Les pays ont dix ans ... retour sur expérience

Publié le 18/07/2005
Auteur(s) : Emmanuelle Bonerandi - université de Lyon, ENS de Lyon

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Avec 251 pays reconnus et 90 en projet au 1er janvier 2005, les pays* (les * de ce texte renvoient au glossaire) sont au cœur des démarches de développement territorial. En 1995, la Loi d'orientation pour l'aménagement et le développement du territoire (LOADT, dite "loi Pasqua") introduit dans la législation la notion de pays et invite les territoires à l'expérimentation.

En 1999, la Loi d'orientation pour l'aménagement et le développement durable du territoire (LOADDT, dite "loi Voynet") consacre le développement durable* comme priorité d'aménagement des territoires, et les pays comme espaces de fédération des acteurs publics et privés autour d'un projet et d'un contrat. Enfin, en 2003, la Loi Urbanisme et Habitat simplifie les procédures d'organisation et de reconnaissance des pays.

La DATAR (Délégation à l'aménagement du territoire et à l'action régionale) définit le pays comme "un territoire regroupant plusieurs intercommunalités, le plus souvent à l'échelle d'un bassin d'emploi, rassemblant un pôle urbain et son hinterland rural ou bien constitué d'un réseau de petites villes et de centres bourgs, auquel la géographie, l'histoire, ou la vie économique donnent sa cohérence. Bref, un territoire qui correspond à l'espace de vie de ses habitants pour leur résidence, leur travail, l'accès aux services et leurs pratiques de loisirs. Le pays tire sa légitimité du projet de développement durable, élaboré de manière collective par ses élus en association avec la société civile, et formalisé dans une "Charte de pays" (source : site internet www.DATAR .gouv.fr > dossier pays).

La loi intronisant les pays "nouvelle génération" fête ses dix ans d'existence. Même si l'on observe des évolutions au fil des législations successives, la mise en œuvre d'une structure territoriale nouvelle d'aménagement permet d'interroger plusieurs aspects essentiels de la politique française d'aménagement du territoire* :

Les pays au 15 janvier 2005

Source : Entreprises territoires développement (ETD)

1) Comme les constructions territoriales intercommunales (communautés de communes, communautés d'agglomération), les pays ont participé à l'évolution récente des objectifs assignés à la politique d'aménagement du territoire (Leurquin, 2002). Historiquement, l'aménagement du territoire est passé d'une politique d'équipement et de modernisation (années 1950-60) à une politique de développement local (années 1970-80) qui a évolué vers une politique de développement durable (années 1990, et surtout 2000).

2) La politique des pays permet de penser l'évolution des rapports entre l'État et les collectivités territoriales dont le rôle est devenu central suite aux lois de décentralisation du début des années 1980, à commencer par la Région dans le cadre de la contractualisation.

3) Le pays s'inscrit dans la montée en puissance de nouveaux acteurs, de nouvelles attentes et de nouvelles revendications de la société civile. Ce mouvement général se traduit par le développement de la démocratie représentative qui donne la parole et ouvre le débat public aux acteurs du territoire au sens large, qu'ils relèvent de la sphère associative, économique, sociale, ou qu'ils soient simples habitants. Cette volonté de participation élargie trouve sa réalité locale dans la mise en place du conseil de développement du pays et dans la participation de ces "nouveaux" acteurs à la définition de la Charte de pays.

4) Enfin, le pays se définit avant tout comme un territoire de projet*, et qui dit territoire dit limites, découpages, thèmes chers aux géographes. La politique des pays prend place dans le chantier de la recomposition territoriale à la française, qui tente de simplifier et de moderniser les structures en dépassant l'émiettement communal (Vanier, 2002).

 

Les pays, une histoire ancienne

"[le pays est] un mythe mobilisateur qui retrouve des réalités enracinées : un vieux concept pour une nouvelle politique"

Jean-Louis Guigou, 1995, Une ambition pour le territoire : aménager l'espace et le temps, Paris, Éditions de l'Aube, 136 p. (p. 99).

