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Le Pacte vert européen comme réponse à la crise climatique : une perspective géographique

Publié le 22/03/2024
Auteur(s) : Sébastien Bourdin, professeur de géographie économique, Titulaire de chaire d’excellence européenne Économie Circulaire et Territoires - EM Normandie Business School
Nicolas Jacquet, assistant de recherche - chaire d’excellence européenne Économie Circulaire et Territoires, EM Normandie Business School

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Le Pacte vert européen représente la plus ambitieuse politique de réduction des émissions de gaz à effet de serre. Il vise à faire de l'Union européenne un modèle en la matière. L'orientation est techniciste : c'est par le recours à la technologie et à la modernisation de l'appareil productif que les institutions européennes comptent améliorer les performances climatiques des pays membres. Aux échelles plus locales, le Pacte vert se décline en une série de projets labellisés par l'Union européenne.

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En novembre 2019, face à l’urgence climatique mondiale, le Parlement européen a franchi une étape décisive en déclarant l’état d’urgence climatique, exhortant l’Union européenne à aligner toutes ses actions et politiques sur l’objectif ambitieux de limiter le réchauffement planétaire à 1,5 °C. En réponse à cet appel pressant, la Commission européenne, sous la présidence d’Ursula von der Leyen, a dévoilé le Pacte Vert européen le 11 décembre 2019. Le Parlement l’a approuvé le 15 janvier 2020 dans une résolution qui a reçu 482 voix. Avec un budget de 503 milliards d’euros, ce plan d’investissement propose de transformer radicalement l’économie de l’UE pour atteindre la neutralité carbone d’ici 2050, en s’attaquant frontalement aux changements climatiques, à la perte de biodiversité et à la pollution. Il vise à réconcilier les modes de vie européens avec les limites de notre planète, tout en assurant la prospérité économique et l’équité sociale, marquant ainsi une étape cruciale vers une transition écologique durable, en tout cas dans les discours officiels.

Le Pacte Vert européen est plus qu’un ensemble de politiques environnementales ; c’est un agenda, une feuille de route transversale qui englobe l’énergie, les transports, l’agriculture, les bâtiments, et l’industrie. Avec des initiatives allant de la réduction drastique des émissions de gaz à effet de serre, au soutien des technologies propres, en passant par la protection de la biodiversité et l’économie circulaire, le pacte vise à placer l’Union européenne à l’avant-garde de la course mondiale à la neutralité carbone.

Toutefois, la mise en œuvre du Pacte Vert européen n'est pas uniforme sur l'ensemble du territoire de l'UE. Les spécificités socio-économiques des territoires européens posent des défis à sa mise en œuvre, notamment en ce qui concerne la manière dont le Pacte Vert se déploie dans les différents contextes nationaux et régionaux, ainsi que les implications de cette mise en œuvre hétérogène pour l'avenir écologique de l'Europe. Comment les objectifs du Pacte Vert peuvent-ils être adaptés et réalisés dans la diversité des territoires européens ? Quelles stratégies les villes et régions adoptent-elles pour contribuer à ces ambitions globales, et quels enseignements pouvons-nous tirer de ces initiatives locales ?

Cet éclairage se propose d’explorer ces questions, en examinant comment le Pacte Vert européen s’ancre dans le paysage géographique de l’Union européenne, et quelles sont les dynamiques, les défis et les opportunités qui émergent de cette interaction entre politique supra-nationale européenne et spécificités territoriales. En nous penchant sur la mise en œuvre du Pacte Vert avec une approche géographique, nous visons à mettre en évidence comment et sous quelle condition la transition écologique européenne peut être mise en place, afin de devenir le premier continent climatiquement neutre.

1. Le Pacte Vert, répondre à la crise climatique par la technologie

Le Pacte vert est la dernière en date des politiques communautaires visant à atteindre les objectifs de réduction d’émissions de gaz à effets de serre fixés par les institutions internationales, et c’est sans doute la plus ambitieuse jusqu’à présent.

1.1. Des objectifs ambitieux inscrits dans une lignée de politiques européennes

L’histoire du Pacte Vert européen trouve ses racines dans une série d’initiatives et de politiques environnementales développées par l’Union européenne au fil des années (Duvernoy et al., 2022). Avant l’annonce du Pacte Vert en 2019, l’UE avait déjà mis en place des cadres législatifs et fixé des objectifs afin de (1) réduire ses émissions de gaz à effet de serre, (2) favoriser les énergies renouvelables et (3) améliorer l’efficacité énergétique.

