant, sans détailler l'ensemble des procédures sur la question du stade mais surtout de ses accès, le choix de ce site repose sur un enchaînement de procédures administratives nécessaires à la délivrance des autorisations d'urbanisme et à la réalisation des constructions, complexifiés par les rapports de force entre acteurs, élus et associations d'habitants en tête.

Le projet de grand stade à Décines-Charpieu dans son contexte péri-urbain

En tiretés rouges sur l'image : la zone de développement économique prévue dans le PLU de Décines en 2005

GEarth.gif    Pour visualiser le site avec Google Earth, le fichier .kmz et ses coordonnées : 45°45'52.36"N / 4°58'53.20"E

 

 

Pour une visualisation avec le Géoportail de l'IGN : www.geoportail.fr/index.do

Relayant les acteurs privés d'OL Groupe, les décideurs du Grand Lyon présentent le projet OL Land en septembre 2007 à Décines, devant une salle comble mais largement opposée à l'idée de voir un grand stade s'implanter dans le voisinage. Or l'OL veut aller vite pour que le stade ouvre ses portes en 2010 ou 2011. Or la concertation s'ouvre en pleine période électorale, celle des élections municipales de mars 2008, elle se poursuit très difficilement, avançant à petit pas (Cossoul, 2008). La politisation du dossier, à l'échelle du Grand Lyon, atteint les divers niveaux de collectivité et l'État puisque le stade est censé bénéficier d'un caractère d'intérêt général dans le cadre de l'Euro 2016 (voir l'article associé).

Les tensions sur ce dispositif législatif sont importantes depuis 2009 et les premiers débats ont le lieu dans le cadre du Plan de relance [7]. Ce n'est que le 23 mai 2011 que le projet OL Land – officiellement "le Grand Stade de l'Olympique Lyonnais, situé sur la commune de Décines-Charpieu (Rhône), et ses équipements connexes" – est inscrit sur la liste dans l'arrêté relatif à la reconnaissance d'intérêt général des enceintes sportives [8]. Les enquêtes publiques réglementaires sont alors lancées simultanément entre le 14 juin et le 18 juillet 2011 par les quatre maîtres d'ouvrage : Grand Lyon, Sytral, État, OL. En octobre 2011, 8 commissions d'enquête sur 9 ont rendu leur rapport dans lequel elles donnent un avis favorable, tandis que la neuvième commission, portant sur le permis de construire, doit rendre son rapport d'ici fin 2011 pour lancer les étapes suivantes jusqu'à la livraison du stade à l'été 2014 (document ci-contre). Les huit premiers rapports d'enquêtes portent respectivement sur : la révision du Plan Local d'Urbanisme (Grand Lyon) ; les aménagements de desserte du futur stade ; les projets de parking et des accès Nord et Sud, portés par le Grand Lyon ; le projet d'extension de T3 vers le stade, porté par le Sytral ; le projet de complément de l'échangeur 7, porté par l'État ; les 2 dossiers "loi sur l'eau" portés respectivement par le Grand Lyon et l'OL.
Schéma d'articulation des différentes procédures

Les prochaines procédures : en décembre 2011 l'approbation du Plan local d'urbanisme et la déclaration des projets d'accessibilité au Conseil Communautaire ; puis en janvier 2012 l'obtention des Déclarations d'utilité publique (DUP) pour les projets d'accessibilité et la délivrance du permis de construire pour le stade avant le début des travaux prévu au second trimestre 2012.

