Nouveau front pionnier pétrolier et gazier dans l'Extrême-orient russe : Sakhaline
NB. Le contenu de cet article donne des informations disponibles au moment de sa publication en 2007.
N.B. : L'ensemble de l'article a été écrit en 2007, à l'exception d'un encadré et de la partie 4.1., ajoutés en 2017. Les sources en pied d'article ont également été mises à jour.
1. Situation et conditions générales
Située en Extrême-Orient russe, l'île de Sakhaline est séparée du continent par le détroit des Tatars (dit aussi "manche de Tartarie"). Elle est riveraine, par sa façade orientale, de la mer d'Okhotsk et son extrémité méridionale n'est qu'à 40 km du nord de l'île japonaise d'Hokkaido.
En 1875 Sakhaline avait été cédée par le Japon à la Russie en échange de l'intégralité des îles Kouriles. La guerre russo-japonaise de 1905 puis la Seconde guerre mondiale ont compliqué la situation et le Japon considère aujourd'hui que les îles Kouriles méridionales doivent lui revenir. En attendant, administrativement, Sakhaline constitue, avec les îles Kouriles, l'oblast de Sakhaline, "sujet" de la Fédération de Russie, peuplé d'environ 547 000 habitants dont 170 000 regroupés dans la capitale de Yuzhno-Sakhalinsk.
Sakhaline est associée à la ceinture de subduction du Pacifique occidental. Deux chaînes de montagne parallèles, d'origine volcanique, dont les sommets atteignent de 600 à 1 500 m, la parcourent du nord au sud. C'est une île à fort risque sismique : ainsi, le 28 mai 1995, un séisme d'une magnitude 7,5 sur l'échelle de Richter dévasta la petite ville de Nevtegorsk dont ne survécurent que 875 de ses 3 200 habitants. Aussi, parmi les défis posés par l'exploitation des hydrocarbures dans cette région du monde, il faut mentionner tout particulièrement ceux relatifs à la gestion des risques et de l'environnement. L'exploitation pétrolière et gazière introduit en effet de la vulnérabilité sur un territoire jusque là assez peu peuplé et peu développé.
La population de Sakhaline vivait d'activités traditionnelles (pêche, exploitation forestière par exemple) jusqu'à ce que débute l'exploitation des ressources en hydrocarbures. Les premiers gisements ont été découverts à la fin des années 1970 par les scientifiques de l'ex-URSS, au niveau du plateau continental du nord-est de l'île, à une période où le pays n'avait ni les moyens ni le projet de les exploiter. L'exploitation des gisements ne va donc réellement prendre forme qu'au début des années 1990, sur la base de premiers contrats de prospection et d'exploitation entre des consortiums privés, étrangers essentiellement, et une Russie alors en pleines transformations politiques et économiques. Arguant, entre autre, de la situation initiale de fragilité dans laquelle se trouvait son pays à cette époque, encouragé par la hausse spectaculaire du prix des hydrocarbures sur le marché mondial au début du XXIe siècle, l'administration de Vladimir Poutine, président de la Fédération de Russie depuis mai 2000, a sonné l'heure de la renégociation et du retour en force des intérêts nationaux russes.
2. Anatomie géo-économique des projets Sakhaline-1 et Sakhaline-2
Dans le paysage de la production énergétique russe du début des années 2000, les projets Sakhaline-1 et Sakhaline-2 ont des particularités : d'une part ils ne sont pas entièrement aux mains d'une firme russe (notamment de Gazprom), les deux projets étant l'objet d'accords de partage de production ("Production-sharing agreement" / PSA) ; d'autre part les productions des champs de Sakhaline ne sont pas soumises au monopole du contrôle des exportations par les compagnies nationales. Les différentes dimensions des projets nés de la présence d'hydrocarbures autour de Sakhaline sont donc, pour l'instant du moins, très internationalisées.