Le processus a débuté dès les années 2000, avec des jalons tels que le paquet climat-énergie de 2008, fixant des objectifs pour 2020 connus sous le nom des « objectifs 20-20-20 », visant à réduire les émissions de gaz à effet de serre de 20 %, à augmenter la part des énergies renouvelables dans la consommation finale d’énergie de l’UE à 20 %, et à améliorer l’efficacité énergétique de 20 % par rapport aux niveaux de 1990. Ces efforts ont été renforcés par l’accord de Paris sur le climat de 2015, où l’UE s’est engagée à œuvrer pour limiter le réchauffement climatique bien en deçà de 2 °C et à poursuivre les efforts pour le limiter à 1,5 °C. En réponse à cet engagement mondial, l’UE a continué de renforcer sa législation environnementale pour arriver finalement à la proposition du Pacte Vert européen avec des ambitions nettement revues à la hausse.

L’objectif final du Pacte Vert est de positionner l’Europe comme le premier continent climatiquement neutre d’ici 2050. Pour y parvenir, des objectifs intermédiaires ont été fixés, notamment une réduction d’au moins 55 % des émissions de gaz à effet de serre de l’UE d’ici 2030 par rapport aux niveaux de 1990. Il vise également à promouvoir l’innovation dans les secteurs clés de l’économie, à garantir une transition juste qui n’exclut personne, et à renforcer l’action de l’UE pour la protection de l’environnement à l’échelle mondiale (Heyvaert, 2021).

Document 1. Les grands domaines d’action du Pacte Vert

grands domaines du pacte vert

Source : Commission européenne, 2019.

 

Le Pacte Vert repose sur des piliers essentiels tels que la transition énergétique, la mobilité durable, l’agriculture durable, l’économie circulaire et la préservation de la biodiversité (document 1). Ces piliers sont soutenus par des stratégies spécifiques visant à accélérer la transition de l’Europe vers une économie verte, à travers des mesures telles que l’investissement dans les technologies propres, l’instauration de normes environnementales plus strictes, et la mobilisation de la finance verte.

1.2. Une analyse critique du Pacte Vert européen

En lançant le Pacte Vert, Ursula von der Leyen a clairement formulé l’ambition de réconcilier l’économie européenne avec les limites écologiques de notre planète, soulignant que « notre objectif est de réconcilier l’économie avec notre planète, de concilier notre mode de production, notre mode de consommation, avec notre planète et de le faire fonctionner pour nos citoyens ».

Cependant, cette ambition soulève des interrogations sur la compatibilité entre la poursuite d’une croissance économique, même verte, et l’atteinte d’objectifs environnementaux ambitieux. En effet, la notion de « croissance verte » suggère qu’il est possible de continuer sur la voie de la croissance économique sans porter préjudice à l’environnement, pourvu que cette croissance soit rendue durable. Néanmoins, cette idée est critiquée pour sa capacité à occulter les contradictions inhérentes à une croissance économique incessante face aux limites planétaires (Parrique, 2022).

Le défi principal du Pacte Vert demeure donc de parvenir à concilier des objectifs apparemment contradictoires : stimuler l’économie tout en réduisant radicalement les émissions de gaz à effet de serre et en préservant les ressources naturelles de notre planète pour les générations futures. Si pour certains chercheurs, le découplage entre croissance économique et émissions carbone est réalisable, pour d’autres, il n’est ni souhaitable, ni possible d’atteindre une « croissance verte » (Wu et al., 2018).

Par ailleurs, la vision du développement durable sous-jacente au Pacte Vert est également sujette à critique. Certains estiment que le modèle actuel de développement durable, tel qu’incarné par le Pacte Vert, ne remet pas suffisamment en question les structures de production et de consommation à l’origine de la crise écologique (Baechler, 2021). La critique pointe vers une tendance à privilégier des solutions technologiques et des ajustements de marché plutôt qu’à repenser de manière fondamentale les modèles économiques et les modes de vie. De ce point de vue, le Pacte Vert s’inscrit dans le cadre de la modernisation écologique, une approche qui envisage la résolution des problèmes environnementaux à travers l’innovation technologique et l’intégration de préoccupations écologiques dans le marché capitaliste (Wallenhorst, 2022). Bien que cette approche puisse mener à des avancées significatives en termes de réduction des émissions et d’efficacité énergétique, elle est critiquée pour ne pas s’attaquer aux causes profondes des crises écologiques, telles que la surconsommation, les inégalités socio-économiques, et l’impact sur les écosystèmes naturels. Dès lors, le Pacte Vert pourrait, en pratique, faciliter une nouvelle vague de « capitalisme vert », où les grandes entreprises joueraient un rôle central dans la transition écologique, potentiellement au détriment de la justice sociale et de l’équité.

 

2. Des disparités géographiques de mise en œuvre du Pacte vert

Le Pacte vert européen est loin de s’appliquer à un territoire homogène. À l’échelle des États et des régions, il rencontre localement une grande variété de situations, dont beaucoup résultent d’héritages historiques ancrés profondément.

