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Nouveau front pionnier pétrolier et gazier dans l'Extrême-orient russe : Sakhaline

Publié le 27/09/2007
Auteur(s) : Sylviane Tabarly, professeure agrégée de géographie, responsable éditoriale de Géoconfluences de 2002 à 2012 - Dgesco et École normale supérieure de Lyon

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N.B. : L'ensemble de l'article a été écrit en 2007, à l'exception d'un encadré et de la partie 4.1., ajoutés en 2017. Les sources en pied d'article ont également été mises à jour.

 

1. Situation et conditions générales

Située en Extrême-Orient russe, l'île de Sakhaline est séparée du continent par le détroit des Tatars (dit aussi "manche de Tartarie"). Elle est riveraine, par sa façade orientale, de la mer d'Okhotsk et son extrémité méridionale n'est qu'à 40 km du nord de l'île japonaise d'Hokkaido.

En 1875 Sakhaline avait été cédée par le Japon à la Russie en échange de l'intégralité des îles Kouriles. La guerre russo-japonaise de 1905 puis la Seconde guerre mondiale ont compliqué la situation et le Japon considère aujourd'hui que les îles Kouriles méridionales doivent lui revenir. En attendant, administrativement, Sakhaline constitue, avec les îles Kouriles, l'oblast de Sakhaline, "sujet" de la Fédération de Russie, peuplé d'environ 547 000 habitants dont 170 000 regroupés dans la capitale de Yuzhno-Sakhalinsk.

Sakhaline est associée à la ceinture de subduction du Pacifique occidental. Deux chaînes de montagne parallèles, d'origine volcanique, dont les sommets atteignent de 600 à 1 500 m, la parcourent du nord au sud. C'est une île à fort risque sismique : ainsi, le 28 mai 1995, un séisme d'une magnitude 7,5 sur l'échelle de Richter dévasta la petite ville de Nevtegorsk dont ne survécurent que 875 de ses 3 200 habitants. Aussi, parmi les défis posés par l'exploitation des hydrocarbures dans cette région du monde, il faut mentionner tout particulièrement ceux relatifs à la gestion des risques et de l'environnement. L'exploitation pétrolière et gazière introduit en effet de la vulnérabilité sur un territoire jusque là assez peu peuplé et peu développé.

La population de Sakhaline vivait d'activités traditionnelles (pêche, exploitation forestière par exemple) jusqu'à ce que débute l'exploitation des ressources en hydrocarbures. Les premiers gisements ont été découverts à la fin des années 1970 par les scientifiques de l'ex-URSS, au niveau du plateau continental du nord-est de l'île, à une période où le pays n'avait ni les moyens ni le projet de les exploiter. L'exploitation des gisements ne va donc réellement prendre forme qu'au début des années 1990, sur la base de premiers contrats de prospection et d'exploitation entre des consortiums privés, étrangers essentiellement, et une Russie alors en pleines transformations politiques et économiques. Arguant, entre autre, de la situation initiale de fragilité dans laquelle se trouvait son pays à cette époque, encouragé par la hausse spectaculaire du prix des hydrocarbures sur le marché mondial au début du XXIe siècle, l'administration de Vladimir Poutine, président de la Fédération de Russie depuis mai 2000, a sonné l'heure de la renégociation et du retour en force des intérêts nationaux russes.

2. Anatomie géo-économique des projets Sakhaline-1 et Sakhaline-2

Dans le paysage de la production énergétique russe du début des années 2000, les projets Sakhaline-1 et Sakhaline-2 ont des particularités : d'une part ils ne sont pas entièrement aux mains d'une firme russe (notamment de Gazprom), les deux projets étant l'objet d'accords de partage de production ("Production-sharing agreement" / PSA) ; d'autre part les productions des champs de Sakhaline ne sont pas soumises au monopole du contrôle des exportations par les compagnies nationales. Les différentes dimensions des projets nés de la présence d'hydrocarbures autour de Sakhaline sont donc, pour l'instant du moins, très internationalisées.

 
Sakhaline dans le contexte énergétique russe et asiatique

Carte de Philippe Rekacewicz, le Monde diplomatique, avril 2005

Grandes lignes de la géologie de Sakhaline

Source : Blackbourn Geoconsulting

Voir la carte dans son grand format d'origine

 

Sakhaline-1 exploite trois champs (pétrole et gaz), Chayvo, Odoptu et Arkutun Dagi, le long de la côte nord-est de Sakhaline. L'opérateur en est la compagnie américaine ExxonMobil (Exxon Neftegas Limited), qui détient 30 % des parts dans un consortium comprenant : le japonais SODECO (30 %), l'indien ONGC Videsh Ltd. (20 %) et le russe Rosneft-Astra (20 %). Le pétrole est acheminé par un pipeline de 140 miles vers le terminal continental de De-Kastri pour être livré aux marchés mondiaux par pétroliers, assistés de brise-glaces en hiver (voir le diaporama plus bas).

