Portrait de São Paulo (1) : une capitale du Brésil
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La capitale du Brésil est Brasilia, mais c'est une capitale politique comme Washington, Ottawa ou Canberra. São Paulo est – de loin – la principale métropole brésilienne, par sa population (plus de 20 millions d'habitants), par son poids économique (c'est le principal pôle industriel de l'hémisphère sud) et par son rôle de polarisation de l'espace national. Préciser « brésilienne » ne vise pas seulement à la situer dans le pays, mais aussi à dire qu'elle l'est pour le meilleur et pour le pire, avec tout ce que cela implique de qualités et de défauts, de potentiels et de risques.
Le corpus qui suit est essentiellement fondé sur une série de documents utilisables en classe, cartes et photos, pour la plupart personnelles, produites ou recueillies en onze ans de séjour à São Paulo. Il est complété par des liens vers des billets de mon carnet de recherche Braises de ton plus libre mais dont les publications peuvent néanmoins donner des éléments complémentaires utiles. ((Sa page d'accueil explique que Braises vise à rendre compte par le texte et par l’image des transformations que vit, jour après jour, un grand pays émergent, le Brésil. […] La veille sur les publications brésiliennes et la fréquentation assidue des habitants de ce pays en plein changement permettent en outre de tenter de faire comprendre comment ces dynamiques sont vécues, la culture brésilienne étant juste assez différente de la nôtre pour être fascinante, tout en restant accessible à un observateur européen ».)).
Le déroulement de la première partie de ce portrait de São Paulo la situera d'abord comme une des grandes villes mondiales puis comme la capitale économique du pays, à la fois centre incontesté et tête des réseaux. Elle retracera ensuite la croissance qui a transformé une bourgade en mégalopole en 138 ans, la croissance du bâti étant analysée à partir de cartes historiques et de photos anciennes, puis par le cas d'un de ses symboles majeurs, l'Avenida Paulista
Dans quelle mesure São Paulo est-elle une métropole mondiale émergente ? Tout d'abord, trois images nous aident à « situer » la ville, au sens géographique du terme : Par certains aspects São Paulo est européenne ou nord-américaine, et bien sud-américaine par d’autres.
La plaque « Ici passe le Tropique du Capricorne », photographiée à l'une des sorties de la ville, la situe à l'extrême limite sud de la zone tropicale : 23°27'S. Ville tropicale donc, mais de justesse, ce qui reflète assez bien sa réalité.
Ici passe le Tropique du CapricorneCliché : Hervé Théry, 2006 |
La Province de São Paulo en 1886Source : Wikimedia Commons, Archives publiques de l'Etat de São Paulo |
Une carte de 1886 montre qu'à cette date le réseau des voies de chemin de fer qui ont permis d'étendre la production du café, et à la ville de commencer son décollage économique, était déjà en place, mais qu'il restait dans l'ouest de l'État beaucoup de ce qu’on appelait alors des « terres non peuplées » (en vert).
Le blason, créé en 1916, se compose d'un bouclier sur lequel un bras tient le drapeau de la Croix du Christ utilisé par les navigateurs portugais, symbolisant la foi chrétienne. Au-dessus du bouclier, les cinq tours sont symbole d'une capitale d'État. Les côtés sont ornés de branches de café, sa principale base économique à l'époque. La devise en latin, Non ducor, duco signifie « je ne suis pas conduit, je conduis », et souligne selon la description officielle du blason « l'indépendance des actions développées par la ville et de son rôle de premier plan dans l'État et dans le pays ».
Blason de la ville de São Paulo
Source : Wikipédia, d'après Journal officiel de l'Etat de São Paulo, 11 juillet 2007
São Paulo, l'immensité du paysage urbain
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1. Une des grandes villes mondiales
São Paulo est suffisamment grande pour apparaître sur le célèbre planisphère des lumières nocturnes. ((qui est un montage, ne l'oublions pas, puisqu'il ne peut pas faire nuit partout sur terre au même moment)) Elle y est évidemment bien moins visible que les grandes mégalopoles d'Europe, d'Amérique du Nord et d'Asie, mais l'ensemble urbain dont elle fait partie, qui s'étend de Rio de Janeiro à Buenos Aires, est clairement l'amorce d'un grand amas urbain sud-américain comparable à la Mégalopolis nord-américaine.
