La Politique de cohésion pour 2021-2027 : vers une plus grande territorialisation ?
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La politique de cohésion de l’Union européenne est planifiée sur des périodes de six ans. Géoconfluences a consacré des articles aux deux périodes précédentes : 2007-2013 et 2014-2020. La programmation en 2020 de la prochaine politique de cohésion est à nouveau l’occasion d’identifier les changements d’état d’esprit dans la façon dont les financements européens sont consentis.
1. De la cohésion à la compétition
Depuis le début des années 2000, les objectifs de politique économique de l’UE ont connu un changement radical. Dans le cadre de la Politique de cohésion, on a assisté à un affaiblissement de la promotion de l’objectif de cohésion au profit de la recherche d’une plus grande compétitivité (Elissalde et al., 2013). On retrouve ce changement de logique notamment avec la mise en œuvre de la Stratégie de Lisbonne, décidée lors du Conseil de Lisbonne en 2000 et qui visait à « transformer l’UE en l’économie de la connaissance la plus compétitive et la plus dynamique du monde, capable d’une croissance économique durable accompagnée d’une amélioration quantitative et qualitative de l’emploi et d’une plus grande cohésion sociale ».
1.1. La stratégie de Lisbonne, innover plutôt que redistribuer
Malgré l’inclusion de l’objectif de cohésion sociale, la Stratégie de Lisbonne a fait un large usage conceptuel des notions schumpétériennes d’innovation, d’économie de l’apprentissage et avait principalement pour but de réorienter l’économie européenne vers les technologies de pointe. En conséquence, l’objectif de redistribution et de solidarité institutionnalisée entre les pays de l’UE est devenu secondaire. En particulier, une période d’alignement entre les objectifs de la Politique de cohésion et ceux de la Stratégie de Lisbonne a commencé avec la troisième période de programmation (2000-2006) et s’est intensifiée avec la quatrième période de programmation (2007-2013) (encadré 2). Il est certain que cette réorientation des priorités dans les politiques économiques de l’UE et leurs interconnexions avec la Politique de cohésion a été le résultat de décisions politiques internes. D’une part, la réticence des principaux États membres contributeurs nets (encadré 1) à accepter toute augmentation du budget de l’UE était devenue apparente depuis le début des années 2000. La publication du rapport Sapir en 2004 — qui attaquait la Politique de cohésion, ainsi que la Politique agricole commune (PAC), comme étant fondamentalement inefficace, coûteuse et inutilement bureaucratique — a fourni des arguments supplémentaires pour les contributeurs nets à poursuivre un programme de réduction du financement de la politique régionale européenne et une réorientation des investissements vers des activités favorisant la recherche et la technologie.
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En dépit des motivations politiques à l’origine de ce virage, le changement de priorité qui a découlé de l’alignement de la Stratégie de Lisbonne sur la Politique de cohésion a impliqué une philosophie économique visant à poursuivre la croissance économique pour toutes les régions de l’UE — plutôt que pour les seules régions défavorisées — même si les catégories d’éligibilité régionales existantes (régions moins développées, en transition et plus développées) sont maintenues. La « lisbonnisation » de la Politique de cohésion a renforcé l’orientation, le suivi et l’évaluation des résultats. En concentrant les programmes de développement régional sur des interventions économiques plutôt que sociales et environnementales, la cohésion a été de plus en plus définie en termes de productivité et de compétitivité, en complément d’une stratégie d’innovation élargie. Il en résulte que le financement des programmes de mise à niveau des infrastructures de base a progressivement perdu son élan et les actions d’amélioration des infrastructures de recherche et développement ont été favorisées. Ainsi, depuis maintenant une dizaine d’années, la compétitivité régionale a remplacé tout discours concernant les déséquilibres régionaux.
1.2. Redistribution, compétitivité et efficacité
La logique générale qui guide la tendance à l’affaiblissement de l’objectif de redistribution et de promotion de la cohésion économique et sociale est que plus de vingt-cinq années de politiques visant à atteindre une plus grande cohésion sociale et économique ont certes réussi à produire de bons résultats en matière de convergence des économies nationales et régionales, mais il reste encore de nombreuses trappes de développement, c’est-à-dire des concentrations spatiales de régions cumulant les difficultés sociales, économiques et institutionnelles (Bourdin, 2019). Même si les inégalités socio-économiques régionales et nationales persistent dans l’économie de l’UE, la convergence entre les pays et les régions de l’UE a été plus que significative (Bourdin, 2015 ; Baudelle et Le Bihan, 2017).
