Archive. Exploitation des hydrocarbures et environnement en Sibérie occidentale. L'exemple de l'Arrondissement autonome de Khanty-Mansisk (Nijnevartovsk)
NB. Le contenu de cet article donne des informations disponibles au moment de sa publication en 2005.
NB. Le contenu de cet article donne des informations disponibles au moment de sa publication en 2005.
>>> Pour des informations plus récentes, lire par exemple : Yvette Vaguet, « Fronts et frontières en Arctique, quelle singularité ? », Géoconfluences, décembre 2021.
L'Arrondissement autonome de Khanty-Mansisk (AAKh-M), à deux fuseaux horaires de Moscou et d'une superficie presque équivalente à celle de la France (523 000 km2), fait partie administrativement de l'oblast de Tioumen. À partir des années 1970 et 1980 arrivent russes, ukrainiens et tatars, en grande partie attirés par les incitations du pouvoir pour la mise en valeur des gisements de pétrole et de gaz. En 1995, la population de l'AAKh-M est évaluée à 1,340 millions d'habitants, les russes étant majoritaires (66%). |
Localisation |
Un gisement pionnier de la plaine de Sibérie occidentale
Avec le premier puits productif du gisement de Samotlor (mars 1965), commence la geste du "troisième Bakou". Actuellement, un peu plus de 50% du pétrole extrait de la Fédération de Russie provient de l'AAKh-M. En trente ans de mise en valeur, 6 milliards de tonnes de pétrole ont été extraites et 500 milliards de m3 de gaz. Mais, depuis 1987, la production diminue, non à cause d'un épuisement des champs pétrolifères mais à cause de problèmes techniques et économiques. En effet, les investissements, déjà insuffisants, ont chuté de façon spectaculaire à la fin de la période soviétique. Par ailleurs, les conditions climatiques sévères réduisent les périodes favorables pour les chantiers qui sont menés sans précaution pour l'environnement (voir diaporama ci-dessous). Les sites sont constitués de batterie de puits ("buissons"). Leur multiplication répond à leur faible productivité : 1/3 de ceux-ci seraient inefficaces par entrée d'eau ou pression insuffisante. Le degré de vulnérabilité du milieu naturel de ces régions de Sibérie est varié mais, d'une manière générale, les différents géosystèmes ont une mauvaise aptitude d'autoépuration. Les sols podzoliques sableux ne retiennent que 10 à 15% des polluants pendant une année, ce qui augmente la dispersion des hydrocarbures par migration. Au contraire, les sols hydromorphes des zones marécageuses ont une bonne capacité de rétention, mais l'auto-épuration y est très lente. Lors de la débâcle printanière, les inondations dispersent les hydrocarbures, créant une pollution diffuse sur de grands espaces, mais cette dilution favorise aussi sa résorption. L'immensité, l'isolement et la faible densité de population de cette région incitent à relativiser l'importance de ces impacts. Les principaux responsables administratifs ou des entreprises impliquées dans la mise en valeur des ressources pétrolières font confiance aux capacités naturelles d'auto-épuration du milieu. |
"Arbre de Noël" du premier puits productif près du lac Samotlor transformé en "monument du souvenir"Un échafaudage de protection portant la plaque commémorative recouvre les vannes du premier puits maintenant non productif ; il sert de lieu de présentation de l'épopée pétrolière pour les visiteurs et de tour d'observation de la zone proche. |
L'exploitation pétrolière en images - diaporama
Ces photographies ont été prises à l'occasion d'un voyage d'étude de membres du Groupe européen d'éducation à l'environnement (financement DG XI) organisé par Nisamy Mamedov,académicien de Moscou, spécialiste des sciences sociales et de l'environnement, et les scientifiques de l'Université de Nijnevartovsk, en mai 1998. Elles concernent le gisement d'hydrocarbures du lac Samotlor dans la plaine de l'Ob moyen. Elles ont pour objectif de montrer quelques éléments caractéristiques de l'organisation et des modes d'exploitation du gisement situé dans les hautes latitudes.
