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Mayotte, un DOM insulaire entre enclavement et ouverture

Publié le 11/02/2015
Auteur(s) : Marie-Annick Lamy-Giner - Centre de Recherches et d'Etudes en Géographie (CREGUR)

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Mayotte, devenu département français le 31 mars 2011, est l'une des quatre îles composant l’archipel des Comores, petite guirlande posée à l’entrée septentrionale du canal du Mozambique. À l'époque de cet article, pour rejoindre le DOM insulaire de l'océan Indien depuis la métropole, il ne fallait pas moins de 15 heures, avec au moins une escale.

Bibliographie | citer cet article

Mayotte, devenu département français le 31 mars 2011, est l'une des quatre îles composant l’archipel des Comores, petite guirlande posée à l’entrée septentrionale du canal du Mozambique. C’est l’île la plus orientale de l’archipel, située à moins de 350 km des côtes malgaches. Mayotte couvre une superficie totale de 374 km². La population, qui compte 212 600 habitants en 2012 dont 40 % d'étrangers, presque tous de nationalité comorienne, se répartit entre Grande-Terre (88,5 %), l'île en forme d'hippocampe, et Petite-Terre (11,5 %) ; les îlots ne sont pas habités.

Les étapes de l'évolution institutionnelle de Mayotte

L’île aux parfums, par le biais des transferts publics (dotations budgétaires, relèvement des critères sociaux), mène une politique de rattrapage se traduisant par une croissance économique rapide et en parallèle par un accroissement du niveau de vie moyen de la population. Pour autant, le nouveau département français ne parvient pas à réduire les criantes inégalités de revenus, de pouvoir d’achat, de conditions de travail et de vie. En 2011, 84 % de la population mahoraise vit sous le seuil de bas revenu métropolitain (soit 959 euros). Un habitant sur trois n’a jamais été scolarisé et 71 % des plus de 15 ans n’ont aucun diplôme qualifiant. Le taux de chômage qui s’élève à 36,6 % est le plus élevé des départements d’outre-mer. Dans les centres urbains, quatre logements sur dix sont en tôle (Insee, 2012). Il apparaît que la société mahoraise présente un double visage : à une économie agraire de subsistance fait face une économie de services, intimement liée au développement des emplois publics (majoritairement occupés par des Mzungus, c’est-à-dire des métropolitains) (Roinsard, 2012).
Pour rejoindre le DOM insulaire de l'océan Indien, il ne faut pas moins de 15 heures, avec au moins un transit. Si « le développement des moyens de transport tant nautique qu’aérien a bouleversé la problématique de l’accessibilité, de l’éloignement et la périphéricité des îles, mêmes petites » (Pelletier, 2005), isolement et enclavement demeurent parmi les contraintes majeures de Mayotte. Ici, « la problématique de l’enclavement-désenclavement renvoie bien à la position des lieux sur le gradient qui va de la fermeture à l’ouverture » (Debrie, Steck, 2001). Si dans les autres DOM, l’avion est « le lien matériel des relations entre les îles sous tutelle extérieure et leurs métropoles » (Vergé-Dépré, 2008), ce lien est moins facile à Mayotte.

Dans le nouveau contexte administratif qui renforce les flux entre le cinquième DOM et la métropole par un processus d’extraversion répondant à une logique de continuité territoriale, l'accessibilité devient un enjeu majeur. Certes un port, situé à Longoni, permet de rompre partiellement l'enclavement mais son activité reste marginale (trafic annuel de 450 000 tonnes dont 95 % à l’importation). L’aéroport, situé à Petite-Terre, fait figure de synapse majeure du territoire mahorais : aujourd’hui, 91 % des voyageurs rejoignent Mayotte par avion. Quand s'ajoute l'ambition récente de mise en tourisme de l'île, l'amélioration de la desserte aérienne s'avère être une condition sine qua non de la réussite. L'ouverture aérienne passe-t-elle par une desserte directe ou par le renforcement des liaisons régionales de l’île aux parfums ?

 

1. Une île difficilement accessible

Ce qui frappe d’abord l’œil du visiteur qui arrive à Mayotte, c'est le lagon qui enserre Petite-Terre et Grande-Terre, gardées par une vingtaine d’îlots en sentinelle. La descente aérienne sur l'aéroport de Dzaoudzi, avec à main gauche le lac Dziani, impressionne : l’avion finit par se poser sur une langue de terre, baignée par une mer turquoise aux reflets changeants. Puis pour se rendre à Mamoudzou, le chef-lieu situé sur Grande-Terre, il faut encore prendre la barge (pour les piétons et motos) ou le navire amphidrome (pour les voitures) durant une vingtaine de minutes, car les deux îles sont distantes de 2,6 km. À Mayotte, l’aérien est fortement tributaire du maritime.

