Les atolls, des territoires menacés par le changement climatique global ? L’exemple de Kiribati (Pacifique Sud)
Bibliographie | citer cet article
En 2014, le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC)[1] a publié son cinquième rapport d’évaluation. L’illustration du volume portant sur les « conséquences, l’adaptation et la vulnérabilité » met en évidence les États atolliens : des habitants de Tuvalu ont été photographiés à planter des palétuviers dans le but de développer une mangrove. Tuvalu, Kiribati, les Îles Marshall dans l’océan Pacifique et les Maldives dans l’océan Indien ont pour particularité d’être des États entièrement composés d’atolls. Les atolls sont des systèmes fragiles. Ils présentent un système de ressources terrestres limité dont les sociétés atolliennes sont fortement dépendantes. En effet, seules quelques espèces végétales se maintiennent sur des sols pauvres et alcalins, et l’eau douce est présente uniquement sous la forme de minces lentilles souterraines. En contrepartie, les ressources marines sont abondantes.
Les atolls : des îles coralliennes étroites et de faible altitudeL'atoll de Kiribati. Cliché : E. Longépée, 2010 Des programmes de plantation de mangroves sont développés dans les atolls afin d’atténuer la puissance du déferlement des vagues sur les côtes. L'illustration ci-contre est la couverture du groupe de travail II du cinquième rapport d’évaluation du GIEC (2014). Source : GIEC |
Plantation de palétuviers sur un atoll de Tuvalu
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Au moment où l’élévation du niveau de la mer est avérée, ces États atolliens, surtout ceux du Pacifique, cristallisent les inquiétudes en raison de l’étroitesse de leurs îles coralliennes (200 m à 1 000 m de large) et de leur faible altitude (2 à 3 m). Face à ce constat, un diagnostic simpliste est souvent réalisé : des îles de faible altitude et un niveau de la mer qui s’élève devraient amener à la disparition des pays atolliens sous les eaux dans les décennies à venir. Ce diagnostic soulève toutefois trois questions. Que sait-on réellement sur les menaces associées à l’élévation du niveau de la mer pour les pays atolliens ? Y-a-t-il des impacts avérés ? Quelles sont les options face à cette élévation ?
L'exemple de Kiribati, État équatorial du Pacifique Sud, est utilisé pour apporter des éléments de réponse à ces questions. Ce petit pays, classé selon les critères des Nations Unies dans la liste des pays les moins avancés, est sorti de l’anonymat depuis que sa souveraineté est menacée par le changement climatique. Cet article se propose de montrer comment deux aléas associés à l’élévation du niveau de la mer – la submersion marine et l’érosion des plages – affectent les atolls du pays.
1. Quand changement climatique rime avec incertitude : Kiribati sur le fil des prévisions
Le changement climatique est défini par les experts du GIEC comme « une variation de l’état du climat que l’on peut déceler (par exemple au moyen de tests statistiques) par des modifications de la moyenne et/ou de la variabilité de ses propriétés et qui persiste pendant une longue période, généralement pendant des décennies ou plus » (IPCC, 2013). Ce changement dans le temps peut être dû à la variabilité naturelle du climat ou aux activités humaines.
1.1. Les évolutions climatiques et océaniques supposées et avérées
Dans les États atolliens, le changement climatique a des impacts sur les variations de la température de l’air et de l’océan, la chimie des océans, les précipitations, la force et la direction des vents, le niveau de la mer, la houle, et les événements extrêmes tels que les cyclones tropicaux, les sécheresses et les vagues de tempête (Nurse et al., 2014). Avec plus ou moins de précision, les experts climatiques prévoient pour Kiribati un réchauffement des températures de surface, un accroissement des précipitations, une acidification des océans et une élévation du niveau de la mer (ABoM and CSIRO, 2014). Sur l’évolution de certains phénomènes climatiques comme les sécheresses et les cyclones, les scientifiques ne sont pas, pour l’instant, en mesure de se prononcer.