Le "retour des pays"

Le terme de pays n'est pas nouveau, en géographie comme en aménagement du territoire. On pourrait même remonter à la distinction entre pays d'État et pays d'élection de l'Ancien Régime. Il est communément utilisé pour nommer un petit territoire, à l'échelle d'un canton ou d'une intercommunalité, en se référant le plus souvent au nom de la commune principale : le pays dans ce cas est synonyme de proximité géographique. Il peut aussi désigner des territoires plus vastes et plus identitaires, marqués par une histoire et une culture communes (le pays Basque, le pays Bigouden, le pays d'Auge…). Enfin, la notion de pays peut renvoyer à une forme d'organisation locale, témoignant d'une volonté des acteurs de travailler ensemble au développement d'un territoire (le pays comme outil du développement local). Ainsi, dans les années 1970, des Contrats de pays* avaient été conclus notamment entre les établissements publics régionaux et des territoires de taille variable.

Pays de géographes

Au début du siècle, les géographes ont longuement disserté sur les délimitations des espaces infra-régionaux. Les géographes vidaliens ont été les premiers à identifier dans les pays des réalités sociales attachées à la proximité. Ils en ont fait la grille de lecture de la localité rurale dans le territoire national (Bleton-Ruget, 2002). En 1908, Lucien Gallois définit les pays comme des entités homogènes identifiées soit par un cadre naturel (la Crau, les vallées vosgiennes) dans lequel s'organise et évolue la vie sociale et économique d'une communauté de peuplement, soit par une association de traits dans un rapport homme-milieu dominé par l'organisation de la vie rurale (la Beauce, le pays de Caux). La pérennisation de leur nom renvoie à des sentiments populaires d'appartenance à un territoire, confortés par la proximité et un vécu partagé. En dérivent des "territoires de patrimoine", des "empreintes paysagères" des activités liées aux ressources locales que font revivre les productions de terroir (Nonn, 1996).

L'inflation législative de la fin des années 1990 a entraîné la tenue de colloques sur le "retour des pays" et la publication de nombreux articles, faisant la preuve du maintien de l'intérêt des géographes pour le terme, même si, dorénavant, les pays des géographes s'entendent également, et peut-être avant tout, dans leur dimension aménagiste et territoriale. Ainsi, pour n'en citer que deux, le géographe nantais Jean Renard, dans un souci de différenciation spatiale, définit le pays comme "un espace ayant des attributs différents de ses espaces voisins, dans lequel les différents éléments s'imbriquent pour constituer une structure originale" (Renard, 1995). Pour son collègue rennais Paul Houée, fervent militant du développement local, il s'agit d'"un espace d'interdépendance ville-campagne, s'organisant en territoire de projet et de solidarité … autour d'un pôle socio-économique et d'un réseau d'acteurs ayant une convergence suffisante d'activités et d'intérêts pour concevoir, faire reconnaître et réaliser un projet global de développement", (Houée, 1994).

Pays d'aménageurs : de Vichy aux Contrats de pays

La LOADT de 1995 est présentée comme un retour de la structure territoriale du pays dans l'aménagement et le développement du territoire. On associe généralement ce retour à la politique des Contrats de pays mise en œuvre en 1975 dans un contexte d'émergence du développement local et des procédures contractualisées. Cependant, on pourrait remonter quelques décennies en arrière, dans la période encore assez peu étudiée mais néanmoins fondatrice de la France de Vichy. Ainsi, dans une étude publiée en 1944 par la Délégation générale à l'équipement national, et intitulée, Sur la politique agricole et rurale de la France, orientations à retenir pour le Plan d'Équipement, Robert Préaud, secrétaire général du ministère de l'Agriculture, fait du pays comme bassin de vie et des petites villes qui les animent un des fondements de la structuration de l'espace rural. Le modèle spatial polarisé est déjà promu comme modalité d'équipement et d'aménagement des campagnes, afin d'éviter leur dévitalisation.

Complément 1. Sur la politique agricole et rurale de la France, orientations à retenir pour le Plan d'équipement - Robert Préaud - Délégation générale à l'équipement national - 1944

Les pays font de nouveau leur apparition en 1975 dans le cadre des Contrats de pays définis par la DATAR . Poursuivant trois objectifs principaux (la lutte contre le dépeuplement rural, la recherche de solutions adaptées aux caractéristiques spécifiques de chaque petite région rurale et le renforcement des solidarités avec la prise en charge du développement par un ensemble d'acteurs locaux), leur emprise spatiale est largement cantonale et polarisée par le bourg-centre chef-lieu de canton.

