Extrême-Orient, Moyen-Orient, Proche-Orient
Extrême-Orient, Moyen-Orient et Proche-Orient sont trois expressions métagéographiques correspondent à trois régions de l’Orient, au sens où on a pu l’entendre au XIXe siècle, de la Turquie jusqu’au Japon. Cette division en trois résulte de la mainmise, à ce moment-là, de l’Europe sur l’ensemble de l’Asie, et plus particulièrement de la confrontation entre l’impérialisme britannique et l’impérialisme russe (Capdepuy, 2008).
La notion la plus ancienne est celle de Far East puisqu’elle est utilisée depuis les années 1840. Elle apparaît dans le titre de deux ouvrages d’ordre autobiographique : Trade and travel in the Far East, de G F. Davidson, publié en 1846 ; et Military Services and Adventures in the Far East, de l’officier de cavalerie britannique Daniel H. MacKinnon, publié en 1849. Mais l’usage du nom est sans doute antérieur. Le nom apparaît également en français vers à la fin des années 1850, comme l’atteste le livre de l’abbé Th. W…, Les martyrs de l’extrême-Orient, publié en 1859. L’espace couvert apparaît très vaste, englobant la Chine, l’Indochine, mais aussi l’Inde et l’Afghanistan. Il s’agit donc d’un très grand Extrême-Orient, que les puissances européennes commencent à se disputer : la première guerre de l’opium éclate en 1839. L’Extrême-Orient se démarque alors de l’Orient, au sens plus classique, à savoir l’ensemble composé alors de l’Empire ottoman et de l’Empire safavide. Cette opposition, d’abord implicite, amène au cours des années 1890 à la formation d’une expression symétrique, celle de Near East, après la guerre de 1897 entre la Grèce et l’Empire ottoman. Son usage en français date de la Première Guerre mondiale. Entre 1904 et 1919, on passe d’une appellation informelle, « Orient proche » ou « proche Orient » (sans trait d’union ni majuscule), à celle de « Proche-Orient » (Capdepuy, 2017). Elle supplante progressivement le nom, plus ancien, de Levant, en lien évidemment avec la colonisation franco-britannique de cette région qui se met en place après l’effondrement de l’Empire ottoman.
La notion de Middle-East apparaît elle aussi à la fin du XIXe siècle, probablement dans l’armée britannique en Inde. En effet, le Moyen-Orient a d’abord désigné la région centrée sur l’Empire safavide et sur le golfe Persique, c’est-à-dire sur les abords stratégiques de l’Inde. « On doit assumer que la partie la plus sensible de notre politique extérieure au Moyen-Orient est la préservation de l’indépendance et de l’intégrité de la Perse et de l’Afghanistan. » écrit ainsi le général britannique T. E. Gordon en 1900.
Dans les décennies qui ont suivi, la signification accordée à ces trois découpages a pu évoluer. L’expression Extrême-Orient n’est plus employée pour désigner la partie de l’Asie tournée vers le Pacifique, marquée sans doute d’une connotation coloniale, et on dit plutôt désormais Asie orientale ou Asie de l’Est. Le Proche-Orient correspond toujours aux pays qui bordent le bassin oriental de la Méditerranée, de la Turquie jusqu’à l’Égypte, mais le nom ne s’emploie plus pour parler des Balkans. Quant au Moyen-Orient, c’est le terme qui a le plus évolué dans sa délimitation. Le nom désigne aujourd’hui une région qui englobe la Turquie, l’Égypte et l’Iran, et qui trouve son importance par sa configuration et sa situation, comme isthme central de l’Eufrasie. Le Proche-Orient est donc désormais une partie du Moyen-Orient, ce qui n’est pas sans susciter des confusions. Quant à l’Inde, elle est finalement restée en dehors de cette division, entre le Moyen-Orient et l’Extrême-Orient, et correspond aujourd’hui à ce qu’on appelle l’Asie du Sud. On remarquera que finalement, l’appellation Asie du Sud-Ouest, ou Asie de l’Ouest, n’est pas entrée dans l’usage commun, contrairement à Asie de l’Est, du Sud ou du Sud-Est.
Vincent Capdepuy, avril 2024.
Références citées
- Capdepuy Vincent, 2008, « Proche ou Moyen-Orient ? Géohistoire de la notion de Middle East », L’Espace géographique, tome 37, p. 225–238.
- Capdepuy Vincent, 2016, « Moyen-Orient : une géographie qui a une histoire (I) », Orient XXI.
- Capdepuy Vincent, 2017, « Moyen-Orient : une géographie qui a une histoire (II) », Orient XXI.
- Gordon T. E., 1900 « The Problem of the Middle East », Nineteenth Century, p. 413.
Pour aller plus loin
- Clayton R. Koppes, “Captain Mahan, General Gordon, and the Origins of the Term 'Middle East'”, Middle Eastern Studies, Vol. 12, No. 1 (Jan., 1976), pp. 95–98 (4 pages)