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L'asturcón : quand les chevaux témoignent des mutations des espaces ruraux asturiens (Espagne)

Publié le 19/02/2025
Auteur(s) : Maie Gérardot, agrégée de géographie, docteure en géographie et aménagement, professeure en CPGE, laboratoire Ruralités - université de Poitiers, lycée Georges-de-la-Tour, Metz
Pierric Calenge, PRAG - université de Lorraine
Marie-Françoise Fleury, maîtresse de conférences en géographie - Université de Lorraine Metz, LOTERR

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La race de poneys asturcón, élevée dans les Asturies depuis l'Antiquité, a frôlé l'extinction au XXe siècle alors que déclinait l'élevage équin dans toute l'Europe. La mobilisation des acteurs ruraux et les politiques européennes l'ont sauvée, et lui ont conféré un rôle clé dans la mise en tourisme des Asturies. Mais l'asturcón, et plus généralement l'élevage extensif, est confronté à la délicate cohabitation avec les grands prédateurs, qui oblige les éleveurs à s'adapter.
Sommaire
  1. 1. Des espaces ruraux et des paysages en mutations
  2. 2. L’asturcón, vecteur d’un renouveau rural ?
  3. 3. Des conflits entre élevage et protection des grands prédateurs : quels usages pour les espaces ruraux asturiens ?

Bibliographie | mots-clésciter cet article

Comme de nombreux territoires européens, la principauté des Asturies, petite communauté autonome (10 000 km²) du nord-ouest de l’Espagne, connaît des recompositions spatiales profondes liées au déclin de l’agriculture traditionnelle, à la métropolisation et à la mise en tourisme. Les effets de l’exode rural y sont encore très visibles dans le paysage, de même que ceux de la modernisation de l’agriculture espagnole, encouragée par la PAC et les Fonds européens. Dans ce cadre, des acteurs locaux, individuels mais aussi institutionnels, tentent avec un certain succès de valoriser un patrimoine vivant, symbole des traditions rurales et de l’identité des Asturies, comme l’asturcón [1] un poney originaire des Asturies et de Galice. Bai ou noir (voire alezan), d’une hauteur moyenne d’1,25 m au garrot, il est résistant et docile.

Document 1. Un poney asturcón paît au pré

cheval paissant au pré

Photographie de Maie Gérardot, entre les Puertas de Marabio et le Paisage Protegido Pico Caldoveiro (sud-ouest de Proaza), août 2024.

Document 2. Localisation de la Cordillère Cantabrique et de la principauté des Asturies

Localisation des Asturies

L’asturcón est l’un des poneys les plus anciens du monde, sans doute déjà utilisé par les Celtes (Bongianni, 1987), présent dans les armées romaines et les spectacles du Cirque. Pline l’Ancien le décrit ainsi : « les tribus Galaicas et Astures du Nord de l’Hispanie élèvent une race de chevaux appelée Celdons (dans leur langue), que nous (les Romains) appelons Asturcones » [2]. Le nom romain, qui signifiait simplement « cheval des montagnes d’Asturies », serait donc resté pour qualifier cette race de poneys qui appartient à une famille plus large, présente dans l’Arc atlantique, et qui comprend neuf races différentes, aux caractéristiques assez similaires : garrano, asturcón, pottok, dartmoor, exmoor, wales, connemara, shetland et highland. L’asturcón, historiquement un cheval de bât et de selle, a la particularité d’être doté d’une allure supplémentaire : l’amble [3].

Lire aussi : Maie Gérardot, « Les chevaux et la Normandie, géographie d’une filière d’élevage », Géoconfluences, février 2020.

En quoi le renouveau de cette race équine reflète-t-il les mutations des espaces productifs ruraux dans cette région d’Espagne ?

Le sauvetage des asturcón, qui étaient menacés d’extinction dans les années 1970, est au cœur de nouvelles pratiques touristiques (festivals, sports équestres), mais également d’un nouveau rapport aux espaces ruraux. Il contribue également au maintien de l’activité agricole. Le modèle économique de cette filière d’élevage singulière demeure néanmoins fragile, et peut rentrer en concurrence avec les grands prédateurs, les ours et les loups, générant des tensions sur les représentations et usages légitimes de l’espace rural.