Le territoire mahorais : quelle desserte ?

Vue aérienne oblique sur Mamoudzou

Le chef-lieu et l'aéroport sont situés sur deux îles distantes de 2,6 km. La barge visible au premier plan assure la liaison pour les piétons et les deux-roues.

La traversée par amphidrome

La traversée des voitures et des camions entre Petite-Terre et Grande-Terre est assurée par un navire amphidrome.

1.1. Comment accéder à Mayotte ?

Les premières liaisons aériennes avec Mayotte ont débuté dans les années 1950 seulement, grâce à Air France qui assurait une rotation entre Tananarive, Majunga et Mayotte (à bord d’un junker de 30 places) et Air Comores qui couvrait la liaison vers Moroni. Depuis une dizaine d’années, le trafic aérien croît à un rythme soutenu : le nombre de passagers a doublé entre 2003 et 2013, passant de 162 000 à 326 000. L’aéroport de Dzaoudzi-Pamandzi est plus que jamais la porte d’entrée principale du territoire mahorais.
Pour rallier l’Europe au départ de Pamandzi, Il faut un minimum de 14 h. En effet, le passager à destination mais surtout au départ de Mayotte doit impérativement transiter par un autre aéroport. Les trois trajets les moins contraignants pour les passagers passent par le Kenya (Kenya Airways), Madagascar (Corsair) ou La Réunion (Air Austral et XL Airways) [1]. Cette dernière option, avec une fréquence quotidienne de vol, remporte le plus de succès auprès des voyageurs. Vers la France, la ligne est surtout empruntée par des Mzungus et des Mahorais. Les ponts qui relient l'île avec l’extérieur passent par l'environnement régional : si l'aéroport est connecté à 12 aéroports, les 10 lignes directes appartiennent au réseau régional. Ces lignes directes régionales sont surtout au service de la population mahoraise installée dans les îles environnantes, La Réunion en particulier.

L'offre de mobilité aérienne
Les trois solutions pour rejoindre la métropole au départ de Mayotte

Les dessertes régionales directes et liaisons avec la métropole

Si les dessertes directes sont « synonymes de connexité dans un réseau et permettent d’évaluer la capacité de polarisation et d’attraction des territoires » (Vergé-Dépré, 2014), c'est incontestablement à Maurice que se situe le hub régional. Basé dans le sud-est de l’île, à Plaine Magnien, l’aéroport Sir Seewoosagur Ramgoulam  dispose de l’éventail de dessertes directes le plus diversifié de la région. Accessoirement, il joue le rôle de plate-forme de correspondance (Lamy-Giner, 2014). En 2012, il était connecté à 27 aéroports et a accueilli 2,7 millions de passagers (arrivées + départs). Saturé aux heures de pointe, cet aéroport s’est enrichi en 2013 d’une seconde piste et d’un second terminal, d’une capacité de 4,2 millions de passagers. À Mayotte, en revanche, les liaisons aériennes directes sont toutes à vocation régionale. Dans cette partie du canal du Mozambique, Mayotte est néanmoins l’aéroport le plus fréquenté avec ses 326 000 passagers, devant Moroni (139 000) et Majunga (62 000).

Pour expliquer cette dépendance des hubs voisins, il faut envisager les données géographiques à l'échelle locale. La piste de l'aéroport située sur Petite Terre n'est pas assez longue pour permettre aux B777 et A330 d'atterrir et décoller à pleine charge. Au départ de Mayotte, les compagnies doivent nécessairement planifier une escale technique pour faire le plein de carburant. Corsair utilise l’aéroport d’Ivato (Antananarivo), tandis que XL Airways fait escale à l’aéroport de Sainte-Marie à La Réunion, et Kenya Airways à l'aéroport de Nairobi. Air Austral a pour l’instant choisi de faire transiter tous les passagers par La Réunion, avec un changement d’appareil. En revanche, les avions long-courriers qui ont déjà consommé l’essentiel de leur carburant peuvent atterrir à Mayotte, si les conditions météorologiques sont propices ; en effet, lorsque la piste est mouillée, l’opération s’avère délicate et il arrive que les compagnies préfèrent se dérouter sur Madagascar.

Localisation et aménagement de l’aéroport de Mayotte

La piste s’étire sur 1 930 m pour 45 m de large.