En définitive , le principal point de tension dans ce dossier du grand stade à Décines est celui du financement des accès, dont le coût est estimé à 180 millions d'euros au minimum, porté à 350 millions d'euros au maximum en tenant compte des routes adjacentes à celles directement concernées, alors que jusqu'à 2011 une collectivité locale ne pouvait financer les voies d'accès à un stade privé (routes, bretelles d'autoroutes) : c'est la déclaration d'intérêt général telle que prévue dans la loi du 22 juillet 2009 qui a changé la règle du jeu. Face au retard du décret relatif à l''intérêt général, dans l'attente du lancement des enquêtes publiques, de nombreux opposants au grand stade se sont mobilisés en associations dès le milieu des années 2000 et la presse témoigne d'un débat devenu houleux (Le Progrès, Lyon Plus, Lyon Capitale, LyonMag, EntrepriseLyon, Lyon-info, Libé Lyon, 20 minutes, Rue89 Lyon : voir les ressources web infra) en se faisant le relais des différents acteurs concernés. Sur la période 2010-11, une cinquante d'articles conséquents ont été recensés et analysés, une trentaine sur la période 2007-09. On ne compte plus les associations opposées au projet dont on peut proposer une typologie : à tendance écologiste (Association pour le développement durable de l'Est lyonnais / Addel, Chassieu environnement) ; centrées sur les questions des transports (Déplacements citoyens – Se déplacer autrement sur la région lyonnaise / Darly – ou encore Lyon tramway) ; de défense des intérêts locaux rappelant le processus Nimby (Carton rouge, née dès 2006 à l'annonce du possible site de Décines, ou l'Union des Commerçants et Artisans de Décines) ; dénonçant le coût du projet pour les contribuables, telle la Canol [9]. Certaines associations se montrent très actives, elles peuvent produire des rapports argumentés. Elles tentent surtout de se retrouver sur quelques arguments clés (la congestion des transports, l'option Gerland, etc.), notamment pour trouver l'appui de personnalités politiques, telle une ébauche de lobby. Ainsi, les arguments de l'association Carton rouge, une des plus active contre le grand stade de Décines, sont repris par le député communiste André Gérin (maire de Vénissieux de 1985 à 2009), qui soutient depuis 2007 le projet de stade rénové à Gerland. De même, des "connexions" socio-politiques s'exercent autour de quelques personnalités à la croisée de plusieurs intérêts : Jean Murard, président de l'association Déplacements Citoyens, est ainsi membre du collectif Les Gones pour Gerland, un groupe de supporters très attachés à Gerland, à l'identité traditionnelle du club.

Toutefois, il ne faut pas oublier les associations qui défendent le projet dont la majorité des groupes de supporters (ou d'autres associations comme Tous ensembles pour le grand stade ou J'aime ma ville). La consultation lancée par les enquêtes publiques de l'été 2011 a rappelé le poids des partisans du grand stade : dans le rapport sur la révision du Plan local d'urbanisme (PLU [10]), 54,9% des avis exprimés sont pour le projet (Le Progrès, 23 octobre 2011, document ci-contre). Les avis négatifs ne sont majoritaires qu'à Chassieu, commune limitrophe du projet et à Lyon dans une moindre mesure. Même à Décines ou à Meyzieu (commune limitrophe tenue par l'UMP Michel Forissier), plusieurs pétitions (700 à 1000 signataires dans chaque commune) font pencher la balance en faveur des partisans, grâce aux réseaux du groupe OL mais aussi aux élus de la gauche socialiste majoritaires au Grand Lyon.

www.leprogres.fr//enquetes-publiques

Sur un plan politique, l'opposition s'exprime d'une part chez les écologistes pourtant directement associés à la gouvernance du Grand Lyon (à l'image d'Etienne Tête, adjoint au maire de Lyon et conseiller régional, principal opposant au projet dénonçant le "foot business"), d'autre part de manière plus forte chez les élus UMP (principalement Michel Forissier, cf. supra [11]), Philippe Meunier, député de la XIIIe circonscription du Rhône, sans oublier le président du groupe UMP au Grand Lyon François-Noêl Buffet, notamment lorsque s'expriment par ailleurs au niveau national des réticences sur le projet. Les tensions ont été très fortes au début de l'année 2011 entre C. Jouanno, ministre des Sports, et G. Collomb, président socialiste du Grand Lyon, avant la parution du décret du 23 mai 2011. L'opposition politique est plus forte dans l'Est lyonnais, plus directement concerné par le grand stade, à tel point que le maire de Chassieu, Alain Darlay, pourtant socialiste, se range du côté des opposants pour contester son impact [12].