 

1. Des espaces ruraux et des paysages en mutations

Les espaces ruraux espagnols ont été profondément marqués par la déprise démographique et agricole. Ces tendances sont accentuées dans les Asturies où le renouveau des espaces ruraux s’est fait attendre.

1.1. Des espaces en déprise démographique : moins d’hommes et moins de chevaux ?

La densité des Asturies est de l’ordre de 95 habitants au km2, ce qui est très proche de la densité moyenne espagnole, elle-même inférieure à la moyenne européenne de 109 habitants au km2. Aujourd’hui peuplées d’un plus d’un million d’habitants, les Asturies ont connu un déclin démographique important, en particulier pendant la période franquiste où un fort exode rural fut encouragé afin d’alimenter les villes en main-d’œuvre, comme l’explique Yannis Nacef (2023). De nombreux villages et hameaux sont aujourd'hui en vente, unique solution trouvée par les municipalités pour lutter contre la déprise démographique. Le phénomène est courant dans toute l’Espagne (plus de 3 000 sites à vendre), mais c’est en Galice et dans les Asturies qu’il est le plus marqué, en raison de la poursuite de la dynamique de déprise dans les espaces ruraux, au profit des villes. D’après les données de l’INE (Instituto Nacional de Estadística) pour 2023, les seules municipalités de Gijón (268 313 habitants) et d’Oviedo (217 584 habitants) représentent à elles seules presque la moitié (48,33 %) de la population des Asturies.

À l’échelle de l’Espagne, les Asturies font partie des Communautés autonomes qui peuvent profiter des subventions pour « l’Espagne vide ». Cette région, comme d’autres en Espagne et en Europe, bénéficie des fonds agricoles européens et des 17 programmes de développement rural (PDR). Ces derniers sont financés au titre du Fonds européen agricole pour le développement rural (FEADER) et par des contributions nationales. Ils sont complétés en parallèle par des Groupes d’action locale (GAL) espagnoles. Ces aides sont primordiales pour assurer la survie de ces espaces, où les difficultés quotidiennes tranchent avec l’image de « paradis » entre mer et montagnes véhiculée par de nombreux acteurs ou médias. Une brochure touristique consultée en 2024 s’intitule par exemple « Retrouvez le Paradis, découvrez les Asturies », elle a été éditée par l’Office de tourisme des Asturies. La dernière page comporte deux hashtags : #ParadisNaturel et #RetrouvezleParadis.

Dans ces espaces ruraux en déprise démographique, la place de l’asturcón a beaucoup évolué. Alors que la race est au bord de l’extinction dans les années 1970, 3 000 individus sont aujourd’hui présents dans les montagnes asturiennes, montagnes dont les paysages ont considérablement changé.

1.2. Une conséquence : la mutation importante des systèmes agricoles et des paysages

L’exode rural est donc la clé de compréhension de la situation actuelle. Les espaces productifs ont évolué en conséquence et les activités ont été déplacées. Les activités liées à l’exploitation des ressources naturelles, par le biais de la pêche, de l’agriculture et de l’exploitation des forêts et des mines occupent aujourd’hui seulement 5 % de la population active. Ce faible pourcentage traduit nettement la disparition d’une société paysanne qui existait encore largement à l’époque franquiste.

L’ensemble des activités consistant en une transformation plus ou moins élaborée des matières premières, comme les industries manufacturières, occupe 30 % de la population active. La mise en place d’espaces productifs sur le territoire régional autour d’activités comme la sidérurgie, l’industrie agro-alimentaire, le travail de l’acier, l’armement ou encore la chimie a, en son temps, dynamisé la région. Mais les Asturies ont également connu un déclin industriel important à partir des années 1970 et une reconversion dès les années 1980 (Vega Garcia, 2010). La rapide désindustrialisation a profondément redessiné l’économie asturienne, tandis que de nombreuses friches industrielles marquent encore les paysages.

Aujourd’hui, les services marchands et non marchands, le tourisme et l’administration regroupent 65 % de la population active. Le développement du tourisme a donc représenté un tournant important dans l’économie, mais aussi dans les espaces ruraux, les paysages et la vie quotidienne des Asturies.