Sakhaline dans le contexte énergétique russe et asiatiqueCarte de Philippe Rekacewicz, le Monde diplomatique, avril 2005 |
Grandes lignes de la géologie de SakhalineSource : Blackbourn Geoconsulting |
Sakhaline-1 exploite trois champs (pétrole et gaz), Chayvo, Odoptu et Arkutun Dagi, le long de la côte nord-est de Sakhaline. L'opérateur en est la compagnie américaine ExxonMobil (Exxon Neftegas Limited), qui détient 30 % des parts dans un consortium comprenant : le japonais SODECO (30 %), l'indien ONGC Videsh Ltd. (20 %) et le russe Rosneft-Astra (20 %). Le pétrole est acheminé par un pipeline de 140 miles vers le terminal continental de De-Kastri pour être livré aux marchés mondiaux par pétroliers, assistés de brise-glaces en hiver (voir le diaporama plus bas).
Sakhaline-2 est la plus grand projet d'infrastructure de Russie au début du XXIe siècle et le plus grand projet intégré d'exportation de pétrole et de gaz dans le monde. Il exploite les champs de gaz et/ou de pétrole offshore de Piltun - Astokhskoïe (pétrole) et de Lunskoïe (gaz), dont les réserves extractibles sont évaluées à 1 milliard de barils de pétrole et 490 milliards de m³ de gaz naturel. Les installations ont été créées ex nihilo dans un environnement subarctique difficile. Véritable complexe énergétique, la production repose sur trois plate-formes offshore fixes et adaptées à la banquise : PA-A (Molikpaq), PA-B and Lun-A (Lunskoïe-A). [Voir infra les cartes et photographies]
C'est aussi, à l'origine, le plus grand investissement direct étranger en Russie, sur la base d'un accord de partage de production (APP / PSA) signé en 1994 entre la Fédération de Russie et un consortium d'investisseurs regroupé au sein de la Sakhalin Energy Investment Company Ltd. Ce consortium rassemblait l'opérateur néerlando-britannique Royal Dutch Shell et les japonais Mitsui et Mitsubishi détenant respectivement 55 %, 25 % et 20 % des parts. En décembre 2006, sous la pression du pouvoir central russe, Gazprom a rejoint le projet en y devenant investisseur majoritaire avec 50 % + 1 part, la part des trois premiers investisseurs passant, dans le même ordre, à 27,5 %, 12,5 % et 10 %.
Le siège de Sakhalin Energy est situé à Yuzhno-Sakhalinsk mais la société a aussi des bureaux à Moscou et à La Haye (Pays-Bas). Les équipes de développement du projet opèrent depuis Londres (Royaume-Uni), Yokohama (Japon) et l'île de Geojedo (Corée du Sud).
Les renégociations de 2006 (discours prononcé devant la Douma le 21 novembre 2006 par le Ministre de l'énergie et de l'industrie, M. Dementiev), prévoient que, pendant toute la durée de fonctionnement du projet, la Fédération de Russie percevra 6 % de royalties sur le gaz et le pétrole produits. Tous les produits de la vente des hydrocarbures, moins ces royalties, permettront de rembourser l'investissement initial de Sakhalin Energy. Le remboursement terminé, la Fédération de Russie percevra une taxe de 32 % sur les revenus d'exploitation de Sakhaline-2.
3. Les installations de Sakhaline-2 du nord au sud
Bien que située à des latitudes encore moyennes, de 48° à 52°N environ, Sakhaline, sur une façade ouest de l'océan, subit l'influence du courant froid des Kouriles (Oya-shio) et des conditions atmosphériques de la Sibérie. Le climat y est donc particulièrement rigoureux. À Yuzhno les températures hivernales avoisinent les -20° avec de fortes chutes de neige et des vents violents. Aussi les installations maritimes, mais aussi terrestres, doivent-elles être adaptées à la rigueur de ces conditions climatiques et à la banquise ou aux plaques de glace qui envahissent la mer d'Okhotsk plusieurs mois par an.
Par ailleurs, les installations les plus récentes sont également étudiées pour résister aux séismes et aux tsunamis possibles dans la région.