Plus de 600 Contrats de pays ont été signés. Seuls 72 sont purement nationaux, c'est-à-dire passés entre l'État et le groupement de communes. Les quelques 500 autres font intervenir un échelon nouveau, la région, soit 265 contrats régionalisés, définis par la DATAR , cofinancés par le Comité interministériel d'aménagement du territoire (CIAT) mais choisis par les régions, et 300 contrats régionaux totalement définis et choisis par les régions, avec ou sans la participation financière de l'État.

Cette évolution consacre, d'une part, l'élargissement des acteurs institutionnels en matière d'aménagement et de développement du territoire et, d'autre part, la procédure contractuelle qui ira dorénavant en se généralisant. Trois thèmes d'action ont été privilégiés : l'emploi avec la création de zones industrielles, le sauvetage d'activités en difficulté et les acquisitions foncières pour aménager des zones d'activités ; les services et les équipements collectifs publics ou privés ; le cadre de vie avec des opérations en direction du tourisme, de l'environnement, et de l'habitat.

Contrats de pays (1976 à 1982)

Des pays Pasqua aux pays dernière génération : le pays, un territoire de projet et d'innovation

Quelques dix ans après les lois consacrant la décentralisation, la législation sur les pays prend place dans un contexte de renouveau de l'intercommunalité initiée par la Loi Administration territoriale de la République de 1992. Cette loi crée les communautés de communes et les communautés de villes, en quelque sorte les ancêtres avortés des communautés d'agglomération. Elle peut donner l'impression d'un manque de coordination entre ces différentes mesures et d'un défaut d'articulation, au niveau local, entre ces différentes formes d'organisation intercommunale. Mais on peut considérer que les pays s'intègrent dans la volonté nationale de fonder l'aménagement et le développement des territoires locaux sur le projet, pour dépasser une simple logique de guichet, notamment à travers la mise en commun de services au sein des anciens syndicats intercommunaux, qu'ils soient à vocation unique ou multiple.

Les acteurs institutionnels de l'aménagement du territoire engagent ainsi une profonde recomposition territoriale de l'espace français, ouvrent le débat à de nouveaux acteurs et définissent de nouvelles priorités communes, comme le développement durable.

Le renouveau de la loi Pasqua

Issue du grand débat national pour l'aménagement du territoire lancé en 1993, la Loi d'orientation pour l'aménagement et le développement du territoire (LOADT) du 4 février 1995 (loi Pasqua), met l'aménagement du territoire sur le devant de la scène publique en le faisant sortir du cénacle des spécialistes. Pour la première fois, le terme d'aménagement est associé à celui de développement. En trois articles (22, 23 et 24) et quelques lignes, la loi réintroduit le concept de pays .

Complément 2. Loi n° 95-115 du 4 février 1995 d'orientation pour l'aménagement et le développement du territoire - Texte et commentaire

Ces dispositions légales rencontrent un certain succès. Peu après l'adoption de la loi, un appel à projet intitulé opération de préfiguration permet à la DATAR de retenir 42 pays-test. Au total, environ 230 initiatives de pays sont lancées. En juin 1999, 113 pays sont officiellement "constatés" par arrêté préfectoral. Il s'agit en majorité de territoires à dominante rurale organisés autour d'une petite ville, souvent de l'ordre du regroupement de quelques cantons. Ils regroupent 21% des communes françaises et 11% de la population. Ils sont très inégalement répartis sur le territoire national, avec une forte concentration sur quelques régions, à commencer par le Poitou-Charentes et le Centre. Une grande partie du territoire français échappe complètement à cette dynamique. Cette répartition géographique, a priori cohérente avec le développement de l'intercommunalité, est aussi liée à l'existence ou non de politiques régionales favorisant une organisation territoriale en pays.

Cependant, le mouvement s'essouffle, peut-être en raison de la faiblesse de moyens financiers réellement incitatifs. Le Fonds national d'aménagement du territoire (FNAT), créé par la loi de 1995, n'apporte que des réponses partielles aux besoins des pays.

Les pays constatés au titre de la loi Pasqua

Si la loi Pasqua reste en partie inappliquée en raison de la dissolution de l'Assemblée Nationale en 1997, elle a ouvert la voie à une profonde réforme de l'aménagement du territoire, reprise dans la loi Voynet qui réaffirme et renforce la politique des pays.

