Grand prédateur
Un grand prédateur est un animal situé, à l’âge adulte, au sommet de la chaîne alimentaire (ou chaîne trophique). Au sens strict, le principal grand prédateur à l’échelle mondiale est l’espèce humaine, même si la définition est généralement restreinte aux animaux non humains.
Il existe des grands prédateurs chez les poissons, oiseaux, reptiles et mammifères (terrestres et marins). Ce sont généralement des animaux puissants, qui vivent sur de vastes territoires. Ils sont régulés par le nombre de proies disponibles. Ils jouent un rôle important dans l’équilibre des écosystèmes en régulant les espèces, en éliminant les individus blessés ou malades, en modifiant les équilibres entre espèces. Ainsi, le loup, réintroduit à Yellowstone entre 1995 et 1997, a eu des effets aussi bénéfiques qu’inattendus : la densité de wapitis a diminué ; le coyote a repris sa place de mésoprédateur (prédateur secondaire) qui régule les antilopes d’Amérique ; douze espèces de charognards se sont développées ; les castors opèrent un timide retour car la baisse du nombre de wapitis leur assure plus de nourriture et de matériaux de construction ; les berges des rivières voient la végétation basse se densifier et se diversifier ; les cours d’eau se repeuplent. Les grands prédateurs ont donc un effet sur la structure même de leur écosystème : c’est la cascade trophique. Ils rendent aussi des services écosystémiques. Les léopards du Parc National Sanjay Gandhi, à Mumbai, l’une des villes les plus peuplées du monde, se nourrissent, entre autres, d’environ 1 500 chiens errants par an, faisant baisser les décès liés à la rage (21 000 par an dans le pays, Brazckowski et al., 2018). Entre 30 et 60 millions de chiens errants vivent en Inde, pays où il est illégal de les tuer. On en trouve 100 000 rien qu’à Mumbai, mais leur densité est réduite aux abords du parc (ibid.).
À l’échelle mondiale, les populations de grands prédateurs sont en déclin, ce qui dégrade le réseau trophique, avec une surabondance d’herbivores et de mésoprédateurs et une diminution de la biodiversité. Ces animaux sont en effet victimes de la chasse, du braconnage, du trafic d’animaux, de la surpêche, de la concentration de polluants accumulée dans leurs proies ou encore de la fragmentation voire de la destruction de leurs habitats.
Aux échelles nationales et locales, ce déclin n’empêche donc pas des populations qui sont parfois en augmentation, ce qui peut poser des problèmes de cohabitation avec les sociétés humaines, d’où de nombreuses politiques de coexistence et de régulation. En 2020, la Norvège a annoncé vouloir tuer à peu près la moitié de sa population de loups, une politique similaire étant menée en Suède et en Finlande. Cependant, les politiques de régulation peuvent favoriser la multiplication des mésoprédateurs : pour reprendre l’exemple des coyotes aux États-Unis, ils deviennent plus nombreux dès que des mesures de régulation (en fait d’abattage) sont prises. Enfin, la régulation n’empêche pas les attaques, de troupeaux majoritairement, car les grands prédateurs, naturellement, ne choisissent pas leurs proies uniquement parmi les espèces sauvages. En revanche, contrairement l’image qu’ils véhiculent dans la culture populaire, les grands prédateurs s’attaquent très peu aux humains. Les espèces les plus létales pour ces derniers sont de loin le moustique, les serpents, le chien, et de nombreuses espèces d’insectes parasites ou vecteurs de maladies (mouches tsé-tsé, vers…).
La présence des grands prédateurs peut entraîner des conflits : tant conflits d’acteurs (écologistes, chasseurs, agriculteurs, éleveurs, élus, habitants) que conflits d’usage (place des activités anthropiques, protection voire sanctuarisation de la nature ou régulation ?). Ce sont des visions différentes d’un même territoire qui s’affrontent, avec une intensité variable, jusqu’à la violence verbale et physique (exemple de la « guerre de l’ours » dans les Pyrénées). Une société dans son ensemble peut en être bouleversée, comme à la Réunion suite aux attaques de requin. L’une des solutions pour sortir de ces situations conflictuelles est d’apprendre à cohabiter avec les grands prédateurs. La cohabitation implique, à la différence de la coexistence, des relations et des interactions (Benhammou, Degeorges, 2023).
Maie Gérardot, novembre 2023.
Références citées
- Benhammou Farid et Degeorges Patrick « Faire société avec les loups », Le Monde diplomatique, juin 2023, p. 16.
- Brazckowski Alexander et al., « Leopards provide public health benefits in Mumbai, India », Frontiers in ecology and the environment, vol. 16, n° 3, 2018, p. 176–182.
Pour compléter avec Géoconfluences
- Stéphane Héritier, « Protéger un animal pour protéger un territoire : l'ours kermode, animal phare de la protection de l’environnement en Colombie britannique », Géoconfluences, avril 2019.
- Farid Benhammou, « Synthèse d'un renouveau prometteur et hétéroclite : vers une géographie humaine et politique de l’animal », Géoconfluences, avril 2019.
- Jean-Benoît Bouron, « Le Plan Loup, une réponse de l’État à un conflit socio-environnemental », Géoconfluences, avril 2017.
- Farid Benhammou et Rémy Marion, « Arctique : Les dessous géopolitiques de la protection de l'ours polaire », Géoconfluences, mars 2017.
- Emmanuelle Surmont, « Peur sur les plages. Du "risque requin" à la "crise requin" à La Réunion », Géoconfluences, avril 2016.
- Yanni Gunnell, « Notion à la une : écosystème », Géoconfluences, avril 2016.
- Farid Benhammou, « Territoire des animaux, territoire des hommes : aspects et enjeux du retour des grands prédateurs », Géoconfluences, avril 2008.
Pour aller plus loin
- Farid Benhammou, Crier au loup pour avoir la peau de l’ours. Une géopolitique locale de l’environnement à travers la gestion et la conservation des grands prédateurs en France, thèse, 2007.