Les grandes lignes des infrastructures terrestres et maritimes
Aperçu généralRéalisation : Hervé Parmentier, ENS de Lyon |
Source : Sakhalin Energy |
I. Sur le champ Piltun-Astokhskoïe (principalement du pétrole mais aussi du gaz) à 15 - 20 km au large, dans 28 à 32 m de fond :
II. Sur le champ Lunskoïe (principalement du gaz) la plate-forme Lun-A opère à 12 - 15 km au large, dans 41-48 m de profondeur. À 7 km à l'intérieur de l'île, des installations (Onshore Processing Facility/OPF) traitent le gaz et le pétrole provenant des champs offshore avant leur acheminement par pipeline vers le terminal d'exportation de Prigorodnoïe (Oil Export Terminal / OET). III. Le pétrole et le gaz extraits par les trois plate-formes du projet Sakhaline-2 est acheminé, sur une distance de près de 800 km, par deux pipelines souterrains jusqu'à la baie d'Aniva, au sud de Sakhaline. L'usine de liquéfaction de Prigorodnoïe produit alors du gaz naturel liquéfié (GNL / LNG) en vue de son chargement au terminal méthanier. |
L'ensemble de ces équipements devrait être achevé pour l'été 2008. Le montage de l'usine de production de gaz naturel liquéfié (GNL / LNG) a été confié à une société japonaise et le gaz sera acheminé par méthaniers vers le Japon, la Corée du Sud et l'Amérique du Nord (à la frontière entre Californie et Mexique). La capacité de production annuelle de cette première usine de GNL de Russie devrait atteindre 9,6 millions de tonnes pour une durée estimée à 25 ans minimum.
Environ 10 000 personnes ont été employées sur le site pendant les périodes de pointe en 2006, dont environ 50 % étaient Russes et 1 500 originaires du district de Korsakov. En phase opérationnelle, les emplois permanents devraient être beaucoup plus modestes mais les autres projets devraient prendre le relais.
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Pour observer la vie économique et sociale de cet Extrême-Orient russe (en anglais) :Version 2007 et 2017 du logo Cette publication hebdomadaire d'informations en anglais, publié à Yuzhno-Sakhalinsk depuis 2001, reflète les évolutions sociologiques de cette partie de l'Extrême-Orient russe sous l'impact de l'exploitation des hydrocarbures. À l'origine, elle a été créée par les expatriés vivant à Sakhaline pour les besoins des activités extractives et des emplois induits. Son lectorat s'est depuis élargi. C'est un support d'information réactif et facilement accessible. Les informations sont libres d'accès et le module de recherche efficace. Ces informations sont, bien entendu, très orientées vers le monde pétrolier et gazier, mais elles sont aussi utiles pour mieux connaître l'ensemble de l'Extrême-Orient russe et son environnement géopolitique régional : www.thesakhalintimes.com |
Diaporama : de la production à l'exportation : paysages et hydrocarbures
Commentaires 1) Une plate-forme offshore Orlan permet d'exploiter les parties les plus au large d'un champ de Sakhaline-1. La plate-forme a été remorquée jusqu'à Sakhaline depuis l'Alaska, puis adaptée pour qu'elle résiste aux tempêtes violentes et aux risques sismiques de la région, enfin dotée d'une tour de forage spécialement conçue pour les forages obliques à longue distance. |
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2) Le champ Chayvo du projet Sakhaline-1 comporte des installations terrestres et des installations maritimes. La plate-forme terrestre de Chayvo Yastreb a été achevée en juin 2002. La tour de forage, une des plus puissante du monde, est le bâtiment bleu de 70 mètres de haut au centre de la photographie. Elle peut forer horizontalement sous la mer sur une longue distance (10 km) pour atteindre le champ de production offshore de Chayvo. |
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3) Le système de pipelines offshore du projet Sakhaline-2 permet d'acheminer la production de gaz ou de pétrole depuis les plate-formes PA-A, PA-B ou Lun-A vers le rivage et vers les installations terrestres (Onshore Processing Facility/OPF). | |
4) La pose des pipelines se fait dans des conditions souvent difficiles, surtout en hiver (ici, campagne de l'hiver 2006 - 2007). La tâche est compliquée par le franchissement des cours d'eau et l'impératif de limiter les impacts et les risques environnementaux. On observera l'emprise de la piste de pose (voir glossaire, supra). | |
