Les défis de la future politique régionale européenne 2014-2020 : on prend les mêmes et on recommence ?
Voir un article plus récent sur la période budgétaire suivante : |
Bibliographie | citer cet article
La politique de cohésion de l’Union Européenne (UE) a fêté ses vingt années d’existence en 2009. La mise en place de cette politique part du constat que les forces du marché ne sont pas nécessairement suffisantes pour réduire de façon significative les disparités régionales. L'UE a alors construit cet outil de solidarité financière entre États membres avec l'objectif d'améliorer la compétitivité des régions défavorisées et de corriger les déséquilibres régionaux.
Le Traité de Rome (1957) rappelait déjà « la nécessité d’un développement harmonieux en réduisant l'écart entre les différentes régions et le retard des moins favorisés ». Développée par étapes depuis 1975, la politique régionale européenne finance des programmes de développement dont bénéficient les régions de l’UE « en retard de développement » ou « en difficulté structurelle », selon la terminologie officielle.
La réduction des disparités régionales est également la condition de la réussite du marché non plus commun mais unique. La convergence des niveaux de vie doit permettre de garantir une concurrence loyale à l’intérieur de l’espace européen. Ainsi, n’est-il pas étonnant de constater que la grande réforme de la politique régionale de 1988 [1] correspond précisément avec la volonté d’achèvement du marché unique (Acte unique, 1986). Les grands Objectifs ont connu des évolutions, mais le principe n’a pas changé. Depuis sa création, cette politique a gardé comme buts de réduire les disparités régionales, restructurer les économies des régions, créer de l’emploi et stimuler l’investissement privé. L’UE n’a jamais renoncé à l’objectif de faire profiter de sa prospérité l’ensemble de ses citoyens, dans la perspective d’un idéal dont certains perçoivent les contours d’un « modèle européen ».
Pour la période de programmation 2000-2006, 213 milliards d’euros ont été affectés à cette politique, soit près de 35 % du budget de l’Union, représentant 0,45 % de son PNB. La part du budget allouée à la politique régionale n’a quasiment pas bougé (35,7 %) durant la période de programmation suivante 2007-2013, pour un montant total de 347 milliards d’euros. Il s’agit du second poste budgétaire le plus important après la Politique Agricole Commune (PAC). Or, l’élargissement à douze pays – dont le PIB moyen par habitant est inférieur à 43 % de celui de l’Europe des Quinze – remet en cause les équilibres budgétaires sur lesquels repose le financement de la politique régionale européenne, comme d'ailleurs celui de la PAC. L'intégration des douze nouveaux États-membres [2] bouleverse aussi la répartition des Fonds structurels distribués par l'UE, puisque 53 % des montants sont revenus aux pays entrants. Toutefois, en même temps, des aides transitoires ont été accordées aux régions qui se sont trouvées brusquement enrichies en moyenne [3] par l’intégration de régions en grande difficulté.
Les élargissements successifs de l’Union européenne de 6 à 28
Source : Toute l'Europe.eu |
Évolution de la répartition des Fonds structurels par État entre les périodes 2000-2006 et 2007-2013
Source : DG Regio. Calculs : S. Bourdin. |
Les dix régions européennes ayant reçu le plus de fonds structurels
Période de programmation 2000-2006
|
Période de programmation 2007-2013
|
Les dix régions européennes ayant reçu le plus de fonds structurels par habitant
Période de programmation 2000-2006
|
Période de programmation 2007-2013
|
Source : DG Regio. Calculs : S. Bourdin., A. Peyre.
Les négociations sur la période de programmation 2014-2020, qui se sont déroulées sur fond de crise budgétaire en Europe, ont creusé le fossé entre pays dits contributeurs nets – ils versent plus d’argent qu’ils n’en reçoivent – et les pays bénéficiaires nets, un peu comme si la logique Thatcher [4] s’était propagée. Ainsi, on a vu s'opposer les pays partisans d’une dépense publique limitée (Royaume-Uni, Allemagne, Danemark, Finlande, Pays-Bas) et les pays prônant une augmentation – au pire, un maintien – du budget européen alloué à la politique régionale (pays de l'Europe centrale et orientale ainsi que la Grèce ou encore le Portugal).