São Paulo fait partie des très grandes villes mondiales, et la carte des grandes agglomérations du monde et de leur évolution entre 1950 et 2015, produite par l'atelier de cartographie de Sciences Po, la situe parmi les villes qui ont commencé à se détacher dans les années 1970 avant d'être incluse et dépassée dans le mouvement de croissance des villes du Sud, notamment en Asie. Elle reste pourtant une des très grandes villes de la planète : la population de l'agglomération était estimée par l'Institut brésilien de géographie et statistiques (IBGE, équivalent de l'INSEE plus l'IGN) au 1er juillet 2014 à 20 935 204 habitants, plus que celle de nombreux pays, comme le Chili (17 248 450), les Pays-Bas (16 819 595) ou le Portugal (10 487 289). Elle est même de près de 26 millions d'habitants si l'on ajoute à sa région métropolitaine officielle les villes qui la jouxtent, le port de Santos (1,7 millions d'habitants), au sud-est, et Campinas (3 millions d'habitants), au nord-ouest.
Les grandes agglomérations mondiales 1927, 1970, 2010
Source : Questions Internationales n°52, Atelier de cartographie de Sciences Po, 2011, avec l'aimable autorisation de l'éditeur.
Population des dix plus grandes agglomérations urbaines du monde
Source : Organisation des Nations Unies, World Urbanization Prospects, 2014, p.26 |
2. São Paulo, capitale économique
Pour affirmer que São Paulo est la principale métropole brésilienne il ne suffit pas de dénombrer sa population, il faut encore montrer sa place dans la hiérarchie urbaine, son poids économique, son rôle de tête de réseaux. C'est ce que font les cartes suivantes, tirées de l'Atlas do Brasil dont la 3e édition est à paraître à l'automne 2016.
2.1. Le centre incontesté
L'IBGE a mené en 2007 une étude des régions d'influence des villes qui a permis d'établir une claire hiérarchie urbaine. São Paulo est la seule grande métropole nationale, suivie par deux métropoles nationales, Rio de Janeiro et Brasília, et par neuf métropoles puis une série de capitales régionales et subrégionales.
Centralités et hiérarchies urbaines au BrésilRéalisation : H. Théry, source : IBGE 2007 |
Croissance des capitales des États 1872-2010Réalisation : H. Théry, source : IBGE |
Sur la carte qui superpose les populations des capitales d'États pour tous les recensements réalisés au Brésil depuis 1872, les cercles emboîtés, de couleur de plus en plus sombre, rappellent les anneaux de croissance des arbres. Certaines n'ont que peu de cercles puisqu'elles n'ont été créées que récemment, comme Brasilia en 1960 ou Palmas (capitale du nouvel État de Tocantins) en 1988.
Pour les plus anciennes, le rapport entre les cercles clairs du milieu et les cercles sombres de la périphérie indiquent les rythmes de croissance. De ce point de vue le contraste principal oppose Rio, l'ancienne capitale fédérale, qui avait près de 300 000 habitants en 1872, et São Paulo qui n'en avait alors qu'un peu plus de 30 000. La croissance de cette dernière a été très rapide à partir des années 1940 comme le montre le graphique, et sa population communale dépasse aujourd'hui 11 millions d'habitants.
PIB du Brésil, de l'État de São Paulo et de la commune
Source : IBGE/SEADE, SMDU/Deinfo |
Le PNUD a mis au point son indice de développement humain (IDH) pour fournir une meilleure évaluation du niveau de développement des pays du monde. Ce calcul a été repris au Brésil pour les 5 570 communes (municípios) qui composent le pays ((Chiffre à comparer avec les 35 800 communes françaises (en 2016), pour un pays 15,5 fois plus petit)). et la carte de cet indice pour 2010 montre bien que c'est dans l'État de São Paulo qu'il est le plus élevé : il atteint 0,889, soit l'IDH de la France. Il est suivi par les trois États du Sud. En dehors d'eux, deux axes de développement partent vers le nord, le long de la Brasilia-Belém et vers le nord-ouest, où de vastes régions de production de soja, maïs et coton sont apparus depuis les années 1970. La moyenne mondiale de l’IDH se situe à 0,694, celle du Brésil à 0,755. ((Note de l'Observatoire des inégalités, juin 2013))
Indice de développement humain par communeCarte : H. Théry, source IBGE 2010 |
Emplois dans les secteurs de la communication, des sciences, de la financeCarte : H. Théry, source IBGE 2012 |
La prépondérance de São Paulo n'est nulle part aussi nette que dans les activités les plus innovantes, pour lesquelles la ville a réussi à garder son avance tandis que les activités industrielles plus traditionnelles migraient vers l'intérieur, si bien que sa part du PIB a légèrement diminué. Sa domination est notamment assurée dans les activités d'information et de communication, les activités financières et l'ensemble des activités scientifiques et techniques, secteurs dans lesquels São Paulo est loin devant Rio de Janeiro, Belo Horizonte, Brasilia et Porto Alegre.
