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Territoires européens : régions, États, Union

Innovation et territoire, enjeu essentiel des politiques d’aménagement en Europe

Publié le 16/06/2008
Auteur(s) : Jacques Fache - Institut de Géographie de l'Université de Nantes (IGARUN)
Marion Gobin - Institut de Géographie de l'Université de Nantes (IGARUN)

Mode zen

1. Innovation, technologie et territoire : un lien profond et croissant
2. Enjeux territoriaux et acteurs politiques
3. Sarrebruck-Nantes : si loin, si proches

Bibliographie | citer cet article

Les villes et les régions en reconversion industrielle dans l'Union européenne (ou ailleurs dans le monde développé) sont confrontées à un redoutable défi : celui de l'"économie de la connaissance". Ce défi n'est pas seulement un simple changement d'activité économique comme il s'en produit régulièrement. Il représente aussi et surtout un changement fondamental dans les manières de penser, de produire, de s'organiser. Désormais, la matière première, c'est des idées, de l'innovation. Les problèmes de la production de biens et de services, ainsi que ceux du développement local et régional, dépendent désormais de la capacité à accéder à ces innovations et à ces connaissances.

Les stratégies territoriales doivent donc être complètement revues. En effet, les logiques d'accumulation qui ont joué hier, comme celle des pôles de croissance de F. Perroux (1964), et les modèles d'organisation wébériens ne correspondent plus à ce qui fait le moteur de l'activité. Pour accentuer le changement, l'information, nerf de la guerre de cette nouvelle économie, peut être transportée à des coûts réduits qui n'ont plus de commune mesure avec ceux des matières pondéreuses, ou même des produits finis.

 
François Perroux, Max Weber : théories et modèles 

François Perroux a développé dans les années 1960 la théorie des pôles de croissance. Cette théorie défend l'idée d'un développement inégalement réparti dans l'espace, et dépendant d'industries motrices ayant des effets d'entrainement locaux, mais aussi des effets de diffusion de la croissance dans l'ensemble régional dans lequel elle s'inscrit. Ces pôles constituent des centres d'accumulation de capitaux, de techniques et de personnes, bénéficiant d'effets d'agglomérations puissants. Des relations de domination se créent, irréversibles (selon l'auteur), signifiant donc le caractère fondamentalement déséquilibré de sa théorie et la divergence de développement entre les territoires que cela représente.

Max Weber a développé un modèle de localisation des activités reposant sur la minimisation des coûts, mais aussi sur la recherche d'économies d'agglomérations susceptibles de modifier les localisations théoriques obtenues par le calcul de courbes de coûts équivalents. Parfois limité à une simple recherche de minimisation des coûts de transport, il introduit en réalité d'autres paramètres comme celui des coûts de main d'œuvre. Ce modèle a influencé en profondeur l'économie spatiale dont de nombreux travaux reposent tant sur l'effet frictionnel de la distance que sur les économies d'agglomération.

  • Perroux, François – L'économie du XXe siècle, PUF, 2e édition, 692 p. – 1964
  • Weber, Max - Économie et société (1910-1913), coll. Agora, éd. Pocket, 2 tomes, 2003.

Jacques Fache et Marion Gobin

 

Cette nouvelle donne soulève le redoutable écueil du changement dans des milieux sociologiquement marqués par une activité industrielle lourde dominante, voire exclusive. Désormais, la force de travail, même peu qualifiée, ne repose plus du tout sur les mêmes compétences que par le passé. Un ouvrier sidérurgiste ne peut pas passer facilement à un emploi de base dans l'informatique. Les problèmes sont donc considérables, et les enjeux extrêmement lourds. Il s'agit en effet de réaliser une mutation économique et sociale, tout en évitant une rupture trop profonde qui laisserait sur le bord du chemin toute un pan de la société industrielle héritée.

Afin de comprendre les stratégies adoptées par les territoires confrontés aux défis de la reconversion, il convient d'effectuer un détour par la théorie, et dans un premier temps de rendre à l'innovation la place qui est la sienne et d'en étudier le rôle omniprésent, même pour les activités de basse technologie et peu qualifiées. Ces nouvelles logiques nous amèneront à mettre l'accent sur les nouvelles dynamiques territoriales de l'économie de la connaissance ainsi que sur le rôle des acteurs qui l'influencent et tentent d'arrimer leur territoire à ce nouveau système productif. Enfin, nous établirons le lien entre l'étude que nous avons consacré à Nantes et Sarrebruck d'une part, et ces nouvelles logiques territoriales d'autre part. Le rapprochement des deux villes constitue un terrain d'étude idéal pour les enjeux définis théoriquement auparavant.

Innovation, technologie et territoire : un lien profond et croissant

Le développement des territoires, en Europe ou ailleurs dans les pays développés, passe désormais par l'innovation. Cette assertion, assez banale en soi, doit être complétée : il s'agit de tous les territoires et de toutes les innovations. Et ce lien est central dans la reconversion puisque sa prise en compte est le paramètre en fonction duquel les territoires, implicitement ou explicitement, doivent ou devraient se positionner et définir leurs stratégies.

L'innovation, moteur de l'économie… depuis toujours

L'omniprésence de l'innovation pour l'économie n'est plus vraiment à démontrer. Si, depuis J. Schumpeter (1935) [3], le rôle de l'entrepreneur innovateur a été mis en évidence et qu'au sein de l'entreprise, l'innovation a pris une part croissante avec le développement des hautes technologies [4], la nouveauté actuelle tient dans le caractère généralisé de la présence de la recherche.
En effet, de multiples entreprises de haute technologie ont abandonné la production physique pour se recentrer sur l'immatériel, ou sont en train de le faire. Mais des secteurs "traditionnels" se tournent aussi vers l'innovation, comme par exemple l'industrie textile avec le Textile à usage technique (TUT) (Battiau 2005, Fache 2002) [5].