2.1. Vers la neutralité carbone, où en est-on ?

Document 2. Émissions de gaz à effet de serre des États de l'UE27 en tonnes équivalent CO2 par habitant (1990–2021)
line
Émissions de GES par habitant en éq. CO2 false 1990;1991;1992;1993;1994;1995;1996;1997;1998;1999;2000;2001;2002;2003;2004;2005;2006;2007;2008;2009;2010;2011;2012;2013;2014;2015;2016;2017;2018;2019;2020;2021   true
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 Source : Agence européenne de l'énergie, 2024.

Le document 2 montre l’évolution des émissions de GES, en équivalent CO2 par habitant, pour les pays de l’Union européenne entre 1990 et 2021. Il faut noter que ces chiffres ne tiennent pas compte des émissions importées : une partie des baisses d’émissions est en fait statistique, puisque délocalisée dans les pays manufacturiers avec lesquels l’UE importe plus qu’elle n’exporte.  L’Agence européenne de l’énergie, qui fournit ces données à Eurostat, donne aussi les chiffres rapportés au PIB plutôt qu’à la population, ce qui donne des résultats différents.

L’analyse des données par habitant révèle plusieurs tendances, et des disparités géographiques, dans la réduction des émissions de carbone, qui est la résultante du contexte économique et historique spécifique à chaque pays. Plusieurs pays de l’UE ont réalisé des avancées notables dans la réduction de leurs émissions de gaz à effet de serre depuis 1990, la plupart plutôt après 2000. L’Allemagne, par exemple, a vu son indice d’émissions baisser de manière significative, passant de 16,4 tonnes par habitant en 1990 à 9,4 en 2021, ce qui représente une réduction de 43 %. Cette tendance à la baisse témoigne des efforts soutenus de l’Allemagne pour investir dans les énergies renouvelables et pour mettre en œuvre sa politique de sortie du charbon. Après être sortie du nucléaire suite à la catastrophe de Fukushima, l’Allemagne est désormais en marche pour sortir du charbon d’ici à 2035 afin d’assurer sa transition énergétique. En Lituanie, les émissions par habitant ont été réduites plus que de moitié (56 %), passant de 11,7 à 5,1 en trente ans. Comme dans d’autres pays d’Europe centrale et orientale, cette chute est attribuable en partie à la fermeture des industries polluantes de l’ère soviétique, et à la transition vers une économie de services et une industrie plus moderne et plus propre sur le plan environnemental. Historiquement, ces régions ont été marquées par une forte dépendance au chauffage au charbon, encouragée sous le régime du Conseil d’Assistance Économique Mutuelle (CAEM). Les pays d’Europe de l’Est, tels que la Bulgarie et la Roumanie, enregistrent également une réduction importante, qui peut être également expliquée par la transition d’économies planifiées à des économies de marché, avec la fermeture des industries lourdes et obsolètes.

Document 3. Évolution des émissions de GES par habitant, 1990-2021 et 2001-2021
bar
Émissions de GES par habitant en éq. CO2   Lettonie;Finlande;Chypre;Croatie;Autriche;Pologne;Slovénie;Espagne;Irlande;Portugal;Italie;Grèce;Bulgarie;Belgique;Hongrie;France;UE27;Pays-Bas;Tchéquie;Malte;Allemagne;Danemark;Slovaquie;Estonie;Luxembourg;Lituanie;Roumanie;Suède   true
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Source : Agence européenne de l'énergie, 2024

NB. Le chiffre de —1283 % pour la Lettonie entre 2001 et 2021, qui s'explique par des émissions nettes par habitant en 2001 négatives (—0,6 tonne par habitant), n'a pas été affiché sur le graphique pour améliorer sa lisibilité.

À l’opposé, certains États ont vu leurs émissions nettement moins reculer, voire augmenter dans le cas spécifique de la Lettonie, passée de 5,2 tonnes par habitant à 7,1 en 2021. Ses émissions diminuent de 1990 à 2002 avant d’augmenter fortement. De même, les émissions chypriotes et finlandaises sont stables sur la période (–5,6 et –4,3 %). Cette difficulté à réduire les émissions s’expliquent en grande partie par l’adhésion à l’Union européenne en 2004 et par le rattrapage économique : entre 2000 et 2021, le PIB par habitant a augmenté de 60 % pour la Lettonie, 30 % pour Chypre, 18 % pour la Finlande (Eurostat). Si on regarde l’évolution depuis 2001 et non plus depuis 1990, on trouve six pays ayant augmenté leurs émissions par habitant. Et sur les 12 pays ayant moins réduit leurs émissions que la moyenne de l’UE (25 % de réduction sur vingt ans), 10 ont adhéré en 2004 ou après et seulement deux, l’Autriche et la Finlande, sont membres depuis 1995. Par ailleurs, si on ne regarde plus les émissions par habitant mais le total émis, seuls trois de ces 12 pays, l’Autriche, Chypre et la Pologne, ont vu leurs émissions totales augmenter (document 4). En effet, beaucoup ont connu des baisses démographiques pendant la période, parfois très marquées : ainsi la Lettonie a-t-elle perdu 28 % de ses habitants entre 1989 et 2021, passant de 2,666 millions à 1,8 million d’habitants.