La réaffirmation des pays par la loi Voynet

La Loi d'orientation pour l'aménagement et le développement durable du territoire (LOADDT) du 25 juin 1999 (loi Voynet), réaffirme la politique des pays, en l'inscrivant dans une approche intégrée des territoires de projet en association avec les agglomérations, d'où le titre II de la loi "De l'organisation et du développement des territoires : des pays et des agglomérations".

Complément 3. Loi n° 99-533 du 25 juin 1999 d'orientation pour l'aménagement et le développement durable du territoire et portant modification de la loi n° 95-115 du 4 février 1995 d'orientation pour l'aménagement et le développement du territoire - Texte et commentaire

Si le développement local devient développement territorial, plus encore, le développement durable fait une entrée remarquée dans la loi ; les pays ne sont pas en reste dans cette priorité nationale : "une charte de pays (…) exprime le projet commun de développement durable du territoire selon les recommandations inscrites dans les agendas 21 locaux du programme "Actions 21" qui sont la traduction locale des engagements internationaux finalisés lors du Sommet de Rio de Janeiro des 1er et 15 juin 1992".

Reprise et simplification : la loi Urbanisme et Habitat de 2003

La procédure en deux étapes (périmètre d'étude puis périmètre définitif) instaurée par la loi Voynet ralentit la reconnaissance rapide des pays. Fin 2001, ils ne sont que onze à avoir fait l'objet d'un arrêté de périmètre définitif.

De 2000 à 2003, l'évolution de la démarche pays. Cartorama

 

Source : Entreprises territoires développement (ETD)

 

Après les élections de 2002 et le changement de majorité qu'elles amènent, la politique des pays connaît un certain flottement. Les incertitudes sur la position du nouveau gouvernement à leur égard se traduisent par un ralentissement du rythme de reconnaissance, par le retard pris dans la signature des contrats et par un quasi-arrêt de l'émergence de nouvelles démarches. Le comité interministériel d'aménagement et de développement du territoire de décembre 2002 lève partiellement les inquiétudes, mais il faut attendre la Loi Urbanisme et Habitat du 2 juillet 2003 pour observer une véritable relance.

Souhaitant revenir à l'esprit d'origine de la politique des pays qui visait à les consacrer comme des espaces de projet concerté, fondés sur le volontariat local, le gouvernement prévoit notamment la simplification des procédures de reconnaissance et de constitution des pays. Ces mesures sont actées dans la Loi Urbanisme et Habitat du 2 juillet 2003.

Assez rapidement après l'entrée en vigueur de ces nouvelles dispositions, la dynamique repart.

 

 

 

Complément 4. Loi n° 2003-590 du 2 juillet 2003 Urbanisme et Habitat - Texte et commentaire

 

Une réussite indéniable mais des disparités régionales encore importantes

Une forte dynamique de création

Dix ans après la promulgation de la LOADT, les pays s'ancrent dans le paysage local.

source : DATAR , 2005

Quelques chiffres témoignent de l'ampleur du mouvement de constitution des pays.

Au 1er janvier 2005, on compte 341 pays, dont 251 sont des pays reconnus et 90 des pays en projet [1]. Le nombre de pays reconnus a cru de plus de 58% au cours du dernier trimestre 2004, passant de 158 à 251. Ce fort taux de croissance s'explique par l'échéance pour la signature des contrats de territoire des pays en application du volet territorial des Contrats de plan État-région* [2].

Au 1er janvier 2005, 165 pays ont signé dans 16 régions un contrat en application du volet territorial des CPER 2000-2006. Près de la moitié de ces contrats (78 sur 165) ont été signés au cours du dernier trimestre 2004. On note des situations différentes quant à l'engagement de l'État et de la région.

Ainsi si, les contrats sont signés conjointement par l'État et le Conseil régional dans 10 régions sur 16 ; dans la région Centre, le Conseil régional signe seul avec les pays ; inversement, en Pays-de-la-Loire, seul l'État signe avec les territoires concernés. En Basse-Normandie et en Poitou-Charentes, l'État et le Conseil régional signent des contrats séparés. En Auvergne, un Contrat de pays est signé uniquement par l'État et le deuxième est conjoint. En Rhône-Alpes, 6 contrats de pays sont conjoints et 2 sont uniquement signés par le Conseil régional.