On peut trouver un autre indicateur possible dans les résultats des universités, pour lesquels il existe des classements nationaux et mondiaux, qui malgré leurs limites sont de plus en plus utilisés. L'Universidade de São Paulo (USP), université publique de l'État de São Paulo (et non fédérale) est de loin la première du pays et a été classée en 2016 entre le 110e et 150e rang de l'ARWU (Academic Ranking of World Universities, dit classement de Shanghai), 143e du QS World University Ranking by Subject (entre le 51e et le 100e en géographie et histoire). Le Times Higher Education (THE) la classe entre le 91e et le 100e rang mondial, et première des universités latino-américaines. Sur les dix premières universités du continent sud-américain, cinq sont brésiliennes.
2.2.Une ville à la tête des réseaux
Les réseaux de transport du pays sont fortement centrés sur São Paulo. En ce qui concerne les transports aériens, les flux principaux se font dans un couloir parallèle au littoral, la région où vit l'essentiel de la population brésilienne, et secondairement sur des perpendiculaires vers les capitales de l'intérieur. São Paulo compte les deux principaux aéroports du pays, loin devant Rio et Brasilia, mais cette dernière joue de plus en plus un rôle de hub national, ajoutant à sa propre attraction de capitale un rôle de redistribution des flux grâce à sa position centrale. Cette position dominante des deux capitales, l'économique et la politique, apparaît bien si l'on distingue les flux de passagers partant de São Paulo et de Brasilia qui, dans les deux cas irriguent le pays entier. En revanche Rio de Janeiro a désormais un rôle bien secondaire, sa liaison principale, dite « pont aérien », est celle qui la relie à São Paulo.
Flux aériens : un réseau organisé par le hub de Brasilia mais polarisé par São PauloCarte : H. Théry 2016, source : ANAC 2010 |
Des réseaux de transport denses sur le littoral et incomplets à l'intérieurCarte : H. Théry 2016, source : IBGE, Ministère brésilien des transports |
Les réseaux de production et de transmission d'énergie électrique sont eux aussi centrés en grande partie sur São Paulo. Quelques lignes de très haute tension (750 kV) relient directement la ville au barrage d'Itaipú, qui à lui seul produit près du quart de l'énergie brésilienne. Toute la région Sudeste étant déjà équipée de barrages, il faut désormais importer l'énergie de très loin, et en particulier du bassin amazonien. On a donc construit des lignes qui transportent l'électricité d'une part de l'Amazonie orientale (avec le barrage de Tucurui et bientôt celui de Belo Monte) vers le Nordeste et le Sudeste, et plus récemment celle qui est produite en Amazonie occidentale, sur le rio Madeira, par les lignes la reliant directement à São Paulo, sans desservir les régions intermédiaires.
Superposer les différents réseaux de transport permet de distinguer les parties du territoire brésilien bien desservies de celles qui ne le sont pas. Des réseaux d'une certaine densité couvrent le Nordeste mais c'est une fois de plus le Sud et le Sudeste qui sont les mieux desservis par les différents réseaux. Les chemins de fer ont perdu de leur importance au profit de la route mais les autres réseaux comme les gazoducs et, plus encore, les fibres optiques renforcent les privilèges de cette région centrale et la relient aux régions périphériques de l'Amazonie grâce à deux axes privilégiés, vers le nord et le nord-ouest. La configuration du réseau routier, le principal moyen de transport au Brésil, révèle la centralité de São Paulo : autour d'elle la maille est serrée et des routes asphaltées, dont certaines à deux fois deux voies, la relient à ses voisins.