Les chiffres des émissions de gaz à effet de serre par habitant au Luxembourg montrent une trajectoire intéressante sur la période de 1990 à 2021. Au début de la période, les émissions luxembourgeoises étaient de 34,4 tonnes de CO2 équivalent par habitant, ce qui en faisant de loin le pays ayant les émissions de GES par habitant les plus élevées de l’UE. Avec 16,7 tonnes d’équivalent CO2, il reste en 2021 le plus fort émetteur par habitant (la moyenne européenne étant de 8,2 tonnes équivalent CO2 par habitant), mais a tout de même réduit ses émissions de moitié. Cette baisse significative peut s’expliquer par la mise en place successive de mesures contraignantes dans les différents secteurs d’activité et le soutien aux énergies renouvelables. Pour autant, le chemin pour le Luxembourg reste encore long. Le 21 juillet 2023, le pays a lancé son Plan national intégré en matière d’énergie et de climat (PNEC) qui vise à réduire les émissions de GES de 55 % d’ici 2030 par rapport à 2005.

Outre le rattrapage économique et les évolutions démographiques, d’autres raisons peuvent expliquer le fait que certains pays ont plus ou moins réussi à réduire leurs émissions par habitant. Les réussites sont souvent liées à des investissements ciblés dans les technologies vertes, des politiques publiques plus ciblées vers l’écologie et une sensibilisation accrue aux enjeux climatiques. Notons que ceci s’est relativement accéléré après la crise économique et financière de 2008-2009. Par exemple, la Suède est souvent citée comme un exemple de réussite dans la transition énergétique. Elle a investi massivement dans les énergies renouvelables, notamment l’énergie hydraulique et éolienne, et a mis en place une fiscalité carbone parmi les plus élevées au monde. L’article de Bernadette Mérenne-Schoumaker (2019) met bien en évidence la transition spectaculaire qui s’opère en Scandinavie, même si les situations y sont parfois très différentes et dépendent très largement des acteurs de cette transition.

Document 4. Les disparités régionales (à l’échelon NUTS2) de la transition vers la neutralité carbone

Carte émissions par NUTS2 dans l'UE

 

2.2. Des États marqués par la dépendance au charbon : l’exemple polonais

Alors que certains pays semblent bien partis pour atteindre la neutralité carbone d’ici 2050, d’autres rencontrent des difficultés. C’est le cas de plusieurs pays d’Europe centrale et orientale qui accusent des retards. Ces derniers peuvent résulter de dépendances aux combustibles fossiles, d’un manque de ressources ou d’une volonté politique insuffisante. Des États-membres comme la Pologne illustrent parfaitement les difficultés rencontrées par les pays ayant une longue histoire d’industrialisation axée sur le charbon. Si le pays peut afficher une légère réduction des émissions de gaz à effet de serre par habitant à l’échelle nationale (–13 % depuis 1990), c’est qu’il part de très loin. La réduction correspond surtout à la période de la transition postsocialiste ; sur la période 2001–2021, les émissions par habitant augmentent légèrement (+5 %). De plus, les données nationales cachent des disparités importantes à l’échelle infranationale, celle des seize voïvodies (document 4 ci-dessus). Certaines régions du pays restent fortement dépendantes du charbon. Cette dépendance est enracinée dans une industrie du charbon qui a été pendant des décennies le pilier de l’économie polonaise et qui continue de jouer un rôle structurant dans la société.