Les pays au 15 janvier 2005

Les contrats de pays signés au 1er janvier 2005

Cette diversité des modalités de contractualisation reflète la situation transitoire entre la politique contractuelle de la région et les Contrats de pays signés en application du volet territorial des CPER 2000-2006. Elle n'est pas sans rappeler la situation connue dans le cadre des Contrats de pays de la loi de 1975. Cependant, le mouvement est inversé puisque ces contrats de pays intialement nationaux (c'est-à-dire passés entre l'État et le groupement de communes) sont progressivement devenus régionalisés (définis par la DATAR , cofinancés par le CIAT mais choisis par les régions), puis régionaux (totalement définis et choisis par les régions, avec ou sans la participation financière de l'État).

Des écarts régionaux notables

La population des pays, reconnus ou en projet, représente 43% de la population nationale.

Un pays compte en moyenne 77 communes et 73 678 habitants sur 1 183 km², soit une densité de 62 habitants au km². Cependant derrière ces chiffres moyens, la réalité est marquée par des situations extrêmes et des variations importantes entre pays.

 
 
Minima
Maxima
Pays reconnus
 
 
Superficie (km²)
85 (Ile de Ré)
4 469 (Landes de Gascogne)
Nombre de communes
7 (Vésubie)
255 (Artois)
Population
5 103 (Vésubie)
419 559 (Rennes)
Pays en projet
 
 
Superficie (km²)
235 (Seine Melda et Côteaux Champenois)
2 988 (Périgord Vert)
Nombre de communes
10 (Chauvinois)
241 (Caen)
Population
7 268 (Val de Gartempe et de Creuse)
367 827 (Caen)

Source : Entreprises, Territoires et Développement, 2005

Environ la moitié des pays compte moins de 60 000 habitants, alors qu'ils sont moins de 20% à réunir plus de 100 000 habitants. Moins de 15% des pays ont une superficie supérieure à 1 800 km². Un tiers des pays regroupe de 80 à plus de 200 communes, un tiers de 50 à 80 communes, un tiers moins de 50 communes. Cette forte hétérogénéité dans le poids démographique et la taille est la preuve qu'il n'y a pas de pays type, ce qui est en adéquation avec l'idée initiale de construire des territoires de projet adaptés aux situations et enjeux locaux sans s'enfermer dans un optimum territorial stérile. Exceptées les régions Ile-de-France et Picardie, toutes les régions métropolitaines comptent désormais au moins un pays reconnu. Elles n'étaient que 14 au 1er janvier 2004.

Part de la population régionale appartenant à un pays ou à un projet de pays

Part du nombre de pays en projet et de pays reconnus

Source des données : Entreprises, Territoires et Développement, 2005

On distingue cinq types de région en fonction de l'évolution du nombre de pays en projet et reconnus :

  • des régions où les pays sont tous reconnus, au premier rang desquelles la Bretagne, où les pays structurent l'ensemble du territoire régional, mais aussi la Bourgogne, la Franche-Comté et Midi-Pyrénées ;
  • des régions majoritairement concernées par des pays reconnus, où le phénomène s'accompagne également du lancement de nouveaux projets de pays (entre 1 et 4) : Centre, Auvergne, Alsace, Rhônes-Alpes, Aquitaine, Lorraine, Provence-Alpes- Côte-d'Azur, Basse-Normandie, Nord-Pas-de-Calais et Limousin ;
  • des régions où une partie des pays en projet a été reconnu, mais dont l'évolution de la démarche pays est moindre que pour le groupe précédent et dont le nombre de pays est stable : Champagne-Ardennes, Poitou-Charentes et Haute-Normandie ;
  • des régions où le nombre de pays reconnus n'a pas évolué, mais où de nouvelles démarches apparaissent : Languedoc-Roussillon, Pays-de-la-Loire et Picardie. Pour ces deux dernières, la préexistence d'une politique territoriale régionale aux lois nationales sur les pays a pu freiner la reconnaissance de pays selon les termes de la loi ;
  • des régions peu concernées par les démarches de pays du fait de leurs particularités géographiques : Corse et Ile-de-France. Il est à noter que l'Ile-de-France est largement en retard pour toutes les démarches de construction intercommunales, du fait d'une concurrence exacerbée.

