Expérience spatiale
La géographie humaniste, sous l’influence de la phénoménologie existentielle, a développé de nouvelles approches de l’espace prenant en compte l’expérience personnelle des individus.
Le géographe américain Yi-Fu Tuan a été un des premiers à s’aventurer sur cette voie. Il définit l’expérience spatiale comme la manière dont une personne à la fois éprouve et construit une réalité. « Dirigée vers le monde extérieur », elle est aussi retour réflexif sur soi : « elle implique la capacité à tirer un apprentissage de son vécu » (Tuan, 2006/1977, p. 13).
L’expérience spatiale peut se caractériser par un degré de temporalité et de proximité. Ainsi nous pouvons distinguer l’expérience immédiate qui vient d’être vécue, une action ordinaire, spontanée, dynamique, sensorielle, soit une expérience corporelle de l’espace. Cette dernière serait un préalable à l’expérience sédimentée qui correspond à une mise à distance, à une introspection, à une réflexion sur une pratique spatiale.
On peut aussi distinguer l’expérience vécue directement – elle est alors issue d’une pratique spatiale – et l’expérience vécue indirectement par l’individu ou un groupe. Cette expérience indirecte est dite vicariale (Moles, 1967) en ce qu’elle est vécue par procuration et diffusée par le milieu familial ou social. Elle permet d’élargir l’horizon et d’augmenter sa connaissance du monde sans passer par l’arpentage des lieux et une mise en contact physique. Cet élargissement est inégalitaire, puisqu’il est tributaire des ressources du milieu social considéré.
Immédiate ou sédimentée, directe ou vicariale, l’expérience mobilise divers processus : la perception, la représentation, l’émotion et la conception, qui permettent alors de donner du sens aux situations vécues, de se positionner dans l’espace et de façonner notre géographicité, notre être au monde. Par conséquent, elle contribue à configurer la spatialité de chacun, c’est-à-dire les manières dont nous agençons le monde.
De Rousseau aux classes promenades issues des courants d’éducation nouvelle et reprises par l’institution scolaire (programmes de 1938) puis aux activités d’éveil (1976-1985), l’expérience a souvent été considérée comme un puissant levier d’apprentissages. Diverses propositions didactiques contemporaines investissent et renouvellent cette perspective : les hyperpaysages (Partoune et Ericx, 2005), les parcours iconographiques (Le Guern et Thémines, 2011), les démarches de géographie expérientielle (Leininger-Frézal et al., 2020) ou le modèle Tem Ter i 3 [Temporalités et Territoires ; innovation, investigation, imagination] (Bédouret et al., 2018).
David Bédouret pour l’équipe de recherche Géodusocle, mai 2022. Dernière relecture : septembre 2024.
Références citées
- Bédouret David, Vergnolle Mainar Christine, Chalmeau Raphaël, Julien Marie-Pierre et Léna Jean-Yves , 2018. « L’hybridation des savoirs pour travailler (sur) le paysage en éducation au développement durable », Projets de paysage, n°18,
- Leininger-Frézal Caroline, Gaujal Sophie, Heitz Catherine et Colin Pierre, 2020. « Vers une géographie expérientielle à l’école : l’exemple de l’espace proche », Recherches en éducation, 41,
- Le Guern Anne-Laure & Thémines Jean-François, 2011. « Des enfants iconographes de l'espace public urbain : la méthode du parcours iconographique ». Carnets de géographes,
- Moles Abraham A., 1967. Sociodynamique de la culture. La Haye : Mouton, 344 p.
- Partoune Christine et Ericx Michel, 2005. « Les hyperpaysages : comment percevoir, interpréter et exprimer la complexité des sociétés derrière les paysages ? ». Bulletin de la Société géographique de Liège, 45, p. 33-43.
- Yi-Fu Tuan, 2006, Espace et lieu. La perspective de l’expérience. Paris : Infolio éditions, 219 p.
Pour compléter avec Géoconfluences
- Géodusocle (équipe de recherche collective), « La géographie apprise à l’école et au collège : quelques clés de lecture à partir d’une recherche conduite dans plusieurs académies », Géoconfluences, mai 2022