Commentaires des photos du diaporama
1 - Les moyens d'extraction et le réseau de collecte sont à l'origine de la faible productivité et de la dangerosité de l'industrie pétrolière de l'arrondissement. C'est un exemple caractéristique d'un site d'extraction pionnier en Sibérie occidentale. Comme observable sur la photographie, trop d'entre eux n'ont pas, soit de bassins de rétention, soit leurs digues de confinement sont fissurées.
2 - Un "buisson" de puits en bordure du lac Samotlor. Le site a été partiellement nettoyé (débarassé des déchets visibles) mais pas dépollué (des polluants restent dans les sols).
3 - La photographie est représentative de la structuration des aires d'extraction : un buisson, avec, pour certains, un système de pompage ; les lignes électriques d'alimentation ; les pontages de tubes de raccordements aux pipelines de transfert ; à l'arrière, l'unité d'épuration située au milieu du lac Samotlor ; au premier plan, les rives du lac qui ne gèle pas du fait d'une nappe de pollution permanente.
4 - Au milieu du lac Samotlor, une unité d'épuration est à l'origine d'une pollution importante : les hydrocarbures ressortent à travers la couche de glace qui recouvre le plan d'eau.
On voit aussi une de ces torchères qui constituent la principale source de pollution atmosphérique. La couverture neigeuse, grise sur de vastes étendues, en témoigne. Mais elles sont aussi à l'origine des principaux incendies : de 1991 à 1996 près de 85% d'entre eux étaient apparus à moins de 500 m d'un site.
5 - Les affaissements de terrains au-dessus des gisements épuisés sont aussi à l'origine de plans d'eau récents désorganisant le réseau hydrographique. Ce phénomène est particulièrement net dans le secteur du lac Samotlor. Les tubes sont posés sur des flotteurs constitués de portions de tubes bouchés pour le franchissement de ces nouveaux plans d'eau.
6 - Pour accéder aux sites ou pour poser des tubes, les pistes d'exploitation sont réalisées selon un procédé peu coûteux et efficace à court terme : une chaussée faite de troncs de pins recouverts d'une couche de sable rapportés depuis les ballastières ouvertes dans le lit majeur des fleuves.
7 - Sur les 67 000 km du réseau de collecte de l'AAKh-M (60 km linéaires par km2), 1/3 seulement est en état de fonctionner et de nombreux tubes présentent des avaries. Les aciers, de qualité inégale, sont par ailleurs soumis à de fortes variations de température. On voit ici à la fois : les raccordements sur les pipe-lines de transfert des tubes provenant des têtes d'extraction ; les pontages liés à des réparations d'urgence de pipe-lines anciens ; l'installation d'un pipe-line en meilleur état.
8 - L'ensemble des perturbations du système hydrographique de surface entrave le drainage naturel en cloisonnant les sites : l'écoulement des eaux ne s'effectue plus et ces marais gorgés d'hydrocarbures asphyxient les lambeaux forestiers résiduels.
9 - Les déversements en surface d'hydrocarbures proviennent essentiellement de la rupture de canalisations, secondairement de fuites des têtes de puits et des opérations de forage.
10 - La faune aquatique est particulièrement touchée par les activités liées à l'exploitation pétrolière. La baisse des prises est de grande ampleur car, outre la raréfaction des individus (esturgeon, brochet, etc.), leur écotoxicité est élevée. Ainsi, pour l'ensemble du bassin hydrographique de l'AAKh-M, les prises d'esturgeon sont passées de 250 tonnes en moyenne annuelle sur la période 1951 - 1960 à 55 tonnes sur la période 1989 - 1996. Pour les mêmes périodes, les prises de brochet sont passées de 4 652 à 750 tonnes. Cette raréfaction des ressources affecte particulièrement les populations de nomades autochtones (les Khanty-Mansisk qui ont donné leur nom au territoire). Malgré l'interdiction administrative les habitants continuent, par nécessité, de pêcher.