Sakhaline-2 est la plus grand projet d'infrastructure de Russie au début du XXIe siècle et le plus grand projet intégré d'exportation de pétrole et de gaz dans le monde. Il exploite les champs de gaz et/ou de pétrole offshore de Piltun - Astokhskoïe (pétrole) et de Lunskoïe (gaz), dont les réserves extractibles sont évaluées à 1 milliard de barils de pétrole et 490 milliards de m³ de gaz naturel. Les installations ont été créées ex nihilo dans un environnement subarctique difficile. Véritable complexe énergétique, la production repose sur trois plate-formes offshore fixes et adaptées à la banquise : PA-A (Molikpaq), PA-B and Lun-A (Lunskoïe-A). [Voir infra les cartes et photographies]

C'est aussi, à l'origine, le plus grand investissement direct étranger en Russie, sur la base d'un accord de partage de production (APP / PSA) signé en 1994 entre la Fédération de Russie et un consortium d'investisseurs regroupé au sein de la Sakhalin Energy Investment Company Ltd. Ce consortium rassemblait l'opérateur néerlando-britannique Royal Dutch Shell et les japonais Mitsui et Mitsubishi détenant respectivement 55 %, 25 % et 20 % des parts. En décembre 2006, sous la pression du pouvoir central russe, Gazprom a rejoint le projet en y devenant investisseur majoritaire avec 50 % + 1 part, la part des trois premiers investisseurs passant, dans le même ordre, à 27,5 %, 12,5 % et 10 %.

Le siège de Sakhalin Energy est situé à Yuzhno-Sakhalinsk mais la société a aussi des bureaux à Moscou et à La Haye (Pays-Bas). Les équipes de développement du projet opèrent depuis Londres (Royaume-Uni), Yokohama (Japon) et l'île de Geojedo (Corée du Sud).

Les renégociations de 2006 (discours prononcé devant la Douma le 21 novembre 2006 par le Ministre de l'énergie et de l'industrie, M. Dementiev), prévoient que, pendant toute la durée de fonctionnement du projet, la Fédération de Russie percevra 6 % de royalties sur le gaz et le pétrole produits. Tous les produits de la vente des hydrocarbures, moins ces royalties, permettront de rembourser l'investissement initial de Sakhalin Energy. Le remboursement terminé, la Fédération de Russie percevra une taxe de 32 % sur les revenus d'exploitation de Sakhaline-2.

3. Les installations de Sakhaline-2 du nord au sud

Bien que située à des latitudes encore moyennes, de 48° à 52°N environ, Sakhaline, sur une façade ouest de l'océan, subit l'influence du courant froid des Kouriles (Oya-shio) et des conditions atmosphériques de la Sibérie. Le climat y est donc particulièrement rigoureux. À Yuzhno les températures hivernales avoisinent les -20° avec de fortes chutes de neige et des vents violents. Aussi les installations maritimes, mais aussi terrestres, doivent-elles être adaptées à la rigueur de ces conditions climatiques et à la banquise ou aux plaques de glace qui envahissent la mer d'Okhotsk plusieurs mois par an.

Par ailleurs, les installations les plus récentes sont également étudiées pour résister aux séismes et aux tsunamis possibles dans la région.

Les grandes lignes des infrastructures terrestres et maritimes

Aperçu général

Réalisation : Hervé Parmentier, ENS de Lyon

Source : Sakhalin Energy 

I. Sur le champ Piltun-Astokhskoïe (principalement du pétrole mais aussi du gaz) à 15 - 20 km au large, dans 28 à 32 m de fond :

  • la plate-forme PA-A (Molikpaq) installée en 1998 fut la première plate-forme de production offshore de Russie.
  • la plate-forme PA-B (Piltun-Astokhskoïe-B) est une plate-forme intégrée pour le gaz et le pétrole.

 

II. Sur le champ Lunskoïe (principalement du gaz) la plate-forme Lun-A opère à 12 - 15 km au large, dans 41-48 m de profondeur. À 7 km à l'intérieur de l'île, des installations (Onshore Processing Facility/OPF) traitent le gaz et le pétrole provenant des champs offshore avant leur acheminement par pipeline vers le terminal d'exportation de Prigorodnoïe (Oil Export Terminal / OET).

III. Le pétrole et le gaz extraits par les trois plate-formes du projet Sakhaline-2 est acheminé, sur une distance de près de 800 km, par deux pipelines souterrains jusqu'à la baie d'Aniva, au sud de Sakhaline. L'usine de liquéfaction de Prigorodnoïe produit alors du gaz naturel liquéfié (GNL / LNG) en vue de son chargement au terminal méthanier.

L'ensemble de ces équipements devrait être achevé pour l'été 2008. Le montage de l'usine de production de gaz naturel liquéfié (GNL / LNG) a été confié à une société japonaise et le gaz sera acheminé par méthaniers vers le Japon, la Corée du Sud et l'Amérique du Nord (à la frontière entre Californie et Mexique). La capacité de production annuelle de cette première usine de GNL de Russie devrait atteindre 9,6 millions de tonnes pour une durée estimée à 25 ans minimum.

Environ 10 000 personnes ont été employées sur le site pendant les périodes de pointe en 2006, dont environ 50 % étaient Russes et 1 500 originaires du district de Korsakov. En phase opérationnelle, les emplois permanents devraient être beaucoup plus modestes mais les autres projets devraient prendre le relais.

 
Sakhaline à l'heure du pétrole et de la mondialisation

« À Yuzhno, la vieille économie post-soviétique et la nouvelle économie pétrolière s'interpénètrent dans une ambiance chaotique, sous la surveillance de l'administration russe, parfois inexistante, parfois envahissante. Les milliers "d'expats" occidentaux de l'industrie du pétrole gagnent de 10 000 à 20 000 dollars par mois, et beaucoup dépensent sans compter. Ceux qui ont amené leur famille vivent dans de belles villas construites par Shell et Exxon, les autres sont installés en ville. La pénurie de logements fait que les entreprises étrangères louent à prix d'or des appartements dans les immeubles gris et délabrés de l'ère soviétique et les refont à neuf - sans toucher aux parties communes. Un expat peut habiter seul dans un 80 m² luxueux, entouré par une dizaine de familles entassées dans des logements sans confort.