On notera que la relation de la production à l'innovation est très ancienne : la chimie du XIXe siècle a trouvé sa source chez des chercheurs et ingénieurs (Laferrère, 1960), les machines doivent beaucoup à des Watt ou à des Jacquard pour le textile. Mais le plus souvent, les inventeurs isolés au XIXe ont fait place à des équipes entières aux XXe et début du XXIe siècles.
Le poids de l'innovation et de la connaissance bouleverse le système productif pour quatre raisons interdépendantes. Tout d'abord, la compétition accrue entre les États et les régions réduit la durée des rentes de situations [6] liées à un avantage innovant.

Il faut donc toujours trouver autre chose en termes de produits, d'outils, d'organisation, de marketing, etc. Ensuite, la combinaison "microélectronique x informatique x technologies de l'information & communication" permet de traiter automatiquement des quantités exponentielles d'informations, par ailleurs de plus en plus accessibles par les réseaux sans fil (Castells 1989, Veltz 2000). Les efforts en termes de R&D croissent, dans les pays développés, mais aussi dans les pays émergents. Enfin, ces innovations interagissent ou rétroagissent. Par exemple, les progrès dans la nanoélectronique génèrent une puissance informatique accrue, permettant en retour une puissance de calcul utilisée par la recherche nanotechnologique, etc. Nous sommes donc désormais en présence de systèmes d'innovation, dans lesquels les différents éléments sont en "interaction créatrice" (Bunnell et Coe, 2001) (fig ci-contre).

De la conception linéaire à l'approche systémique de l'innovation

De ce fait, les entreprises se réorganisent, éclatent territorialement, valorisent technopôles [7] et métropoles, et travaillent sur une organisation toujours plus fine, amenant à une externalisation [8] croissante, voire même au développement des "fabless" [9]. Pierre Veltz parle de firmes-réseau (2000), pour laquelle la connexion entre ses diverses composantes et ses sous traitants est vitale.

 

Des cycles de l'innovation à la structuration de l'espace

La dimension temporelle de l'innovation est une clé de compréhension de la structuration de l'espace. En effet, l'innovation n'est pas disponible en tout lieu et instantanément, mais elle se propage (Hagerstrand, 1953 ; Saint-Julien, 1985) (fig. ci-dessous à droite), générant des différentiels importants entre les territoires.

Théories et modèles : localisations, diffusions

Le cyle du produit, un classique de la géographie des localisations

Le pays qui initie un cycle de produit se trouve avantagé, avec un stade initial au cours duquel il est en situation de monopole, et exporte dans le monde. Les effets à tous les niveaux sont donc maximum pour le territoire du départ, et décroissent pour ceux qui arrivent tard dans la production de ce bien ou de ce service, concurrencés qu'ils sont par les producteurs initiaux ...

 

La diffusion de l'innovation, modèles élémentaires

La diffusion de l'innovation dans l'espace renvoie aux travaux d'Hägerstrand. Elle s'effectue selon deux modalités. La première est hiérarchique. L'innovation circule ainsi du sommet de la hiérarchie urbaine vers la base. La seconde s'effectue par contiguïté territoriale, ou de proche en proche.

Et la théorie du cycle du produit de Vernon est désormais un classique de la géographie des localisations à une échelle internationale (Vernon, 1966, Mucchielli 1998). Cette théorie est lourde de conséquences pour les petites villes et les villes moyennes qui se positionnent dans un rôle second, voire secondaire, par rapport à la métropole au pouvoir de captation et de transformation de l'information infiniment supérieur. Or à cette échelle aussi, l'élément central dans les cycles, c'est d'être le premier, l'initiateur, afin d'obtenir les effets les plus forts. Dès lors, tout l'enjeu est d'acquérir les compétences nécessaires pour devenir un pôle de réception/ transformation/ émission.

L'innovation bouleverse aussi l'espace en renversant le fonctionnement régional. Traditionnellement, la ville s'appuie sur une région dont elle est l'émanation, dans une logique très christallérienne ou löschienne (encadré ci-dessous). Le poids de l'innovation, et en particulier des technologies de l'information & communication, inverse la donne. La région devient l'émanation d'une ville qui a la capacité de capter l'information innovante et de la transformer en activités économiques. Le cas de Toulouse est à ce titre très évocateur (Fache, 2007a). Ce changement apparemment anodin bouleverse la donne pour l'ensemble de la hiérarchie urbaine.

Annexe : 

Aires de marché, produits et localisations ; De Von Thünen à Florida, les apports théoriques et pratiques à la géographie économique et à l'économie spatiale : un tableau de synthèse

Certes, un centre urbain demeure par l'inertie de son poids démographique et de sa fonction résidentielle, et n'évolue que lentement. Mais cette situation héritée doit désormais abandonner les logiques anciennes pour s'intégrer à l'économie de la connaissance. Toute la question est de savoir avec quelles fonctions. Dans cette configuration, ce n'est plus la région qui détermine cette place, mais un projet politique adapté à une situation locale.