Nijnevartovsk : l'urbanisme des fronts pionniers en Sibérie - Diaporama
1 - Un urbanisme rationnel en "chemin de grue" le long de grands axes routiers : grandes barres d'habitations en préfabriqué lourd ; paysage de fin d'hiver avec fonte de la neige et dégel partiel du sol.
2 - Les villes de l'AAKh-M, construites de toutes pièces selon le modèle urbain soviétique, concentrent 91,7% de la population totale. Les principales agglomérations s'égrènent le long de l'Ob. La ville est organisée en grands ilôts séparés par de larges avenues à circulation séparée. Notons que les réseaux électriques et de télécommunications restent en aérien.
3 - Le noyau originel de la ville est constitué de petits collectifs datant d'avant la ruée pionnière.
4 - Juxtaposition de trois époques du développement de la ville. Les petits immeubles de l'époque tsariste, au premier plan. Au second plan, les immeubles collectifs de la période stalinienne. En arrière plan, la ville de la ruée pionnière. La viabilisation des rues témoigne d'un urbanisme inachevé.
5 - Un bloc de logements des ouvriers du pétrole organisé autour d'une cour dont la viabilité (absence de système d'évacuation des eaux de surface par exemple) reste incertaine.
6 - Les cours des blocs de logements sont, à présent, rapidement colonisées par les véhicules privés. Le parc automobile se développe rapidement grâce aux revenus du pétrole. A noter les deux générations d'immeubles.
7 - Nijnevartovsk est installée sur la rive concave d'un méandre de l'Ob. Les rives ont été aménagées pour servir de port fonctionnant uniquement pendant la saison estivale.
8 - Nijnevartovsk reste un symbole de la ruée vers l'or noir sibérien. A l'entrée de la ville, un monument à la gloire des pionniers.
Ces photographies ont été prises à l'occasion d'un voyage d'étude de membres du Groupe européen d'éducation à l'environnement (financement DG XI) organisé par Nisamy Mamedov,académicien de Moscou, spécialiste des sciences sociales et de l'environnement, et les scientifiques de l'Université de Nijnevartovsk, en mai 1998.
Elles concernent la ville de Nijnevartovsk et ont pour objectif de montrer quelques éléments caractéristiques de l'organisation d'une ville pionnière de l'exploitation pétrolière en Sibérie occidentale.
L'appréciation générale des risques environnementaux et sanitaires, par les habitants et les autorités, est encore limitée. Cette industrie extractive, s'insèrant dans un système économique et social, hérité du système soviétique, qui fait vivre les populations. Au-delà d'une minorité qui commence à manifester ses inquiétudes, la majorité des habitants considère que les risques sanitaires font partie intégrante du contexte pionnier de mise en valeur des gisements d'hydrocarbures : ils sont venus et sont payés pour cela.
La situation sanitaire dans l'arrondissement est préoccupante lorsque l'on compare les principaux indicateurs aux indicateurs moyens de la Fédération de Russie, eux-mêmes déjà mal placés selon les comparaisons internationales. Selon l'organisme d'État "Environnement - Santé", la situation de la population du district de Nijnévartovsk est considérée comme critique : par exemple, les maladies endocriniennes, les troubles digestifs ou du métabolisme sont supérieurs de 45 à 200% aux moyennes russes pour la période 1990 - 1996, le nombre de tuberculoses est trois fois supérieur à la moyenne fédérale, etc..
Les maladies sont liées à un contexte complexe où interviennent, non seulement la situation du territoire dans les hautes latitudes continentales, mais aussi des conditions extrêmes de travail sur les sites et les conditions de vie qui restent difficiles dans les cités ouvrières. Les accidents professionnels sont fréquents et il faut rappeler qu'un nombre important de chantiers se déroule l'hiver, donc souvent de nuit, lorsque le gel permet une circulation aisée sur les marécages. Le déficit d'encadrement médico-social, très important du fait de l'isolement et des carences notables des administrations, aggrave la situation.