Les études de faisabilité du projet commandées par le Grand Lyon se sont efforcées de répondre aux critiques et de communiquer en direction d'un large public. Par exemple, pour répondre aux questions d'accessibilité au site les soirs de match, sur les problèmes de sécurité,  de fluidité de circulation, de respect des riverains et de développement durable (modes de transports doux), un schéma global d'accessibilité a été élaboré par les services publics locaux et de l'État [13]. L'idée est de privilégier la part de spectateurs, deux tiers, arrivant au stade en transport en commun (document ci-dessous).

Bassins des spectateurs et schéma d'accessibilité au grand stade

Document ci-contre : les fichiers de l'OL montrent une progression des spectateurs provenant de l'Ain et de l'Isère, ceux du Grand Lyon stagnent.

Sources : Grands projets > Grand Est > Stade des Lumières. Secteur du Grand Montout, Décines, www.grandlyon.com/.../Grand_stade/.../accessibilite_synthese.pdf
Direction départementale des territoires du Rhône, “Desserte du grand stade de Lyon”

Le schéma d'accessibilité (ci-dessus à droite) dépend des déplacements générés par les équipements, infrastructures de transports en tête, mais aussi par les activités sur le site à l'horizon 2020. Il atteste du choix de limiter le stationnement sur le site même du grand stade : 6 700 places seulement sont prévues sur le parking in situ et plus d'un tiers (2 550) seront en sous-sol sous le parvis pour confirmer le poids dédiés aux modes doux, cyclistes ou piétons. Les transports en commun seront privilégiés : tramway en liaison directe (ligne T3) depuis la Part Dieu, le Carré de Soie et la ZI Meyzieu, la ligne T2 serait prolongée par une ligne de bus en site propre (voire une future ligne de tram connectée à T3) ; des navettes (bus et tram en site propre) prévues depuis les parkings-relais extérieurs au site (environ 5 000 places à Eurexpo et 4 000 au parking des Panettes à Meyzieu) doivent permettre à plus de 25 000 personnes de se garer et de se rendre au stade en 10 mn.

Le dossier d'aménagement du grand stade affiche ses politiques de "développement durable" en termes d'écologie (biodiversité, respect des zones protégées et des corridors verts), de normes environnementales (qualité des bâtiments), d'insertion paysagère, etc. La création d'espaces refuges pour certaines espèces animales et une gestion différenciée des espaces assurant le maintien de la diversité écologique laisseraient même penser qu'un grand équipement sur 45 hectares en périphérie lyonnaise se ferait dans le respect de la nature. Les maîtres d'ouvrage ont fait appel à un cabinet d'architectes-urbanistes lyonnais, Buffi et associés, pour réfléchir à l'agencement de ces espaces, présenté comme la continuité d'un V vert (document ci-dessous à gauche).

Aspects environnementaux et développement de l'Est lyonnais

Au nord du site du Montout, les potentialités écologiques sont soulignées par la présence du bassin de Miribel-Jonage (ZNIEFF II) et du bassin du Grand large (ZNIEFF I) et l'Espace naturel sensible (ENS) intitulé "V Vert branche Nord", s'étend au sud du site du Montout.

Sources :

En conclusion, le projet de grand stade ou OL Land apparaît comme un projet d'aménagement sportif controversé, principalement sur la question du site retenu et des impacts d'un tel équipement en matière d'accessibilité surtout. Mais au delà du stade ex nihilo dont l'implantation en périphérie dynamique de l'agglomération lyonnaise est porteuse d'enjeux, le statut de stade privé, essentiellement financé par l'OL Groupe, pose question. Si le consensus politique se renforce depuis l'année 2011, y compris sur les investissements publics à prévoir, la capacité de financement du stade et des équipements annexes, trois fois plus coûteux, est incertaine dans un contexte économique difficile.