Beaucoup de Russes profitent aussi du boom pétrolier. À la sortie de la ville, les nouveaux riches se font construire de grosses maisons multicolores. Des immeubles de bureaux luxueux surgissent parmi les isbas prêtes à s'effondrer, le long de rues défoncées Plusieurs galeries commerciales à l'occidentale viennent d'être construites, et American Express a ouvert une succursale. Les nouveaux restaurants à la mode, italiens, tex-mex, franco-russes, thaïlandais, indiens, japonais sont pleins. Les bars de nuit et les discothèques branchées organisent des concerts de rock et des fêtes qui durent jusqu'au matin. Une quinzaine de casinos et de salles de jeux sont ouverts nuit et jour. Des strip-teaseuses à domicile offrent leurs services à toute heure, y compris le dimanche après-midi, pour agrémenter les brunches et les pique-niques.

(...)

L'autre camp de Sodexho [groupe multinational français spécialisé dans la restauration et le facilities management*, NDLR] se trouve dans une région plus accessible, à 40 kilomètres de Yuzhno. Il dessert le chantier Sakhaline-2 de Shell, où se construisent les installations de stockage, le port et l'usine de liquéfaction, dont le montage a été confié à une société japonaise. Le personnel d'entretien provient de la ville voisine de Korsakov, une bourgade à moitié en ruines où l'eau courante fonctionne six heures par jour, mais les techniciens viennent tous de loin. Aujourd'hui, la base - 700 bâtiments alignés sur une colline dénudée - héberge 6 000 hommes, dont 1 500 Russes, un millier de Turcs, autant de Philippins, 700 Occidentaux, quelques centaines de Japonais, Coréens et Thaïlandais, plus des petites équipes venues de partout... Il y a huit cantines, chacune servant la nourriture de l'un des groupes ethniques représentés. Les cadres habitent des petits studios, mais les ouvriers dorment entassés à quatre ou cinq dans des chambres exiguës. Il y a des salles de loisirs, des terrains de sport, une piscine, un bar, mais ils sont peu fréquentés, car ici tout le monde travaille treize à quinze heures par jour, sept jours sur sept. Les Occidentaux font des séjours d'un mois, puis ont droit à un mois de vacances. Pour les Turcs, le régime est plutôt de trois mois de travail pour trois semaines de repos, et les Philippins peuvent attendre cinq ou six mois avant d'avoir deux semaines de liberté.

Quand la construction sera terminée, au printemps 2008, le camp sera démonté, les expats partiront vers un autre pays pétrolier. En régime de croisière, le complexe, très automatisé, emploiera seulement 350 personnes. L'activité due à la phase de construction sera peut-être éphémère, mais les compagnies pétrolières s'installent pour longtemps. »

Source : Yves Eudes, envoyé spécial du Monde, « Sakhaline sous le choc pétrolier », extraits, Le Monde du 27 juin 2006

 

*Le facilities management désigne un ensemble d'activités liées aux services et à la maintenance, de prestations relatives aux conditions de vie : gardiennage, propreté et hygiène, gestion des équipements de sécurité, standard et accueil, etc.

 
Pour observer la vie économique et sociale de cet Extrême-Orient russe (en anglais) : 
 

 

Version 2007 et 2017 du logo

Cette publication hebdomadaire d'informations en anglais, publié à Yuzhno-Sakhalinsk depuis 2001, reflète les évolutions sociologiques de cette partie de l'Extrême-Orient russe sous l'impact de l'exploitation des hydrocarbures. À l'origine, elle a été créée par les expatriés vivant à Sakhaline pour les besoins des activités extractives et des emplois induits. Son lectorat s'est depuis élargi. C'est un support d'information réactif et facilement accessible. Les informations sont libres d'accès et le module de recherche efficace. Ces informations sont, bien entendu, très orientées vers le monde pétrolier et gazier, mais elles sont aussi utiles pour mieux connaître l'ensemble de l'Extrême-Orient russe et son environnement géopolitique régional : www.thesakhalintimes.com

 

Diaporama : de la production à l'exportation : paysages et hydrocarbures

 

Commentaires

1) Une plate-forme offshore Orlan permet d'exploiter les parties les plus au large d'un champ de Sakhaline-1. La plate-forme a été remorquée jusqu'à Sakhaline depuis l'Alaska, puis adaptée pour qu'elle résiste aux tempêtes violentes et aux risques sismiques de la région, enfin dotée d'une tour de forage spécialement conçue pour les forages obliques à longue distance.

Galerie de photos en ligne


 

2) Le champ Chayvo du projet Sakhaline-1 comporte des installations terrestres et des installations maritimes. La plate-forme terrestre de Chayvo Yastreb a été achevée en juin 2002. La tour de forage, une des plus puissante du monde, est le bâtiment bleu de 70 mètres de haut au centre de la photographie. Elle peut forer horizontalement sous la mer sur une longue distance (10 km) pour atteindre le champ de production offshore de Chayvo.

Galerie de photos en ligne


 
3) Le système de pipelines offshore du projet Sakhaline-2 permet d'acheminer la production de gaz ou de pétrole depuis les plate-formes PA-A, PA-B ou Lun-A vers le rivage et vers les installations terrestres (Onshore Processing Facility/OPF).