5) Le brut produit par les plate-formes de Yastreb et d'Orlan (Sakhaline-1) est acheminé vers l'ouest par un pipeline qui traverse le Détroit des Tatars vers un terminal d'exportation situé près de De-Kastri en Russie continentale. Localisé à l'est de la Péninsule de Klykov dans la baie de Chikhacheva, le terminal se trouve à l'écart des principales villes et des routes de l'Extrême-orient russe. Il doit donc pouvoir fonctionner en autonomie, hiver comme été. Le pétrole est stocké à terre dans deux grandes cuves, d'une capacité de 650 000 barils (100 000 m³) chacune. Elles sont reliées par pipeline sous-marin au mouillage (Single Point Mooring/SPM) situé en pleine mer à 5,7 km au large du terminal terrestre. De là, le brut est transporté toute l'année par des tankers à doubles parois, d'une capacité de 720 000 barils (100 000 tonnes). Il faut compter deux jours en moyenne pour charger un de ces pétroliers. Ils doivent être précédés de brise-glaces en hiver pour livrer leur pétrole vers les marchés internationaux des pays de la zone Asie - Pacifique, essentiellement le Japon et la Corée du Sud, mais aussi l'Inde (ONGC Videsh Ltd. fait partie du consortium de Sakhaline-1). |
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6) Image Google Earth : Au fond de la baie d'Aniva, à Prigorodnoyele, le site de l'usine de liquéfaction de gaz naturel, à l'ouest, et le terminal d'exportation pétrolier (Oil Export Terminal / OET) situé à 500 m plus à l'est. Ce dernier comporte des cuves de stockage du pétrole qui sera ensuite acheminé par pipeline sous-marin jusqu'au point de chargement pour tanker (Tanker Loading Unit / TLU) situé à 5 km au large. Les travaux en cours soulèvent des nuages de sédiments bien visibles sur l'image.
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7) Image Google Earth : Impacts au sol des installations de surface situées au Nord de Nogliki. Le tracé du pipeline Nord-Sud apparaît bien.
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4. La question environnementale entre réalités et instrumentalisation
4.1. En 2007, l'environnement comme levier pour évincer la concurrence non-russe
Les activités extractives de Sakhaline posent différents problèmes environnementaux. Tout d'abord, l'exploitation des hydrocarbures, essentiellement offshore, se fait dans des conditions subarctiques difficiles (voir supra). Les installations fixes, à terre ou en mer, doivent tenir compte d'un relief montagneux, accidenté, de risques de séisme et de tsunamis. Le risque d'accident technologique doit être également souligné car il faudra compter environ 3 ou 4 mouvements hebdomadaires de tankers ou méthaniers dans un détroit de la Pérouse réputé dangereux.
Dès les premiers projets, diverses ONG et associations de défense de l'environnement, dont la Sakhalin Environment Watch, se sont mobilisées autour de différents problèmes, dont, en particulier :
- la perturbation des parcours migratoires des baleines grises et de leurs secteurs d'alimentation en été situé au cœur des champs exploités par Sakhaline-1,
- les conflits d'usage avec les pêcheurs à propos, notamment, de la pêche au saumon ; en effet les deux grands pipelines méridiens traversent environ 1 000 cours d'eau de dimensions variables ; 70 d'entre eux, plus importants, sont des sites de fraie (de reproduction) des saumons dont la perturbation peut avoir des conséquences sur l'ensemble de la ressource en mer d'Okhotsk.
Les combats des écologistes ont contraint Shell et Exxon à modifier leurs projets initiaux pour installer leurs plate-formes hors des zones fréquentées par les baleines grises de Sakhaline. Des précautions particulières ont accompagné la pose des pipelines.
Mais les questions environnementales sont aussi une arme dans les relations entre les pouvoirs locaux et fédéraux de Russie et les investisseurs non russes. En septembre 2006, le Parquet général russe avait ainsi annoncé qu'il annulait "par décret" l'expertise écologique dite SEER 2003 (State Ecological Expert Review), un document relatif au respect de l'environnement qui permettait à Shell de développer la phase 2 de son projet. Shell s'était alors déclaré "sûr" de son respect des normes écologiques russes et la compagnie a estimé qu'il n'y avait aucune base légale à la révocation du projet. De son côté, le parquet régional de Sakhaline dit avoir relevé plus de 100 violations à la législation de la part de Sakhalin Energy ou de ses sous-traitants dans le cadre de Sakhaline-2. L'estimation des dommages atteindrait des dizaines de millions de dollars : coupes de bois illégales, pêche au saumon perturbée, atteintes à la qualité de l'eau, etc.