 

Les systèmes de l'innovation et les milieux innovateurs

Être le premier dans une économie de la connaissance ne suffit pas, encore faut-il que le territoire soit à même de produire, de capter et de transformer l'information innovante. À l'heure où "l'espace organise le temps" (Castells, 1998), le territoire joue un rôle primordial à l'intérieur des systèmes d'innovation. Dès le XIXe, A. Marshall évoquait ce fait dans son étude des districts industriels. L'auteur s'appuyait sur l'exemple de certaines régions présentant une organisation industrielle et une "ambiance" particulière pour mettre en évidence un développement endogène. Les districts industriels sont désormais considérés comme des lieux d'innovation privilégiés à l'échelle locale en raison de la proximité d'entreprises et de la créativité du milieu (Ritter, 2000). Quant à eux, les chercheurs du GREMI, groupe formé par P. Aydalot en 1984, ont, en ajoutant la notion de milieu au Système de production localisé (SPL, tel que les districts ou cluster), apporté une nouvelle contribution à l'étude des organisations productives innovantes.

Annexe. Les milieux innovateurs dans l'économie de la connaissance et les travaux du Groupe de recherche européen sur les milieux innovateurs (GREMI)

À l'échelle locale, nationale, européenne, les réseaux d'innovation représentent pour les politiques publiques une opportunité de doter les régions d'un système de production performant en exploitant les caractéristiques du milieu innovateur. L'idée de région apprenante (learning region, Morgan, 1997) s'en inspire pour construire un système d'acteurs régionaux au sein duquel devraient se développer les transactions relationnelles et informationnelles "génératrices d'externalités spécifiques à l'innovation" (Maillat, 2006), système dans lequel les ressources construites (savoir-faire, compétences, qualifications, comportements) et l'apprentissage collectif sont mis en valeur. C'est cette démarche qui semble être adoptée dans le cas de la région transfrontalière Saar-Lor-Lux, où la valorisation des "compétences européennes" pourrait initier la construction d'un "milieu innovateur transfrontalier" (Gobin, 2007a).

À l'échelle internationale, ces réseaux d'innovations sont influencés, voire co-pilotés, par les entreprises multinationales. L'imbrication des réseaux à toutes les échelles permet de comprendre l'influence parfois considérable de ces entreprises mondialisées sur les territoires. Dans le même temps, il introduit une limite ou une fragilité à la théorie des milieux innovateurs.

L'entreprise internationale

Les logiques des entreprises internationales introduisent un changement d'échelle. Ces grandes entreprises du type d'IBM, Motorola, EADS, STMicroelectronics, quadrillent l'espace mondial, européen et elles constituent une véritable entreprise en réseau (Veltz, 2000), soulevant des problèmes comme ceux de leur impact structurant ou fragilisant sur certains milieux, ainsi que ceux de la gouvernance d'organismes tentaculaires dont les centres de décision eux-mêmes peuvent être éclatés (Carroué, 2005).

L'organisation spatiale de STMicroelectronics (2005)

ST comptait, en 2005, 50 000 salariés dans le monde répartis sur 16 sites de production (back-end* et front-end*), 16 centres de R&D, 39 centres de conception, 78 bureaux de vente dans 36 pays (fig. ci-contre). C'est une société relativement intégrée qui contrôle tout le processus de production, de la conception à la fabrication et à l'assemblage, alors que nombre de sociétés sous-traitent le back-end, voire le front-end. Implantée sur tous les continents, STMicroelectronics conserve néanmoins un fort ancrage euro-méditerranéen (60% des effectifs dont 15% dans le bassin méditerranéen).

Les sites d'Agrate et Castelletto, dans la banlieue de Milan, constituent le véritable centre décisionnel opérationnel du groupe. Les principaux centres de R&D sont localisés en France (Grenoble-Crolles) et en Italie (Agrate et Catane), l'université d'entreprise (STU) est situé à Rousset (près d'Aix en Provence), la direction administrative est à Genève.

Le cœur de la société d'origine franco-italienne se rassemble ainsi dans un triangle transalpin dont les sommets sont Milan, Grenoble et la Provence.

* Dans ce cas, back-end et front-end désigne sucessivement la production de circuits puis la phase d'assemblage et de tests.

D'après : Sylvie Daviet, Actes du FIG 2005 http://fig-st-die.education.fr/actes/actes_2005/daviet/article.htm

Pour actualiser et compléter ces données :

La grande entreprise a un rôle décisif sur le milieu local. Dans les biopôles, la présence ou l'absence d'une "big pharma" (sociétés majeures de l'industrie pharmaceutique) est déterminante dans le succès ou l'échec du pôle ; en aéronautique ou encore dans l'automobile, le système est largement structuré par quelques donneurs d'ordres, voire un seul. Faut-il rappeler l'impact d'Airbus sur Toulouse (Fache, 2007c), de Toyota sur Valenciennes ? La nouveauté réside dans la capacité des grandes entreprises à structurer leur territoire, parfois en décalage avec la structure héritée.

L'irruption d'établissements représentant des milliers d'emplois directs et trois ou quatre fois plus d'indirects, pose la question de l'équilibre du développement territorial et de la dépendance vis-à-vis de donneurs d'ordres extérieurs. Ainsi, des aménagements comme les Parcs Industriels Fournisseurs (PIF) peuvent correspondre à un développement fragile et instable (Montagné-Villette S., 2005) [10]. La logique de croissance des entreprises qui génère dans de nombreux milieux innovateurs l'apparition de grandes entreprises change l'échelle des territoires de l'innovation.

Cette relation de l'innovation au territoire a des implications lourdes pour une ville. En effet, ces processus positionnent la ville dans un système. Elle peut réussir à constituer un système innovant initiant les cycles et organisant l'espace, mais peut tout aussi bien être marginalisée, repoussée aux périphéries du système. Les politiques l'ont bien compris, et sont tentés de développer des actions ciblant les populations censées porter cette économie de la connaissance et de l'innovation, s'inspirant de la théorie de la creative class de R. Florida (voir ci-dessous). Dès lors, les organisations territoriales et leurs acteurs deviennent primordiaux.