L’élévation moyenne du niveau de la mer à l’échelle mondiale est une des conséquences les plus médiatisées du changement climatique. Les atolls de Kiribati sont dans un secteur océanique où la tendance est à l’élévation : + 2,5 ± 0,6 mm par an, en moyenne pour la période 1950-2009 pour l’atoll de Tarawa où se trouve la capitale de Kiribati (Becker et al., 2012). En se basant sur différents scénarios, il est estimé pour l’archipel des Gilbert à Kiribati qu’en 2090, le niveau moyen de la mer sera plus haut de 40 à 61 cm (fourchette : 23-87 cm) par rapport au niveau de 1985-2004 (ABoM and CSIRO, 2014).
1.2. Les conséquences de l’élévation du niveau de la mer
À l’instar des prévisions climatiques, les conséquences annoncées de l’élévation du niveau de la mer sur les territoires atolliens sont empreintes d’incertitudes en raison de la difficile prévision de la réaction d’un système à un phénomène donné.
Par exemple, les premiers rapports d’évaluation du GIEC annonçaient une intensification de l’érosion côtière comme conséquence de l’élévation du niveau de la mer et donc une réduction de la superficie des îles coralliennes (Nurse et al., 2001). Cependant, face aux résultats apportés par de récentes études scientifiques, le GIEC a nuancé ces propos (Nurse et al., 2014). Ces études ont mis en évidence qu’au cours des dernières décennies, la superficie de nombreuses îles coralliennes était restée stable ou avait légèrement augmenté malgré l’élévation du niveau de la mer (Biribo and Woodroffe, 2013; Ford, 2012; Webb and Kench, 2010). Toutefois, les effets de l’élévation du niveau de la mer sur ces îles sont souvent masqués par les interventions anthropiques : construction de remblais qui étendent les superficies, et de digues-routes qui bloquent le transport des sédiments côtiers. Dans ce processus de grignotage des côtes par l’élévation du niveau de la mer, les récifs coralliens joueront un rôle crucial (Montaggioni, 2000). Ils ont la capacité de suivre l’élévation du niveau de la mer par croissance verticale en fonction de leur état de santé (qui dépend des dommages causés par des perturbations anthropiques ou naturelles), du rythme d’élévation du niveau de la mer, de la température des eaux de surface et de l’acidification des océans. Ces récifs coralliens seront donc à même ou non de dissiper l’énergie des vagues à la côte (rôle de brise-lames atténuant la force érosive des vagues) et d’alimenter les îles en matériel détritique (le sable des plages est essentiellement constitué de débris coralliens).
Il est aussi difficile de prévoir l’effet des modifications du système couplé océan-climat sur les ressources naturelles des atolls (Nurse et al., 2014). Par exemple, une intensification des submersions marines devrait impacter les ressources terrestres en salinisant les sols et les lentilles d’eau douce. En parallèle, les scientifiques prévoient pour Kiribati un accroissement des précipitations, facteur important de récupération pour les lentilles d’eau et les sols suite à un épisode de submersion marine (ABoM and CSIRO, 2014; White et al., 2007).
Il reste beaucoup à faire pour déchiffrer le fonctionnement de ces systèmes complexes. Les impacts actuels du changement climatique global sont difficilement détectables localement en raison notamment du caractère intrinsèquement lié des variables sociétales et écosystémiques. Les impacts futurs sont encore plus difficiles à déterminer.
2. L’isolement de Kiribati au sein d’une vaste étendue océanique
Kiribati est un État indépendant du Pacifique Sud composé de l’île isolée de Banaba et de trois archipels comptant au total trente-deux atolls. Au sein d’une zone économique exclusive de 3,5 millions km², le pays totalise 726 km² de terres émergées éparpillées de part et d’autre de l’équateur. Seuls l’archipel des Gilbert et l’île de Banaba sont habités depuis plusieurs siècles. Les deux autres archipels ont été annexés lors de l’assujettissement des Gilbertais par l’Empire colonial britannique entre 1892 et 1979. L’île de Banaba, ancien fleuron de l’industrie minière, a été ravagée par l’exploitation du phosphate (Macdonald, 2001). L’archipel des Gilbert concentre 91 % des 103 000 habitants du pays (NSOK, 2012) [2].