Réseaux électriques : Une hydroélectricité produite de plus en plus loin à l'intérieurCarte : H. Théry 2016, source : IBGE, ANEEL |
Réseaux de télécommunications et fibre optique au BrésilCarte : H. Théry 2016, source : RNP, Embratel, BDI BBS |
Les réseaux d'information ont un rôle de plus en plus important dans la structuration du territoire de tous les pays du monde, car ils sont essentiels au bon fonctionnement de l'économie, et deviennent un facteur de localisation aussi important que les transports. Même lorsque les distances semblent être supprimées, il y a pourtant encore des axes forts, favorables aux investissements, et des vides où les implantations sont problématiques.
Pour les trois réseaux principaux, RNP (Rede nacional de pesquisa, le réseau national de recherche, support principal d'internet), le réseau de fibres optiques et Embratel (Entreprise brésilienne de télécommunications) on retrouve ici la même organisation que pour les flux aériens, des lignes qui partent de Sao Paulo pour couvrir le territoire national. Après celui qui est parallèle à la côte, l'axe principal suit la route Brasilia-Belém, et va directement vers l'Amazonie orientale. Plus à l'ouest, d'autres lignes permettent des liens avec l'Amazonie occidentale, en suivant les routes construites dans les années 1970, via Cuiabá et Porto Velho, mais avec des flux beaucoup plus limités.
3. De la bourgade à la mégapole en 138 ans
La petite mission fondée par les Jésuites en 1554 est devenue, au terme d'une croissance tardive mais rapide, la première agglomération du continent sud-américain. Lorsque le Brésil a pris son indépendance, en 1822, la ville avait à peine 7 000 habitants. Elle avait été choisie comme siège d'une des deux premières facultés de droit du pays, en 1827, justement parce que c'était une petite ville où les étudiants pourraient travailler au calme. Une extraordinaire croissance a ensuite fait passer São Paulo de 31 000 habitants en 1872 à 19 millions en 2010, sa population a donc été multipliée par près de 630 en 138 ans.
Croissance démographique de São Paulo, 1872-2010
3.1. La croissance du bâti
La ville a connu une croissance incontrôlée et dévoreuse d'espace : couvrant plus de 8 000 km² (80 fois la superficie de la ville de Paris et près de trois fois celle de l'agglomération parisienne) la ville grandit encore, et malgré le ralentissement des dernières décennies le fait le plus frappant est certainement cette extension du bâti qui a largement dépassé les limites communales.
Expansion urbaine de Sao Paulo 1881-2002
Source : Emplasa
São Paulo a acquis au cours de cette – relativement courte – histoire un certain nombre de traits distinctifs, bénéficié de la construction de monuments qui sont aujourd'hui ses principales « cartes postales ». Le centre de la ville offre un des paysages urbains les plus étonnants du pays, avec la forêt de tours dont il s'est hérissé, l'entrelacs des voies rapides et des ponts jetés au-dessus du Tietê et du Pinheiros, régulièrement bloqués par la circulation automobile.
Cartes postales de São Paulo
Clichés : Hervé Théry, 2005-2016 sauf la Sala São Paulo, cliché Luís Guilherme Fernandes Pereira, CC BY 2.0 Flickr Images
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L'allure générale et le fonctionnement de ce centre des affaires n'est pas tellement original par rapport au centre des affaires (central business district, CBD) de n'importe quelle ville nord-américaine, pas plus que ne le sont les banlieues résidentielles des classes supérieures, qui sont seulement plus vertes, composées de villas plus somptueuses et entretenues par des domestiques plus nombreux. Le centre historique est en perte de vitesse économique, au profit du sud-ouest, où se sont développés successivement un deuxième centre d'affaires, au long de l'avenue Paulista, puis un troisième vers le rio Pinheiros, autour des nouveaux shopping centers et des centres d'affaires de l’avenue Faria Lima, et enfin un quatrième, autour de l'avenue Berrini, où les multinationales trouvent les « immeubles intelligents », câblés et contrôlés par ordinateur, qu'elles recherchent pour installer leurs sièges sociaux.