1.2. Les contraintes d'un petit aéroport

L’aéroport de Mayotte se classe au 34ème rang des aéroports français pour son trafic passagers. Il n'est que le huitième aéroport d’outre-mer devant Saint-Martin, Lifou ou St-Barthélémy, mais loin derrière ceux des Antilles et de La Réunion (autour des 2 millions de passagers). Son éventail de dessertes, qui est passé de 5 à 12, s’est élargi depuis la mise en service d'Ewa, la nouvelle compagnie mahoraise, en octobre 2013. Son trafic de passagers, qui a décuplé entre 1990 et 2013, devrait continuer à croître. Sur les quelque 326 000 passagers qui utilisent l’aéroport mahorais, les deux tiers sont des résidents. Les flux principaux de passagers se font à destination de La Réunion et de la France métropolitaine, loin devant Madagascar, l’Union des Comores et le Kenya. Le pic de saisonnalité se produit en juillet-août. Il est dominé dans un sens par les retours au pays des étudiants mahorais, dans l’autre par les départs des fonctionnaires vers la France métropolitaine. D’autres pics sont visibles durant les petites vacances scolaires.

L’aéroport est géré comme une quinzaine d’autres aéroports français (Reims, le Havre, Annecy…) par le groupe français SNC-Lavalin. Le groupe exploite pour les collectivités plusieurs aéroports régionaux en délégation de service public. Il est en charge, comme d’autres opérateurs privés (Vinci, Veolia, Keolis) de leur aménagement, entretien et développement. Pour répondre à l'accroissement du trafic, une nouvelle aérogare, d’une capacité de 600 000 passagers/an a été construite en 2014. Le coût des travaux d'un montant de 46 millions d’euros, a été pris en charge à 80 % par le groupe SNC-Lavalin. Mais l'aérogare ne résout pas la question de la desserte directe : comment avoir une piste plus longue à Mayotte ?

Les flux de passagers des vols directs

Deux solutions ont été envisagées. La première, qui devait se dérouler en deux étapes, consistait à allonger la piste vers le sud-est ; la seconde à réaliser une piste convergente, en « grignotant » sur le lagon. Lors du débat public, qui s’est déroulé tout au long de l’année 2011, les partisans du « oui » ont argué que sans allongement de la piste, aucun avion gros porteur ne pourra jamais desservir l’île. Il est alors manifeste que la continuité territoriale devient alors ici un concept « vain » puisque « l’idée de départ de gommer autant que possible les handicaps liés à l’insularité » (Zembri, 2014) se heurte à la réalité. Certes, à l’instar des autres domiens, les habitants de Mayotte peuvent prétendre à un bon de continuité territoriale [2] mais sans véritable contrôle de la tarification des compagnies et de la régulation de l’offre, cette mesure n’est pas une panacée.
Les détracteurs ont mis en avant que la construction d’une piste convergente qui nécessitera 4 millions de m³ de remblais est antinomique avec la préservation de l’environnement : les habitats naturels d’espèces protégées (dugong, tortues marines) sont menacés de destruction. Quoi qu’il en soit le projet de piste longue a été remisé pour l’heure dans un tiroir. Il y a fort à parier qu’il (re)deviendra un argument électoral lors de prochaines échéances politiques. En tout état de cause, Mayotte devrait, pour répondre aux nouvelles normes de sécurité aéroportuaire européenne, prévoir des zones de réservation sur la piste. Il faudrait rallonger la piste actuelle de 160 m, pour un coût des travaux estimé à 35 millions d’euros.

Projet d'une piste convergente à Dzaoudzi

Source : Document de synthèse du dossier du débat public 2011 (en .pdf)

Une piste convergente de 2 600 m prenant appui sur l'extrémité sud de la piste actuelle permettrait des vols directs quelle que soit la capacité des avions et quelle que soient les conditions météorologiques.

1.3. L' offre limitée des compagnies aériennes

Mayotte est actuellement desservie par sept compagnies aériennes, dont cinq régionales (Air Austral, Air Madagascar, Kenya Airways, Inter-îles Air, Ewa). Trois compagnies assurent la liaison avec la métropole (Air Austral, XL Airways, Corsair).

En réalisant près de 70 % du trafic total de passagers, Air Austral domine le transport aérien à Mayotte. La compagnie réunionnaise, dont le nom indique non seulement la zone d’intervention mais aussi les ambitions (Lamy-Giner, 2015), opère 10 vols hebdomadaires vers l’île de l’archipel comorien. Cette liaison ouverte en 1977 fut la première d’un réseau que la petite compagnie alors connue sous le nom de Réunion Air Service [3] s’est efforcée de construire et d’étoffer. En 2011, Air Austral a émis la proposition de desservir directement Mayotte à bord de Boeing 777-200. Finalement les difficultés financières de la compagnie à l’époque [4] lui ont fait renoncer à cette option. Bien qu’ayant redressé la barre, par la suppression de nombreux segments de lignes (desserte des aéroports de province en France métropolitaine et de la ligne Australie/Nouvelle-Calédonie), Air Austral n’a pas relancé son projet de desserte directe. De toutes les façons, la compagnie réunionnaise accaparant l’essentiel (85 %) des flux vers la métropole, quel avantage aurait-elle à opérer une desserte directe alors même que le coût du carburant est 50 % plus cher à Mayotte qu’à La Réunion ?