Le déclin démographique a également eu des conséquences sur les paysages. Dans les années 2000, dans le parc de Somiedo (Salès, 2002), les paysages ont été considérablement modifiés par la baisse de la population, qui s’accompagne d’une transformation de l’élevage :

« 1700 habitants, disséminés sur 36 hameaux (30 000 ha). La région a connu un véritable exode entre 1960 et 1980. "La physionomie de l'élevage a bien changé en quelques décennies, explique Belarmino Fernandez, maire de Pola de Somiedo. II y a encore 40 ans, il y avait peu de vaches, beaucoup de moutons, et beaucoup de gens pour s'occuper des bêtes, c’est l’inverse aujourd'hui. Le nombre d’éleveurs a beaucoup diminué du fait de l’exode rural, mais les troupeaux sont plus importants, et la rentabilité a augmenté. Sur la commune, on compte actuellement 280 éleveurs (60 % de la population de Somiedo vit directement de l’élevage bovin) qui élèvent entre 7 000 et 8 000 vaches, exclusivement pour la viande. Il ne reste par ailleurs que 5 troupeaux de moutons qui viennent en transhumance chaque année depuis l’Estrémadure" ».

Pierre Salès (2002), « Vivre avec le loup des Asturies aux Carpates », Gestion des milieux et des espèces. Cahiers techniques n° 69. L’Atelier technique des espaces naturels, 2002. Disponible en ligne sur le site de l’OFB.

Les orientations technico-économiques des exploitations et celle des paysages fonctionnent en parallèle. En effet, le passage d’une orientation majoritairement « ovins » à une orientation majoritairement « bovins » entraîne l’enfrichement de vastes superficies de parcours et une fermeture progressive des milieux. L’augmentation du nombre d'asturcón dans ces espaces, nous le verrons, peut poser la question du partage des pâturages avec l’élevage bovin.

 

2. L’asturcón, vecteur d’un renouveau rural ?

La race de poney asturcón est l’un des ingrédients au service de l’image du territoire et de la mise en tourisme des espaces ruraux, à travers la patrimonialisation.

2.1. Mise en tourisme et patrimonialisation de la race

L’asturcón a joué un rôle important dans l’économie espagnole car il a longtemps été utilisé dans toute l’Espagne pour les travaux agricoles. Il a même été exporté : au XVe siècle par exemple, vers l’Irlande et Paris pour tirer de petites voitures. Les conditions naturelles des Asturies (relief, communications difficiles jusqu’au XXe siècle) ont permis de préserver la pureté de la race en empêchant les croisements. Cependant, l’élevage recule face à la modernisation progressive du travail agricole, à la guerre civile (avec des abatages massifs pour la viande), au reboisement et à la réduction des pâtures. Les asturcón sont progressivement repoussés vers les zones les plus rudes des Asturies, les meilleurs pâturages étant consacrés à des élevages plus lucratifs, comme l’élevage bovin, lequel sera en plus, ultérieurement, largement subventionné dans le cadre de la Politique agricole commune, contrairement à l’élevage équin. Il ne reste plus qu’une quarantaine de bêtes dans les années 1970 : la race est alors au bord de l’extinction. Cela coïncide avec l’effondrement de nombreuses populations équines européennes, en raison de la motorisation, en particulier les chevaux de travail. Le naturaliste espagnol Félix Rodríguez de la Fuente déplore ainsi que les habitants des Asturies utilisent des étalons d'autres races et castrent les mâles en raison de la petite taille de l’asturcón qui le rend peu rentable pour la viande (Cuervo Álvarez, n. d.).