 

Des pays réservés aux espaces ruraux ?

Le croisement entre pays et aire urbaine (au sens défini par l'INSEE) permet d'apprécier le caractère plus ou moins urbain des pays et leur rôle d'articulation urbain/rural, ce qui remet en cause l'idée d'une construction territoriale réservée aux espaces ruraux et aux petites villes.

La part de la population des aires urbaines vivant dans un pays atteint 32% au 1er janvier 2005. Ce taux est supérieur à la moyenne dans 15 régions, avec des situations atteignant 100% en Bretagne et en Limousin, 95% en Basse-Normandie. Inversement, en Provence-Alpes-Côte-d'Azur, Picardie et Rhône-Alpes, ce taux particulièrement faible s'explique soit par des dynamiques de pays tardives du fait d'une politique régionale antérieure (Picardie et Rhône-Alpes), soit par le poids des agglomérations (Rhône-Alpes et Provence-Alpes-Côte-d'Azur).

Ce taux est en augmentation dans la plupart des régions, à la différence de la part de population des aires urbaines vivant dans une agglomération, qui lui à présent est stable. Ceci témoigne de l'adhésion d'agglomération à la démarche de pays, à l'image de Rennes, Caen, Angers, Mulhouse, Chartres, Reims, Limoges, Rodez, Clermont-Ferrand Roanne ou Nîmes. Dans le cas d'un pays comprenant une agglomération, la démarche de construction d'un territoire de projet se traduit soit par une démarche commune en un seul projet et un contrat unique, soit par des démarches articulées, mais séparées en deux projets et deux contrats.

Pays et aires urbaines au 01/01/2005

Source : Entreprises, Territoires et Développement, 2005

Des réalités locales hétérogènes

Si les pays maillent peu à peu l'ensemble du territoire français, on ne peut pour autant en définir un modèle unique. Cela peut apparaître comme un élément de succès de la politique des pays attachée à la reconnaissance des spécificités locales, même si l'on ne peut dissimuler la volonté d'une certaine harmonisation nationale de la complexité locale. Au-delà des différenciations liées au rôle joué par les instances régionales, à des expérimentations plus ou moins précoces ou tardives, on ne peut que constater l'hétérogénéité des situations locales, tant en termes de priorités et de capacités d'action que de domaines d'intervention ou de mise en place d'une démocratie participative réelle.

On peut ainsi distinguer les pays selon qu'ils ont signés ou non un contrat dans le cadre du volet territorial du Contrat de plan État-Région 2000-2006, qu'ils possèdent un conseil de développement, qu'ils fédèrent des structures intercommunales de niveau inférieur comme les communautés de communes, qu'ils s'articulent avec des communautés d'agglomération, ou qu'ils s'appuient sur des structures plus anciennes, comme les districts ou les Parcs Naturels Régionaux, sans oublier, bien entendu, leur existence plus ou moins ancienne ainsi que les moyens financiers mis à leur disposition qui influent sur l'évaluation des actions menées.

Une étude rapide de la dénomination des pays fait ressortir des structurations géographiques fortes, qui constituent autant d'éléments identitaires, comme :

  • l'assise sur une région naturelle et/ou historique (Perche, Cornouaille, Beauce, Aunis, Boischaut nord, Gâtine, Grésivaudan, Mauges, Lauragais, pour ne citer que quelques exemples), avec parfois des déclinaisons locales permettant une différenciation fine (par exemple entre les pays de l'Argonne champenoise et de l'Argonne ardennaise, ou les pays du Périgord vert et du Périgord noir) ;
  • la structuration autour d'un type paysager, avec parfois une connotation agricole évidente (Landes de Gascogne, pays du bocage et pays du bocage bressuirais, vignoble nantais, Moulins de Flandre) ;
  • l'importance des éléments de géographie physique, tels que les massifs (Haut Doubs, Haut Jura, Vosges centrales) ou les vallées (Haute vallée de l'Aude, vallée du Loir, vallée du Lot) ;
  • la polarisation par une ville de taille moyenne (nombreux sont les pays à choisir cette dénomination, tels par exemple le pays agenais, le pays d'Ancenis, le pays de Chateaubriant, le pays de Fougères, le pays de Tulle, le pays de Saint-Omer ou le pays rethelois) ou, plus rarement, par une agglomération de niveau régional (pays de Rennes, pays d'Angers). Il est intéressant de noter que certaines structures ont cherché à se donner une importance supérieure en accolant l'adjectif "grand" à leur dénomination, comme le pays du Grand Bergeracois, le pays du Grand Briançonnais, le pays du Grand Clermont ou le pays du Grand Pau.