On voit se perpétuer une tradition bien établie dès la période soviétique : l'essentiel des revenus tirés de l'exploitation pétrolière alimente les cercles restreints du pouvoir ou, à présent, des oligarques qui ont saisi les opportunités des privatisations. L'opacité sur les données environnementales ou sur les résultats de l'exploitation est de règle et les rares chiffres disponibles n'autorisent guère les comparaisons. Si, face à la faiblesse de la culture "écologique" des compagnies pétrolières, l'arsenal juridique et réglementaire s'est renforcé, il est peu respecté, les moyens de pression restent insignifiants. Les fausses déclarations concernant les accidents technologiques ne sont pas sanctionnées. L'espoir de transferts de technologie et de financements par une entrée de sociétés étrangères dans le cadre de joint-ventures est différé : la plupart des projets restent en suspens du fait des incertitudes politico-économiques sur l'avenir de la filière pétrolière et gazière.
À partir de 1995 cependant, les autorités régionales ont mis en place un "monitoring écologique" (expression adoptée par les scientiques russes pour désigner le suivi de la qualité de l'air, des eaux de surface et souterraines, le bilan radiatif, les écosystèmes forestiers, ...) qui semble avoir eu quelques effets. On constate une diminution de la pollution atmosphérique liée aux torchères : une taxation pousse les sociétés à retraiter et à valoriser plus systèmatiquement les gaz dissous pour les commercialiser. Des efforts sont faits pour limiter la pollution des eaux liée aux déversements. En effet, la plupart des avaries de pipe-lines sont évitables : 92% seraient dues à des problèmes de corrosion. Une des tâches prioritaires de ce monitoring est aussi le rétablissement ou le maintien du drainage de surface. Mais le défaut d'investissement, une gestion à court terme de la ressource, risquent de limiter l'effet des bonnes intentions. |
L'environnement des secteurs pétroliers en plaine de Sibérie occidentale(Cliquer pour agrandir) |
En conclusion, l'état environnemental de la plaine de Sibérie occidentale au cours des dernières décennies présente tous les traits d'une situation de transition. On est passé d'une exploitation extensive de type pionnier dans le cadre d'une économie planifiée ne se souciant pas des problèmes d'environnement et des risques encourus par les populations à une exploitation à court terme dans un cadre ultra-libéral, tout aussi peu soucieux des pollutions et des dégâts causés. L'"opinion publique", même si elle commence à manifester ses inquiétudes, n'est pas dans un rapport de forces favorable, le système environnemental sibérien est encore loin d'être entré dans le cercle vertueux d'un développement durable.
Sources et compléments
- Voyage d'étude de membres du Groupe européen d'éducation à l'environnement (financement DG XI) organisé par Nisamy Mamedov, académicien de Moscou, spécialiste des sciences sociales et de l'environnement, et les scientifiques de l'Université de Nijnevartovsk, en mai 1998.
- Yvan Carlot - Exploitation pétrolière, pollutions et risques en Sibérie Occidentale : l'urgence face à la complexité. Arrondissement autonome de Khanty-Mansik - LA RGL - Géocarrefour, vol. 74, n°3 (1999) - Industrie et environnement
- En rubrique scientifique, les articles de Julien Vercueil :
- Les hydrocarbures en Russie, entre promesses et blocages
- Politique et géopolitique du pétrole russe
Présentation, documents : Yvan Carlot, agrégé de géographie, formateur à l'IUFM de Lyon
Mise en page web : Sylviane Tabarly
Pour citer cet article :
Yvan Carlot, « Archive. Exploitation des hydrocarbures et environnement en Sibérie occidentale. L'exemple de l'Arrondissement autonome de Khanty-Mansisk (Nijnevartovsk) », Géoconfluences, février 2005.
https://geoconfluences.ens-lyon.fr/doc/etpays/Russie/RussieDoc2.htm