Annexe

La région apprenante (learning region) et Richard Florida en débats (avec tableau)

De la région de production de masse à la région apprenante (learning region). Les critiques de l'analyse de R. Florida.

Enjeux territoriaux et acteurs politiques

L'innovation génère des formes spatiales d'accumulation et d'agglomération désignées sous des termes variables : technopôles, clusters technologiques, parcs scientifiques, etc. De fait, deux éléments sont à distinguer. Tout d'abord la logique de concentration des activités innovantes dont la proximité est directement liée aux caractères de l'information à traiter. Dans la haute technologie, l'information est souvent informelle et nécessite le face-to-face des partenaires. D'autre part, les contraintes techniques peuvent également nécessiter la proximité : ainsi est-il plus prudent de ne pas faire voyager exagérément des échantillons viraux dangereux. Ces logiques générales sont à croiser avec des politiques qui tentent soit de les accélérer, soit de les entretenir, soit de les susciter.

Innovation, accumulation et politique

Le technopôle constitue une forme de polarisation de l'espace de l'innovation technologique dont les premières formes sont apparues aux États-Unis : Route 128, Silicon Valley (Grondeau, 2005), Orange County (Scott, 1993). Il est devenu un modèle, voire un mythe, que l'Europe a dupliqué avec des variantes. Chaque technopôle est particulier mais à la base se situe toujours la même idée : mettre en interaction dans une zone dédiée à la recherche, des activités de haute technologie et des centres de formation supérieure.

L'objectif est de voir se multiplier, par effet de proximité, des synergies, des collaborations, des contacts, qui ne se seraient jamais produits sans la structure (fig. ci-contre). Si la juxtaposition des entités a souvent été facile, leur 'interaction est par contre plus variable. Les aménageurs l'ont bien compris : ils multiplient les initiatives pour créer du lien entre acteurs et se proposent comme intermédiaires. Cette action politique s'est largement diffusée, dans les métropoles, mais aussi dans des villes moyennes, toutes les collectivités veulent un technopôle ou devenir une technopole, sans en avoir toujours le substrat intellectuel et technologique. La France à elle seule compte plus de 40 technopôles officiellement labellisés.

Cette prolifération soulève la question de la pertinence de l'action publique et ouvre une seconde question : quelles sont les possibilités d'adaptation pour des villes moyennes et/ou des régions en reconversion (par exemple, Nantes et Sarrebruck) dans un tel système ? Grâce à leur capacité à innover, à coordonner et à gérer les activités des réseaux d'entreprises, les métropoles constituent alors une forme d'organisation spatiale adaptée aux impératifs de l'économie de la connaissance (knowledge economy). Mais la hiérarchie dans le réseau urbain est devenue instable, "car l'ensemble des villes sont lancées dans un processus de compétition "féroce" dépendant des "hasards" des investissements financiers et immobiliers à haut risque" (Castells, 1998) [11].

L'adaptation peut être dès lors comprise comme la transformation d'un avantage comparatif (la présence d'une ressource dans le cas des bassins miniers) en avantage compétitif (l'organisation de l'exploitation de cette ressource). Dans le cas présent, l'avantage compétitif des métropoles réside dans l'élaboration du système d'accumulation métropolitain (fig ci-dessus).

Processus d'accumulation technopolitaine bet métropolitaine

À une échelle internationale, la production se diffuse depuis l'État initiateur vers les autres États, en fonction de leur capacité à maitriser la technologie du produit. L'État initiateur bénéficie d'une position très valorisante et favorable. L'État qui se lance tardivement dans la production hérite d'un bien à produire qui est banalisé et à faible valeur ajoutée. Ce schéma est lui aussi en évolution du fait du raccourcissement du cycle, du développement des télécommunications permettant de transporter l'information et enfin des stratégies d'entreprises internationales qui développent centres de recherches et de production de haut niveau souvent dans plusieurs États à la fois.

Toutefois, cette adaptation ne résulte pas, comme le pensent les économistes, d'une simple "auto-régulation" du système en fonction des lois du marché, mais bien du jeu des acteurs à différentes échelles, qui cherchent à réaliser la meilleure adéquation possible entre profit des firmes et "compétitivité territoriale". Pour conserver leur rang dans le réseau des métropoles européennes, ou pour y accéder, les agglomérations millionnaires doivent davantage prendre en compte l'organisation du système urbain et les interactions entre les espaces que la valorisation du site en lui-même. Les stratégies de développement des métropoles régionales Nantes-Saint-Nazaire (Fache, 2007b) et Sarrebruck Moselle Est (Gobin, 2007b) en fournissent un bon exemple.

Des indicateurs de l'économie de la connaissance en Europe

La carte ci-contre présente les parts d'emploi dans le secteur des Services à forte intensité de connaissance de haute technologie en 2006 dans les régions (niveau NUTS 2) de l'UE et de l'AELE. Plusieurs régions qui présentent des parts élevées d'emploi dans le secteur des SFIC de haute technologie sont des régions capitales : Stockholm (Suède), Oslo og Akershus (Norvège), l'Île de France (France) et la Comunidad de Madrid (Espagne) et, avec près d'un dixième de l'emploi dans le secteur des SFIC de haute technologie (9,2 %), la région de Berkshire, Buckinghamshire et Oxfordshire (Royaume-Uni) est largement en tête. Outre les régions capitales, les régions qui possèdent un taux élevé d'emploi dans le secteur des SFIC de haute technologie sont situées pour la plupart en Allemagne, au Royaume-Uni et en Europe du Nord. En revanche, le secteur des SFIC de haute technologie emploie en général moins de personnes en Europe du Sud et de l'Est.