Conclusion - Dans l'avenir, imbrication et articulation des démarches de pays pour une structuration plus forte du territoire français

En dix ans, les pays ont réussi à prendre leurs marques dans la recomposition du territoire français. Reconnus ou en projet, ils concernent aujourd'hui 43% de la population nationale, demain plus de la moitié. Ils peuvent être considérés comme un des aboutissements des politiques d'aménagement du territoire entamées au début des années 1980, et qui ont pour mots-clés : décentralisation, contractualisation, développement local puis durable, démocratie participative.

Il est intéressant de noter également que les pays ont à assurer leur inscription dans le cadre d'une structuration de l'aménagement et du développement des territoires locaux profondément remaniés par la création des communautés de communes (90% des communes des pays sont membres d'un établissement public de coopération intercommunale) et des communautés d'agglomération (68 pays comprennent une agglomération constituée en communauté urbaine ou en communauté d'agglomération). Ils composent bien souvent avec d'autres formes de territoires de projet que sont, à l'échelon national, les Parcs Naturels Régionaux (100 des 341 pays, soit environ 30%, chevauchent un PNR) et, à l'échelon européen, les territoires "Leader +" chargés d'animer des actions de développement rural (181 pays, soit 53%, ont des communes engagées dans un programme "Leader +"). Au-delà de ce que certains voudraient présenter comme un enchevêtrement inextricable de structures qui se neutralisent, on peut au contraire considérer que cette complexité territoriale garantit la vivacité des forces locales de projet.

Cependant, les pays demeurent des structures récentes, dont la pérennité ne peut être garantie que par un engagement fort, par nature financier, de la part des principaux acteurs de l'aménagement du territoire que sont l'État et la région. De ce fait, la question du maintien d'un volet territorial dans la future génération contractuelle qui débutera en 2007 est l'un des enjeux de la réforme des Contrat de Plan État-région, et un enjeu majeur pour les pays.

 

Notes

[1]  La Loi Urbanisme et Habitat du 21 juillet 2003 ayant supprimé l'étape de reconnaissance du périmètre d'étude, tous les pays non définitivement reconnus sont considérés comme en projet.

[2]  Echéance initialement fixée au 31/12/2004, et reportée courant décembre 2004 au 30/06/2005.

Bibliographie indicative

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  • Kotas Michel - Politique de pays. Rapport de mission - Paris, La documentation française , 141 p. - 1997
  • Laurent Loeiz - La fin des départements. Le recours aux pays - Rennes, Presses Universitaires de Rennes, coll. Espace et territoires, 151 p. - 2002
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  • Nonn Henri - "Les pays : problématiques, enjeux, méthodologie" - Hommes et Terres du Nord, n°2, 67-74 - 1996
  • Portier Nicolas, Quiquere Michèle - Les pays - Paris, DATAR / La documentation française , 99 p. - 2002
  • Renard Jean - Le retour au "pays" : habits neufs ou vieilles guenilles ?, Communication aux entretiens du festival International de Géographie de Saint-Dié, octobre 1994, publié in Sciences Humaines, hors-série n°8, mars 1995, 45-47 - 1995
  • Vanier Martin - "Recomposition territoriale : la voie française" - L'information géographique, n°2, 99-112 - 2002

Ressources en ligne

 

Emmanuelle Bonerandi, maître de conférences, UMR Géographie-cités/Géophile,

École Normale Supérieure Lettres et Sciences humaines,

pour Géoconfluences le 18 juillet 2005


Mise à jour :   18-07-2005

 

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Pour citer cet article :  

Emmanuelle Bonerandi, « Les pays ont dix ans ... retour sur expérience », Géoconfluences, juillet 2005.
https://geoconfluences.ens-lyon.fr/doc/territ/FranceMut/FranceMutScient2.htm