Kiribati, un État insulaire au milieu du Pacifique
(cliquer ici pour une meilleure résolution)
Les recherches présentées dans cet article se sont concentrées sur l’archipel des Gilbert dont l’occupation ancienne permet d’étudier un système sociétal adapté aux contraintes environnementales et aux perturbations liées à la mer. L’archipel des Gilbert présente deux modèles territoriaux : l’atoll urbain de Tarawa et les quinze atolls ruraux de l’archipel. L’atoll de Tarawa concentre la population, les organes décisionnels, les services, les capitaux et les marchandises. C’est le point d’entrée et de sortie de l’archipel. Ses 31 km² de terres émergées abritent 56 284 habitants, soit une densité de population de 1 810 h/km² (NSOK, 2012). La zone urbaine de l’atoll se situe dans le district sud bien qu’elle tende à s’étendre vers le nord. Dans les atolls ruraux, les habitants vivent de l’exploitation des ressources naturelles, principalement à des fins de subsistance. C’est l’atoll de Beru qui a été choisi pour représenter le cas des atolls ruraux. Situé dans le sud de l’archipel, il compte 2 099 habitants sur une superficie insulaire de 18 km², soit 116 h/km².
Les archipels et les atolls de Kiribati
L'atoll urbain de Tarawa et l'atoll rural de Beru appartiennent à l'archipel des Gilbert.
L'atoll urbain de Tarawa
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L'atoll rural de Beru
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Cliquer sur l'image pour ouvrir le diaporama en mode automatique (mode manuel avec les flèches à droite et à gauche)
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3. Les conséquences de l’élévation du niveau de la mer à Kiribati
La réduction de surface des îles coralliennes et la multiplication des épisodes de submersion marine sont les deux principaux impacts associés à l’élévation du niveau moyen de la mer. Il est cependant difficile de déterminer la part jouée par le changement climatique dans les manifestations d’érosion côtière et de submersion en raison de l’interférence de d’autres facteurs : travaux d’ingénierie, activités de développement, extraction des roches et granulats des plages, subsidence verticale (Nurse et al., 2014).
3.1. Des îles coralliennes qui s’amenuisent ?
Les îles coralliennes des atolls sont principalement constituées de débris issus de l’écosystème corallien (coraux, coquillages…). Ces masses sédimentaires sont très mobiles tant qu’elles ne sont pas fixées par la végétation. Par exemple, il est courant d’observer de petits îlots se faire et se défaire au gré des houles de tempête (Duvat and Magnan, 2010).
L’érosion côtière peut être constante du fait des aménagements anthropiques, de la destruction de la mangrove, saisonnière par le basculement de la dérive littorale [3] ou ponctuelle, en conséquence d’une tempête. Différentes approches permettent son étude. Un diagnostic terrain permet de se rendre compte si une plage est en équilibre, en érosion ou en accrétion [4]. La superficie des îles peut aussi être calculée à partir d’un travail de géoréférencement [5] de photographies aériennes anciennes sur des images récentes. Cette approche est intéressante pour se rendre compte si la tendance générale de l’atoll est à l’engraissement ou à l’amaigrissement.
Formes de l'érosion côtière sur deux plages
Cocotiers déchaussés et microfalaises sur les plages de Tarawa et de Beru sont des témoignages de l'érosion côtière
Pour l’atoll de Tarawa, deux chercheurs ont calculé la superficie des îles à partir d’images aériennes de 1969 et de 1998 (Biribo and Woodroffe, 2013). Les résultats indiquent qu’en trente ans, la superficie des terres émergées s’est accrue de 4,5 km², passant de 23,7 km² à 28,2 km², soit une extension de 19 %. Les travaux de remblaiement de ces dernières décennies contribuent à hauteur de 81 % du total de gain de terre. Le remblai de Temaiku a largement participé à cet accroissement avec 3,35 km² de terres artificielles clôturées par une digue-route et consacrées à des cocoteraies et à une entreprise piscicole. Les deux chercheurs considèrent que la part due à l’accrétion naturelle et aux petits remblais construits par les habitants s’élève à 0,9 km². Sur Beru, la réalisation d’un travail de géoréférencement indique une superficie insulaire de 15,8 km² en 1969 et de 16,4 km² en 2007, soit un gain de terre de 0,6 km² qui correspond à une extension de 4 % (Longépée, 2014). Cette expansion est liée à la mise en place d’une piste d’atterrissage dans un secteur où le lagon est semi-enclos par une digue-route. Même dans les atolls ruraux où les activités anthropiques ont un plus faible impact sur le trait de côte, les quelques interventions réalisées ne permettent pas de déterminer une tendance « naturelle » à l’érosion ou à l’accrétion face à l’élévation du niveau de la mer. À cette fin, il faudrait que des recherches soient réalisées sur des atolls inhabités.
