L’olivier dans les religions du Livre
Avec la vigne et le blé, l’olivier est, sans conteste, la plante domestiquée qui bénéficie de l'aura symbolique la plus grande au sein des sociétés méditerranéennes. Cet arbre, pétri de valeurs religieuses et spirituelles, imprègne les paysages locaux au point d'en être un composant fondamental ; son fruit et l’huile extraite sont omniprésents dans l’alimentation et dans de multiples autres usages ; il est auréolé d’un prestige sans égal qui s’appuie sur une sacralité et une relation ténue entre le divin et le profane. L’olivier et l’huile de ses fruits sont perçus ainsi comme des vecteurs de transcendance, des éléments intercesseurs entre Dieu(x) et les hommes. Aussi est-il important de saisir comment la dimension religieuse a pu laisser des empreintes majeures sur les paysages de l’olivier, élément emblématique du monde méditerranéen.
La zone de culture de l’olivier et les foyers historiques des trois religions du Livre
Réalisation : S. Angles
L’olivier et les lieux sacrés
Dans les rites bibliques tout comme dans les cultes gréco-romains, l’huile d’olive [1] accompagne les offrandes ou les sacrifices. Mais, surtout, l’huile obtenue à partir d’olives concassées éclaire et purifie les lieux sacrés et constitue le combustible employé pour le grand chandelier à sept branches (la menorah) et les luminaires présents dans le Tabernacle, puis le Temple de Jérusalem (Ex. 27, 20-21 ; Lév. 2, 1-17). Brûlée dans des lampes, l’huile d’olive procure une clarté lumineuse avec une grande flamme et peu de fumée ; aussi fut-elle longtemps perçue comme le symbole de la présence divine (la shekhina dans la tradition juive). Jusqu’à l’introduction de l’ampoule électrique, les synagogues situées dans les pays méditerranéens perpétuaient cette pratique avec une lampe constamment allumée (ner tamid en hébreu) et remplie régulièrement d’huile d’olive par des préposés aux luminaires. Bien que l’olivier soit peu présent dans la péninsule arabique, l’huile d’olive est aussi évoquée dans le Coran comme « l’huile d’un arbre béni, un olivier qui n’est d’Orient, ni d’Occident » (Sourate 24, 35).
L’olivier a donné lieu à maints récits mythiques car il est considéré comme un don des dieux dans la mythologie gréco-romaine ou égyptienne ; ainsi, la légende grecque veut que ce soit la déesse Athéna qui fasse don de l’olivier aux Athéniens. De même, l’olive fait partie des sept espèces sacrées évoquées dans la Bible (Dt. 8, 8). Aussi les oliviers sont-ils très présents dans des lieux sacrés comme le jardin de Gethsémani au pied du mont des Oliviers à Jérusalem tout comme dans les sanctuaires grecs de Delphes ou d’Olympie.
Don de l’olivier aux Athéniens par la déesse AthénaCette fresque romaine illustre la légende de la rivalité opposant Athéna et Poséidon pour la domination de la région athénienne. Poséidon fit jaillir un étalon (ou une source selon les différents récits) comme cadeau alors qu’Athéna fit don d’un olivier. Crécrops, premier roi de l’Attique et arbitre de la rivalité, choisit le présent offert par la déesse Athéna. |
Oliviers millénaires dans le jardin de Gethsémani à JérusalemSelon la tradition chrétienne Gethsémani, dont le nom signifie le « pressoir à huile » en hébreu, est le jardin planté d’oliviers où médita Jésus de Nazareth avant son arrestation. Aujourd’hui encore, le jardin de Gethémani situé près de la basilique de la Dormition au pied du mont des Oliviers à Jérusalem compte plusieurs oliviers plurimillénaires. |
L’olivier et l’onction
Conformément au texte biblique (Ex 30, 22-30 ; Lév. 8, 12), l’huile d’olive est le composant fondamental de l’onction, pratique qui consacre une personne ou un objet devenu sanctifié et donc considéré comme à part. Ce sacrement prend une place fondamentale dans l’onction royale, acte sacré qui octroie l’autorité monarchique de droit divin à la lignée issue du roi David. Cette pratique assortie du caractère miraculeux des huiles employées (par exemple, la Sainte Ampoule contenant l’huile sainte pour le couronnement des rois de France) se perpétua dans les cérémonies du sacre des monarques européens. Selon les évangiles de Matthieu (Mt 1, 7-16) et de Luc (Lc 3, 23-31), Jésus de Nazareth a une ascendance davidique conformément à la tradition messianique (Isaïe 7, 1-17). Dans la religion chrétienne, Jésus est ainsi considéré comme « l’oint de Dieu » (Ac 10, 38) comme en témoigne le mot grec christ qui signifie « oint », tout comme le mot hébraïque machia’h qui dénomme aussi le Messie. Dans les liturgies chrétiennes, la pratique de l’onction par une huile consacrée, le saint chrême, demeure toujours un acte essentiel du sacrement du baptême. Dans ces actes de sanctification, l’olivier et son huile occupent une place fondamentale au point que saint Cyrille de Jérusalem, père de l’Église du IVe siècle, considérait le baptême comme la participation « aux fruits de l’olivier fécond qui est Jésus-Christ ».