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Des enquêtes judiciaires seraient également envisagées par les autorités russes pour violations sur la législation du travail et sur le contrôle des flux migratoires. Toujours est-il que le coût initial des projets s'en trouve considérablement renchéri et leur rentabilité diminuée aux yeux des investisseurs non russes
4.1. En 2017, montrer patte blanche grâce aux baleines grises, face à l'opinion publique mondiale
Le concession de toutes les installations au consortium Sakhalin Energy (document ci-dessus) a permis à l'oblast de Sakhaline et au gouvernement russe de réaffirmer leur contrôle sur l'exploitation des hydrocarbures au large de l'île, puisque c'est le russe Gazprom qui détient la majorité des parts du groupe. Les autorités russes et le consortium privé ont cependant retenu les leçons des conséquences désastreuses d'une mauvaise gestion environnementale, et des impacts médiatiques que pourraient occasionner une crise écologique, surtout concernant un animal emblématique comme la baleine.
Sakhalin Energy a donc noué un partenariat avec la puissante UICN, ONG dont le siège est situé en Suisse, présente dans de nombreux pays. L'association est notamment connue pour sa liste rouge des espèces menacées, ou statut de conservation de l'UICN. Ce statut va de « préoccupation mineure » à « éteint » en passant par « menacé ». La baleine grise n'est pas une espèce menacée : son statut, « préoccupation mineure », est celui d'animaux dont la présence reste abondante.
Une baleine grise. Photographie Gilad Rom (CC BY NC). |
Le détournement d'un oléoduc pour éviter l'aire d'alimentation des baleinesSource : Gray Whales, The Sakhalin story (p.68 du livre, p.69 du pdf), un livre de 2012 disponible sur le site officiel de Sakhalin Energy. |
Cependant, la présence d'aires d'alimentation de la baleine grise sur littoral de Piltun au nord-est de l'île, et au large de Sakhaline, là où les installations pétrolières offshore ont été implantées, ont entraîné de vives inquiétudes pour leur capacité à se nourrir avant d'entamer leur longue migration vers les aires de reproduction dans des eaux plus chaudes. Sakhalin Energy a accepté de participer à un programme de conservation des baleines initié par l'UICN, le Comité consultatif des baleines grises occidentales (en anglais le Western Gray Whales Advisory Panel, WGWAP), qui contient des recommandations à suivre par les exploitants du site pétrolier pour préserver les condition de vie des baleines, notamment en ce qui concerne la pollution sonore sous-marines générée par les activités d'extraction. Ces recommandations sont regroupées en 5 catégories principales : surveillance de l'environnement, bruit, pétrole, identification photo et comptage, et circulation des bateaux. Le tableau ci-dessous montre la bonne volonté de l'entreprises par rapport au nombre considérable de recommandations. Sur un total de 573, elle n'en a rejeté que 25 et l'immense majorité des autres a été traitée, même si leur résultat est souvent qualifié d'« incertain ».
Les recommandations du Comité consultatif des baleines grises occidentales
Source : UICN, Recommandations du Comité consultatif des baleines grises occidentales, consulté le 1er juin 2017 |
Si le plus grand nombre de préconisations concernent le bruit, car la pollution sonore est particulièrement néfaste pour les cétacés, de nombreux thèmes sont abordés à travers ces centaines de conseils. Ils concernent par exemple la surveillance des fuites de pétrole, la recherche de données supplémentaires sur le comportement des baleines, sur les biotopes de leurs aires d'alimentations, la poursuite du programme d'identification des baleines grises. L'accomplissement des recommandations nécessite pour l'entreprise de financer un programme de recherche complet, ce qui contribue à une meilleure connaissance des baleines grises. C'est aussi dans son intérêt : elle peut ainsi annoncer une reprise des populations de baleines, démontrant ainsi que les forages sous-marins sont compatibles avec la présence d'aires d'alimentations de ces grands mammifères. L'augmentation du nombre de baleines observées dans la région a été abondamment relayée dans les médias.