À l'issue de ces négociations, la Commission européenne a proposé une nouvelle architecture de la politique régionale européenne pour 2014-2020. On cherche surtout aujourd’hui à ne plus saupoudrer les aides européennes, mais, au contraire, à les concentrer sur les régions les plus en retard. L’objectif est désormais de répartir les aides, non plus sur la base d’un zonage des territoires éligibles, mais selon des priorités thématiques devant permettre d’améliorer la compétitivité de l’Europe dans un contexte de concurrence internationale accrue. Cet « earmarking » [5] établi par le Conseil européen de décembre 2005, prônant alors une concentration des Fonds de la politique de cohésion sur les objectifs de la stratégie de Lisbonne pose un réel problème pour les nouveaux pays entrants. Selon ce principe, pour 2014-2020, les Fonds alloués devront financer des projets dans les thématiques de la stratégie Europe 2020 telles que la recherche et le développement technologique, l’innovation, les énergies renouvelables, les transports alternatifs à la route, etc. Or, ces projets ne répondent pas aux exigences de rattrapage et de restructuration économique des pays de l'Europe centrale et orientale (PECO). Il existe un réel décalage entre les thématiques soutenues financièrement par les Fonds européens et la nécessité pour les PECO de reconvertir leur industrie, construire des routes, relancer l’emploi.
Complément 1 : La stratégie Europe 2020
Cette stratégie succède à la stratégie de Lisbonne et vise à promouvoir une croissance intelligente, durable et inclusive dans l’Union européenne. Elle se décline selon trois priorités et cinq objectifs (source : Commission européenne).
Europe 2020 : trois priorités ou « moteurs de la croissance »
- une croissance intelligente : développer une économie fondée sur la connaissance et l'innovation ;
- une croissance durable : promouvoir une économie plus efficace dans l'utilisation des ressources, plus verte et plus compétitive ;
- une croissance inclusive : encourager une économie à fort taux d'emploi favorisant la cohésion sociale et territoriale.
Europe 2020 : cinq objectifs pour mettre en œuvre ces priorités
- taux d’investissement dans la Recherche et le développement (R&D) : améliorer les conditions de la recherche et développement (R&D), afin, en particulier, de porter à 3 % du PIB le niveau cumulé des investissements publics et privés dans ce secteur ;
- taux d’emploi : remonter le taux d'emploi à au moins 75 % contre 69 % aujourd'hui ;
- environnement : réaffirmer les objectifs de l'Union européenne en matière de lutte contre le changement climatique (dits "20/20/20"), qui sont déjà parmi les plus ambitieux du monde (y compris le fait de porter à 30 % la réduction des émissions si les conditions adéquates sont remplies) ;
- inclusion sociale : réduire le taux de pauvreté de 25 %, ce qui reviendrait à faire sortir de la pauvreté 20 millions de personnes ;
- éducation et enseignement supérieur : améliorer les niveaux d'éducation en réduisant le taux d'abandon scolaire à 10 % et en portant à 40 % la proportion des personnes de 30 à 34 ans ayant obtenu un diplôme de l'enseignement supérieur ou atteint un niveau d'études équivalent.
Avec le passage progressif de la notion de cohésion à celle de compétitivité, on peut se poser la question de savoir si l’on n’assiste pas là, à la fin de la péréquation européenne. Autrement dit, la Commission européenne serait-elle en train d’abandonner un mécanisme de compensation qui vise à réduire les écarts de richesse entre les différentes régions pour un nouveau système de redistribution conditionné par des critères qui visent à mettre en concurrence les régions...qui n’ont pas toutes les mêmes armes ? Même si les PECO sont actuellement entrés dans un processus de décentralisation/régionalisation, la bureaucratie reste encore assez lourde à mobiliser. En outre, certains pays de l’Est – où le processus de régionalisation est engagé depuis un certain temps maintenant, comme en Pologne – auront moins de mal à gérer ces problèmes que d’autres PECO encore fortement ancrés dans un système étatique et centralisé, comme la Bulgarie [6]. Le principe de compétitivité entraîne bien des différenciations territoriales puisque certains espaces bénéficieront, lors de la préparation des programmes, d'atouts en termes de capacités et d’ingénierie administratives qui leur permettront de se développer plus rapidement. L’expérience des programmes de pré-adhésion PHARE [7] et ISPA [8]a montré qu’il ne suffisait pas de mettre à disposition des crédits, pour que ceux-ci soient utilisés. Dans ce contexte, la faible capacité d’absorption des nouveaux États-membres risque d'apporter un argument idéal aux ministres des Finances des pays contributeurs : à quoi bon alimenter des budgets qui ne sont pas utilisés ?
La nouvelle carte d'éligibilité des régions pour les Fonds structurels a été réalisée par la DG Regio à l’occasion de la refonte de la politique de cohésion pour la période 2014-2020. La DG Regio est une direction générale de la Commission européenne missionnée pour gérer la politique régionale et urbaine dans le sens d'un renforcement de la cohésion économique, sociale et territoriale de l'UE. Cette carte a été produite afin d’éclairer les différents acteurs impliqués dans la gestion des Fonds européens sur l’éligibilité des régions européennes au titre de la nouvelle politique de cohésion. Il s’agit d’une simulation sur les nouveaux critères qui ont été définis au préalable en concertation par les différents États.