Document 3. Effectifs équins actuels dans les exploitations agricoles espagnoles

Chevaux par communautés autonomes espagnoles

Quelques éleveurs et passionnés se mobilisent dans les années 1970 et 1980, en achetant des chevaux à des éleveurs de la Sierra del Sueve, à des fins de reproduction, pour relancer l’élevage de l’asturcón. L’Asociación Asturiana de Amigos de la Naturaleza (Association asturienne des amis de la nature) se mobilise également. L’Asociación de Criadores de Ponis de Raza asturcón (Association des éleveurs de poneys de la race asturcón - ACPRA), créée en 1987, est reconnue par le ministère de l’Agriculture et obtient de gérer officiellement le registre de la race en 1995. Dans les années 1990 est également créée une association de sauvegarde en faveur des asturcón de robe baie (Asociación de Criadores de Asturcones de Capa Castaña). La race a aussi bénéficié du programme européen Equisave, visant à préserver les races chevalines originaires de l'espace atlantique.

En 2011, à Gijón, l'ACPRA crée un centre d'enseignement autour de l’asturcón (Centro de cría y fomento del asturcón) pour promouvoir la race et l’utiliser pour l’équitation et l’attelage. L'association a également signé un accord avec le conseil municipal de Deva (village de 700 habitants environ) pour inclure un troupeau au Centre d'interprétation de la nature (Centro de Interpretación de la Naturaleza). En 2007, l’Asociación de Criadores de Ponis de Raza asturcón et l’Asociación de Criadores de Asturcones de Capa Castaña fusionnent, et une vaste étude a été menée pour connaître la diversité génétique de la race et les conséquences de l'inclusion des poneys de robe baie dans le stud-book. Les efforts des éleveurs ont permis de réduire la consanguinité. Si les effectifs d’asturcón ont augmenté (autour de 3 000 aujourd’hui), « la forme pure de la race est toujours en danger ». Son statut FAO est d’ailleurs race « en danger mais maintenue ».

Enfin, le tourisme a joué un rôle important dans le sauvetage de l’asturcón. Dans les années 1980, en complément du développement du tourisme associé aux différentes possibilités offertes par la région (encadré 1), la race a connu un processus de patrimonialisation. On peut ici penser à une fête en l’honneur de l’asturcón (Fiesta del asturcón) créée en 1980. Elle se déroule chaque année le troisième samedi d’août à la Majada de Espineres, dans la Sierra del Nueve, lieu emblématique de la renaissance de l’asturcón. Commençant le matin par une messe de campagne, elle se poursuit par un concours de danse régionale, des chargangas (fanfares), des groupes de gaitas (cornemuses) et un déjeuner de confraternité. C’est alors que se tiennent les démonstrations d’équitation et de domptage, et le marquage des poulains nés au cours de l’année. Depuis 2019, elle est reconnue comme Fête d’intérêt touristique national. Elle accueille chaque année environ 3 000 personnes. Les participants sont surtout locaux, voire régionaux, passionnés par l’asturcón. Beaucoup sont là seulement à la journée.

Encadré 1. L’essor du tourisme dans les Asturies

Le tourisme dans les Asturies s’est beaucoup développé, autour du double support des paysages de mer et de montagne. S’offrent aux touristes de multiples activités comme la randonnée, le vélo, l’écotourisme, la gastronomie, un tourisme urbain, rural ou encore industriel. Les acteurs du tourisme s’appuient également sur les chemins de Saint-Jacques de Compostelle qui contribuent de façon non négligeable au développement touristique des Asturies. En effet, plusieurs itinéraires traversent les Asturies (le Chemin Primitif, le Chemin du Nord, le Chemin de la Côte, le Chemin d’El Salvador et de multiples variantes) et convergent vers Oviedo, qui se situe à environ 300 km de Saint-Jacques de Compostelle. Le développement du tourisme a été l’un des leviers utilisés pour sauver l’asturcón de l’extinction.

Document 4. La Fiesta del asturcón

fete du cheval

Le public rassemblé à l’occasion de cette fête dédiée à la race asturcón. Clichés reproduits avec l’aimable autorisation de Turismo Asturias - Ricardo Yagüe.

fete du cheval 2

Démonstration où un asturcón tracte une charge, ce qui rappelle son passé de cheval de travail, attelé à des voitures ou des « xarrès ».

Le sauvetage de l’asturcón a ainsi été associé à la redynamisation du territoire rural asturien, en ravivant l’accès à la culture et aux traditions.