Air France n’opère pas de vols vers Mayotte. Mais Air Austral et Air France, après avoir rompu le dialogue depuis le retrait de la seconde du capital de la première (en 2005), ont renoué, en 2014, des relations par le biais d’un Special Prorate Agreement (SPA).

Complément 1  : Transport aérien, accord SPA (Special Prorate Agreement) et accord de partage de code

Deux autres compagnies, Kenya Airways et Air Madagascar, permettent la connexion avec la France. La première couvre 5 rotations par semaine vers Mayotte (directs à l’aller et avec une escale à Moroni au retour). Membre de l’alliance Sky Team, Kenya Airways assure quatre vols par semaine, en partage de code avec Air France-KLM, vers Paris. Les vols opérés par KLM peuvent être particulièrement longs (entre 30 et 40 heures) puisqu’ils impliquent, pour le passager mahorais une première escale à Nairobi et une seconde à Amsterdam. L’autre possibilité est de rejoindre Paris via la capitale malgache par Air Madagascar. Toutefois cette dernière fait partie de la liste noire [5] des compagnies interdites de vols en Europe. Si Air Madagascar fait l’objet de restrictions depuis 2011, elle est toutefois autorisée à venir en France avec des avions loués. Elle se voit donc dans l’obligation de louer des Airbus A340 immatriculés en Islande avec équipage auprès de la société Air Atlanta Icelandic. La liaison Antananarivo-Paris est, en revanche, aussi assurée 4 fois par semaine par Air France.

Moyen-courriers à l'aéroport de Mayotte

Deux avions, l'un de Kenya Airways, l’autre d’Ewa, avant leur décollage.

XL Airways France est la plus récente des compagnies qui opère sur le segment métropole-Mayotte. Dans le contexte actuel de crise, tandis que ses concurrentes accusent de très mauvais résultats financiers, XL Airways France affiche un chiffre d’affaires de 305 millions d’euros en 2013 (en dépit d’une baisse de 5 % par rapport à l’exercice 2012). Pour ce faire, cette compagnie relativement jeune, fondée en 1995, s’appuie sur une stratégie particulièrement agressive en appliquant sur ses vols long-courriers une politique que l’on peut qualifier de low-cost. Vers La Réunion et Mayotte, elle exploite ainsi des A330 de type mono-classe [6], à l'équipement relativement sommaire (pas d’écran vidéo individuel, par exemple). La contre-offensive d’Air Austral et Corsair sur cette route s’est davantage appuyée sur une amélioration des services à bord plutôt que sur un alignement des prix. Il faut dire que pour être rentable cette politique du bas coût [7] ne peut être appliquée par XL Airways France que sur 12 % des sièges. XL Airways qui ne dessert directement Mayotte qu’une fois par semaine a annoncé l’arrêt de cette liaison (février 2015). En contrepartie, la compagnie a choisi de renforcer son offre vers La Réunion, avec notamment l’ouverture d’une ligne vers Lyon, en sus de celles de Paris et Marseille. Bien que le segment métropole-Mayotte soit rentable, la compagnie évoque des contraintes opérationnelles liées à la longueur de la piste, la fréquence des fermetures et les difficultés de réacheminement des passagers en cas de déroutement.
Inter-îles Air est une compagnie comorienne qui assure les liaisons internes à l'archipel depuis 2008, pour l'essentiel à bord de petits appareils de type Cessna, l'un de 7 places, l’autre de 9. Air Austral et sa filiale Ewa participent aussi aux liaisons internes.

Les contraintes de la distance et de l'insularité, les concurrences d'aéroports voisins, la faiblesse de l'offre de liaisons aériennes participent à la médiocre accessibilité du territoire mahorais. La continuité administrative instaurée par la départementalisation pourrait-elle contribuer à réduire la discontinuité territoriale ?

 

 

2. La départementalisation, occasion de nouvelles ambitions ?

L'intégration de Mayotte, devenu le cinquième DOM français, à des réseaux de flux nationaux et régionaux passe par une amélioration de la synapse aérienne.