Exemples de remblais à TarawaRemblai de particulier (en haut) et large remblai artificiel construit par le gouvernement à Temaiku (en bas) |
Évolution du trait de côte de l’atoll de Beru entre 1969 et 2007La superficie insulaire a progressé de 60 ha, du fait du remblai de l'aéroport. (cliquer ici pour une meilleure résolution) |
Un zoom sur l’île corallienne de Bairiki permet de se rendre compte à quel point les aménagements anthropiques conditionnent les évolutions morphologiques. Bairiki est la capitale administrative de Kiribati. Située à Tarawa, son expansion spatiale a été de 17 % entre 1969 et 2004 (Webb and Kench, 2010). La construction d’une digue-route reliant Bairiki à l’île de Betio à l’ouest a largement contribué à l’engraissement de l’île. Les ouvrages tels que les digues-routes et les ports modifient la dynamique naturelle, ils constituent des épis plus ou moins perpendiculaires au trait de côte qui forment un obstacle pour la dérive littorale qui est freinée et contrainte à déposer une partie des sédiments qu’elle transporte. Ces ouvrages provoquent donc un engraissement à l’amont de l’obstacle et un amaigrissement à l’aval. Les enquêtes réalisées dans les deux atolls d’étude révèlent que beaucoup d’habitants ont conscience de l’impact de ces ouvrages : « Nous sommes affectés par l’érosion depuis que la digue-route a été construite entre Betio et Bairiki. Nous avons dû reculer nos maisons » (extrait d’une enquête réalisée à Bairiki). Sur Bairiki, le secteur le plus impacté par l’érosion se situe directement à l’est du port (Biribo and Woodroffe, 2013). De nombreuses constructions empiètent sur le trait de côte en raison de la forte densité de peuplement de l’île, elles contribuent aussi à accroitre la superficie de Bairiki. Déjà densément peuplée dans les années 1960 en raison de son passé colonial, l’île a une densité de bâtiments presque trois fois plus forte qu’il y a quarante ans.
Dynamiques spatiales de la ville de Bairiki à Tawara entre 1969 et 2008
Entre 1969 et 2008, la superficie de la ville s'accroît en raison de la construction d'une digue-route et de remblais qui favorisent l'avancée du trait de côte. |
3.2. Des submersions marines plus marquantes ?
La submersion [6] est le résultat d'une élévation extrême du niveau de la mer due à la conjonction aléatoire de plusieurs phénomènes dont les effets s’additionnent pour faire monter pendant plusieurs heures la mer au-dessus de son niveau habituel (Paskoff, 1996). Ces phénomènes sont liés aux conditions de marée, de vent et de pression atmosphérique. Par sa position géographique, Kiribati est, normalement, à l’abri des submersions dévastatrices causées par les tsunamis, les cyclones et les fortes tempêtes. Mais le pays peut être touché par des houles cycloniques [7] comme récemment par la houle engendrée par le cyclone Pam qui a dévasté les Vanuatu dans la nuit du 13 au 14 mars 2015. Kiribati est également soumis au phénomène ENSO qui influe fortement sur le niveau de la mer. Sur Tarawa, six des dix plus hauts niveaux marins enregistrés jusqu'en 2014 l’ont été en phase El Niño au cours d’une marée d’équinoxe (ABoM and CSIRO, 2014).