Si le partenariat du groupe OL avec le groupe de BTP Vinci, signé à l'été 2011 pour la construction du stade, permet d'apporter environ 100 millions d'euros, les autres apports posent question, que ce soit les recettes classiques (droits de retransmission, billetterie, marchandisage qui rapportent moins avec une baisse des performances de l'OL depuis 2009), la levée de fonds en bourse ou le naming. Un cercle vicieux entre plan sportif et plan financier est envisageable : moins d'argent, moins de recrutement prestigieux, moins de résultats, moins de droits TV – en 2010/11, saison décevante sportivement, les recettes de billetterie et de droits de retransmission TV ont baissé de 13% –, etc. Ce qui pourrait remettre en question l'équilibre entre investissement privé et investissement public. Le débat autour de ce projet peut être récurrent d'ici l'Euro 2016 dans un contexte d'austérité accrue des finances publiques.

Grand stade à Décines : synthèse des opérations d'aménagement à réaliser

Notes

[1] Tony Garnier a été l'architecte-urbaniste est chargé par E. Herriot, maire de Lyon à partir de 1905, de moderniser la ville par de grands travaux (inscrits dans la lignée des utopies socialistes) : grande halle et stade à Gerland, mais aussi hôpital et quartier des États-Unis dans l'Est lyonnais.

[2] Pour la saison 2005/2006 par exemple, le taux de remplissage réel, hors secteur visiteurs, était de 96,11% en Ligue 1 et de 100% en Champions League avec 14 matchs à guichets fermés toutes compétitions confondues. Depuis, le taux de remplissage dépasse les 90% en Ligue 1, sauf pour les deux dernières saisons 2009/2010 et 2010/2011 où il est compris entre 85 et 90%. Source : LFP.

[3] Sur les questions du risque industriel dans l'agglomération lyonnaise :

- Jacques Donze - Les bassins du risque industriel : l'exemple de la vallée du Rhône (mai 2005, révision mars 2011), http://geoconfluences.ens-lyon.fr/doc/transv/Risque/RisqueScient3.htm

[4] Depuis les années 1990, la reconversion du site s'est accélérée avec l'aménagement de la Halle Tony Garnier, liée d'abord au départ des abattoirs vers Corbas en 1967 avant le démantèlement du site alentour et son inscription à l'inventaire des Monuments historiques en 1975, puis sa rénovation à partir de 1988. Suivent une nouvelle rénovation en 1999, l'arrivée du métro (2001) puis du tramway, du pôle de santé et d'enseignement supérieur, etc.

[5] D'une part, le LOU peut s'installer à Gerland s'il reste durablement en top 14 et s'il attire un public suffisant. Il y avait en France une moyenne de 5 000 spectateurs par match dans les années 2000 en pro D2 (contre 10 à 12 000 spectateurs pour le top 14). Mais la dernière saison, couronnée d'une montée dans l'élite, a vu deux matches délocalisés à Gerland avec 30 800 spectateurs (le 10 octobre 2010 contre Grenoble), puis 37 000 (le 17 avril 2011 contre Oyonnax). D'autre part, les travaux pour réduire la configuration d'accueil des spectateurs (capacité ramenée à 20 ou 30 000 places, à un niveau raisonnable pour le LOU) n'ont pas fait l'objet d'études complètes, techniques et financières.

[6] Le site de Puisoz à Vénissieux a été critiqué à cause de sa superficie jugée insuffisante pour accueillir un projet comme celui de l'OL, mais, bien desservi en transports en commun avec le métro et le projet de tramway reliant Lyon à Vénissieux ainsi que par la voiture grâce au boulevard périphérique et à l'A43 très proche, il avait beaucoup d'atouts et le soutien de G. Collomb.