 
4) La pose des pipelines se fait dans des conditions souvent difficiles, surtout en hiver (ici, campagne de l'hiver 2006 - 2007). La tâche est compliquée par le franchissement des cours d'eau et l'impératif de limiter les impacts et les risques environnementaux. On observera l'emprise de la piste de pose (voir glossaire, supra).

 

5) Le brut produit par les plate-formes de Yastreb et d'Orlan (Sakhaline-1) est acheminé vers l'ouest par un pipeline qui traverse le Détroit des Tatars vers un terminal d'exportation situé près de De-Kastri en Russie continentale. Localisé à l'est de la Péninsule de Klykov dans la baie de Chikhacheva, le terminal se trouve à l'écart des principales villes et des routes de l'Extrême-orient russe. Il doit donc pouvoir fonctionner en autonomie, hiver comme été.

Le pétrole est stocké à terre dans deux grandes cuves, d'une capacité de 650 000 barils (100 000 m³) chacune. Elles sont reliées par pipeline sous-marin au mouillage (Single Point Mooring/SPM) situé en pleine mer à 5,7 km au large du terminal terrestre. De là, le brut est transporté toute l'année par des tankers à doubles parois, d'une capacité de 720 000 barils (100 000 tonnes). Il faut compter deux jours en moyenne pour charger un de ces pétroliers. Ils doivent être précédés de brise-glaces en hiver pour livrer leur pétrole vers les marchés internationaux des pays de la zone Asie - Pacifique, essentiellement le Japon et la Corée du Sud, mais aussi l'Inde (ONGC Videsh Ltd. fait partie du consortium de Sakhaline-1).


 

6) Image Google Earth : Au fond de la baie d'Aniva, à Prigorodnoyele, le site de l'usine de liquéfaction de gaz naturel, à l'ouest, et le terminal d'exportation pétrolier (Oil Export Terminal / OET) situé à 500 m plus à l'est. Ce dernier comporte des cuves de stockage du pétrole qui sera ensuite acheminé par pipeline sous-marin jusqu'au point de chargement pour tanker (Tanker Loading Unit / TLU) situé à 5 km au large. Les travaux en cours soulèvent des nuages de sédiments bien visibles sur l'image.


 

7) Image Google Earth : Impacts au sol des installations de surface situées au Nord de Nogliki. Le tracé du pipeline Nord-Sud apparaît bien.

 

4. La question environnementale entre réalités et instrumentalisation

4.1. En 2007, l'environnement comme levier pour évincer la concurrence non-russe

Les activités extractives de Sakhaline posent différents problèmes environnementaux. Tout d'abord, l'exploitation des hydrocarbures, essentiellement offshore, se fait dans des conditions subarctiques difficiles (voir supra). Les installations fixes, à terre ou en mer, doivent tenir compte d'un relief montagneux, accidenté, de risques de séisme et de tsunamis. Le risque d'accident technologique doit être également souligné car il faudra compter environ 3 ou 4 mouvements hebdomadaires de tankers ou méthaniers dans un détroit de la Pérouse réputé dangereux.

Dès les premiers projets, diverses ONG et associations de défense de l'environnement, dont la Sakhalin Environment Watch, se sont mobilisées autour de différents problèmes, dont, en particulier :

  • la perturbation des parcours migratoires des baleines grises et de leurs secteurs d'alimentation en été situé au cœur des champs exploités par Sakhaline-1,
  • les conflits d'usage avec les pêcheurs à propos, notamment, de la pêche au saumon ; en effet les deux grands pipelines méridiens traversent environ 1 000 cours d'eau de dimensions variables ; 70 d'entre eux, plus importants, sont des sites de fraie (de reproduction) des saumons dont la perturbation peut avoir des conséquences sur l'ensemble de la ressource en mer d'Okhotsk.
     

Les combats des écologistes ont contraint Shell et Exxon à modifier leurs projets initiaux pour installer leurs plate-formes hors des zones fréquentées par les baleines grises de Sakhaline. Des précautions particulières ont accompagné la pose des pipelines.

Mais les questions environnementales sont aussi une arme dans les relations entre les pouvoirs locaux et fédéraux de Russie et les investisseurs non russes. En septembre 2006, le Parquet général russe avait ainsi annoncé qu'il annulait "par décret" l'expertise écologique dite SEER 2003 (State Ecological Expert Review), un document relatif au respect de l'environnement qui permettait à Shell de développer la phase 2 de son projet. Shell s'était alors déclaré "sûr" de son respect des normes écologiques russes et la compagnie a estimé qu'il n'y avait aucune base légale à la révocation du projet. De son côté, le parquet régional de Sakhaline dit avoir relevé plus de 100 violations à la législation de la part de Sakhalin Energy ou de ses sous-traitants dans le cadre de Sakhaline-2. L'estimation des dommages atteindrait des dizaines de millions de dollars : coupes de bois illégales, pêche au saumon perturbée, atteintes à la qualité de l'eau, etc.

 
La question environnementale instrumentalisée ? (2007)

« La Russie a annoncé mercredi qu'elle donnait jusqu'au 1er février 2007 au projet Sakhaline-2 mené par la major anglo-néerlandaise Shell avant de se prononcer sur un retrait de ses licences d'exploitation de l'eau, suspendues depuis le 7 décembre.