Sur chaque atoll, certaines zones sont plus souvent affectées par des épisodes de submersion en raison de leur exposition, de leur élévation et de leurs caractéristiques morphologiques. Les pistes d’atterrissage sont généralement exposées, leur construction ayant nécessité des actions de comblement/remblaiement sur des îles coralliennes de petite taille. De même, les digues-routes qui ferment les passes de communication naturelle entre océan et lagon sont souvent touchées. Des maisons et des bâtiments construits en zone submersible sont régulièrement affectés. Les conséquences négatives des submersions pour les habitants sont principalement la mort de la végétation et la diminution de la fertilité des sols, la perte de terre en cas d’action érosive des vagues, la salinisation de l’eau du puits, les dommages sur l’habitat et la destruction d’un éventuel mur de protection.
La submersion et ses effets à Tarawa
Maisons en haut de plage régulièrement soumises à des submersions à Temaiku (en haut). |
Sur Beru, les personnes rencontrées se sont peu plaintes des effets des submersions. Le garde-manger de chaque foyer étant situé dans la mer et les terres agroforestières de l’intérieur des terres, les submersions cantonnées sur la frange littorale n’ont guère d’impacts sur la sécurité alimentaire. Quant aux effets des submersions sur l’habitat, 85 % des Beruans occupent des maisons de type local, parfois surélevées, construites en bois et palmes qui facilitent la réaction ou la récupération suite à une submersion (NSOK, 2012). Quand la submersion est attendue, ces structures peuvent être déplacées. Si les habitants se font surprendre, ils peuvent reconstruire leurs maisons en allant chercher les matériaux dans leurs terres agroforestières. L’équipement des maisons et les effets personnels étant succincts, il est aisé de les déplacer en zone abritée.
Dans le secteur urbain de Tarawa, la perception des submersions est différente. Dans l’atoll, la multiplication des infrastructures en dur, le développement des réseaux techniques (eau, électricité) et la pénurie foncière ont augmenté les dommages causés par les submersions. Les foyers tarawans qui possèdent une maison en dur de plain-pied connectée au réseau électrique sont plus vulnérables aux submersions que ceux qui vivent dans des maisons de type local et qui utilisent les sources d’énergie locales (bois et bourre de coco). Par ailleurs, en raison de la pénurie foncière, de plus en plus d’habitants investissent des secteurs régulièrement affectés par des submersions.
C’est ce qui s’est produit dans le village d’Eita où plusieurs foyers se sont installés côté lagon sur une flèche sableuse régulièrement soumise à des submersions. Les flèches sableuses sont par définition des milieux instables : ce sont des zones d’accumulation de sédiments qui se stabilisent peu à peu au fur et à mesure de la colonisation par la végétation. Le peuplement de la flèche d’Eita a commencé en 1979, quand les pentecôtistes de l’Assemblée de Dieu cherchaient un lieu dans l’atoll où pouvoir vivre en communauté. L’occupation de la flèche a nécessité un vaste défrichement des cocoteraies et des mangroves et l’extraction de matériaux des lagunes et du corps de la flèche. Des maisons et des infrastructures ont été construites puis des ouvrages de défense contre la mer en raison du caractère submersible de ces terrains. Ces actions ont fortement perturbé la dynamique sédimentaire de cette flèche sableuse (Longépée and Duvat, 2013). Entre 1969 et 2007, l’ensemble du village d’Eita s’est urbanisé, la surface bâtie a été multipliée par vingt. Sur la flèche, ces bâtiments sont régulièrement affectés par des submersions d’autant plus que deux brèches se sont formées offrant des portes d’entrée à l’eau à chaque haut niveau de mer. La brèche située à l’ouest de la flèche insularise les habitats à chaque grande marée. La brèche qui s’est ouverte à l’est a dévasté une cocoteraie à cause des intrusions répétées et de la salinisation du sol.
Urbanisation du village d’Eita entre 1969 et 2007
L'accroissement démographique s'accompagne d'une densification du bâti et d'une déstabilisation des écosystèmes. |
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4. Les options face à l’érosion et à la submersion
La première défense des Gilbertais face aux submersions et à l’érosion est fortement visible dans le paysage : il s’agit d’ouvrages de défense contre la mer prenant le plus souvent la forme de murs de protection. Le recours à de tels ouvrages est une pratique ancienne puisqu’ils s’observent déjà sur des photographies aériennes de 1968-1969. Dans les atolls ruraux, la majorité des murs sont construits à partir de blocs coralliens. À Tarawa, les habitants utilisent souvent les matériaux qu’ils trouvent à proximité : blocs coralliens mais aussi déchets en tout genre.