La carte délivre un double message. D’abord un message informatif puisqu’elle permet de voir quelles seront les régions concernées par les différents types de financements et jusqu'à quelle hauteur (les régions les « plus développées » toucheront potentiellement moins de Fonds que les autres). Ensuite, un message plus politique puisque cette carte est le résultat des négociations au cours desquelles chaque pays s’est battu de sorte qu’un maximum de ses régions perçoive un maximum de financements (et donc que les couleurs soient les plus foncées possibles pour son pays sur la carte). |
Éligibilité aux Fonds structurels pour les périodes de programmation 2014-2020
Source : DG Regio |
Comparaison des politiques régionales européennes 2007-2013 et 2014-2020
|
À la comparaison de la carte de la dernière période de programmation (ci-contre) et de celle qui va débuter (ci-dessus), on s’aperçoit que des « régions en transition » ont émergé de l’espace centre-oriental. Cela signifie que les financements dont elles ont bénéficié seront revus à la baisse dans la période 2014-2020. Il s’agit essentiellement des régions métropolitaines (Prague, Budapest, Varsovie, Bratislava) qui se sont développées de manière spectaculaire en captant des flux migratoires, économiques et financiers (IDE et Fonds de la politique de cohésion). Ainsi Prague s'est ouverte à la fois à la curiosité des touristes mais aussi à l'activité des hommes d'affaires. Sa localisation privilégiée en Europe a attiré de nombreux investisseurs si bien que de nombreux parcs industriels et centres commerciaux ont vu le jour. Quant à Budapest, elle est devenue une « porte européenne » également très bien connectée au réseau des grandes métropoles européennes, et a su utiliser ses capacités locales pour accueillir les investisseurs. Bratislava, située à proximité immédiate de l'Autriche et sur le corridor danubien, a profité des Fonds européens pour améliorer son accessiblité par les réseaux de transports. Varsovie, à l'inverse de Bratislava, est éloignée de l'Europe des Quinze. Néanmoins, elle se situe sur le corridor Berlin-Moscou et peut être aussi une « porte européenne » pour les flux Nord-Sud entre Finlande et pays baltes et le reste de l'Europe centrale et orientale. Parmi tous les PECO, seule la Pologne, avec la liaison Varsovie-Silésie et les accès au port baltique de Gdansk, dispose d'axes verticaux dont l'amélioration a été largement financée par le FEDER. |
Éligibilité aux Fonds structurels pour les périodes de programmation 2007-2013Source : DG Regio |
Finalement, la carte de simulation des régions qui pourront être aidées pour 2014-2020 n'est pas sensiblement différente de celle de la période de programmation 2007-2013... à ceci près que les objectifs de financement des projets ayant changé, les régions en retard seront en concurrence directe avec les régions les plus développées dans la course aux Fonds... on prend les mêmes et on recommence ? Pas tout à fait !
Complément 2 : Un exemple de programme soutenu par le FEDER 2007-2013 en France : le tramway du Havre
|
|
Depuis quelques années, la CODAH (Communauté d’Agglomération Havraise) souhaite réduire l’usage de l’automobile en renforçant le maillage territorial de l’offre de transports alternatifs. À cette fin, elle a élaboré un plan de modernisation qui met en place une Ligne Express Régionale (LER) entre le centre-ville du Havre, Montivilliers et Harfleur, un centre d’échange multimodal (train, cars, bus, taxis).
C'est dans ce cadre qu'a été acté le choix définitif du tracé du tramway en 2009, suite à un processus de concertation des habitants de la CODAH. La desserte a été maximisée de sorte que, aujourd’hui, un tiers de la population de l’agglomération havraise est située à moins de cinq minutes d’une station de tramway. Le tramway facilite ainsi les mobilités urbaines entre la plage, le centre-ville du Havre, la gare et deux quartiers défavorisés de l’agglomération (Mont-Gaillard et Caucriauville).
En outre, le tramway a permis de repenser l’urbanisme et les aménagements du centre-ville (éclairage public, parcours verts, pistes cyclables, rénovation des abords de la plage, etc.). Le tramway constitue également un outil important de la politique de la ville : il participe doublement au désenclavement de deux quartiers de grands ensembles classés en Zone Urbaine Sensible (ZUS) et pour ce qui concerne Mont-Gaillard en Zone Franche Urbaine (ZFU). En effet, il ouvre matériellement le quartier sur la ville en améliorant de manière très significative son accessibilité, et il l'ouvre aussi symboliquement en agissant sur les représentations et les pratiques spatiales des habitants.
Le tracé des lignes de tramway
|
Le tramway à Caucriauville
|
Notes
[2] La Croatie étant exclue à l’époque.
[3] comme le Hainaut ou la Corse.