La Haute-Silésie est l’exemple le plus emblématique de voïvodie polonaise dépendant fortement du charbon. Cette région, située dans le sud de la Pologne, est historiquement le cœur de l’industrie charbonnière polonaise, avec une concentration élevée de mines de charbon et de centrales électriques à charbon. La Silésie a joué un rôle important dans le développement industriel et économique de la Pologne au cours du XXe siècle, mais cette dépendance au charbon a également généré des problèmes environnementaux et sanitaires locaux, notamment une pollution de l’air parmi les plus élevées d’Europe (Tkocz, 2005). Depuis plusieurs années maintenant, cette voïvodie a entrepris de fermer certaines mines et diminuer les conséquences environnementales en investissant dans des sources d’énergie plus propres. Dans le cadre du Programme opérationnel régional pour la Silésie 2014-2020, co-financé par le FEDER, un investissement de 796 millions d’euros a été alloué pour favoriser le développement des énergies renouvelables et améliorer l’efficacité énergétique. Pour autant, comme l’explique Belczarz (2017), cette restructuration de l’appareil productif fait face à des résistances locales. L’industrie minière est une source majeure d’emploi pour la région, et le coût relativement bas de l’électricité produite à partir du charbon est un élément essentiel pour le pouvoir d’achat des habitants.

Document 5. Répartition des sources d’émissions de GES en Pologne en 2021
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Tonnes équivalent CO2 152.3;68.2;63.4;40.6;34.4;33.7;11.2 Électricité et production de chaleur;Transport;Industrie;Autres usages énergétiques;Combustion de carburant des ménages;Agriculture;Gestion des déchets #e31e51;#47b9b5;#f8b900;#cccccc;##e61570;#caca00;#971e82

Source : Forum Energii d’après données Agence européenne de l’énergie, 2023.

Ainsi, la domination continue du charbon et son importance dans plusieurs régions du pays fait de la Pologne l’un des systèmes énergétiques les plus carbonés d’Europe. En effet, la consommation primaire d'énergie repose à 85 % sur des énergies fossiles, avec une prépondérance du charbon anthracite. Selon un rapport du groupe de réflexion polonais Forum Energii, qui a compilé les données de 2021 et 2022 du secteur énergétique polonais, le charbon représentait près des trois quarts (70,7 %) de la production d’électricité en 2022, tandis que les énergies renouvelables représentaient environ un cinquième (20,6 %) de la production.

La transition écologique pose, en Pologne, des défis majeurs en termes de réemploi des travailleurs et de reconversion économique. Parmi les fervents défenseurs de la non sortie de la Pologne du charbon d’ici 2050 – objectif fixé par la Commission européenne – on retrouve plusieurs figures politiques telles que Jacek Sasin (ministre polonais et membre du parti d’extrême droite « Parti Droit et Justice »). Il exprime régulièrement des réserves quant à une sortie trop rapide du charbon, soulignant les préoccupations liées à la sécurité énergétique, à l’emploi et aux coûts économiques d’une transition accélérée vers des sources d’énergie renouvelables. Cela reflète un débat plus large en Pologne et dans le reste de l’Union, où les décideurs sont souvent confrontés à la pression de respecter les engagements climatiques internationaux tout en gérant les implications de ces changements dans leur propre pays. À Turow, dans le sud-ouest du pays, en dépit des pressions économiques et diplomatiques exercées par Bruxelles, l'ancien gouvernement a décidé de prolonger l’exploitation de la centrale à charbon jusqu'en 2044, au nom de la « sécurité énergétique », quitte à devoir payer des pénalités financières (RFI). Le tribunal administratif de Varsovie, qui devait rendre son verdict final en août, a reporté la décision. La nouvelle majorité parlementaire, plus europhile, pourrait faire avancer le dossier. Cet exemple polonais montre toute la complexité de mettre en œuvre le Pacte Vert. Il interroge sa capacité à pouvoir transformer des bases industrielles historiques en faveur de la neutralité carbone tout en assurant une transition juste (Vatalis et al., 2022).

 

3. Le rôle des territoires locaux dans la mise en œuvre du Pacte Vert

En matière climatique, si les grandes orientations politiques se décident à l’échelle nationale voire supranationales, et si leurs résultats en matière de réduction des émissions de GES se mesurent surtout à l’échelle nationale et régionale, c’est bien l’échelle locale, et en particulier celle des autorités municipales ou métropolitaines, que se joue la mise en œuvre de mesures concrètes.

3.1. Les pactes locaux verts et leur contribution à la transition écologique

Bastiège et Favreau (2022) expliquent que les autorités locales sont amenées à jouer un rôle déterminant dans la mise en œuvre du Pacte Vert. C’est le principe promu par les Pactes verts locaux (Local Green Deals) qui permettent aux collectivités locales de prendre l’initiative de la mise en œuvre du Pacte vert européen, en tenant compte des spécificités économiques, sociales et environnementales locales. Il s’agit d’un accord mutuel entre une collectivité locale, ses entreprises et ses habitants. La place que ces derniers occupent doit être privilégiée car sans leur participation, la Commission européenne estime que les villes ne pourront pas atteindre leurs objectifs de neutralité carbone. Or, la mise en œuvre du Pacte Vert européen, parce qu’il est source de transformation, nécessite une large acceptation sociale, qui ne va pas de soi. Le projet Fair Local Green Deals, porté par ICLEI – Local Governments for Sustainability, veille justement à ce que l’adaptation du Pacte Vert européen au niveau local se fasse de manière ascendante et participative, en incluant les habitants et les différentes parties-prenantes impliquées dans la transition. Il accorde également une attention particulière à l’inclusion des minorités et des groupes marginalisés. Actuellement, ICLEI travaille avec 10 villes qui pilotent des pactes verts locaux : Aalborg (Danemark), Amsterdam (Pays-Bas), Espoo (Finlande), Gand (Belgique), Łódź et Wrocław (Pologne), Mannheim (Allemagne), Umeå (Suède), et Valence et Vitoria-Gasteiz (Espagne).