Aujourd'hui, l’asturcón est aussi élevé à des fins très différentes de l’usage touristique. En premier lieu, l’élevage a été orienté vers la production de viande, ce qui a permis de maintenir l’espèce (en France aussi, la production de viande de cheval a permis de maintenir un patrimoine génétique équin important). Les poulains grandissent vite, ce qui est un atout dans la production pour la viande. Mais d’autres races sont actuellement bien plus utilisées pour la boucherie.

La filière viande prend de l’importance, avec 900 éleveurs, combinant souvent élevage bovin et équin. Selon, l’Asociación de Criadores de Ganado Equino de la Montaña Asturiana (ACGEMA), seuls quelques éleveurs ne font que de l’élevage équin pour la viande. Les poulains sont transportés à environ 10 mois vers des centres d’engraissement où ils resteront trois mois (le temps de passer de 300 / 450 kilos à 600 / 750 kilos, en fonction des races). Si la consommation de viande de cheval a diminué dans les Asturies au cours des dernières décennies, des pays sont en demande, en particulier la Suisse et l’Italie. Les éleveurs sélectionnent de plus en plus les animaux pour améliorer leurs rendements (quantité et qualité de la viande, utilisation rentable des pâturages).

Un autre usage de l’asturcón, qui a pris de l’ampleur à partir des années 1980, est l’élevage pour les centres équestres et la pratique des sports et loisirs équestres. L’ACPRA promeut activement l’utilisation de la race pour l’enseignement de l’équitation. Dans les compétitions de saut d’obstacles pour poneys, le niveau de l’asturcón ne cesse de s’améliorer. Une réorientation vers le cheval de selle semble donc progressivement s’opérer.

Document 5. Rencontre avec un éleveur, Puertas de Mariabo, au Sud-ouest de Proaza

Cet éleveur, rencontré en août 2024 aux Puertas de Mariabo, est un ancien mineur. En complément de sa retraite, il élève des chevaux pour la viande et des asturcón pour l’équitation. Les chevaux évoluent librement, sous la garde d’un mâtin (mastín en espagnol, chien de protection), mais ils sont facilement localisables car plusieurs d’entre eux portent des colliers équipés d'un émetteur de signal satellitaire. L’éleveur les localise via son téléphone, grâce à une application.

cheval localisé par GPS

L’étalon du troupeau est équipé d’un collier de positionnement par satellite. Photographie de Maie Gérardot, août 2024.

L'ancêtre du GPS : la cloche

Les chevaux sont souvent équipés de cloches, autre moyen utilisé par l’éleveur pour les localiser. Photographie de Maie Gérardot, août 2024.

cheval localisé par GPS

L’éleveur montre sur son téléphone comment localiser les chevaux équipés d’un collier émetteur, ici une jument nommée Capri. Photographie de Maie Gérardot, août 2024.

Cependant, le nombre d’éleveurs de poneys asturcón reste peu important. En 2016, Manuel Roza, président de l’ACPRA, évoquait le problème du manque de rentabilité de l’élevage, réalisé par une poignée d’éleveurs « qui n’en tirent rien », frein important pour lui à la survie de la race. Il soulignait également le mauvais état de conservation des montagnes, où l’herbe se fait de plus en plus rare au profit de la garrigue (Cadena SER, 2016).

2.2. L’essor du tourisme équestre dans les Asturies

L’exode rural explique sans doute pourquoi les Asturies ont été pionnières dans le développement du tourisme rural, avec un réseau particulièrement développé de Maisons rurales (soutenu par la Principauté des Asturies, le gouvernement espagnol et l’Union européenne, via ses différents fonds de développement). Là encore, un parallèle peut être fait avec la France, première destination européenne pour le tourisme équestre, avec une branche de la Fédération Française d’Équitation spécialement dédiée à cette pratique, particulièrement importante du point de vue économique et humain dans les espaces ruraux, parfois en grande difficulté.

Viajeros a Caballo, la revue du tourisme équestre en Espagne, propose plusieurs itinéraires dans les Asturies. Le site de l’Office du tourisme des Asturies met quant à lui en lumière la fête de l’asturcón, le tourisme équestre et les grands événements hippiques asturiens, comme le championnat équestre de Gijón ou les courses organisées sur les plages (Ribadesella ou Santa-Marina par exemple).