[4] "I want my money back" Margaret Thatcher, 1979, au sommet de Dublin
Pour compléter
Ressources bibliographiques
- Boulineau E. (2004), « État, territoires et maillage. La construction de l'État bulgare en Europe », Géoconfluences - publié le 07/06/2004
- Boulineau E, Coudroy de Lille L., Rey V. (2004), L’élargissement de l’Union Européenne : réformes territoriales en Europe centrale et orientale, Paris, L’Harmattan.
- Boulineau E, et Suciu M, (2008), « Décentralisation et régionalisation en Bulgarie et en Roumanie : les ambiguïtés de l'européanisation », L'Espace Géographique, n°4, pp. 349-363
- Bogalska-Martin E., 2005, « L’État polonais. Dix années de changement. Tentatives de bilan »,, in Bensahel L. et Marchand P. (dir.), Les régions de Russie à l'épreuve des théories et pratiques économiques, L’Harmattan.
- Chavance B. (coord.), 2004, L'Europe centrale face au grand élargissement : L'Europe centrale et balte dans l'intégration européenne, L'Harmattan, coll. "Pays de l'Est", Paris.
- Cristescu J. et Muntele I, (2007), « Les conséquences humaines et territoriales du processus d'adhésion de la Roumanie à l'UE », L'Information Géographique, 7767, pp. 121-141
- Dall'Erba S. Guillain R. et Le Gallo, 2008. Fonds structurels, effets de débordement géographique et croissance régionale en Europe, Revue de l'OCDE, vol. 104, pp. 241-270
- DATAR, 2010. La cohésion territoriale en Europe, DATAR, La Documentation française, Paris
- Fayolle J. et Lecuyer A., 2000. Croissance régionale, appartenance nationale et fonds structurels européens. Un bilan d’étape, Revue de l’OFCE, n° 73, avril, pp. 161-196
- Grasland C., 2004. Les inégalités régionales dans une Europe élargie. in Les incertitudes du grand élargissement : L'Europe centrale et balte dans l'intégration européenne (2004) 181-214
- Marcou G., (1999), La régionalisation en Europe, Rapport du Groupement de Recherches sur l’Administration Locale en Europe - Pour le Parlement européen
-
Parlement européen (2011), Réduire la bureaucratie pour stimuler l'absorption des fonds structurels, Communiqué de presse de la session plénière du PE - Politique régionale − 27-09-2011
et sur l'absorption des Fonds structurels et de cohésion: enseignements tirés en vue de la future politique de cohésion de l'UE - 25 juillet 2011 - Sénat (2012), La Bulgarie et la Roumanie: la transition inachevée, Rapport d'information n° 717 (2011-2012) de MM. Simon SUTOUR, Michel BILLOUT, Mme Bernadette BOURZAI, M. Jean-François HUMBERT et Mme Catherine MORIN-DESAILLY, fait au nom de la commission des affaires européennes, déposé le 26 juillet 2012
- Stierle-Von Schütz U. et alii, 2008. Regional economic policy in Europe, Elgar
Ressources en ligne
-
Les sites officiels :
- La politique régionale européenne sur Toute l'Europe, le portail en ligne d'information sur les questions européennes
- InfoRegio, la politique régionale européenne sur le site de la Commission européenne
- La politique régionale européenne sur Euractiv.fr, le portail français des acteurs du débat européen
- Europe en France, le portail des Fonds européens en France -
sur Géoconfluences :
- L'Europe entre associations, alliances et partenariats. L'état de l'Union européenne, de la zone euro, de l'espace Schengen et de l'Otan au 1er janvier 2014, Pascal Orcier, 2014
- La politique de cohésion de l'UE (2007-2013) : nouvelles mesures et nouveaux défis après les derniers élargissements, Sylviane Tabarly, 2007
Sébastien BOURDIN,
Enseignant-Chercheur en Géographie et Développement Territorial
École de Management de Normandie – Institut du Développement Territorial
conception et réalisation de la page web : Marie-Christine Doceul,
pour Géoconfluences, le 20 mars 2014
Pour citer cet article :Sébastien Bourdin, « Les défis de la future politique régionale européenne 2014-2020 : on prend les mêmes et on recommence ? », Géoconfluences, 2014.URL : https://geoconfluences.ens-lyon.fr/informations-scientifiques/dossiers-regionaux/territoires-europeens-regions-etats-union/corpus-documentaire/politique-regionale-europenne-2014-2020 |
Pour citer cet article :
Sébastien Bourdin, « Les défis de la future politique régionale européenne 2014-2020 : on prend les mêmes et on recommence ? », Géoconfluences, mars 2014.
https://geoconfluences.ens-lyon.fr/informations-scientifiques/dossiers-regionaux/territoires-europeens-regions-etats-union/corpus-documentaire/politique-regionale-europenne-2014-2020