Annexe, avec graphiques, les points abordés :

  • Des données statistiques européennes, les Services à forte intensité de connaissance (SFIC)
  • Tableau de bord pour l'innovation (TBEI), des résultats mitigés (Innobaromètre et Indice de synthèse de l'innovation / ISI)
  • La Stratégie de Lisbonne en quête d'efficacité (gouvernance européenne, transposition des "directives Lisbonne")
Le secteur des Services à forte intensité de connaissance (SFIC) de haute technologie en Europe

Source : Eurostat, NACE. Les indicateurs économiques sont tirés des statistiques
structurelles sur les entreprises (SSE). Les données sur l'emploi proviennent de l'enquête communautaire sur les forces de travail (EFT).

Finalement, le passage d'une géographie des coûts à une "géographie de l'organisation" (P. Veltz) explique l'essor des métropoles et régions métropolitaines. Dans ces lieux où l'information s'échange le mieux et le plus vite, l'innovation réside dans leur capacité à anticiper les évolutions afin de résoudre les crises sociales ou économiques. Face à cette complexité, les politiques publiques sont obligées de trouver de nouveaux outils. F. Ascher (1995) insiste sur les actions de bonne gouvernance où l'échange d'informations entre acteurs politiques, économiques, techniques, professionnels, privés, associatifs, etc. tient une place centrale.

Dans cette perspective, l'une des pistes possibles est la création d'un "milieu métropolitain" (voir l'annexe supra) qui permettrait aux régions métropolitaines de polariser les innovations grâce à leur spécialisation dans la veille et la stratégie technologiques.

 

Structures politiques et stratégie de développement, comparaison franco-allemande

En France, le rôle du politique a évolué plus fondamentalement qu'en Allemagne, passant d'une centralisation forte à une décentralisation opportuniste. La véritable décentralisation a commencé en 1982 avec les lois Defferre, puisque ce sont elles qui entament le processus de transfert des compétences et des moyens vers des collectivités qui existent déjà, régions, départements et communes, mais avaient une fonction essentiellement administrative, héritage de la structure centralisatrice jacobine [12].

La décentralisation s'effectue cependant en trompe l'œil pour certaines compétences, et surtout de manière complexe, voire désordonnée. L'innovation et le développement économique en sont l'exemple même. En termes de développement, même si les régions ont théoriquement la main sur le secteur économique, les maires sont responsables de cette dimension depuis 1982. Mais il est évident que dans bien des cas de figure, ce niveau d'action est inapproprié. Par ailleurs, les départements ont leur mot à dire, de manière directe ou indirecte, et toutes les entités de niveau intermédiaire utilisent toutes les astuces possibles pour agir dans ce domaine de compétence. Ainsi en est-il des zones d'activités, qui peuvent être communales, intercommunales, départementales… Souvent, les structures intermédiaires comme les communautés de communes et d'agglomération fédèrent les efforts d'un territoire et agissent par délégation dans le domaine du développement économique et de l'innovation.

L'innovation est un champ de compétence transversal, qui n'appartient à aucun acteur territorial en particulier. Il est de ce fait éclaté. L'État mène des politiques sectorielles, de soutien à la recherche et à l'enseignement supérieur. Les régions s'en préoccupent également en cofinançant des équipements ou en lançant des appels à projets de recherche. Les métropoles se lancent de plus en plus aussi dans un soutien actif à la recherche et à l'innovation, finançant des thèses, des incubateurs, des parcs scientifiques, travaillant à des collaborations de terrain… Ces dimensions sont interdépendantes, elles nécessitent des coordinations nombreuses. Désormais, les stratégies et les projets de territoires relèvent le plus souvent de compétences partagées entre divers niveaux politiques, ou encore de contractualisation entre collectivités et État. Ainsi, la politique des pôles de compétitivité [13] fait-elle appel à des projet émanant du niveau local/régional, mais donne à l'État un pouvoir de sélection et de décision quant aux projets soutenus dans chaque pôle. L'État conserve également un pouvoir financier d'autant plus important que les pouvoirs décentralisés dépendent pour partie de ses financements.

A priori, le système politique et administratif semble se rapprocher d'un système fédéral. La réalité est plus complexe. En effet, de multiples entités sont apparues, agissant la plupart du temps par délégation dans des domaines spécifiques. Les villes ont la possibilité de se structurer en communautés urbaines ou d'agglomération ; les espaces ruraux peuvent constituer des pays… et le tout sans respecter nécessairement le principe d'emboîtement. Les champs d'action se recoupent souvent, par exemple dans le domaine économique où les communautés urbaines et les communautés d'agglomération, les régions, mais aussi les communes, ont un pouvoir décisionnel. Mais l'innovation est toujours centrale dans les projets, qu'il s'agisse des parcs technologiques, des pôles de compétitivité, des pôles d'excellence rurale, ou des divers programmes de soutien.

Le développement des activités de haute technologie en Allemagne diffère par bien des aspects de l'organisation française, en raison de la tradition fédéraliste de notre voisin. L'action du politique est répartie entre trois échelles administratives. En premier lieu, l'État fédéral ne possède qu'une fonction d'encadrement. Il fixe les orientations et coordonne les stratégies régionales. Actuellement, l'État prévoit de donner encore plus de poids à l'échelon régional en privilégiant l'approche par les réseaux de compétence. Il initie et finance des programmes de recherche et développe les équipements et les structures tels que les laboratoires de recherche publique. Bien qu'il ne possède qu'un rôle assez restreint, l'État, par l'intermédiaire des programmes et des appels à projet qu'il initie, favorise la compétition entre les Länder, en mettant de côté les moins dynamiques.