La médiatisation des baleines grises a été accentuée par l'annonce, en 2015, du record de la plus longue migration mesurée pour un mammifère. La revue Biology Letters annonce qu'un satellite de l'International Whaling Commission, une agence intergouvernementale de protection des baleines dont la Russie et le Japon sont adhérents, a mesuré une migration de 22 511 km aller-retour réalisée par une baleine grise nommée Varvara depuis la mer d'Okhotsk jusqu'aux rivages de la Basse-Californie, au Mexique. Ci-contre : carte de la migration de trois baleines grises dont Varvara (Aller et retour), Source : Bruce R. Mate et al., "Critically endangered western gray whales migrate to the eastern North Pacific", Biology Letters, 2015 11. 15 April 2015. |
5. De Sakhaline-3 à ... Sakhaline-n, quels avenirs énergétiques pour Sakhaline ?
(La suite de l'article correspond au texte original de 2007)
L'ensemble du plateau continental autour de l'île est propice à l'exploitation des hydrocarbures et il attire, depuis les années 1990, de nombreuses sociétés pétrolières et gazières étrangères. Les réserves seraient considérables, comparables à celles de la Norvège. Le gouvernement russe l'a donc partitionné en différents projets nommés dans l'ordre de leurs attributions. La situation technico-économique décrite dans l'encadré ci-dessous, si elle est stabilisée pour Sakhaline-1 et -2, est davantage incertaine pour les suivantes. Ainsi, les projets Sakhaline-3 qui avaient été attribués à ExxonMobil, ont pris du retard et le gouvernement russe a suspendu les licences. Par contre, British Petroleum, dans le cadre d'une joint-venture avec Rosneft, a presque terminé l'exploration de sa zone sur Sakahline-5.
Projets d'exploration et d'exploitation : stade de développement, champs / blocs, opérateurs et investisseurs
On peut observer l'évolution des partenariats : poids croissant des compagnies russes, arrivée des compagnies chinoises (Sinopec).
Projet
et situation |
Champs
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Opérateur
et autres investisseurs |
Le zonage des blocs sous licence
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Sakhaline-1
(PSA. Phase 1, premières exportations en octrobre 2006) |
Chayvo, Odoptu, Arktun Dagi (pétrole et gaz) | ExxonMobil (Exxon Neftegas Limited, États-Unis, 30 %, SODECO (Japon, 30 %), ONGC Videsh Ltd. (Indien, 20 %), SMNG-Shelf (Russie, 11,5 %), Rosneft-Astra (Russie, 8,5 %) | |
Sakhaline-2
(PSA. Phase 1, premiers pompages de pétrole en 1999. Phase 2 : productionde GNL en 2008) |
Piltun-Astokhskoye (pétrole) et Lunskoï (gaz) | Consortium Sakhalin Energy: Gazprom (50 % + 1 part), Shell (Shell Sakhalin Holdings B.V. / 27,5 %) et les japonais Mitsui ((Mitsui Sakhalin Holding B.V. / 12,5 %) et Mitsubishi (Diamond Gas Sakhalin / 10 %) | |
Sakhaline-3a
Projet d'exploration suspendu par perte des droits d'exploration |
Krinskii | Pegastar ExxonMobil (États-Unis, 33,3 %), ChevronTexaco (États-Unis, 33,3 %), Rosneft (Russie, 33,3 %) | |
Sakhaline-3b |
Vostochno Odoptinski, Ayashski | ExxonMobil (États-Unis, 66,6 %), Rosneft (Russie, 33,3 %) | |
Sakhaline-3c
Premiers forages été 2006 |
Veninski | Venin Holding Ltd, Rosneft (Russie, 74,9 %), Sinopec (Chine, 25,1 %)* | |
Sakhaline-4
Projet stoppé par Rosneft |
Structure offshore d'Astrakhanovskii | Rosneft (Russie, 51 %), BP (Royaume-Uni, 49 %) | |
Sakhaline-5a
Campagnes de forage en été 2004, 2005 et 2006 |
Vostochno - Shmidtovski et Kaigan/Vasyukan | Rosneft (Russie, 51 %), BP (Royaume-Uni, 49 %) dans le cadre d'une joint-venture, Elvary Neftegas | |
Sakhaline-5b
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Lopukhovski | Gazpromneft succédant à Sibneft racheté par Rosneft (Russie, 100 %) | |
Sakhaline-6
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Progranichnii
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Urals Energy
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D'autres projets seront probablement engagés dans les années à venir dans des conditions géologiques qui pourraient être prometteuses : Sakhaline-7 au sud-est de l'île ; Sakhaline-8 and Sakhaline-9, au sud-ouest, en manche de Tartarie. Il est intéressant d'observer l'évolution des acteurs et des partenariats, du moins sous leur forme prévisionnelle en date du 1er mai 2007 selon le document source. Notons qu'à partir de Sakhaline-3, les situations décrites dans le tableaux ci-dessus ne sont pas toujours stabilisées. Or, l'avenir des relations de la Russie avec ses voisins et partenaires (États-Unis, pays de l'UE, Corée et Japon par exemple, mais aussi Chine !) se joue en large partie sur ce type de dossiers énergétiques.