Dans le cadre du programme Horizon Europe, l’Union européenne a lancé une mission intitulée « 100 villes intelligentes et climatiquement neutres d’ici 2030 ». Ce programme, doté d'un budget important (environ 1 milliard d'euros sur la période 2021-2027), vise à soutenir et à engager les villes européennes dans leur transition vers la neutralité carbone (360 millions d'euros ont déjà été débloqués pour l'année 2022-2023). Les 100 villes lauréates bénéficient ainsi de subventions, de conseils et d'une assistance de la part de NetZeroCities, une plateforme dédiée à la mise en œuvre de cette mission. En échange, les villes sont invitées à élaborer un contrat de ville climatique qui doit inclure un plan pour atteindre la neutralité climatique dans des secteurs fortement émetteurs tels que l'énergie, les bâtiments, la gestion des déchets et les transports. La notion de « ville intelligente », comme l’ensemble du Pacte vert, relève toujours de la modernisation écologique reposant sur la technique et ne remettant pas en cause le dogme de la croissance économique infinie.

3.2. Des villes comme laboratoires d’innovation pour la neutralité carbone

Dix villes européennes ont été récompensées pour leurs engagements vers la neutralité carbone. Saragosse, en Aragon, est l’une des premières villes à avoir reçu un label de mission, une étape importante dans sa quête de neutralité climatique d’ici à 2030. En effet, ce label s’accompagne d’un contrat (et de subventions) qui définit des objectifs ambitieux, tels qu’une réduction de 80 % des émissions d’ici à 2030. Dans le cadre de l’initiative « Zaragoza Zero Residues », Saragosse aspire à devenir la première ville au monde à n’envoyer aucun déchet dans les décharges et à ne produire aucune émission liée à la gestion de ses déchets. Pour cela, la ville construit actuellement un nouveau centre de traitement des déchets (source) qui sera, dès sa mise en service en 2026, capable de transformer les 150 000 tonnes de déchets non recyclables déposés chaque année dans l’actuel site du CTRUZ, le centre de traitement des déchets de l’agglomération de Saragosse. La nouvelle raffinerie convertira les déchets non recyclables en gaz de synthèse, qui sera utilisé pour produire du méthanol et de l’hydrogène « propres ». C’est à l’été 2022 que la ville est devenue la première en Espagne et l’une des premières en Europe à lancer un projet de logistique autonome opérée par des robots (source). Ce projet est rendu possible grâce à l'entreprise Goggo Network, dont les opérateurs gèrent à distance les déplacements des robots équipés de capteurs routiers. Cependant, de nombreux habitants de la ville ont exprimé leur mécontentement (source). Certains les considèrent comme une menace pour la sécurité routière, tandis que d'autres les perçoivent comme une menace pour leur emploi.

À Valence, qui a succédé à Tallinn en tant que capitale verte européenne, un certain nombre d’initiatives vertes sont déjà mises en œuvre. Dans le marché municipal de Cabanyal, par exemple, qui s’étend sur 3 500 mètres carrés, la climatisation est désormais assurée par des panneaux solaires installés sur le toit (source). Il faut également citer le projet Las Naves Brillen, une centrale photovoltaïque installée sur la terrasse de Las Naves (le centre d’innovation de la ville) qui a été financée à 80 % par les citoyens. Ils ont chacun déboursé entre 100 et 2 000 euros. L’installation produira annuellement de l’électricité pour l’autoconsommation du bâtiment lui-même, ainsi que pour la borne de recharge de véhicules électriques située dans ses installations. Enfin, Valence a souhaité se distinguer en tant que ville intelligente, dans le cadre du projet MAtchUP, en installant des capteurs intelligents dans des bus hybrides et électriques circulant dans les rues de Poblats Marítims afin d’améliorer l’efficacité énergétique du système de transports en commun.