L’olivier et le calendrier religieux
L’olivier apparaît donc comme un objet sacralisé reposant sur un puissant ancrage territorial et un fort intérêt agricole. Il n’est pas anodin de remarquer comment une fête religieuse, la fête juive de 'Hanouka, commémoration de la victoire d’un clan familial devenu une dynastie royale (les Hasmonéens) et de la purification du Temple de Jérusalem, correspond aussi à une célébration d’origine agricole marquant la récolte des olives et l’obtention de l’huile nouvelle. En effet, cette fête se situe au début de l’hiver, à partir du 25 du mois de Kislev dans le calendrier juif, au moment de l’olivaison. Aujourd’hui encore, les chandeliers à neuf branches (’hanoukiah en hébreu) contiennent fréquemment de petites fioles d’huile d’olive allumées durant les huit soirs de cette fête.
Les valeurs symboliques de l’olivier
Le processus de sacralisation de l’olivier s’appuie sur les valeurs symboliques hautement louées et appréciées que les cultures méditerranéennes attribuent à cet arbre et à ses fruits en relation avec ses caractéristiques biologiques et agronomiques. Cette forte valorisation symbolique se fonde sur la temporalité en raison de la longévité de l’olivier qui confine à une quasi-éternité et à une historicité qui s’ancre dans des périodes antiques prestigieuses. En effet, les oliviers ont une durée de vie qui dépasse plusieurs milliers d’années et, grâce à une taille sévère du port, peuvent être constamment rajeunis. L’olivier symbolise également une générosité due à la ténacité et l’adaptation de cet arbre frugal bien souvent cultivé dans des conditions difficiles. L’huile d’olive a longtemps été une source d’éclairage, symbole de lumière et de connaissance, un onguent recherché et un aliment apprécié pour ses qualités gustatives et nutritives. L’image de l’olivier repose donc sur un faisceau de valeurs : longévité, santé, saveur, générosité, connaissance, opiniâtreté… À cela s’ajoute une valorisation esthétique très ancienne en lien avec son feuillage persistant vert argenté et son tronc noueux buriné par les stigmates de l’âge mais constamment rajeuni par des jeunes pousses ; sous le prisme de l’anthropomorphisme, l’olivier symbolise une beauté sage et éternelle, une source d’apaisement et de renouveau. On comprend aisément que la tradition populaire ait considéré que le rameau apporté par la colombe après le Déluge soit un jeune brin d’olivier.
La richesse symbolique qui auréole l’olivier et ses produits a ainsi largement contribué à octroyer à cet arbre une valeur extraordinaire qui en fait l’arbre emblématique du monde méditerranéen et un vecteur de la relation transcendante unissant les sociétés méditerranéennes au divin.
Ressources complémentaires
- Amouretti M.C., Comet, G., 1992. Le livre de l’olivier. Aix-en-Provence, Edisud, 168 p.
- Angles S., 2014. « Les paysages de l’olivier, entre le mythe de la "méditerranéité" et la réalité des enjeux territoriaux ». Caietele Echinox 27 : 259-266.
- Brun J.P., 2003. Le vin et l’huile dans la Méditerranée antique. Paris, Ed. Errance, 240 p.
- Conseil Oléicole International, 1996. Encyclopédie de l’olivier. Madrid, COI, 479 p.
- March L., Rios A., 1989. El libro del aceite y la aceituna. Madrid, Alianza Editorial, 458 p.
- Pagnol J., 1975. L’olivier. Avignon, Aubanel, 180 p.
- Verdié M., 1990. La civilisation de l’olivier. Paris, Albin Michel, 167 p.
Stéphane ANGLES,
maître de conférences,
Université Paris Diderot, Paris 7, UMR LADYSS
Conception et réalisation de la page web : Marie-Christine Doceul,
pour Géoconfluences, le 19 octobre 2016
Pour citer cet article :
Stéphane Angles, « L’olivier dans les religions du Livre », Géoconfluences, octobre 2016.
https://geoconfluences.ens-lyon.fr/informations-scientifiques/dossiers-thematiques/fait-religieux-et-construction-de-l-espace/corpus-documentaire/olivier-dans-les-religions-du-livre