Sur Tarawa et sur Beru, le gouvernement a construit quelques murs de protection contre la mer dans des secteurs jugés prioritaires en raison de leur exposition et des enjeux. Le problème est que l’État ne dispose pas des moyens financiers suffisants pour promouvoir et entretenir de telles structures. Ainsi, sur Eita, lors d’une mission de terrain en 2011, nous avons constaté que le mur construit par le gouvernement était brisé depuis deux ans sans que les fonds pour le réparer puissent être rassemblés.
Les ouvrages de défense contre la mer
Différents murs de protection à Tarawa |
Des ouvrages vulnérablesBrèche dans le mur du gouvernement sur le rivage de la flèche sableuse côté lagon à Eita (Tarawa) Types de murs (à gauche) : a. déchets de guerre, puis mur en sacs de sable ; b. structure en troncs, branchages et pneus comblée par des déchets ménagers ; c. protection légère composée de palmes végétales et de déchets ménagers ; d. déchets ménagers ; e. branchages ; f. blocs de corail ; g. blocs de corail cimentés. |
Face à l’érosion ou à la submersion, certains foyers choisissent de s’éloigner du trait de côte. Ce type de choix s’opère principalement dans les atolls ruraux comme à Beru où la majorité des habitants possède de vastes propriétés foncières. Le plus souvent, ces foyers ont d’abord tenté de préserver leur terre en construisant des murs de défense pour finalement se décider à reculer, soit à cause d’une submersion qui les a marqués, soit par lassitude de l’entretien de leur mur. Afin de protéger les côtes, le gouvernement de Kiribati s’est fortement investi dans la restauration des mangroves. La plantation de palétuviers est vue comme une option douce de protection contre les risques liés à la mer. De plus, les mangroves sont sources de biodiversité et permettent de dépolluer l’eau des lagons. La plantation de palétuviers est une image utilisée par le pays pour communiquer sur ses inquiétudes concernant le changement climatique et sur sa capacité d’agir face à la menace. |
Restauration des mangrovesLe Président Anote Tong plantant des palétuviers avec une association de jeunes de Teaoraereke (Tarawa Sud) |
Conclusion
Les États atolliens sont dans une situation délicate. Ils sont menacés par des perturbations associées à un phénomène, le changement climatique, sur lequel ils ne peuvent agir. Leur principale option est l’adaptation, mais la prise de décision se heurte aux nombreuses incertitudes quant aux manifestations à venir du changement climatique. La principale voie d’action est une meilleure gestion des installations et des activités anthropiques qui contribuent fortement à aggraver l’exposition et la sensibilité aux perturbations. L’urbanisation non contrôlée de l’atoll de Tarawa a dangereusement contribué à augmenter les enjeux face à l’aléa des perturbations marines.
Le gouvernement de Kiribati envisage le futur en deux temps : dans les décennies à venir, le développement de mesures adaptatives, puis d’ici la fin du siècle la migration des habitants. Le gouvernement communique beaucoup autour de la migration : sur son site officiel, il explique qu’il a acheté des terres sur l’île de Vanua Levu aux Fidji [8]. Sur le plan adaptatif, le pays ne cherche pas à réinventer ses territoires pour tenter de les maintenir malgré les changements : par exemple, il ne réfléchit pas à des options d’adaptation de l’habitat ou de déplacement des populations dans des zones qu’il surélèverait. À l’inverse, le gouvernement des Maldives tente de trouver des solutions : réagencement territorial, développement « d’îles-refuges » (Magnan, 2006).
Notes
[1] Le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) fait figure de référence sur les prévisions climatiques. Le GIEC a été créé en 1988 par l’Organisation météorologique mondiale (OMM) et le Programme des Nations unies pour l’environnement (PNUE) afin d’évaluer l’état des connaissances relatives au changement climatique.
[2] National Statistics Office of Kiribati : Kiribati 2010 census of population and housing. V1: Basic information and tables. Tarawa, Republic of Kiribati, 227 p.