La réforme de la Politique de cohésion de 2014 a introduit des changements qui visent à renforcer l’efficacité de la politique, à augmenter la performance des pays et régions bénéficiaires et à réduire les coûts administratifs (encadré 2). Dans la continuité de la période de programmation précédente, la période 2014-2020 est centrée sur les résultats et l’objectif d’efficacité. Il est prôné une meilleure coordination, une simplification et une responsabilisation. Les objectifs de la Stratégie de Lisbonne, tels qu’ils ont été relancés par l’adoption de la Stratégie Europe 2020, sont réalignés sur ceux de la Politique de cohésion. Ainsi, les pays et régions bénéficiant de Fonds de cohésion sont explicitement tenus d’indiquer la manière dont les projets financés contribuent à la réalisation de la nouvelle stratégie « pour une croissance intelligente, durable et inclusive ». Comme le souligne le document de la Stratégie Europe 2020 : « la cohésion économique, sociale et territoriale restera au cœur de la stratégie 2020 pour veiller à ce que toutes les énergies et les capacités soient mobilisées et concentrées sur la poursuite des priorités de la stratégie. La Politique de cohésion et ses fonds structurels, bien qu’ils soient importants en soi, sont des mécanismes de mise en œuvre essentiels pour réaliser les priorités d’une croissance intelligente, durable et inclusive dans les États membres et les régions » (p. 21). Les deux premiers piliers de l’agenda Europe 2020 renvoient à l’objectif de compétitivité économique, tandis que le troisième pilier (croissance inclusive) fait référence à la solidarité entre les États membres et semble considéré comme contradictoire avec les deux premiers piliers.
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1.3. La « stratégie de spécialisation intelligente » : la grande nouveauté de la période précédente (2014-2020)
La Direction générale de la Politique régionale et urbaine de la Commission européenne (DG REGIO) a confirmé que le changement d’orientation de la période de programmation 2007-2013 — qui mettait l’accent sur les investissements dans l’innovation régionale — a été adéquat. Mais elle a également confirmé qu’il devenait évident que trop d’investissements orientés vers l’innovation sans orientation stratégique ni intégration dans leur contexte régional ne pouvait pas avoir les effets escomptés en matière de développement territorial. En conséquence, leur efficacité et leur impact socio-économique ont souffert et, de plus en plus souvent, l’allocation adéquate des Fonds structurels a été remise en question. À la recherche de nouveaux moyens d’améliorer la responsabilité des régions dans leurs trajectoires de croissance tout en augmentant les effets des politiques, les décideurs politiques européens ont pris contact avec le groupe d’experts Connaissance pour la croissance (Foray et al., 2009), bien qu’au départ, les membres de ce groupe n’avaient même pas élaboré leurs recommandations dans une perspective de politique régionale.
Par la suite, l’absence d’alternatives en termes de politiques publiques a conduit à des décisions rapides pour inclure les principes de base de la spécialisation intelligente comme critères d’allocation budgétaire dans la politique régionale. Plus précisément, la DG REGIO a décidé d’obliger toutes les régions à développer des « stratégies de spécialisation intelligente » dans lesquelles elles définissent un nombre limité de « domaines technico-économiques » pour les futurs investissements des Fonds structurels. Ce processus de spécialisation intelligente repose sur la sélection des domaines d’intervention ou de spécialisation qui ne s’appuie ni sur les connaissances et la volonté des décideurs, ni sur une base de connaissances purement analytique, mais qui résulte plutôt d’un processus participatif associant les décideurs, les acteurs économiques et le monde de la recherche au niveau régional. Ce processus dit de « découverte entrepreneuriale » permet d’explorer et d’évaluer les nouvelles possibilités en matière de potentiels bénéfices, de risques et de besoins politiques. Il consiste à identifier de nouvelles activités dans des domaines technologiques ou sectoriels inexplorés, qui ont un potentiel de diffusion des connaissances, d’innovation, d’économies d’échelle et d’agglomération et de débouchés commerciaux (Bourdin et al., 2020). La philosophie de la RIS3 (Research and Innovation Strategies for Smart Specialisation) est de soutenir les « activités » les plus prometteuses (et identifiées) pendant une période exploratoire, après laquelle seules celles qui présentent un « potentiel » devraient être encouragées par des politiques régionales et industrielles dédiées (encadré 3).