2.1. L’entrée en scène d’Ewa , la petite compagnie mahoraise

Un premier pas a été franchi le 31 octobre 2013 avec la création d'une compagnie aérienne mahoraise : Ewa (qui signifie « oui » en shimaoré), dont les principaux actionnaires sont : Air Austral, la compagnie réunionnaise (52,5 %), la société Ylang Invest dominé par le groupe Isoufali (agence de voyage mahoraise, 25 % des parts) et la Chambre de Commerce et d’Industrie de Mayotte (22,5 %). Ewa est sur le certificat de transporteur aérien d’Air Austral. Les Comores n’ont pas vu d’un très bon œil l’arrivée de cette petite concurrente. Le vol inaugural du 30 octobre 2013 vers Moroni n’a pu être réalisé puisque les autorités aéronautiques comoriennes ont refusé, dans un premier temps, qu’Ewa se pose en Grande Comore. Les mesures de rétorsion de la France, qui a immédiatement interdit d’atterrissage toutes les compagnies comoriennes faisant escale à Mayotte, ont finalement permis le déblocage de la situation. Les résultats d’exploitation ne sont pas encore connus pour l’exercice 2013-14, mais, au bout de six mois, le déficit se monte à 1,1 million d’euros, ce qui est légèrement supérieur aux prévisions (déficit estimé à 1 million d’euros).

En un an d’existence, la petite compagnie mahoraise a transporté quelque 30 000 personnes vers les pays riverains du canal du Mozambique (Tanzanie, Comores, Mozambique, Madagascar). Elle dessert sept destinations, dont trois à Madagascar, à bord d’un ATR 72-500. Le rayon d’action de ce petit appareil de 64 places est limité à 1 000 km. Seul avion de la flotte, cet ATR doit donc assurer plusieurs rotations par jour. La fréquence des liaisons vers les sept aéroports régionaux desservis est bi-hebdomadaire, sauf vers la Tanzanie et le Mozambique, où les vols sont surtout effectués pendant les vacances scolaires mahoraises, à raison d’un ou deux vols par semaine. Il faut dire que 95 % des passagers d’Ewa proviennent aujourd’hui de Mayotte. L’obtention d’un visa conditionne l’arrivée de la clientèle en provenance de la zone. Au vu des difficultés pour obtenir le précieux sésame, l’avion d’Ewa ne sera pas composé de sitôt d’une pléthore de touristes originaires des pays riverains. La destination phare d’Ewa, c’est la ville malgache de Majunga, tant et si bien que la compagnie aérienne a choisi d’ouvrir une troisième rotation hebdomadaire. Les liens sont très forts avec cette ville du nord-ouest de la Grande Ile d’où sont originaires une grande partie des Malgaches vivant à Mayotte et où réside une petite diaspora mahoraise. La question de la desserte d’Anjouan, capitale des Comores pose problème à la compagnie mahoraise. La ligne est déficitaire. Il faut dire que cette rotation est aussi couverte par la compagnie comorienne Inter-Îles Air. Par ailleurs, sur cette route la concurrence du bateau tourne à l’avantage de ce dernier.

Les dessertes et rayons d'action d'Ewa

Les liaisons maritimes de passagers sont assurées par la société française STGM (Société de Gestion et de Transport Maritime), fondée en 2005. Elle opère 8 lignes entre les îles de l’archipel des Comores et vers le port malgache de Majunga. Plus de 15 000 passagers sont transportés chaque année. La ligne la plus fréquentée relie Anjouan à Mayotte, une liaison sur laquelle elle détient le monopole. Elle dispose d’une flotte de 6 bateaux. Ainsi sur la route Mayotte-Anjouan, l’avion peine à concurrencer le bateau, en termes de coût (239 euros contre 100 euros) et de franchise bagage (20 kg contre 60 kg). Ce n’est pas la durée du trajet, 35 minutes en avion contre 3 heures en bateau, qui peut inverser le rapport de force.

Le renforcement des liaisons régionales permis par l'arrivée d'Ewa pourrait appuyer la stratégie de développement touristique de Mayotte. Mais pour faire du tourisme une nouvelle opportunité économique, Mayotte doit relever de multiples défis.
 