Le Land apparaît comme le véritable instigateur des politiques économiques et technologiques. Il existe une concurrence assez rude entre les différents Länder, puisque, dans cette compétition, certains partent avec des handicaps (tels que la Ruhr ou la Sarre qui ont été contraintes de reconvertir leur tissu économique en profondeur), d'autres avec des avantages (tels la Bavière, qui s'est orientée rapidement vers les hautes technologies). Le soutien à l'innovation des Länder allemands passe par deux types d'engagement :

- d'une part, le Land adopte des mesures concernant le système de production régional : investissement dans la recherche (intervention dans le budget des centres de recherche nationaux, ce qui signifie que plus un Land est riche, plus il va pouvoir accueillir des centres de recherche), financement des universités, soutien aux transferts de technologie, mise en place de "clusters" ;

- d'autre part, le Land met en place des actions de marketing, communication et promotion des entreprises régionales.

Les villes allemandes constituent enfin un acteur essentiel du développement des hautes technologies grâce aux établissements d'enseignement supérieur, aux centres de recherche et aux parcs technologiques qu'elles accueillent. À l'échelle nationale, l'Allemagne bénéficie d'une armature urbaine plus homogène qu'en France, résultat d'héritages historiques complexes et d'une politique d'aménagement selon les lieux centraux. Elle possède davantage de grands centres économiques, comme Francfort sur le Main, Munich, Hambourg, et Berlin. L'enseignement supérieur s'inscrit dans cette même logique (Reitel, 1996) [14].

Ainsi, l'enseignement supérieur et la recherche apparaissent comme un bon vecteur pour des villes telles que Sarrebruck (Gobin, 2007b) de s'intégrer à la "banane technologique" allemande, qui s'étend du nord-ouest au sud du pays autour des centres de la recherche et de la conception dans les nouvelles technologies. De nombreux efforts ont été entrepris en ex-RDA pour doter les villes de l'est d'un appareil productif de pointe.

Ces systèmes, si différents soient-ils, génèrent des objectifs similaires : placer le territoire administré au cœur d'un système d'innovation, qu'il soit technologique ou non. L'importance de l'innovation alliée aux formes territoriales qu'elle engendre, représente à la fois une option séduisante, mais aussi un impératif quasi incontournable. En effet, miser par exemple sur le système manufacturier à travers les PIF (Montagné-Villette, 2005) constitue aujourd'hui une option à haut risque et au final une logique fragile face à la concurrence des pays à faible coût de main-d'œuvre. Or le problème est de se positionner parmi les décideurs, les organisateurs du système, et de s'intégrer à un espace international du pouvoir.

Sarrebruck-Nantes : si loin, si proches

Nous établirons le lien entre l'étude que nous avons consacré à Nantes et Sarrebruck d'une part, et ces nouvelles logiques territoriales d'autre part. Ces deux villes constituent des entités a priori très différentes. Leur rapprochement constitue pourtant un terrain d'étude idéal pour les enjeux définis théoriquement auparavant. Sur ce terrain, les options sont donc moins nombreuses qu'on ne le pense en termes de stratégie. La prise en compte de l'innovation dans les stratégies se pose pour des villes intermédiaires et/ou en reconversion comme pour les métropoles internationales. Nantes et Sarrebruck représentent deux cas exemplaires, unis dans leur diversité par des problèmes et des enjeux communs.

Les deux villes sont en apparence très différentes. Leur situation géographique est diamétralement opposée. Nantes est une métropole régionale de la façade atlantique tandis que Sarrebruck constitue une agglomération transfrontalière de part et d'autre de la frontière franco-allemande, au cœur de l'Europe mais en retrait de la mégalopole européenne et en périphérie de l'Allemagne.

Le poids des deux villes et agglomérations
 
Nbre d'hab.
(x 1000)
Superficie
(km²)
Ville centre

Sarrebruck
Nantes

180
270

167
65
Communauté d'agglomération

Arrondissement de Sarrebruck
Agglomération transfrontalière
Communauté urbaine de Nantes


350

600

580


411

1 000

530

Voir dans le cadre du dossier "De villes en métropoles" (nouvelle fenêtre) : Des territoires métropolitains à l'heure de l'économie de la connaissance, Nantes et Sarrebruck, études comparées

Situation comparée des villes étudiées

Leurs dimensions spécifiques rendent les comparaisons difficiles. Sarrebruck apparaît beaucoup moins dense que Nantes, en concentrant 1,5 fois moins d'habitants sur une surface presque trois fois plus importante. Elles possèdent chacune une histoire industrielle et économique propre. D'un côté, Nantes s'est structurée autour d'une fonction, son port, et sur la base de deux activités clé, l'industrie navale et l'industrie agroalimentaire. Son rôle structurant régional a longtemps été faible. Cholet, par exemple, a développé ce que l'on appellera un district industriel ; La Roche/Yon est longtemps restée à l'écart, assise sur son territoire, la Vendée ; des petites villes comme Redon regardent autant vers le débouché de la Vilaine ou vers Rennes que vers Nantes. Sarrebruck, quant à elle, est au centre d'une structure urbaine polycentrique étirée le long de la Sarre et de ses affluents, héritée de l'exploitation des mines et de l'activité sidérurgique qui ont fait la richesse de la région à partir du milieu du XIXe siècle. Avec le déclin de ces industries à partir des années 1950, sa fonction de ville-carrefour a disparu et son rôle de centre régional s'en est trouvé ébranlé. Les fluctuations de la frontière n'ont fait qu'aggraver la situation, pour cette agglomération plutôt tournée vers l'ancien bassin minier mosellan que vers la Sarre et le reste de l'Allemagne.