"Si les violations avérées ne sont pas réparées, si ce désordre n'est pas réglé, les licences seront retirées. Le délai accordé pour régler la question est fixé au 1er février 2007", a déclaré le chef de l'Agence fédérale russe des ressources aquatiques Roustem Khamitov, cité par l'agence Ria-Novosti. Douze licences d'exploitation de l'eau accordées à la société Starstroï, important sous-traitant à Sakhaline-2, ont été suspendues le 7 décembre. La loi russe prévoit un délai de trois mois avant que leur retrait soit prononcé.

M. Khamitov a évoqué les difficultés pour l'entreprise à mettre fin dans l'intervalle imparti aux violations de l'environnement qui lui sont reprochées, pour des raisons climatiques, en plein hiver dans cette région de l'Extrême-Orient russe. "Ils possèdent de puissants moyens techniques, ils ont beaucoup d'argent et des milliers d'employés. Qu'ils œuvrent pour le bien de la Russie", a-t-il affirmé, cité par l'agence Interfax.

Sakhaline-2 fait l'objet d'une série d'attaques des autorités russes, soupçonnées de vouloir obtenir un contrôle partiel du projet via Gazprom à force de menaces de fermeture basées sur des reproches de dégâts écologiques. »

Source : dépêche de l'AFP, 13 décembre 2006

Dix ans après, la Russie a pris le contrôle de la situation (2017)

« Sakhalin Energy Investment Company Ltd. (Sakhalin Energy) développe le champ pétrolier de Piltun-Astokhskoye et le champ gazier situé au nord-est du littoral de Sakhaline. Ses activités regroupent la production, le transport, la transformation et la commercialisation du pétrole et du gaz naturel.

La compagnie opère dans le cadre des accords de partage (PSA en anglais) de la production signés entre Sakhalin Energy et la Fédération de Russie (représentée par le gouvernement russe et l'administration de l'oblast* de Sakhaline) en juin 1994. Ce furent les premiers PSA signés en Russie.

Les membres de Sakhalin Energy sont : 
- Gazprom (50 % plus une part)
- Royal Dutch Shell plc (27,5 % moins une part)
- Mitsui (12,5 %)
- Mitsubishi (10 %)

Les principales installations de l'entreprise comprennent :
Trois plateformes pétrolières et gazières : Piltun-Astokhskoye-A (PA-A / Molikpaq), Piltun-Astokhskoye-B (PA-B) and Lunskoye-A (LUN-A)
- Le système de pipelines de l'île
- Les installations à terre
- Une station de pompage
- Le terminal pétrolier
- Une usine de gaz de pétrole liquéfié (GPL)
- deux terminaux gaziers (le gaz transféré via ces terminaux est acheminé vers les consommateurs de l'oblast de Sakhaline et d'ailleurs) »

*oblast : division administrative russe

Source : Présentation de l'entreprise sur le site de Sakhalin Energy. Traduit de l'anglais par Géoconfluences.

 

Des enquêtes judiciaires seraient également envisagées par les autorités russes pour violations sur la législation du travail et sur le contrôle des flux migratoires. Toujours est-il que le coût initial des projets s'en trouve considérablement renchéri et leur rentabilité diminuée aux yeux des investisseurs non russes

4.1. En 2017, montrer patte blanche grâce aux baleines grises, face à l'opinion publique mondiale

Le concession de toutes les installations au consortium Sakhalin Energy (document ci-dessus) a permis à l'oblast de Sakhaline et au gouvernement russe de réaffirmer leur contrôle sur l'exploitation des hydrocarbures au large de l'île, puisque c'est le russe Gazprom qui détient la majorité des parts du groupe. Les autorités russes et le consortium privé ont cependant retenu les leçons des conséquences désastreuses d'une mauvaise gestion environnementale, et des impacts médiatiques que pourraient occasionner une crise écologique, surtout concernant un animal emblématique comme la baleine.

Sakhalin Energy a donc noué un partenariat avec la puissante UICN, ONG dont le siège est situé en Suisse, présente dans de nombreux pays. L'association est notamment connue pour sa liste rouge des espèces menacées, ou statut de conservation de l'UICN. Ce statut va de « préoccupation mineure » à « éteint » en passant par « menacé ». La baleine grise n'est pas une espèce menacée : son statut, « préoccupation mineure », est celui d'animaux dont la présence reste abondante.

baleine grise photo-gilad-rom-cc

Une baleine grise. Photographie Gilad Rom (CC BY NC).

Le détournement d'un oléoduc pour éviter l'aire d'alimentation des baleines

Les aires d'alimentations des baleines au large de Sakhaline

 Source : Gray Whales, The Sakhalin story (p.68 du livre, p.69 du pdf), un livre de 2012 disponible sur le site officiel de Sakhalin Energy.

Cependant, la présence d'aires d'alimentation de la baleine grise sur littoral de Piltun au nord-est de l'île, et au large de Sakhaline, là où les installations pétrolières offshore ont été implantées, ont entraîné de vives inquiétudes pour leur capacité à se nourrir avant d'entamer leur longue migration vers les aires de reproduction dans des eaux plus chaudes. Sakhalin Energy a accepté de participer à un programme de conservation des baleines initié par l'UICN, le Comité consultatif des baleines grises occidentales (en anglais le Western Gray Whales Advisory Panel, WGWAP), qui contient des recommandations à suivre par les exploitants du site pétrolier pour préserver les condition de vie des baleines, notamment en ce qui concerne la pollution sonore sous-marines générée par les activités d'extraction. Ces recommandations sont regroupées en 5 catégories principales : surveillance de l'environnement, bruit, pétrole, identification photo et comptage, et circulation des bateaux. Le tableau ci-dessous montre la bonne volonté de l'entreprises par rapport au nombre considérable de recommandations. Sur un total de 573, elle n'en a rejeté que 25 et l'immense majorité des autres a été traitée, même si leur résultat est souvent qualifié d'« incertain ». 