2.2. Les espoirs placés dans le développement touristique

Parmi les îles de la zone, Mayotte est aujourd'hui, avec Rodrigues (République de Maurice) et les Comores, celle qui enregistre les plus faibles fréquentations touristiques : un peu plus de 50 000 visiteurs par an en 2013, en progression par rapport à 2012 où la fréquentation avait baissé de 9 % suite aux émeutes de 2011, après le pic de 2010, avec 52 800 touristes. Plus de 92 % des touristes sont d’origine française, arrivant tantôt de métropole (52,5 %), tantôt de La Réunion (40 %). À Mayotte, le tourisme affinitaire domine (53 % des flux totaux) : la motivation principale est de rendre visite à des proches, membres de la famille ou amis. Sachant qu'environ 5 % de la population mahoraise vit en France métropolitaine (Insee, 2012) et 20 % à La Réunion (si l’on tient compte des chiffres de la Soroda, Fédération des Associations Mahoraises), on ne s'étonnera pas qu'un touriste sur trois soit originaire de l’île. Souvent considérés comme des touristes de seconde zone, les touristes affinitaires ont l'avantage d'être moins sensibles aux « crises » locales (Gay, 2009) que les touristes d'agrément.

Complément 2 : La diaspora mahoraise à Madagascar et à la Réunion

Le potentiel de développement touristique du deuxième DOM français de l'océan Indien invite les acteurs publics et privés à faire de Mayotte une nouvelle destination touristique. Pourtant les obstacles ne manquent pas. Le territoire est pénalisé par le manque d’hébergements. À ce jour, Mayotte ne compte que 1 100 lits répartis en 83 hôtels, gites et chambres d’hôtes. Il existe bien des projets hôteliers de 4 étoiles, déterminés par le PADD (Plan d’Aménagement et de Développement durable) de 2008, en bordure de mer par dérogation de la loi Littoral (sites potentiels : Hamouro, Kani-Kéli au sud, et Moutsoumbatsou au nord) mais pour l’heure aucune réalisation n’a débuté. Le particularisme de la propriété foncière n'aide pas à l'investissement immobilier (Barthès, 2009). Et dans une île où tout est à construire en matière de logements, de santé, etc., le tourisme ne s’impose pas comme une priorité des pouvoirs publics. D’autres freins entravent le développement touristique, comme la faible implication de la population locale, qui est une constante dans l’outre-mer français (Gay, 2009). Il faut aussi reconnaître que les émeutes de 2011 ont non seulement fait reculer la part des touristes d’agrément de 32 % du contingent touristique en 2010 à 22 % en 2013, mais aussi troublé durablement l'image du territoire en métropole.

Complément 3 : Les émeutes contre la vie chère à Mayotte (septembre-novembre 2011)

Les faiblesses de la desserte aérienne ont inévitablement un impact sur la mise en tourisme d’un territoire insulaire, dans cette région de l'océan Indien marquée par « les trois "E" : exiguïté, émiettement, éloignement » (Pébarthe-Désiré, Mondou, 2014). En effet, l’accessibilité joue un rôle déterminant, mais non exclusif, dans le processus de mise en tourisme, voire dans le développement touristique d’un lieu (Gay, 2006). En élaborant son plan de développement touristique, un pays, a fortiori insulaire, qui souhaite impulser sa fréquentation se doit d’intégrer un volet sur l’accessibilité. Cette accessibilité conditionne la capacité d’accueil de la destination et se présente comme un élément primordial puisque premier rouage de la chaîne touristique (Pébarthe-Désiré ; Mondou, 2009). Pour un petit espace insulaire, surtout quand il se situe à bonne distance de toute grande terre, l’avion s’impose comme le mode de transport privilégié de passagers. L’amélioration des performances aéronautiques, amorcée au cours des années 1950, a facilité, par la réduction du temps de vol (généralisation des avions à réaction long-courriers au cours des années 1960), la connexion avec des lieux distants de plusieurs milliers de kilomètres. La planète devient en quelques décennies à portée d’avion et partant du tourisme. Dans ce contexte, il est manifeste que « les îles tropicales très éloignées des foyers émetteurs de touristes, doivent beaucoup à l’avion » (Gay, 2000). Typiquement, Mayotte, est une contrée insulaire où l’acheminement des touristes, bien qu’encore minime, se fait quasiment exclusivement par avion.