Politiquement, Sarrebruck a plus de poids que Nantes, grâce à son statut de capitale de Land, acquis en 1957 avec la création du Land de Sarre. Elle possède son propre gouvernement régional (un ministre-président et six ministères propres). Nantes, quant à elle, est fille de la politique des métropoles d'équilibre. Choisie comme telle avec Saint-Nazaire dans les années 1960, elle a accueilli des services déconcentrés de l'État et des attributions administratives. Ces décisions créent une situation particulière : la capitale de région ne commande que son département et pilote une entité régionale artificielle, les Pays-de-la-Loire ; son niveau est faible dans de nombreuses fonctions tertiaires métropolitaines, et elle n'est même pas, à l'époque, une ville universitaire [15] !

À l'heure de l'économie de la connaissance, mais aussi de la reconversion, en dépit des efforts de diversification de la structure d'activités, Sarrebruck reste marquée par les secteurs manufacturiers tels que l'industrie automobile et le secteur énergétique. Le niveau de chômage très élevé (15%) affaiblit la capacité d'investissement de la ville dans les nouvelles technologies. Malgré le dynamisme de son université et de son École Supérieure dans le secteur informatique et le développement des formations franco-allemandes, Sarrebruck fait figure de ville-transition, en position marginale dans son pays et ne sachant plus très bien de quel côté de la frontière regarder, marquée par son passé industriel mais déterminée à sortir de l'impasse,

À Nantes, 1987 représente l'année de la rupture, avec la fermeture des chantiers Dubigeon (Cabanne, 1990). Comment faire muter une ville profondément marquée par une industrie de basse technologie, et dont l'appellation de métropole relève de l'artifice ?

Au-delà de leurs différences, de profondes similitudes rapprochent Nantes et Sarrebruck. La première relève de la réorientation radicale qu'implique l'économie de la connaissance pour des économies marquées par des fonctions industrielles lourdes et peu liées à la recherche. La seconde correspond à la fragilité du développement universitaire, récent et encore peu et mal ancré dans la culture locale. Enfin, le dernier est celui de la faible dimension, à une échelle internationale, de ces deux villes, par ailleurs dans une situation de marginalité.

 

Conclusion

L'innovation s'impose aujourd'hui comme un élément incontournable de la structuration de l'espace et des territoires, débouchant sur l'impératif de stratégies adaptées, tentant de la capter, de la transformer et surtout de l'ancrer au local. Cette nouveauté pose question à tous les territoires, et plus particulièrement à ceux pour lesquels l'économie de la connaissance représente un changement de fond, voire une rupture culturelle, comme dans les cas de Nantes et de Sarrebruck.

La prise de conscience effectuée, quelle est l'attitude de tels territoires face à ce changement ? Par delà les différences, débouche-t-on sur des logiques convergentes, voire sur des similitudes stratégiques, ou bien ces différences génèrent-elles des voies diverses, voire opposées ?

En filigrane est soulevée la question du modèle de développement, unitaire et identifiable, ou au contraire extrêmement diversifié, et le rapport aux règles et modèles de la territorialisation et de la spatialisation de l'innovation.

 

Notes

[1] et [2] Jacques Fache, MCF, Institut de Géographie de l'Université de Nantes (IGARUN), jacques.fache@univ-nantes.fr. Marion Gobin, étudiante en Master 2 Villes et Territoires, Institut de Géographie de l'Université de Nantes (IGARUN), marion.gobin@googlemail.com
Cet article est à mettre en relation avec d'autres contributions des mêmes auteurs, dans le cadre du dossier "De villes en métropoles" (nouvelle fenêtre) : Des territoires métropolitains à l'heure de l'économie de la connaissance, Nantes et Sarrebruck, études comparées

[3] Joseph Schumpeter, à la fois universitaire (Vienne, Bonn puis Harvard à partir de 1932), ministre et banquier, s'est, entre autre, penché sur le rôle de l'innovation dans le fonctionnement cyclique de l'économie : phase de croissance générée par l'adoption de "grappes" d'innovations par les entrepreneurs, puis plateau de stagnation et phase de retournement du fait de la concurrence acharnée des innovateurs par les "imitateurs". J. Schumpeter distinque les innovations "incrémentales", qui améliorent de façon limitée les produits, les organisations ou les méthodes existantes, des innovations dites "de rupture" ou "stratégiques" qui bouleversent les donnes techniques et économiques dans leur ensemble.

[4] La Haute technologie ne se définit pas aisément. Sur le fond, un consensus existe : ce sont des activités qui sont intimement liées à la recherche et à la connaissance scientifique. Mais les difficultés surviennent lorsqu'il faut trouver des critères de définition (Fache, 1999). Ni le pourcentage de Recherche et Développement (R&D), ni l'emploi scientifique, ni la perception des produits, ne donnent des seuils satisfaisants. Cela est en large partie lié au fait que cette réalité est très évolutive. Un produit ou service de haute technologie devient rapidement un produit de moyenne, puis de basse technologie. Les seuils classiquement admis aujourd'hui pour chaque secteur économique sont de 10% et plus du chiffre d'affaires (CA) consacré à la recherche pour la haute technologie, de 4 à 10% pour la moyenne technologie, et enfin moins de 4% pour la basse technologie (Saint-Julien, 1998, p. 108)

[5] La catégorie "Textile à usage technique" (TUT) désigne tous fils, fibres ou étoffes utilisés dans le cadre d'applications techniques spécifiques destinées principalement à des marchés de niche (sport, médecine, etc.).