Document 6. La mise en valeur touristique des chevaux dans les Asturies : l’exemple des courses de Ribadesella
course de chevaux sur la plage course de chevaux sur la plage

Clichés reproduits avec l’aimable autorisation de Turismo Asturias - Juan de Tury.

Document 7. Utiliser l’image de l’animal pour communiquer sur le territoire

Poney à contre-jour

Poney à contre-jour et relief en sfumato. Cliché reproduit avec l’aimable autorisation de Turismo Asturias - Noé Baranda.

Jument et poulain

Jument et poulain à Majada de Espineres. Cliché reproduit avec l’aimable autorisation de Turismo Asturias - Mampiris.

Les photographies des documents 6 et 7 montrent l’importance de l’image du cheval dans la communication et le marketing territorial. Turismo Asturias est une marque, comme d’autres marques territoriales, au même titre qu’Only Lyon ou Berry Province. Ce phénomène de « branding » (ou, en français, de promotion d’une image de marque) constitue l’ensemble des actions marketing visant à constituer une image de marque immédiatement identifiable par la cible et véhiculant une perception très positive. Le but est de valoriser tout autant la race de ce poney que de « vendre » les paysages asturiens qui y sont associés.

 

3. Des conflits entre élevage et protection des grands prédateurs : quels usages pour les espaces ruraux asturiens ?

Comme ailleurs en Europe, les difficultés des éleveurs ne sont pas seulement la recherche de débouchés ou le reboisement. Ils sont confrontés, dans les Asturies comme dans les Pyrénées ou dans les Alpes, à deux grands prédateurs : l’ours et le loup.

3.1. Les grands prédateurs dans les Asturies, des animaux protégés, vecteurs d’un tourisme important dans des espaces ruraux dévolus à l’élevage extensif…

La Cordillère Cantabrique abrite une mosaïque d’écosystèmes montagnards et forestiers bien préservés avec la présence d’ours, loups ibériques, chats sauvages, loutres, bouquetins ibériques, aigles royaux, vautours fauves, isards cantabriques pour ne citer que ceux-ci, labellisée et protégée par de nombreux parcs naturels. Si les Asturies ne représentent que 2 % du territoire espagnol, elles représentent 1 % des réserves de biosphère de la planète [4]. En outre, la protection de l’environnement a été précoce : parc national de la Montaña de Covadonga dès 1918 (aujourd’hui parc national des Pics d’Europe), désignation de la forêt de Muniellos comme « paysage pittoresque » en 1964 ou encore création du parc naturel de Somiedo en 1988, avant même que l’État espagnol ne règlemente la protection de l’environnement. Il est donc logique que l’un des piliers du tourisme dans les Asturies repose sur l’observation de la faune sauvage, et en particulier l’ours. Menacé d’extinction (en 1962, il n’en restait que 77), l’ours a fait l’objet d’une protection (lutte contre le braconnage dès les années 1980) et d’une valorisation (les Casas del Oso – musées dédiés à l’ours –, le Senda del Oso, soit le sentier de l’ours, ou encore les multiples représentations de l’ours dans les espaces publics ou commerciaux, avec des statues par exemple).

Document 8. Part des espaces protégés par communauté autonome en Espagne

Espaces protégés en Espagne carte

Document 9. Exemples de valorisation de la présence de l’ours dans les Asturies à Proaza (715 habitants)

Statue d'oursPhotographie de Maie Gérardot, octobre 2023.

Plaque« La maison de l’ours a été construite avec la collaboration de l’Union européenne, de l’Institut national pour la conservation de de la nature et la principauté des Asturies, dans le cadre du projet LIFE « actions pour la conservation de l’ours et de son habitat dans la Cordillère Cantabrique ». Photographie de Maie Gérardot, août 2024.

Magasin avec statue d'oursStatue d’ours dans une supérette. L’ours est représenté debout et agressif, ce qui relève du stéréotype. En effet, un ours se met debout pour mieux appréhender son environnement – il n’a pas une très bonne vue –, pour mieux se gratter sur un tronc ou pour chercher de la nourriture dans un arbre. Photographie de Maie Gérardot, août 2024.