Dans l'océan Indien, les îles Seychelles et Maurice ont entamé leur processus de mise en tourisme à partir du moment où elles se sont dotées d’un outil aéroportuaire suffisamment performant (Lamy-Giner, 2014). De même, dans les Petites Antilles, les îles dotées de plates-formes internationales (Sin-Maarten, Barbade) enregistrent une importante fréquentation touristique (entre 450 000 et 550 000 touristes), tandis que les petites îles comme Grenade, Saint-Vincent ou la Dominique, manquant d’infrastructures suffisantes, souffrent d’une desserte partielle, souvent synonyme de marginalisation (Vergé-Dépré, 2014). Le nombre de touristes n'y dépasse pas la barre des 120 000.
Aujourd'hui l'accessibilité aérienne de Mayotte est telle que la distance-durée et la distance-coût sont fortement dissuasives pour les touristes. Le vol dure plus de 14 heures et le prix du billet dépasse 700 euros en basse saison, et 1 000 euros en haute saison (vacances scolaires, de juillet-août notamment). Mayotte n’a pas l’aura de Tahiti, où la distance est en partie annihilée par l’attrait pour des îles, symbolisant dans l’imaginaire collectif, un bout d’éden. « Tahiti est le "nom d’appel" mondial de ce territoire français » (Gay, 1990). Mayotte a bien changé son nom d’appel, « île aux parfums », qui fait davantage penser aux Comores, en « île au lagon » mais la renommée des riches milieux maritimes reste à construire, et le nouveau Comité départemental du tourisme de Mayotte, subventionné par le Conseil général, avec un budget de 1,6 million d’euros, n’a pas les moyens de ses ambitions. Il cible aujourd’hui les salons où la plongée est à l’honneur (Salon de la plongée à Paris).

Package et pass pour un tourisme en réseau
Plaquette promotionnelle pour un « package » Réunion-Mayotte

Le recto-verso d’une brochure touristique, élaborée en 2014. Au vert des montagnes réunionnaises répond le bleu du lagon mahorais. L’objectif est de jouer sur la complémentarité des deux îles françaises et d’en faire un unique produit d’appel.

Le pass Îles Vanille, 2014

Source, Comité départemental de Mayotte.
Le pass n’est, pour l’heure, réservé qu’aux passagers des vols long-courriers d’Air Austral. Les prix indiqués sur la brochure n’incluent pas les taxes. Cette stratégie promotionnelle est clairement ancrée sur le paysage littoral où dominent les plages de sable blanc (stéréotypes du milieu insulaire tropical).

L’autre solution pour promouvoir l’image de l’île, est de proposer un « package » avec La Réunion. Un tandem qui s’appuie sur le vert de la Réunion (montagne, parc national) et le bleu (lagon) de Mayotte. Depuis le premier semestre 2014, un « pass Îles Vanille », élaboré par la Région Réunion et le Comité régional du tourisme, plus connu sous le sigle IRT (Ile de La Réunion Tourisme), permet de découvrir les îles de la zone au départ de La Réunion. Ce dispositif est aujourd’hui l’exclusivité d’Air Austral. La compagnie propose ainsi aux passagers voyageant sur ses vols long-courriers un forfait couplant la visite de La Réunion avec des îles voisines (Maurice, Madagascar, Comores, Seychelles ou Mayotte), pour un prix hors taxe oscillant entre 45 et 90 euros. L’offre peut paraître, de prime abord, alléchante mais les taxes font monter le billet à 200 euros. Qui plus est, le touriste doit visiter au moins deux îles, en sus de La Réunion, pour disposer des avantages tarifaires du pass. Il est encore précoce d’augurer du succès du dispositif d’autant que dans sa forme actuelle, il est fermé à la clientèle d’Air France ou Corsair. Par ailleurs, les retombées pour Mayotte ne peuvent être qu’à la marge face à la concurrence des îles voisines.


Conclusion

À l’heure où « le territoire tend à s’effacer au profit des flux  » (Bernardie, Taglioni, 2005), où « l’accessibilité rapide, la connectivité maximale […] signe, en fait, la fin de l’isolat » (Troin, 2005), les îles mêmes les plus lointaines semblent à portée d’avion. Pourtant bien que l’insularité ne doive pas seulement être considérée en termes d’isolement, de cloisonnement, (Vergé-Depré, 2008), certaines îles continuent de pâtir d’une desserte aérienne partielle. Si l’enclavement, pris dans une polysémie quelque peu réductrice, est « un attribut des espaces peu accessibles, [des] territoires fermés, [des] mailles enserrées dans les fils des voies de communication qui ne les desservent pas ou mal » (Debrie, Steck, 2001), Mayotte reste typiquement un territoire enclavé, de même que les Comores, Rodrigues voire même Madagascar.
Néanmoins les mutations institutionnelles qui affectent ce territoire ultra-périphérique ont favorisé un désenclavement. Les flux du 101ème département vers la métropole grossissent, et l'intégration territoriale au sein de la région du canal du Mozambique progresse dans le sens d'un arrimage aux deux îles voisines de Maurice et de La Réunion, qui ont, elles, réussi à gommer en grande partie, les discontinuités physiques et historiques, tant et si bien qu’elles s’imposent dorénavant comme les îles-relais dans le domaine aérien, mais aussi maritime, du Sud-Ouest de l’océan Indien (Lamy-Giner, 2011).