Géopolitique des relations entre la Russie et le Japon : des enjeux énergétiques
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Une frontière fermée : vue d'Hokkaido, la voisine japonaise de SakhalineSur le port de Wakkanai au nord d'Hokkaido, le terminal ferry et les quais destinés aux échanges avec la voisine russe sont peu actifs (des tubes, quelques engins de chantier en attente d'embarquement) et sous haute surveillance. Le panneau de gauche, trilingue (japonais, russe et anglais), rappelle les conditions restrictives d'accès aux quais. Celui de droite précise par ailleurs les règles de circulation restrictives en vigueur dans cette zone du port Les échanges de voisinage entre russes et japonais sont ténus. La société Higashi Nihonkai-Ferry Corporation (HNFC) arme un service ferry qui assure deux voyages par semaine du mois d'avril à la mi-décembre. En 2005, environ 6 000 passagers seulement ont fait le voyage de Sakhaline à Hokkaido, dont 2 639 Russes. Observation et cliché : S. Tabarly, août 2007 |
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L'exploitation des hydrocarbures à Sakhaline illustre donc le tournant de la géopolitique russe en matière énergétique. Elle repose largement sur l'imposition de nouvelles règles du jeu dans les relations avec les opérateurs et investisseurs internationaux, par des renégociations de licences, de contrats (PSA notamment). Elle repose aussi sur la maîtrise croissante qu'ont les acteurs russes du secteur de l'énergie des technologies sophistiquées qui leur permettront d'aller à l'assaut de réserves localisées dans des environnements difficiles, en Sibérie et en Extrême-Orient aujourd'hui, en offshore arctique demain, ce qui devient envisageable dans une perspective de réchauffement climatique durable.
En effet, la société pétrolière publique Rosneft, a signé avec BP un accord pour une exploration commune de la zone arctique en novembre 2006. Et, en août 2007, la Russie a affirmé, à travers une opération très médiatisée, ses revendications de souveraineté sur une large part de la dorsale Lomonossov allant jusqu'au pôle Nord géographique où une expédition en eau très profonde (par 4 261 m de profondeur) lui a permis de planter symboliquement un drapeau en titane. À quand les premiers forages d'exploration dans cette partie de l'Arctique ?
Sources principales (un certain nombre de ces ressources sont en anglais)
Certaines sources originales de l'article de 2007 ont disparu. Voici celles encore disponibles en juin 2017 :
- Le site officiel de Sakhalin Energy : photographies, informations sur les plate-forme, cartes interactives.
- Mike Bradshaw, « The ‘greening' of global project financing: the case of the Sakhalin-II offshore oil and gas project », The Canadian Geographer/Le Géographe canadien, volume 51, issue 3, p. 255-279, Fall/automne 2007
- Assemblée nationale, Rapport d'information déposé par la Commission des affaires étrangères en conclusion des travaux d'une mission d'information constituée le 8 février 2006 sur « Énergie et géopolitique ». 2006.
- Blackbourn Geoconsulting, une société spécialisée dans l'exploration et le développement des ressources en hydrocarbures :
- Liste des études régionales disponibles
- Coupe géologique du « Russian Far East ».
Pour prolonger
Hydrocarbures et énergies
- Les énergies dans le monde : cartes et statistiques récentes, brève de Géoconfluences, juin 2014.
Milieu et risques naturels en mer d'Okhotsk et dans le Pacifique nord-occidental
- Base de données du Pacific Oceanological Institute (POI, Ocean Far East on line) et atlas océanographique en ligne (Oceonographic atlas of the Bering sea, Okhotsk sea and Japan/East sea)
- Des ressources aussi sur le site de la North Pacific Marine Science Organization (PICES), organisation scientifique intergouvernementale (Canada, RP Chine, Japan, République de Corée, Fédération de Russie, États-Unis)
- Victor Lapko, Okhotsk Sea ecosystem overview, Sakhalin Research institute of fisheries and oceanography, diaporama en pdf.