Dans ce que les acteurs du tourisme appellent les « Vallées de l’ours » (Los Valles del Oso), c’est-à-dire les vallées du Rio Teverga, du Rio Quiros et de ses affluents (document 11), les références à l’ours sont très fréquentes (bars, restaurants, locations de vélo, statues …). La présence du loup est moins valorisée. Très difficile à observer, cet animal n’a en outre pas la « bonne réputation » que peut avoir l’ours dans l’imaginaire collectif (Benhammou, 2007 ; Benhammou et al., 2024).

Document 10. Les Vallées de l’ours

Vallées de l'ours

Cependant, cette valorisation touristique ne peut masquer le fait que la présence de grands prédateurs à proximité des troupeaux est conflictuelle.

3.2. …provoquant des tensions palpables : des espaces ruraux en conflit ?

L’Espagne a choisi de valoriser la présence des grands prédateurs depuis les années 1980. Un programme extrêmement ambitieux et efficace a, par exemple, permis de faire passer la population de lynx ibériques de 90 individus dans les années 1990 (population menacée d’extinction) à 1 111 en 2020. Le pays est régulièrement cité comme un modèle de coexistence entre ces animaux et les humains, en particulier par les défenseurs des grands prédateurs dans des pays où la cohabitation est particulièrement conflictuelle, comme la France (Benhammou, 2007 ; Benhammou et al., 2024). Cependant, les loups peuvent être à l’origine de prédations importantes sur les troupeaux, ce qui a entraîné des demandes de régulation de la part des éleveurs à partir des années 2010.

En 2016, les loups sont accusés d’avoir été à l’origine de la mort de 60 poneys asturcón (Menéndez, 2017). Cette prédation est mal acceptée par les éleveurs, d’une part parce que l’asturcón est toujours une population vulnérable et en danger ; d’autre part parce que toute perte d’un animal est une perte financière et un traumatisme pour l’éleveur ; et enfin parce que la principauté des Asturies finance la conservation de la race. Le dilemme est alors le suivant : les deux espèces sont menacées d’extinction, mais si l’une s’en prend à l’autre, que faire ?

Le niveau de protection du loup est remis en question dans de nombreux pays d’Europe, du fait de l’action, entre autres, d’Ursula Von der Leyen. En septembre 2024, les États membres de l’Union européenne ont voté pour baisser le niveau de protection du loup dans le cadre de la Convention de Berne, ce qui a été accepté en décembre. Le loup n’est plus une « espèce de faune strictement protégée » mais une « espèce de faune protégée », ce qui va, partout où le demande sera faite, faciliter sa régulation, c’est-à-dire des abattages.

L’Asociación de Criadores de Ponis de Raza asturcón demande, de façon récurrente, la régulation du loup, mais cette demande n’est cependant pas propre aux éleveurs de chevaux. Pour l’association, le nombre de poneys asturcón n’augmente pas assez, malgré la naissance de 400 à 500 poulains chaque année, ce qui remet en cause la viabilité de l’espèce. La cause semble être, selon elle, les loups. L’ours n’est pas accusé, les attaques d’ours sur les troupeaux étant très rares, l’ours est omnivore et le loup carnivore.

Pour éviter les attaques, les éleveurs peuvent protéger leurs troupeaux, y compris de chevaux, avec des chiens, souvent des mâtin espagnols. Ces chiens sont présentés dans une brochure d’information aux touristes comme les garants du maintien des pratiques traditionnelles du pastoralisme extensif dans la Cordillère Cantabrique.

Document 11. Chiens de protection des troupeaux dans les Asturies

 Chien de protection : mâtin espagnolChiens de protection au travail près d’un troupeau de chèvres. Remarquer le collier clouté, qui protège le cou de ce mâtin espagnol des attaques de grands prédateurs. Route de Las Xanas, entre Villaneuva et Tuñón, 2023, photographie Maie Gérardot, octobre 2023.