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2. 2021-2027 : de nouveaux critères dans l’attribution des Fonds européens
Fin mai 2018, la Commission européenne a publié un mémorandum explicatif qui clarifie certaines des implications budgétaires de la récente communication sur le cadre financier pluriannuel (CFP) pour 2021-2027. Le CFP est une perspective financière qui prévoit le budget annuel de l'UE pour au moins cinq ans. Comme l'UE dépend principalement des contributions financières des États membres et que ces contributions ne sont pas réparties proportionnellement, le CFP implique également un certain degré de redistribution entre les États, en les séparant en contributeurs nets et en bénéficiaires nets.
2.1. Un basculement de la redistribution de l’Est vers le Sud
Un concept analytique crucial pour comprendre le schéma de redistribution opéré par le budget de l'UE est la division entre le centre et la périphérie (voir la carte des régions éligibles aux fonds structurels pour la période précédente). Lorsque la politique régionale communautaire a été créée au début des années 1970, elle visait à promouvoir un « développement harmonieux » des territoires européens. Au départ, la politique de cohésion répondait aux besoins d'un groupe de régions moins développées, réparties pour la plupart dans les pays du sud de l'Europe et en Irlande. L'élargissement de 2004 a marqué le début d'une nouvelle phase, avec l'adhésion d'un groupe de pays à faible revenu, principalement d'Europe centrale et orientale. Cet événement a considérablement modifié les règles régissant le modèle de redistribution de la politique de cohésion : les pays d'Europe du Sud ont vu leurs financements décroître tandis que la politique se concentrait sur le développement de la « nouvelle » périphérie orientale (→ voir Bourdin, Géoconfluences, 2014).
Cet état de fait a changé ces dernières années. D'une part, l'accès au marché unique, avec l'aide de la politique de cohésion, a profité à la périphérie orientale et a créé une convergence économique avec le reste de l'Europe. D'autre part, les conditions économiques et sociales de l'Europe du Sud se sont détériorées après la crise de la dette souveraine, dans une moindre mesure la crise des réfugiés de 2015 (crise sociale et humanitaire plus qu’économique) et plus récemment la crise de la covid19. Comment le CFP 2021-2027 va-t-il tenir compte de cette situation, étant donné le montant limité des ressources dont dispose la politique de cohésion ? En réformant les critères de redistribution définis dans la méthode dite de Berlin (encadré 4) par l’introduction de conditionnalités concernant le climat et les migrations.
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Comme à l’habitude, il résulte des gagnants et des perdants des propositions de la Commission. La carte 1 montre comment les allocations vont évoluer dans le CFP 2021-2027 par rapport au CFP actuel 2014-2020.
Carte 1. Variation du montant des fonds alloués en 2021-2027 par rapport à la période précédente |
Un premier coup d'œil révèle immédiatement qu'il va y avoir des changements substantiels, avec un groupe d'États membres qui vont connaître une réduction considérable de leurs allocations par rapport à la période de programmation précédente. Ce groupe de « perdants » de la proposition de la Commission pour 2021-2027 est principalement composé de pays d'Europe centrale et orientale, tels que la République tchèque, la Hongrie, la Pologne et les États baltes. Ces pays ont largement bénéficié des fonds européens pour la période 2014-2020 et se sont développés de manière significative. Dans la partie inférieure du chiffre, on trouve un groupe d' « anciens » bénéficiaires de la politique de cohésion (Italie, Espagne et Grèce), qui vont bénéficier du CFP 2021-2027. Entre les deux, il y a un groupe d'États membres nordiques et continentaux (Danemark, Pays-Bas, Autriche, Suède et Belgique) dont la situation ne va pas changer.
