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Espaces-déchets, wastelands et junkspaces

Publié le 19/09/2024
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Les wastelands, espaces-déchets, ne représentent pas seulement les espaces sacrifiés pour l’entassement et le traitement des déchets, c’est-à-dire les décharges et les sites d’enfouissement, mais plus généralement les espaces qui sont consommés comme des produits puis « jetés » après usage.

Les géographes Marie-Noëlle Carré et François-Michel Le Tourneau, qui se sont intéressés au cas des wastelands nord-américains en ont proposé la traduction française « espaces-déchets », sensiblement différente d’une traduction littérale (wasteland : terrain vague). Ils ont montré que ce mode de consommation de l’espace, particulièrement courant en Amérique du Nord, repose sur le « mythe de l’abondance, de l’immensité et de la sous-occupation humaine ».

Ils citent comme exemple « les terres dégradées, les cimetières d’infrastructures, les villages fantômes, les mines orphelines ». Ils y ajoutent les espaces « considérés comme des résidus » après qu’une exploitation intensive de leur ressource en a dégradé durablement l’environnement, citant la forêt primaire amazonienne, les terres agricoles salinisées, ou les terrains livrés à l’extraction de sables bitumineux en Alberta.

Ils précisent la différence avec les junkspaces de l’architecte Rem Koolhaas, ces derniers étant les espaces de mauvaise qualité produits par la standardisation, mais qui restent fonctionnels : centres commerciaux, fast-foods, parkings en fonctionnement…

Les deux auteurs distinguent trois types d’espaces déchets, par accumulation (décharges et « cimetières » industriels), par construction (ruines, friches et infrastructures abandonnées) et par dégradation (espaces pollués, défrichés, dégradés, et « zones mortes » marines).

Anna Tsing (2017), qui a fait des forêts de l’Oregon son terrain d’observations anthropologiques, a poussé l’analyse encore plus loin : les espaces détruits par l’emprise mondiale du capitalisme, et avec ces espaces, les relations entre vivants qui s’y nouaient, peuvent être riches d’enseignement sur la « possibilité de vivre sur les ruines du capitalisme ». Et ce, non pas dans un hypothétique futur d’après l’effondrement, mais bien ici et maintenant. Les forêts de l’Oregon ont été détruites à la fois par l’exploitation du pin ponderosa pour l’industrie du bois et par l’interdiction, faite par les autorités fédérales, des incendies pratiqués traditionnellement par les populations amérindiennes. Sur les ruines de l’ancienne forêt, un maquis de pin tortueux a permis l’apparition, par association symbiotique, de champignons matsutake, très prisés au Japon, et dont les cueilleurs marginalisés (souvent des réfugiés d’Asie du Sud-Est) sont insérés dans une chaîne de valeur mondiale.

(JBB) octobre 2018, dernières modifications août 2024.


Références citées
  • Carré Marie-Noëlle et Le Tourneau François-Michel, « Les espaces-déchets, d’autres grands espaces américains », L’Espace géographique, 2016/3 (tome 45), p. 265–281.
  • Tsing Anna Lowenhaupt (2017). Le champignon de la fin du monde, Paris, La Découverte, 2017, 416 p. (2015 pour l’éd. originale).
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