[7] Le Plan de relance se voulait une réponse à la crise économique de 2008-2009. Début 2009, les parlementaires ont rejeté l'amendement qui prévoyait de reconnaître le caractère d'équipement d'intérêt général au grand stade de Lyon dans la mesure où c'était une importante dérogation au droit commun. Cette reconnaissance est repoussée en 2010 puis en 2011 avec la loi Depierre après plusieurs rebondissements.  La publication de l'arrêté doit attendre la loi Depierre du 8 mars 2011 pour être effective, le 23 mai 2011 : le gouvernement a longtemps estimé que le classement d'intérêt général pourrait influencer les enquêtes publiques en rendant le projet incontournable.

[8] JORF n°0126 du 31 mai 2011, arrêté du 23 mai 2011 relatif à la reconnaissance d'intérêt général des enceintes sportives, www.legifrance.gouv.fr/affichTexte.do?cidTexte=JORFTEXT000024096048 ]

[9] La Canol est une association de contribuables qui a pour objet "l'information et la défense des contribuables du département du Rhône, en matière de dépenses des collectivités territoriales et de fiscalité locale" (www.canol.fr). Très active en matière de dénonciation des dérives dans l'utilisation de l'argent public, elle souligne régulièrement dans la presse locale et dans plusieurs blogs qu'un stade de 60 000 places correspond à une demande ponctuelle. Elle dénonce de manière plus générale les folies financières du football professionnel et les confusions entre intérêts publics et intérêts privés. Elle se fait l'écho de différentes associations actives sur les thèmes de l'aménagement du territoire, des modes de déplacements alternatifs aux moyens de transports individuels et/ou de marchandises par la route, www.canol.fr/canolpresentatio/synth-se-longue-protocole.mars09.pdf.

[10] Cf le rapport d'enquête publique pour la révision du zonage du Plan local d'urbanisme sur la commune de Décines-Charpieu, site de Montout, www.grandlyon.com/.../PLU/...enquetepublique_conclusions.pdf .

[11] Michel Forisier (maire UMP de Meyzieu), dans l'article de Paul Terra intitulé "Encore une bonne nouvelle pour le Grand Stade !" (www.lyon-capitale.fr mis en ligne le 18 octobre 2011) déclare : "Ma position n'a pas changé malgré ces avis favorables. Les commissaires-enquêteurs ne rendent pas le projet faisable, ils donnent juste un argument aux porteurs du projet. Mais ce ne sont pas eux qui vont donner à l'équipement sa capacité de fonctionner. Il y a toujours une erreur de positionnement du stade et un plan d'accessibilité qui n'est pas à la hauteur. L'agglomération a déjà fait, dans le passé une erreur de ce type, en faisant passer l'autoroute Paris-Marseille dans la ville de Lyon, là, nous reproduisons un projet de ce type. Les équipements existants sont déjà saturés et ce n'est pas deux tramways qui vont résoudre le problème". M. Forissier est d'ailleurs surnommé "l'irréductible de l'Est lyonnais" dans ce même article.

[12] Les autres groupes politiques, de gauche et du centre, se montrent assez réticents, au moins dubitatifs quant à la faisabilité totale du projet de grand stade privé (capacité financière, desserte) : citons les élus du groupe Lyon Démocrates autour de Christophe Geourjon (conseiller municipal à Lyon) et les élus du groupe Radical autour de Baptiste Dumas (conseiller municipal à Villeurbanne).

[13] Le schéma d'accessibilité est consultable à l'url : www.grandstadeol.com/IMG//pdf/12bis-Accessibilite_Grand_Stade.pdf. Sa version actualisée en octobre 2010 à l'adresse suivante : www.grandstadeol.com/.../synthese%20accessibilite.pdf.

Sources et ressources web

 

pour Géoconfluences, le 28 novembre 2011

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Pour citer cet article :  

Stéphane Merle et Sylviane Tabarly, « Les grands stades et l'aménagement du territoire, deux études de cas », Géoconfluences, novembre 2011.
https://geoconfluences.ens-lyon.fr/doc/territ/FranceMut/FranceMutDoc16.htm