[3] La dérive littorale correspond au transport de sédiments le long d’un littoral en fonction des vagues, des vents et des courants.
[4] Accumulation de sédiments sur les plages pouvant être d’origine naturelle (dérive littorale, vent) ou artificielle (dépôt causé par des ouvrages de défense, renflouement en sable).
[5] Il s’agit d’affecter une référence spatiale au sein d’une projection géographique à une image qui n’en a pas. Ici des photographies aériennes ont été numérisées afin d’obtenir des images informatiques. Ces images sont géoréférencées sur des images satellites déjà rattachées à une projection géographique. Le géoréférencement est réalisé en se basant sur des points remarquables facilement identifiables sur les deux images (croisement d’une route, coin d’un bâtiment) qui permettent de caler la photographie sur l’image référencée.
[6] Voir sur le site du SHOM (Service hydrographique et océanographique de la Marine), la note sur le phénomène vagues-submersion
[7] D’après les témoignages, au moins quatre submersions associées à des vagues cycloniques au cours du XXème siècle. Par exemple, le 4-5 décembre 1927, les atolls de Makin et Butaritari ont été touchés par des vagues cycloniques et ont été affectés par des vents violents pendant 12 h. Les propriétés et les cocoteraies sont endommagées mais aucune vie ne fut perdue (Richmond, 1993 ; Sachet, 1957).
[8] Sur le site officiel de la Présidence, "Kiribati buys a piece of Fiji", 30 mai 2014
Pour compléter
Ressources bibliographiques
sur le changement climatique
- Atelier de cartographie, carte de l'élévation du niveau des océans et vulnérabilité des États aux événements climatiques. Carte interactive en fonction du scénario de réchauffement climatique. Ceriscope environnement, 2014.
- Delmas, R., Chauzy, S., Verstraete, J.M., Ferré, H., 2007. « Atmosphère, océan & climat », Pour la science, Belin, Paris, 287 p.
- Duvat, V., Magnan, A. (éds.), 2014. Réduire les risques littoraux et s’adapter au changement climatique. Actes du colloque-débat organisé à la Rochelle du 2 au 4 avril 2014
- Duvat, V., Magnan, A., 2014. Des catastrophes… « naturelles » ?, Coll. Essais, Le Pommier-Belin, Paris, 368 p.
- IPCC, 2013. Annex III: glossary, in: Climate change 2013: the physical science basis. Contribution of working group I to the fifth assessment report of the Intergovernmental Panel on Climate Change, Cambridge University Press, Cambridge, United Kingdom and New York, USA, pp. 1447–1465.
- Magnan, A., 2014. De la vulnérabilité à l'adaptation au changement climatique : éléments de réflexion pour les sciences sociales, In Monaco A., Prouzet P. (dir.), Risques côtiers et adaptations des sociétés, ISTE Editions, p 241-274
- Magnan, A., 2013. Changement climatique : tous vulnérables ? Repenser les inégalités (préface de H. Le Treut). Éditions de la Rue d’Ulm, Paris.
- Paskoff, R., 1996. « Les risques naturels sur les côtes : inondations, érosions et glissements », in: Risques naturels - Risques des sociétés, Economica, Paris, p.35–49.
- Veyret Y. et Laganier R., 2013. Atlas des risques en France : prévenir les catastrophes naturelles et technologiques, Autrement.
- Vigneau, J.-P., 2005. Climatologie, Armand Colin, Paris, 200 p.
sur les petites îles
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- Small Island Developing States: la page Kiribati
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Esméralda LONGÉPÉE,
docteur en géographie, Institut du Littoral et de l’Environnement, LIENSs – UMR 7266, Université de La Rochelle
conception et réalisation de la page web : Marie-Christine Doceul
pour Géoconfluences, le 15 avril 2015
Pour citer cet article :
Esméralda Longépée, « Les atolls, des territoires menacés par le changement climatique global ? L’exemple de Kiribati (Pacifique Sud) », Géoconfluences, avril 2015.
https://geoconfluences.ens-lyon.fr/informations-scientifiques/dossiers-thematiques/oceans-et-mondialisation/corpus-documentaire/Kiribati