[6] Une rente de situation est une position acquise par une personne ou une entreprise qui lui donne un avantage décisif. Par exemple, une entreprise qui est la première à lancer une innovation et la seule à la maitriser est en situation de monopole, avec tous les avantages que cela comporte pour elle.

[7] Technopôle : avec accent, désigne un parc d'activités de haute technologie dans lequel sont concentrés des laboratoires de recherches, des universités, des écoles ou/et autres systèmes de formation du supérieur, ainsi que des activités à fort contenu scientifique. L'objectif est de voir des relations se tisser entre ces partenaires pour constituer un système innovateur. C'est aussi de réaliser des fertilisations croisées entre ces acteurs, générant des effets d'accélération de l'innovation.

[8] L'externalisation est une stratégie visant à faire faire plutôt que de faire soi-même. Concrètement, les fabricants automobiles font réaliser par des sous-traitants de plusieurs niveaux plus de 80% de leurs produits. L'externalisation se développe car c'est un moyen, pour le donneur d'ordre, d'utiliser les entreprises sous-traitantes comme un amortisseur de crise ou de cycles de production. C'est aussi la possibilité de recourir à des entreprises extrêmement spécialisées sur des créneaux très précis, atteignant ainsi des coûts plus faibles que l'assembleur final. C'est enfin la possibilité offerte au donneur d'ordre d'abandonner des tâches annexes pour se recentrer sur son activité principale.

[9] Fabless : littéralement, industries sans usines. Désigne des entreprises qui conçoivent un produit, mais n'effectuent aucune fabrication. Ces entreprises ne fonctionnent pas avec de la sous-traitance mais selon un système de location de service d'un industriel spécialisé dans une tâche. La relation est donc ponctuelle, ce qui différencie ce système de celui des "firmes creuses" qui externalisent 100% de leur production mais dans un cadre de sous-traitance, donc d'une organisation codifiée et souvent très structurée. Le système de la fabless peut être comparé à un système neuronal : le tissu productif serait constitué d'entités de fabrication et de conception autonomes, s'organisant spécifiquement pour chaque commande. Dans la réalité, un système de fabless "pur" est rare et ne se développera peut-être jamais étant donné les enjeux techniques mais aussi sociaux et politiques liés à une organisation totalement flexible.

[10] La notion de proximité est au centre de l'analyse des Parcs Industriels Fournisseurs (PIF). On pourra prendre connaissance d'une étude de S. Adam-Ledunois, J. Guédon et S. Renault, publiée par le groupe ESC de Rouen : "Les Parcs Industriels Fournisseurs : au-delà de la proximité géographique" . Elle porte sur le cas de trois Parcs industriels fournisseurs (Renault Sandouville, Renault Trucks Blainville sur Orne et PSA Rennes la Janais), www.groupe-esc-rouen.fr/img/docs/aims/07.pdf

[11] Comme le rappelle Castells (1998), les métropoles "commandent l'organisation économique mondiale, sont le foyer des firmes financières et services spécialisés, sont des lieux de production, y compris pour l'innovation et les "industries dominantes" et sont des marchés pour l'innovation".

[12]  En corpus documentaire du dossier "France, des territoires en mutation" (nouvelle fenêtre) : Actes I et II de la décentralisation, évolution des compétences des collectivités territoriales.

[13]  En corpus documentaire du dossier "France, des territoires en mutation" (nouvelle fenêtre) : Les pôles de compétitivité, nouveaux venus des dynamiques territoriales en France

[14] Cinq types d'établissement à la gestion totalement autonome sont recensés en Allemagne, les universités, les universités techniques (TU), les écoles supérieures techniques (TH), les écoles supérieures intégrées, les écoles supérieures pédagogiques (PH) et les écoles supérieures professionnelles (FHS). Les villes possédant les trois premiers types d'établissement sont des centres de technologies avancés. Les TH jouent un rôle de premier plan dans le développement industriel des villes et de leur région, comme celles de Stuttgart, avec l'industrie automobile, Munich avec l'industrie aéronautique et de la chimie-pharmacie, Berlin avec l'électrotechnique ou encore Hanovre dans des secteurs industriels divers. Les FHS quant à elles ont permis la diffusion de la haute technologie à des villes moyennes et petites. Elles possèdent en effet des centres de transfert de technologie soutenus par les autorités et sont impliquées dans la recherche.

[15] L'université de Nantes est ouverte au milieu des années 1960.

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Jacques Fache et Marion Gobin,
Institut de Géographie de l'Université de Nantes (IGARUN),

 

pour Géoconfluences le 16 juin 2008
organisation et réalisation de la page web, compléments documentaires : Sylviane Tabarly

Pour citer cet article :

Jacques Fache et Marion Gobin, « Innovation et territoire, enjeu essentiel des politiques d’aménagement en Europe », Géoconfluences, juin 2008.
URL : https://geoconfluences.ens-lyon.fr/doc/etpays/Europe/EurScient8.htm

Pour citer cet article :  

Jacques Fache et Marion Gobin, « Innovation et territoire, enjeu essentiel des politiques d’aménagement en Europe », Géoconfluences, juin 2008.
http://geoconfluences.ens-lyon.fr/doc/etpays/Europe/EurScient8.htm