- Autour de la situation tectonique de la région, les recherches américano-russes (Stanford University, Yale University, University of Alaska, NEISRI / Magadan, GIN-RAS, Moscou, etc.) sur l'évolution tectonique du Nord-Est de la Russie (Pacifique Nord et Arctique) - National Science Foundation Workshop on the plate tectonic evolution of North-East Russia.
Les aspects environnementaux, les défis écologiques
- Wild Salmon Center : Photographies et veille environnementale sur le saumon sauvage.
- Le tableau de recommandations de l'UICN à Sakhalin Energy sur la baleine grise regroupe un nombre évolutif de conseils (573 en juin 2017). Voir la base de données complète.
- L'article en anglais qui a été repris dans de nombreux médias, sur le record mondial de migration pour un mammifère, réalisé par la baleine grise Varvara (22 511 km aller-retour) :
- Bruce R. Mate, Valentin Yu. Ilyashenko, Amanda L. Bradford, Vladimir V. Vertyankin, Grigory A. Tsidulko, Vyacheslav V. Rozhnov, Ladd M. Irvine, "Critically endangered western gray whales migrate to the eastern North Pacific", Biology Letters, 2015 11. Published 15 April 2015.
- La carte de la migration, extraite de l'article.
- Exemples de reprises de cette information dans les médias : Radio Canada | Futura Sciences | Le Figaro | Europe 1 | Baleines en direct | 20 minutes
- Sur les conséquences de l'exploitation pétrolière sur les populations de baleines grises :
- Un article insistant sur la menace pesant sur les baleines avant 2016 : Tatiana Sinitsyna, « Les baleines grises restent les otages du brut », Sputnik (agence de presse russe) 2006, mis à jour en 2015.
- Un article montrant qu'il y a amélioration pour les baleines mais que que le danger n'est pas écarté : Union Internationale pour la Conservation de la Nature (UICN), « Les baleines de Russie en danger critique se rétablissent, mais l’industrie reste une menace, affirme un groupe conduit par l’UICN », 3 septembre 2016.
- Un article insistant sur le rétablissement des baleines : « Un accord avec un groupe pétrolier donne de l'air aux baleines grises », dépêche Sciences et avenir / AFP, 9 septembre 2016.
Géopolitique et gouvernance
- L'initiative pour la transparence des industries extractives (ITIE) vise à accroître la transparence des pratiques budgétaires de l'État, amorçant un processus qui permettra aux citoyens de demander des comptes à leur gouvernement en ce qui concerne l'utilisation de ces recettes.
- Sur le site du Natural Resource Governance Institute qui assure une veille sur le management des ressources naturelles et les problèmes sociétaux que leur exploitation entraîne. Des documents en français :
- Guide des industries extractives à l'intention des journalistes : "Covering the extractives industries".
- Classement des pays ayant une bonne gouvernance dans leurs secteurs extractifs
- Données en open-source des projets miniers, gaziers et pétroliers
- Rafael Kandiyoti, « Âpres négociations entre Moscou, Pékin et Tokyo. De nouvelles routes pour le pétrole et le gaz », Le Monde diplomatique, mai 2005.
Divers, sources statistiques, collectivités, médias
- Conseil mondial sur l'énergie / The World Energy Council (WEC), 94 pays membres, tous types d'énergie : www.worldenergy.org
- World Energy Council, World Energy issues monitor 2017.
- sur le site de l'Agence internationale pour l'énergie (AIE / IEA) : La Fédération de Russie (État non membre)
- Encyclopedia of earth, « Energy profile of Sakhalin Island », 2009.
- The Sakhalin Times, hebdomadaire d'informations en anglais, publié à Yuzhno-Sakhalinsk, utile pour l'ensemble de l'Extrême-Orient russe et de son environnement géopolitique régional
Conception, synthèse documentaire et mise en page web : Sylviane Tabarly, septembre 2007
Mise à jour : Jean-Benoît Bouron, juin 2017
Pour citer cet article :
Sylviane Tabarly, « Nouveau front pionnier pétrolier et gazier dans l'Extrême-orient russe : Sakhaline », Géoconfluences, septembre 2007.
https://geoconfluences.ens-lyon.fr/doc/etpays/Russie/RussieDoc5.htm