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Notion à la une : désastre

Publié le 11/04/2014
Auteur(s) : Patrick Pigeon, Professeur à l’Université - Université de Savoie, Centre interdisciplinaire scientifique de la montagne

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La notion de désastre désigne d’abord un événement de fréquence rare mais d’intensité de dommage comparativement élevée.

C’est la définition que propose le CRED [1]. Le désastre y correspond à tout événement ayant provoqué au moins 10 morts et/ou 100 sinistrés et/ou le recours à une aide extérieure à la collectivité locale. Les deux premiers critères précisent le seuil d’intensité de dommage retenu, le troisième attire l’attention sur le fait que le désastre dépasse les capacités de gestion locale. Ce troisième critère justifie les parentés entre désastre et catastrophe, car il montre la remise en cause au moins temporaire des structures fondamentales de peuplement. On peut représenter simplement cette définition en utilisant la courbe de Farmer (Pigeon, 2010). La référence aux échelles - locale et supra - signale l’intérêt géographique de la notion. La base de données du CRED permet de cartographier les désastres à l’échelle mondiale.

Le désastre sur la courbe de Farmer

Le désastre se définit alors comme un événement de fréquence rare et d’intensité élevée (en A).
Source : P. Pigeon, 2010.
 

Cette définition incorpore les informations venant de la réassurance, elle répond aux besoins métropolitains, mais elle est inadaptée aux bilans d’échelle plus locale. En abaissant le seuil des intensités de mortalité et de sinistrés, la base de données DesInventar [2] permet de définir des « petits désastres », même si les critères varient d’un pays à l’autre (D’Ercole et alii, 2009). Malgré ses défauts, DesInventar rend possible la cartographie des « petits désastres », outil de compréhension et de meilleure gestion à l’échelle locale (Lopez et Pigeon, 2011).

Cartographie des « petits désastres » à Medellin (Colombie)

Source : Lopez, Pigeon, 2011

Les « petits désastres » enregistrés par DesInventar concernent essentiellement les quartiers pauvres et faiblement équipés de Medellin, alors que les quartiers à l’IDH le plus élevé ont les fréquences les plus faibles de « petits désastres ». La densification du peuplement prépare sur la durée des événements de fréquence rare et d’intensité comparativement élevée, y compris dans les barrios du sud-est.


Il existe des liens entre les deux échelles de désastres et de peuplements associés. Les travaux de correction, par exemple les drains, les digues, et, de manière générale, l’intensification de l’urbanisation favorisent le passage des « petits désastres » aux désastres au sens du CRED. C’est d’ailleurs ce que suggère le croisement des deux figures ci-dessus. Consolider les quartiers pauvres, et construire des ouvrages de protection, cela contribue à réduire les fréquences de dommages qu’enregistre DesInventar. Mais la densification du peuplement prépare de futurs désastres au sens du CRED. Sur la durée séculaire, le CRED fait ressortir une augmentation statistique des désastres dans le monde. C’est l’un des prix à payer pour l’urbanisation, l’un des problèmes étant de savoir qui paie ces prix. En tous les cas, la prévention des désastres peut être une activité profitable et métropolitaine, si l'on songe à la tour du groupe Swiss-Re à Londres !

On voit alors que les limites de la prévention des désastres constituent l’un des moteurs de l’urbanisation, et, plus spécifiquement encore, de la métropolisation. Il n’est pas possible de comprendre des activités métropolitaines, comme l’assurance, la finance, le négoce, sans admettre à la fois les possibilités de prévenir les dommages comme leurs limites. L’élimination de tout dommage, le risque zéro, éliminerait aussi ces activités qui se déploient à l’échelle mondiale.
Cela attire l’attention sur les relations d’aspect paradoxal, voire illogique, en première lecture, entre désastres et urbanisation. Mais ces contradictions ne sont pas très éloignées de celles qu’ont pu développer les penseurs du capitalisme, sensibles aux raisonnements systémiques et dialectiques, comme Schumpeter, père de la destruction créatrice. Un courant de penseurs sur la résilience et la prévention des désastres, Resilience Alliance, s’y réfère (Gunderson et Holling, 2002) [3] .

Travailler sur les désastres permet donc de comprendre les structures et les dynamiques des peuplements contemporains, à partir de questionnements qui portent sur les éléments inattendus, les paradoxes. C’est aussi un moyen de révéler la complexité. Dauphiné et Provitolo (2013) rappellent que la complexité est liée à la fois à la plurifactorialité, aux surprises, et à « l’imbrication de niveaux d’organisation et d’échelles spatiales et temporelles ». C’est ce que nous montre la préparation involontaire des désastres au sens du CRED par les « petits désastres » qu’inventorie DesInventar.

 


[1] Le Centre de Recherches sur l'Épidémiologie des Désastres, gestionnaire de la base de données Emergency Database (EM-DAT) .

[2] DesInventar est un système d'inventaire des désastres, né en Amérique latine en 1994, et étendu par les Nations-Unies à l'Afrique, à l'Asie et à la Caraïbe.

[3] Cet ouvrage écrit par des spécialistes de l’écologie mentionne au moins six fois Schumpeter et évoque la « destructive creation ».
 

Pour compléter :
et en ligne :


Patrick PIGEON,
Professeur à l’Université de Savoie,
Centre interdisciplinaire scientifique de la montagne.



 

Pour citer cet article :  

Patrick Pigeon, « Notion à la une : désastre », Géoconfluences, avril 2014.
https://geoconfluences.ens-lyon.fr/informations-scientifiques/a-la-une/notion-a-la-une/notion-a-la-une-desastre