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Notion à la une : protéger, préserver ou conserver la nature ?

Publié le 25/04/2013
Auteur(s) : Samuel Depraz, maître de conférences (HDR) en géographie-aménagement - Université Jean Moulin Lyon 3.

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La protection de la nature est un domaine en apparence simple, tant il est vrai que la sauvegarde des espèces ou des milieux naturels est devenue une préoccupation courante de la société contemporaine dans sa gestion des territoires. Cependant, le lecteur se heurte vite à une difficulté sémantique dans l’usage des termes liés à la protection – difficulté qui révèle, en réalité, la diversité des modalités possibles de protection de la nature.

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On pourra tout d'abord réserver, à l'image de la législation française [1], l'idée de « protection » à l'approche la plus générale de ce domaine, sans autre connotation particulière. En revanche, les termes de « conservation » ou de « préservation, » plus précis, sont aussi plus complexes à manier.

L'usage français courant du terme « conserver » semble rappeler la « boîte de conserve », autrement dit quelque chose de clos, de coupé de l'extérieur. Une nature ainsi mise en boîte serait protégée de la manière la plus stricte qui soit, tandis que l'idée de préserver indiquerait, au contraire, une protection plus légère : préserver, c'est « sauver d'un mal », selon le Littré et l'étymologie latine. Autrement dit, une réponse précise à une menace avérée, mais pas pour autant une sanctuarisation de la nature.

Pourtant, l'usage scientifique des termes a opté pour une hiérarchie inverse. Aux États-Unis, le « préservationnisme » désigne depuis la fin du XIXe siècle une approche très stricte et radicale de la protection, dans laquelle la nature acquiert une valeur intrinsèque : elle est digne d'être protégée pour elle-même, contre les effets néfastes de l'action des sociétés, selon un principe dichotomique et biocentré d'une nature en-dehors de l'homme [2]. En réaction à ce mouvement, le « conservationnisme » a proposé au contraire de ne pas exclure l'homme des politiques de protection, donc de ne pas empêcher les usages de la nature. La conservation promeut une gestion raisonnée de la nature, en conscience des équilibres naturels, dans le respect des rythmes de renouvellement des milieux, selon un usage raisonnable des ressources [3]. C'est donc une nature protégée avec l'homme, cette fois.

D'autres approches, complémentaires, existent : le « ressourcisme » désigne une démarche de protection plus étroite, dans laquelle la nature n'est considérée qu'en fonction de son intérêt pour l'homme, et protégée dans le seul but du renouvellement de la ressource, sans prise en compte globale des enjeux écosystémiques. L' « utilitarisme », encore plus léger, revient en dernier lieu à une approche des milieux par la compensation, en réparation de dommages subis. Deux approches profondément anthropocentrées d'une nature pour l'homme, dont la durabilité doit être questionnée.

Le flou sémantique entre les termes est également entretenu, il faut l'avouer, par l'usage contemporain abusif du terme anglais conservation, qui est sorti vainqueur de l'opposition avec la preservation pour devenir aujourd'hui le terme générique signifiant, à l'échelle internationale, « protéger la nature » – et ceci quelle que soit la réalité du terrain. On trouvera ainsi dans la littérature scientifique anglophone autant d'usages du terme « conservation », employé dans son sens ouvert et participatif, que de critiques d'une « conservation » jugée trop stricte, plus tournée vers les enjeux écologiques que vers la prise en compte des questions sociales – et qui relèverait en réalité d'une démarche plus préservationniste.

La nuance heuristique apportée en français par la distinction entre protection, conservation et préservation n'en devient donc que plus précieuse.

Dans la réserve de la biosphère du Papillon Monarque (Mexique), les populations de la communauté de Cerro Prieto bénéficient de la nouvelle fonction de la forêt (emplois de guide, boutiques) et sont associées au forum de gestion de la réserve. Elles accompagnent ainsi la logique de protection dans un esprit qui bien celui de « conservation de la nature ».


Notes

[1] Notamment la grande loi de 1976 (n°76-629) relative à la « protection de la nature », renforcée en 1995 par la loi n°95-101 relative au renforcement de la « protection de l'environnement ». La loi Grenelle II de 2010 (n°2010-788) mentionne également dans son titre IV chap. III la « protection des espèces et des habitats », en distinguant ensuite plus en détail les mesures de « préservation » et de « gestion ».

[2] L'un des porteurs de cette vision, souvent cité en exemple, serait John Muir (1838-1914), ardent défenseur de la vallée du Yosemite aux Etats-Unis et fondateur de l'ONG environnementaliste Sierra Club (1892).

[3] C'est la notion de « wise use », ou usage raisonné de la nature, chère à Gifford Pinchot (1865-1946), premier chef du service forestier fédéral américain, favorable à une gestion durable des forêts.


Pour compléter
  • Afeissa Hicham (2007), Éthique de l'environnement : nature, valeur, respect, Paris : Vrin, 384 p.
  • Bergandi Donato, Blandin Patrick (2012), « De la protection de la nature au développement durable : Genèse d'un oxymore éthique et politique », Revue d'histoire des sciences, vol. 65 n° 2012/1, p. 103-142.
  • Depraz Samuel (2008), Géographie des espaces naturels protégés, Paris : Armand Colin coll. « U », 328 p.
  • Larrère Catherine (1998), Les philosophies de la nature, Paris : PUF, 128 p.
  • Veyret Yvette (2007), Dictionnaire de l'environnement, Paris : Armand Colin, 403 p.


 

Samuel DEPRAZ,
maître de conférences en géographie-aménagement,
Université de Lyon (Jean Moulin Lyon 3).

Pour citer cet article :  

Samuel Depraz, « Notion à la une : protéger, préserver ou conserver la nature ? », Géoconfluences, avril 2013.
http://geoconfluences.ens-lyon.fr/informations-scientifiques/a-la-une/notion-a-la-une/notion-a-la-une-proteger-preserver-ou-conserver-la-nature