 
Les recommandations du Comité consultatif des baleines grises occidentales
  surveillance de l'environnement bruit pétrole identification photo et comptage circulation des bateaux autre TOTAL
Nouveau - pas encore de statut 2 5 0 1 2 0 10
Fermé - Résolu / 
résolu mais à surveiller
16 99 47 38 30 64 294
Fermé - Résultat incertain 12 53 12 10 5 32 124
Fermé - Remplacé par une nouvelle recommandation 6 32 23 12 16 13 102
Ouvert - En cours 2 3 2 3 0 2 12
Ouvert - Rien n'a encore été fait 0 0 0 0 0 0 0
Rejeté par Sakhalin Energy 3 9 2 1 0 10 25
Retiré par le comité 0 2 1 2 0 1 6
TOTAL 41 203 87 67 53 122 573

Source : UICN, Recommandations du Comité consultatif des baleines grises occidentales, consulté le 1er juin 2017 

 

Si le plus grand nombre de préconisations concernent le bruit, car la pollution sonore est particulièrement néfaste pour les cétacés, de nombreux thèmes sont abordés à travers ces centaines de conseils. Ils concernent par exemple la surveillance des fuites de pétrole, la recherche de données supplémentaires sur le comportement des baleines, sur les biotopes de leurs aires d'alimentations, la poursuite du programme d'identification des baleines grises. L'accomplissement des recommandations nécessite pour l'entreprise de financer un programme de recherche complet, ce qui contribue à une meilleure connaissance des baleines grises. C'est aussi dans son intérêt : elle peut ainsi annoncer une reprise des populations de baleines, démontrant ainsi que les forages sous-marins sont compatibles avec la présence d'aires d'alimentations de ces grands mammifères. L'augmentation du nombre de baleines observées dans la région a été abondamment relayée dans les médias.

Migration de la baleine grise Varvara record

La médiatisation des baleines grises a été accentuée par l'annonce, en 2015, du record de la plus longue migration mesurée pour un mammifère. La revue Biology Letters annonce qu'un satellite de l'International Whaling Commission, une agence intergouvernementale de protection des baleines dont la Russie et le Japon sont adhérents, a mesuré une migration de 22 511 km aller-retour réalisée par une baleine grise nommée Varvara depuis la mer d'Okhotsk jusqu'aux rivages de la Basse-Californie, au Mexique. 

Ci-contre : carte de la migration de trois baleines grises dont Varvara (Aller et retour), Source : Bruce R. Mate et al., "Critically endangered western gray whales migrate to the eastern North Pacific", Biology Letters, 2015 11. 15 April 2015.

 

5. De Sakhaline-3 à ... Sakhaline-n, quels avenirs énergétiques pour Sakhaline ?

(La suite de l'article correspond au texte original de 2007)

L'ensemble du plateau continental autour de l'île est propice à l'exploitation des hydrocarbures et il attire, depuis les années 1990, de nombreuses sociétés pétrolières et gazières étrangères. Les réserves seraient considérables, comparables à celles de la Norvège. Le gouvernement russe l'a donc partitionné en différents projets nommés dans l'ordre de leurs attributions. La situation technico-économique décrite dans l'encadré ci-dessous, si elle est stabilisée pour Sakhaline-1 et -2, est davantage incertaine pour les suivantes. Ainsi, les projets Sakhaline-3 qui avaient été attribués à ExxonMobil, ont pris du retard et le gouvernement russe a suspendu les licences. Par contre, British Petroleum, dans le cadre d'une joint-venture avec Rosneft, a presque terminé l'exploration de sa zone sur Sakahline-5.

Projets d'exploration et d'exploitation : stade de développement, champs / blocs, opérateurs et investisseurs

On peut observer l'évolution des partenariats : poids croissant des compagnies russes, arrivée des compagnies chinoises (Sinopec).

Projet
et situation

 
Champs
Opérateur
et autres investisseurs
 
Le zonage des blocs sous licence

SakhaHP2-min.jpg

Réalisation :
Hervé Parmentier, ENS de Lyon, d'après M. Bradshaw, Blackwell-synergy -
www.blackwell-synergy.com/.../...0178.x?

"The ‘greening' of global project financing: the case of the Sakhalin-II offshore oil and gas project" - The Canadian Geographer/Le Géographe canadien, Volume 51 Issue 3 Page 255-279, Fall/automne 2007

Sakhaline-1
(PSA. Phase 1, premières exportations en
octrobre 2006)
Chayvo, Odoptu, Arktun Dagi (pétrole et gaz) ExxonMobil (Exxon Neftegas Limited, États-Unis, 30 %, SODECO (Japon, 30 %), ONGC Videsh Ltd. (Indien, 20 %), SMNG-Shelf (Russie, 11,5 %), Rosneft-Astra (Russie, 8,5 %)
Sakhaline-2
(PSA. Phase 1, premiers pompages de pétrole en 1999. Phase 2 : productionde GNL en 2008)
Piltun-Astokhskoye (pétrole) et Lunskoï (gaz) Consortium Sakhalin Energy: Gazprom (50 % + 1 part), Shell (Shell Sakhalin Holdings B.V. / 27,5 %) et les japonais Mitsui ((Mitsui Sakhalin Holding B.V. / 12,5 %) et Mitsubishi (Diamond Gas Sakhalin / 10 %)
Sakhaline-3a
Projet d'exploration suspendu par perte des droits d'exploration
Krinskii Pegastar ExxonMobil (États-Unis, 33,3 %), ChevronTexaco (États-Unis, 33,3 %), Rosneft (Russie, 33,3 %)

