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Justice spatiale

Publié le 07/04/2023
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La notion de justice spatiale ne doit pas être entendue comme une justice entre les lieux, mais comme la dimension spatiale de la justice entre les hommes. Parce que les sociétés organisent l'espace qu'elles habitent, les territoires reflètent les rapports sociaux.

La notion de justice spatiale est pertinente à toutes les échelles, du local (opposition des beaux quartiers et des taudis urbains, conflits fonciers entre propriétaires et paysans sans terre) au mondial (contraste entre les États favorisés et les États en précarité) en passant par le national (disparités des régions) et le régional (inégalités internes à l'espace régional).

Apparue dans les années 1970 dans le monde anglophone, cette notion fut introduite en France en 1981 par Alain Reynaud dans un ouvrage fondateur : Société, espace et justice : inégalités régionales et justice socio-spatiale. Reynaud reprend notamment les thèses du géographe britannique David Harvey (1973). Selon ce dernier, il existerait cinq formes d’injustice, toutes en liaison avec l’espace : l’exploitation, la marginalisation, l’absence de pouvoir, l’impérialisme culturel, la violence. Et il faut donc une géographie de l’action pour les réduire, les abolir ou les rendre acceptables. La justice spatiale est donc l’action du social sur le spatial mais aussi celle du spatial sur le social : en ce sens, l’aménagement du territoire devrait être un acte essentiel de justice spatiale. Les travaux de David Harvey comme ceux d’Alain Reynaud ont connu une postérité importante en géographie et la notion elle-même a donné son titre à une revue scientifique bilingue : Justice spatiale | spatial justice (JSSJ.org).

En s'appuyant sur la théorie du philosophe John Rawls (1971), on peut donner à la justice spatiale les contours suivants. La justice spatiale, c'est d'abord l'organisation de l'espace politique la plus adéquate pour le respect effectif de l'égalité des droits et pour la démocratie : le maillage politico-administratif du territoire, en particulier le découpage des circonscriptions électorales, est ici en cause. Ce maillage peut en outre servir ou desservir la justice selon la répartition qu'il induit des prélèvements fiscaux et de la dépense publique. À cela s'ajoute le problème de l'accès aux services publics (l'enseignement, la santé, par exemple), à l'emploi et à la mobilité. La stricte égalité n'étant pas possible compte tenu du milieu physique, des contraintes économiques et de la répartition de la population, l'approche rawlsienne de cette difficulté dit qu'il faut porter au niveau le plus élevé possible la part de ceux qui sont le moins bien pourvus. C'est le principe de la maximisation du minimum, le maximin, utile pour penser la répartition géographique des services publics. Cela conduit à l'idée de l'aménagement du territoire comme outil de justice spatiale en application du principe rawlsien de réparation : remédier aux injustices, c'est-à-dire aux inégalités qui contreviennent au principe du maximin. En d'autres termes, la justice spatiale consiste aussi à corriger les injustices spatiales, à mettre en cohérence l'organisation du territoire avec un projet de société plus juste, à agir directement sur les lieux pour agir indirectement sur les humains.

La justice spatiale n'est pourtant qu'une composante de la justice. Agir sur l'organisation de l'espace est utile, mais agir directement sur le social peut être encore plus efficace : l'important est de coordonner les différents registres de l'intervention publique en vue des objectifs visés.

Sous tous ces aspects, y compris immatériels, il n'existe aucun territoire qui soit pleinement juste parce qu'il n'existe aucune formation sociale qui soit elle-même juste. Néanmoins, certains territoires sont plus justes que d'autres, ce qui valide la notion de justice spatiale pour comprendre le fonctionnement social et pour faire évoluer les sociétés.

Le thème de la justice spatiale a trouvé un second souffle dans le cadre du développement des géographies du genre puis des études postcoloniales (postcolonial studies) : cette justice est-elle une volonté d’équité qui tient donc compte des inégalités et tente de les réduire, par exemple par l’aménagement des territoires ? Ou ce droit doit-il être élargi, au-delà des individus, à des communautés ?

(MCD) novembre 2015, dernière modification (JBB, SB et CB) avril 2023.


 Références citées
  • Davis Harvey (1973), Social justice and the City. Londres, Arnold.
  • John Rawls (1971), Théorie de la justice, trad.1987, Paris, Seuil, 666 p.
  • Alain Reynaud (1981) : Société, espace et justice : inégalités régionales et justice socio-spatiale. PUF.
Pour compléter avec Géoconfluences 
Pour aller plus loin
  • Philippe Gervais-Lambony (dir) (2009), n° spécial Justice Spatiale, Annales de Géographie, n° 665 – 666, janvier-avril 2009.
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