 Chien de protection : mâtin espagnol

Chien de protection au travail auprès d’un troupeau de chevaux (dont des asturcón), Puertas de Mariabo, au sud-ouest de Proaza, 2024. Ce mâtin espagnol est équipé d’un collier aux pics de métal. Ces colliers sont appelés des carlancas (wolf collar en anglais). Photographie de Maie Gérardot, août 2024.

Chevaux et chien de protectionComme tous les chiens de protection, il ne quitte pas le troupeau. L’éleveur vient le nourrir. Photographie de Maie Gérardot, août 2024.

Pendant l’été 2024, deux ours ont été trouvés morts dans des pièges dans les Asturies, à Belmonte de Mirande et à Ibias. La Fundación Oso Pardo (FOP) a dénoncé la réapparition de pratiques de braconnage qui avaient quasiment disparu, signe de la colère montante des éleveurs envers l’ours. Les prédations liées aux ours sont, pourtant, nous l’avons dit, très rares dans les Asturies, sachant en outre que la mortalité des bêtes n’est pas intégralement, loin de là, imputable aux grands prédateurs. Comme en France, les animaux élevés de façon extensive en montagne peuvent mourir de maladie, suite à une chute, lors d’un orage ou encore d’une attaque de chien(s). Opportunistes, les loups et les ours peuvent se nourrir à partir d’une carcasse sans être à l’origine de la mort de l’animal. L’éleveur sera alors indemnisé, dans le doute d’une attaque.

Document 12. Des vautours fauves nettoient une carcasse de cheval

Vautours

Arrivés après les loups auxquels ont succédé des renards, les vautours fauves se disputent les restes d’un cheval. Rien ne permet de dire comment cet animal est mort. Puertas de Mariabo, au sud-ouest de Proaza, 2024, photographie prise à la lunette d’observation, Maie Gérardot, août 2024.

Conclusion

L’asturcón représente l’un des symboles de l’histoire et la culture asturiennes tout en ayant un certain impact territorial, apportant un intérêt touristique à l’échelle régionale. Sa rusticité et les efforts de passionnés ont permis d’éviter l’extinction de cette race aujourd'hui protégée. L’asturcón est ainsi au centre des intérêts de préservation équestre, aussi bien au niveau de l’État espagnol qu’à celui de l’Union européenne. Cette histoire récente de l’asturcón permet d’étudier sous l’angle des animaux non humains les mutations des espaces ruraux et montagneux du Nord-Est de l’Espagne, indissociables des dynamiques économiques, démographiques et sociales d’un pays européen intégré à la mondialisation.


Bibliographie

Lire aussi : Maie Gérardot, « Les chevaux et la Normandie, géographie d’une filière d’élevage », Géoconfluences, février 2020.

[1] Note de l’éditeur : nous orthographions le nom de la race sans majuscule et avec un pluriel invariable : les asturcón. Le pluriel espagnol est asturcones.
[2] Site de l’office du tourisme des Asturies, consulté en 2024.
[3] En plus du pas, du trot et du galop. L’amble est une allure où l’animal se déplace en levant en même temps les deux jambes du même côté. Cependant, cette allure n’est plus naturelle aujourd’hui et les chevaux qui la pratiquent ont été dressés pour cela.
[4] Site de l’office de tourisme des Asturies, consulté en 2024.

Mots-clés

Retrouvez les mots-clés de cet article dans le glossaire : cheval | élevage | espaces ruraux | exode rural | grand prédateur | marketing territorial | recompositions.

 

Maie GÉRARDOT

Professeure en CPGE, lycée Georges-de-la-Tour, Metz, laboratoire Ruralités, université de Poitiers.

Pierric CALENGE

PRAG, laboratoire LOTERR, université de Lorraine.

Marie-Françoise FLEURY

Maîtresse de conférences, université de Lorraine.

Édition et mise en web : Jean-Benoît Bouron

Pour citer cet article :  

Maie Gérardot, Pierric Calenge et Marie-Françoise Fleury, « L'asturcón : quand les chevaux témoignent des mutations des espaces ruraux asturiens (Espagne) », Géoconfluences, février 2025.
https://geoconfluences.ens-lyon.fr/informations-scientifiques/dossiers-regionaux/territoires-europeens-regions-etats-union/articles-scientifiques/asturcon

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