Parmi les nombreux exemples qui existent, on peut aussi citer Stockholm, qui a annoncé récemment qu’elle interdirait les voitures à essence et diesel dans son centre-ville (Euronews) afin de réduire la pollution de l’air, les émissions de GES ainsi que les nuisances sonores. L’interdiction, qui devrait être effective dès 2025, couvre une partie du centre-ville de Stockholm, y compris les rues situées dans le périmètre de Kungsgatan, Birger Jarlsgatan, Hamngatan et Sveavägen. « En passant aux véhicules électriques, les livraisons seront non seulement plus durables, mais aussi plus silencieuses », soulignait Lars Strömgren, l’adjoint au maire en charge des transports.

De son côté, en 2015, la ville de Milan s’engageait, avec son Pacte de politique alimentaire urbaine à développer un système alimentaire plus durable. Depuis, la ville a instauré plusieurs mesures pour limiter le gaspillage et assurer la redistribution des excédents alimentaires, dont une incitation financière permettant aux supermarchés milanais qui réduisent leur gaspillage alimentaire de bénéficier de réductions d’impôts. À cela s’ajoutent des ateliers et des campagnes de sensibilisation destinées aux consommateurs mais aussi aux écoliers, divulguant notamment des conseils sur la façon de conserver les aliments, et la meilleure façon de les utiliser pour éviter qu’ils ne finissent à la poubelle. Lancé en 2019, le programme Food Waste Hub,  financé par le Pacte Vert, s’engageait à réduire de moitié les déchets d’ici 2030. En 2022, grâce au quatre Neighborhood hubs actifs à Milan (Isola, Gallaratese, Lambrate et Centro) plus de 177 tonnes ont ainsi pu être collectées auprès de 12 marques de supermarchés, puis ont été redistribuées à plus de 3 500 familles ((Source : https://www.fondazionemilan.org/en/food-policy-forum-del-cibo. En savoir plus sur les engagements de la municipalité de Milan : https://resilientcitiesnetwork.org/wp-content/uploads/2022/10/case-study-milan-01-.pdf)). Ces initiatives font écho au mouvement Slow Food né en Italie en mars 1986, en réaction à l'ouverture d'un restaurant McDonald's, place d'Espagne, à Rome (INA), à la différence notable qu’elles ne remettent pas en cause les circuits de distribution longs de la grande distribution.

À Vienne, une initiative de l’Union européenne baptisée RenoBooster propose des services intégrés visant à accélérer la rénovation énergétique des bâtiments résidentiels privés. En octobre 2020, la ville lançait son guichet unique Hauskunft destiné à offrir à tous les habitants de la capitale autrichienne engagés dans un projet de rénovation des conseils gratuits sur l’isolation thermique, l’approvisionnement en chauffage alternatif, la végétalisation des façades et les dispositifs d’aide financière en vigueur. S’inscrivant dans la stratégie-cadre Smart City Wien, le programme « WieNeu+ », également financé par le Pacte Vert, vise à favoriser l’innovation sociale et environnementale des espaces urbains. Le programme englobe un éventail de projets différents tels que la rénovation écologique des bâtiments, la production et de la gestion d’énergie propre, le développement d’écoquartiers et la mise en place de modes de construction circulaires. Le programme, d’une durée de 10 ans, a démarré début 2021 dans le quartier d’Innerfavoriten ((En savoir plus sur les engagements de la ville de Vienne : https://energy-cities.eu/fr/membre/ville-de-vienne/)).

Enfin, dans la même veine de la mise en œuvre de l’économie circulaire comme instrument d’application du Pacte Vert, la ville d’Helsinki offre au secteur de la construction et aux matériaux durables une place singulière. Dans son projet de territoire ((Helsinki City Strategy 2021–2025 – A place of growth)), la ville souhaite faire du béton un allié écologique, en incitant les entreprises à réutiliser les matériaux issus des chantiers de démolition mais aussi en proposant des programmes de formation ciblés sur la valorisation des déchets issus des chantiers de démolition. En 2022, neufs entreprises étaient invitées à explorer les avantages de l’utilisation de béton bas-carbone dans les projets de construction (source). Swerock a été sélectionné comme vainqueur du défi pour son béton géopolymère à base de laine minérale. « La ville d’Helsinki veut servir de plateforme d’expérimentation pour piloter des solutions innovantes dans l’environnement réel. Dans le cadre de ce défi, les entreprises ont pu partager leurs expériences en matière d’utilisation de nouveaux matériaux entre elles et avec la ville », expliquait alors Mira Jarkko, le chef de projet au sein du Helsinki Circular Economy Cluster Program, à l’occasion du lancement de l’innovathon.