 

 

Notes

[2] Le dispositif de continuité territoriale consiste, depuis 2004, en un ensemble d’aides à la mobilité vers la métropole pour les résidents d’outre-mer, sous forme de bons pour le grand public et de passeport mobilité pour les étudiants. À Mayotte, sous conditions de ressources, le bénéficiaire pourra amputer du prix de son billet une somme comprise entre 270 et 450 euros.

[3] Rebaptisée Air Réunion en 1986, elle prend son nom actuel en 1990 au moment où l’activité de ligne d’Air Réunion est rachetée par la Sematra (société d’économie mixte détenue par la Région, le Département et d’autres institutions dont la Chambre de Commerce et d’Industrie) et d’autres partenaires (dont Air France). Pendant une dizaine d’années, la « petite » réunionnaise constitua son offre moyen-courrier (Afrique du Sud, Comores), avant d’élargir son rayon d’action. L’ouverture de lignes long-courrier fut effective en 2003, vers Paris dans un premier temps, puis Marseille, deux ans plus tard. D’autres villes de province renforcèrent progressivement le réseau (Lyon, Nantes, Toulouse), avant une réduction de l’éventail de l’offre, à partir de 2011 (effets de la crise économique).

[4] La compagnie a déclaré 1,8 million d’euros de pertes pour l’exercice 2010-11 et 51 millions pour celui de 2011-12, la faute à une facture carburant qui s’est envolée et à des ouvertures de lignes inconsidérées, sur fond de crise économique (Lamy-Giner, 2014).

[5] En 2005 a été mis en place en Europe, un processus commun d’interdiction ou de restriction d’exploitation dans l’espace aérien européen de compagnies aériennes jugées peu sûres.

[6] Ainsi la cabine ne comporte quasiment que des sièges de classe économique (349) contre 15 de classe premium.

[7] Les prix sont effectivement inférieurs à ceux des concurrents mais restent supérieurs aux allers-retours entre Marseille et La Réunion (prix de lancement en décembre 2012 : 599 euros entre Marseille et Dzaoudzi contre 499 euros vers La Réunion). Si aujourd’hui les prix restent compétitifs et attractifs vers La Réunion (624 euros en promotion), ils se sont envolés vers Dzaoudzi (944 euros en promotion).

 

 

Pour compléter

Ressources bibliographiques
Ressources webographiques
L'aéroport et les compagnies aériennes présentes à Mayotte
Le tourisme à Mayotte

            10 raisons de venir à Mayotte

Le DOM de Mayotte : sites officiels

Présentation, en résumé, octobre 2014
« Mayotte, département le plus jeune de France », Insee Première, n° 1488, 2014. Nombreux tableaux et graphiques
« 212 600 habitants à Mayotte en 2012 - La population augmente toujours fortement », Mayotte Infos n° 61, 2012
« Les villages de Mayotte en 2012 », Insee Analyses n°4, décembre 2014
« Entre faiblesse des revenus et hausse de la consommation. Enquête Budget de famille à Mayotte », Insee Analyses n°3, décembre 2014
« Une économie en rattrapage soutenue par la dépense publique », Insee Analyses n°2, octobre 2014
« Enquête Emploi Mayotte 2013 », Insee Analyses n°1, juillet 2014
Tableau économique de Mayotte, 2010. Très riche publication avec chronologie, carte, tableaux et graphiques, 70 p.

plaquette de présentation avec une carte http://www.aires-marines.fr/L-Agence/Organisation/Parcs-naturels-marins/mayotte/Documents/Depliant-du-Parc-naturel-marin-de-Mayotte

Des articles scientifiques

            Voir carte du lagon et § final sur tourisme durable

Les médias

JDM, le journal de Mayotte, journal en ligne, gratuit, lancé en octobre 2013
Mayotte, la 1ère, chaîne de TV qui propose un JT du soir d'une heure en français
 

 

Marie-Annick LAMY-GINER,
Centre de Recherches et d'Etudes en Géographie de l'Université de la Réunion (CREGUR)
,
avec la collaboration d'Emmanuel Marcadé, Laboratoire de cartographie appliquée de l'Université de la Réunion,

conception et réalisation de la page web : Marie-Christine Doceul,

pour Géoconfluences, le 11 février 2015.

Pour citer cet article :  

Marie-Annick Lamy-Giner, « Mayotte, un DOM insulaire entre enclavement et ouverture », Géoconfluences, février 2015.
https://geoconfluences.ens-lyon.fr/informations-scientifiques/dossiers-thematiques/mobilites-flux-et-transports/corpus-documentaire/mayotte-un-dom-insulaire-a-desenclaver