2.2. La future Politique de cohésion : un manque d’ambition ?
La période de programmation 2021-2027 qui vient d’être lancée s’inscrit dans l’effort de modernisation de la Politique de cohésion (encadré 2). L’absence du Royaume-Uni exerce une pression accrue sur les contributeurs nets qui souhaitent un budget communautaire plus réduit. Par ailleurs, les objectifs fixés sont fonctionnels et administratifs (modernisation, flexibilité, simplification) plutôt que stratégiques. Les règles sont moins nombreuses, plus claires, plus courtes et un cadre plus souple est proposé. Il vise à une simplification de l’accès aux Fonds grâce à des procédures de contrôle allégées pour les bénéficiaires. En revanche, les cinq objectifs politiques proposés (encadré 5) manquent d’un cadre stratégique global de l’UE, ce qui risque d’affaiblir l’engagement politique et la visibilité de la Politique de cohésion dans la réalisation des objectifs de l’UE, au niveau tant européen que national.
Par ailleurs, lorsque l’on regarde en détail la proposition de réforme des critères de Berlin (encadré 4), on ne peut qu’être déçu par la place accordée à la conditionnalité sur le climat (seulement 1 %). Pourtant, la commissaire Ursula von der Leyen semble s’être engagée de manière plus forte dans la lutte contre le changement climatique que ses prédécesseurs. N’y aurait-il pas une contradiction entre les objectifs annoncés et l’ambition somme toute réduite dans l’introduction de cette nouvelle conditionnalité ?
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Conclusion
Alors que les réformes précédentes de la politique ont été conceptualisées, structurées et communiquées avec un ensemble d’objectifs stratégiques (Stratégie de Lisbonne, Europe 2020), ces derniers sont absents des propositions de la Commission pour 2021-27. Cela reflète en partie la manière dont les propositions actuelles ont vu le jour, avec un rôle beaucoup plus restreint pour le commissaire à la politique régionale et la DG REGIO, et un contrôle plus fort de la part de la Commission européenne. Le manque d’attention accordée aux derniers rapports de l’OCDE et à la recherche universitaire sur la nécessité de politiques de développement économique davantage axées sur une territorialisation ou plus « sensibles au territoire » est particulièrement préoccupant (Bachtler et al., 2019). La conséquence est que les intérêts sectoriels l’ont emporté ; la Commission européenne semble clairement considérer la Politique de cohésion davantage comme un outil politique qu’elle ne l’a été par le passé.
Bibliographie
Les deux articles de Géoconfluences consacrés aux périodes de programmation budgétaire précédentes :
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- Bachtler, John, Martins, Joaquim Oliveira, Wostner, Peter, & Zuber, Piotr. (2019). Towards cohesion Policy 4.0: Structural transformation and inclusive growth. Routledge.
- Baudelle, Guy, et Charles-Le Bihan, Danielle (éds). (2017). Les régions et la politique de cohésion de l'Union européenne. Presses universitaires de Rennes, 283 p.
- Bourdin, Sébastien (2015). “National and regional trajectories of convergence and economic integration in Central and Eastern Europe”. Canadian Journal of Regional Science, 38(1/3), 55-63.
- Bourdin, Sébastien (2019). « Trappes de développement et influence de la politique de cohésion de l’Union Européenne : Une exploration géospatiale ». Belgeo. Revue belge de géographie, no. 2 - 2019.
- Bourdin, Sebastien, Lefevre, Olivier, et Saint, Fabrice (2020). « La spécialisation intelligente, une stratégie réellement pensée pour toutes les régions de l’UE ? », Géocarrefour.
- Élissalde, Bernard, Santamaria, Frédéric, et Jeanne, Philippe. (2013). « L'affirmation du rôle de la Commission européenne: de l'importance du discours sur la cohésion ». L’Espace géographique, 42(2), p. 97-114.
- Foray, David, David, Pierre-Alexandre & Hall, B Bronwyn. (2009). Smart specialisation: the concept. In Knowledge for Growth: Prospects for Science, Technology and Innovation, Report EUR 24047, European Union
Sébastien BOURDIN
Enseignant-chercheur en géographie économique, EM Normandie Business School.
Mise en web : Jean-Benoît Bouron
Pour citer cet article :Sébastien Bourdin, « La Politique de cohésion pour 2021-2027 : vers une plus grande territorialisation ? », Géoconfluences, octobre 2020. |
Pour citer cet article :
Sébastien Bourdin, « La Politique de cohésion pour 2021-2027 : vers une plus grande territorialisation ? », Géoconfluences, octobre 2020.
https://geoconfluences.ens-lyon.fr/informations-scientifiques/dossiers-regionaux/territoires-europeens-regions-etats-union/articles-scientifiques/politique-de-cohesion-2021-2027