Sakhaline-3b
Projet en veilleuse puis suspendu par perte des droits d'exploration

Vostochno Odoptinski, Ayashski ExxonMobil (États-Unis, 66,6 %), Rosneft (Russie, 33,3 %)
Sakhaline-3c
Premiers forages été 2006
Veninski Venin Holding Ltd, Rosneft (Russie, 74,9 %), Sinopec (Chine, 25,1 %)*
Sakhaline-4
Projet stoppé par Rosneft
Structure offshore d'Astrakhanovskii Rosneft (Russie, 51 %), BP (Royaume-Uni, 49 %)
Sakhaline-5a
Campagnes de forage en été 2004, 2005 et 2006
Vostochno - Shmidtovski et Kaigan/Vasyukan Rosneft (Russie, 51 %), BP (Royaume-Uni, 49 %) dans le cadre d'une joint-venture, Elvary Neftegas
Sakhaline-5b
Lopukhovski Gazpromneft succédant à Sibneft racheté par Rosneft (Russie, 100 %)
Sakhaline-6
Progranichnii
Urals Energy

D'autres projets seront probablement engagés dans les années à venir dans des conditions géologiques qui pourraient être prometteuses : Sakhaline-7 au sud-est de l'île ; Sakhaline-8 and Sakhaline-9, au sud-ouest, en manche de Tartarie. Il est intéressant d'observer l'évolution des acteurs et des partenariats, du moins sous leur forme prévisionnelle en date du 1er mai 2007 selon le document source. Notons qu'à partir de Sakhaline-3, les situations décrites dans le tableaux ci-dessus ne sont pas toujours stabilisées. Or, l'avenir des relations de la Russie avec ses voisins et partenaires (États-Unis, pays de l'UE, Corée et Japon par exemple, mais aussi Chine !) se joue en large partie sur ce type de dossiers énergétiques.

Géopolitique des relations entre la Russie et le Japon : des enjeux énergétiques

1 - Une analyse de la Commission des affaires étrangères de l'Assemblée nationale

« (...) Pour Tokyo, le pétrole n'est pas une marchandise régie par les seules lois du marché, mais [qu']il constitue au contraire un facteur de puissance ou de vulnérabilité politique. (...) En novembre 2005, le Japon s'est ainsi engagé à consacrer entre 100 et 200 millions de dollars à des études de prospection de nouveaux gisements. La Russie tire incontestablement profit de la concurrence que se livrent le Japon et la Chine pour assurer la pérennité de leur approvisionnement énergétique.

Cette concurrence est aussi sensible à Sakhaline. Le Japon s'est récemment inquiété de la volonté chinoise de prendre part au marché du gaz qui y est exploité. En effet, le Japon a beaucoup investi dans les gisements de gaz de Sakhaline, zone située juste au nord de l'archipel. Les efforts réussis de développement de l'utilisation du gaz naturel au Japon sont liés à la présence de cette ressource à proximité.

Des entreprises japonaises sont ainsi fortement présentes dans les projets d'exploitation de Sakhaline-1 et Sakhaline-2. La compagnie japonaise Sakhalin Oil and Gas [SODECO] fait partie du consortium du projet Sakhaline-1, dont l'opérateur est une filiale du groupe ExxonMobil, et le projet Sakhaline-2 associe Shell, à hauteur de 55 %, à Mitsui, pour 25 %, et Mitsubishi pour 20 % [cette répartition a changé depuis, voir tableau supra, NDLR]. (...) Mais, depuis quelques mois, les autorités russes semblent tentées de revenir sur les concessions de gisements qu'elles ont accordées, notamment à Sakhaline, aux groupes étrangers.

Le souci de sécuriser ses approvisionnements énergétiques influence directement la diplomatie japonaise. Il la conduit à entretenir de bonnes relations avec des pays stratégiques du point de vue énergétique mais qui ne sont pas des amis naturels du Japon. C'est le cas de la Russie, qui n'a toujours pas conclu de traité de paix avec le Japon depuis 1945 à cause de l'absence de règlement de la question territoriale.[1] »

Source : Rapport d'information déposé par la Commission des affaires étrangères en conclusion des travaux d'une mission d'information constituée le 8 février 2006 sur "Énergie et géopolitique" : 

[Note 1] - En 1875 Sakhaline avait été cédée par le Japon à la Russie en échange de l'intégralité des îles Kouriles. La guerre russo-japonaise de 1905 puis la Seconde guerre mondiale ont compliqué la situation, le Traité de San Francisco (1951) stipulait en effet que les îles Kouriles devaient être cédées à la Russie. Mais le Japon considère que les îles Kouriles méridionales doivent lui revenir. Aux yeux des japonais, les quatre îles situées au sud de l'archipel des Kouriles, qu'ils appellent "Territoires du Nord" (Northern Territories) ne font pas partie des Kouriles mais se rattachent à Hokkaido. La situation reste tendue : le 16 août 2006, un pêcheur japonais a été abattu par des gardes-côtes russes, alors qu'il travaillait dans une zone dont la souveraineté est contestée.