Toutefois, le recours à des solutions technologiques et industrielles, bien qu’efficace dans la réduction immédiate des impacts environnementaux, omet une réflexion plus profonde sur la nécessité de sobriété et de réduction à la source de notre consommation de ressources. Cette orientation vers l’efficacité plutôt que vers l’efficience interroge sur les véritables avancées vers un changement paradigmatique, qui impliquerait une remise en question des modèles de croissance économique traditionnels. De ce point de vue, rien ne dit que le Pacte Vert vise ce retournement.

 

Conclusion

L’ambitieuse feuille de route de l’UE représente un défi majeur. Mais compte-tenu du dérèglement climatique et de l’engagement de plus en plus d’États dans le Monde pour lutter contre le réchauffement, l’Union européenne doit servir de modèle. Pour atteindre ses objectifs de neutralité carbone d’ici 2050 et respecter ses engagements lors de la dernière COP 28, l’UE devra surmonter divers obstacles tout en saisissant les occasions économiques qui se présentent. Tout d’abord, la mise en œuvre du Pacte Vert européen implique une mobilisation considérable de ressources financières. Les financements nécessaires pour soutenir la transition vers des technologies plus propres, la réduction des émissions de gaz à effet de serre et la promotion de l’économie circulaire sont colossaux.

Ensuite, la coordination entre les États membres est un autre défi en soi. Compte-tenu de l’urgence climatique, il est nécessaire d’harmoniser les politiques nationales avec les objectifs du Pacte Vert. Or, chaque pays de l’Union a ses spécificités économiques, géographiques et politiques. Cela implique également de garantir une répartition équitable des fonds et des investissements dans toutes les régions de l’UE de sorte à ne laisser aucun territoire à l’abandon (« left-behind places », Rodríguez-Pose et Bartalucci, 2023).

Enfin, la stratégie du Pacte Vert européen, visant à mobiliser les citoyens et les entreprises dans la quête de la neutralité carbone, semble omettre les fondements mêmes de notre modèle économique. En mettant l'accent sur des incitations financières pour les entreprises et en encourageant les gestes écoresponsables individuels, cette approche ne remet pas suffisamment en question le paradigme de la croissance infinie dans un monde aux ressources limitées. De ce fait, il est nécessaire de repenser l'approche du Pacte Vert en intégrant une critique des obstacles structurels à une véritable transition écologique. Ainsi, pour que le Pacte Vert européen soit réellement efficace et porteur de changement, il doit engager une réflexion approfondie sur les modèles de croissance et promouvoir une transition qui ne se limite pas à l'efficacité technologique, mais qui intègre la sobriété comme principe fondamental. Cela nécessite d'aller au-delà des incitations et des gestes écoresponsables pour s'attaquer aux structures économiques et aux normes sociales qui encouragent la surconsommation. Un changement de paradigme s'impose, nécessitant des politiques qui limitent l'empreinte environnementale des pratiques, qui favorisent les modèles économiques circulaires, et qui encouragent un changement vers des modes de vie plus durables.

Cependant, les jeux institutionnels et les dynamiques de lobbying influencent à la fois la conception et la mise en œuvre des politiques environnementales. Les jeux d'acteurs entre les institutions de l'Union européenne, les États membres, les acteurs privés et les ONG façonnent le paysage dans lequel le Pacte Vert se déploie. Le lobbying, exercé notamment par des industries traditionnellement énergivores et par des secteurs innovants axés sur les technologies vertes, joue un rôle déterminant dans l'orientation des politiques et des financements. Ce jeu d'acteurs révèle une tension entre les ambitions environnementales du Pacte Vert et les intérêts économiques établis, où la capacité de certains groupes à influencer les processus décisionnels peut entraver ou accélérer la transition écologique. La réussite de la transition vers la neutralité carbone dépendra donc de la capacité de la Commission européenne à réussir cet exercice d'équilibriste et à faire converger les intérêts. Mission impossible ?

 


Bibliographie

Mots-clés

Retrouvez les mots-clés de cet article dans le glossaire : carbone | changements climatiques | gaz à effet de serre | modernisation écologique | Pacte vert pour l'Europe | transition énergétique | ville intelligente.

 

 

Sébastien BOURDIN

Professeur de géographie économique, Titulaire de chaire d’excellence européenne Économie Circulaire et Territoires, EM Normandie Business School

Nicolas JACQUET

Assistant de recherche, chaire d’excellence européenne Économie Circulaire et Territoires, EM Normandie Business School

 

 

Édition et mise en web : Jean-Benoît Bouron

Pour citer cet article :  

Sébastien Bourdin et Nicolas Jacquet, « Le Pacte vert européen comme réponse à la crise climatique : une perspective géographique », Géoconfluences, mars 2024.
https://geoconfluences.ens-lyon.fr/informations-scientifiques/dossiers-regionaux/territoires-europeens-regions-etats-union/articles-scientifiques/pacte-vert