Une frontière fermée : vue d'Hokkaido, la voisine japonaise de Sakhaline

Sur le port de Wakkanai au nord d'Hokkaido, le terminal ferry et les quais destinés aux échanges avec la voisine russe sont peu actifs (des tubes, quelques engins de chantier en attente d'embarquement) et sous haute surveillance.

Le panneau de gauche, trilingue (japonais, russe et anglais), rappelle les conditions restrictives d'accès aux quais. Celui de droite précise par ailleurs les règles de circulation restrictives en vigueur dans cette zone du port

Les échanges de voisinage entre russes et japonais sont ténus.

La société Higashi Nihonkai-Ferry Corporation (HNFC) arme un service ferry qui assure deux voyages par semaine du mois d'avril à la mi-décembre. En 2005, environ 6 000 passagers seulement ont fait le voyage de Sakhaline à Hokkaido, dont 2 639 Russes.

Observation et cliché : S. Tabarly, août 2007

 

 
2 - Extraits d'une dépêche de l'agence de presse russe, Itar-tass*, Moscou le 2 octobre 2006

« La suspension de la mise en œuvre du projet Sakhaline-2 suscite une "profonde préoccupation des consommateurs japonais de gaz naturel", a déclaré à ITAR-TASS Takehiro Togo, conseiller-chef de la société japonaise Mitsui, qui prend part au projet. "Les sociétés japonaises impliquées dans le projet ainsi que de nombreux consommateurs sont profondément déçus par la décision du ministère russe des Ressources naturelles de suspendre l'application du projet pour raisons environnementales", a-t-il dit. Le Japon "attache une très grande importance au projet Sakhaline-2 et le perçoit comme une locomotive susceptible de faire avancer la coopération économique et l'ensemble des rapports avec la Russie". "Retarder la mise en service de ce gazoduc peut avoir des conséquences néfastes étant donné l'importance particulière de ce projet et les grandes attentes des consommateurs au Japon", a-t-il indiqué. Cela "sapera la confiance dans le marché russe non seulement des consommateurs japonais mais aussi d'autres pays".

Parmi d'autres moments négatifs, Takehiro Togo, qui était précédemment ambassadeur du Japon en Russie, a cité "le retard signalé dans la mise en service d'une usine de liquéfaction de gaz naturel dans le sud de Sakhaline, en voie de construction avec un concours actif des investisseurs japonais". "Cette entreprise qui n'aura pas de pareil au monde et qui sera dotée d'équipements très performants, a déjà été construite à 90 %, a-t-il annoncé. Nous nous attendons à ce que la partie russe remplisse ses obligations et que l'usine livre des produits sur le marché japonais d'ici à l'été 2008". La partie japonaise "tient compte des desiderata des partenaires russes, notamment concernant le règlement des dommages écologiques, comme ce fut le cas de l'usine de liquéfaction (...) »

*Itar-tass est une agence de presse officielle de la Fédération de Russie, issue, en 1992, de l'ancienne Agence Tass soviétique. Son directeur commercial, Anatoly Voronin, a été assassiné le 16 octobre 2006 quelques jours après l'assassinat d'Anna Politkovskaïa.

 

 

L'exploitation des hydrocarbures à Sakhaline illustre donc le tournant de la géopolitique russe en matière énergétique. Elle repose largement sur l'imposition de nouvelles règles du jeu dans les relations avec les opérateurs et investisseurs internationaux, par des renégociations de licences, de contrats (PSA notamment). Elle repose aussi sur la maîtrise croissante qu'ont les acteurs russes du secteur de l'énergie des technologies sophistiquées qui leur permettront d'aller à l'assaut de réserves localisées dans des environnements difficiles, en Sibérie et en Extrême-Orient aujourd'hui, en offshore arctique demain, ce qui devient envisageable dans une perspective de réchauffement climatique durable.

En effet, la société pétrolière publique Rosneft, a signé avec BP un accord pour une exploration commune de la zone arctique en novembre 2006. Et, en août 2007, la Russie a affirmé, à travers une opération très médiatisée, ses revendications de souveraineté sur une large part de la dorsale Lomonossov allant jusqu'au pôle Nord géographique où une expédition en eau très profonde (par 4 261 m de profondeur) lui a permis de planter symboliquement un drapeau en titane. À quand les premiers forages d'exploration dans cette partie de l'Arctique ?

 

 

Sources principales (un certain nombre de ces ressources sont en anglais)

Certaines sources originales de l'article de 2007 ont disparu. Voici celles encore disponibles en juin 2017 :

Pour prolonger

Hydrocarbures et énergies
Milieu et risques naturels en mer d'Okhotsk et dans le Pacifique nord-occidental
Les aspects environnementaux, les défis écologiques
Géopolitique et gouvernance
Divers, sources statistiques, collectivités, médias

 

Conception, synthèse documentaire et mise en page web : Sylviane Tabarly, septembre 2007

Mise à jour : Jean-Benoît Bouron, juin 2017

Pour citer cet article :  

Sylviane Tabarly, « Nouveau front pionnier pétrolier et gazier dans l'Extrême-orient russe : Sakhaline », Géoconfluences, septembre 2007.
https://geoconfluences.ens-lyon.fr/doc/etpays/Russie/RussieDoc5.htm