La plus grande partie de la ville est formée par d'immenses périphéries où se sont entassés les millions de migrants qui rejoignaient la ville dans les années de croissance rapide. Vite bâties, sans aucune planification urbaine, elles forment la majorité du tissu urbain et posent d'insolubles problèmes de gestion urbaine aux autorités censées les développer. C'est notamment le cas de l'immense Zona Leste (zone est) où vivent quatre millions et demi de personnes, très déficitaire en équipements publics et en infrastructures de transports.
Une très nette division sociale apparaît ainsi entre une zone centrale, dégradée, une zone sud-ouest où sont concentrés les ménages à revenus élevés, des quartiers intermédiaires et une très vaste périphérie pauvre. Alors qu'aux débuts de l'industrialisation – jusqu'aux années 1930 – les industriels tentaient de fixer leurs employés dans des cités ouvrières proches de l'usine, l'afflux des migrants rendit bientôt ces stratégies inutiles, et la sous-location accrut la densité d'occupation des vieux quartiers. Puis, dans les années 1950, les migrants commencèrent à faire de la possession d'une maison la marque de leur enracinement définitif, et l'autoconstruction (la construction de la maison par son propriétaire) à la périphérie de la ville devint la forme principale de la croissance urbaine, représentant 70 à 80 % de la construction. Réalisé avec l'aide de la famille, des voisins, d'artisans non déclarés, c'est un processus lent, progressif, réalisé à mesure des rentrées d'argent, pièce par pièce, mur par mur, bien adapté aux rentrées irrégulières du secteur informel.
Ce processus entraîne le développement de lotissements « clandestins », ainsi qualifiés parce qu'ils ne respectent pas les spécifications légales en matière de surface minimum, d'infrastructures et d'équipements. Ils se font pourtant au vu et au su de tous, et sont périodiquement légalisés. Dans les quartiers les plus périphériques, moins d'un tiers des domiciles disposent d'eau courante, moins de 10 % sont reliés au réseau d'égouts.
La spéculation foncière explique en grande partie l'extension démesurée de ces quartiers périphériques : plus de 40 % de l'espace urbain du município (la commune) de São Paulo sont constitués de terrains inoccupés, qui attendent une valorisation très probable puisque la hausse des prix des terrains est toujours supérieure à celle des prix, et même à celle des actions. Il en découle des surcoûts dans la construction des infrastructures, un allongement des temps de déplacement, aggravé par la déficience des transports en commun. C'est toutefois un pari risqué pour les spéculateurs, car il arrive fréquemment qu'un terrain vague soit envahi par des centaines de personnes qui y créent une favela, un bidonville qui se perpétue si les propriétaires tardent à obtenir l’expulsion. C'est un des mécanismes majeurs de leur apparition dans une ville qui se vantait autrefois de ne pas en compter.
- Plus d'informations dans Braises : Périphéries de São Paulo
- Album de photographies sur Flickr : São Paulo (20 photos), Périphéries de São Paulo (8 photos)
3.2. La croissance de São Paulo en cartes
La série de cartes anciennes ci-après permet de suivre la croissance du bâti de l'époque coloniale au XXe siècle, et de la comparer avec la situation actuelle. Sur les quatre cartes, les marques rouges en « V » indiquent deux couples de rivières qui servent de repère.
Sur la première carte, publiée en 1810 et orientée vers l'Est (le nord est à gauche), la ville qui a alors moins de 10 000 habitants est encore enserrée par les deux rivières qui délimitent deux des côtés de l'étroit plateau triangulaire sur lequel les Jésuites avaient construit le collège Saint-Paul qui a donné son origine à la ville, le Tamanduatei et l'Anhangabau, respectivement « rivière des vrais fourmiliers » et « rivière des maléfices du diable » en tupi-guarani, la langue parlée par les Amérindiens de cette région.
Cartes historiques de São Paulo : 1810, 1897, 1924
Source : http://smdu.prefeitura.sp.gov.br/historico_demografico/
La deuxième carte date de 1897. Elle est donc postérieure au décollage de la ville suite au boom du café : São Paulo compte environ 65 000 habitants. Le triangle originel ne représente plus qu'une petite partie du bâti, qui a commencé à s'étendre vers le nord, en direction des voies de chemin de fer menant d'une part aux plantations de café et de l'autre au port de Santos. Elle a ainsi avancé vers le Tietê, dans lequel se jettent les deux affluents enserrant la vieille ville, et celui-ci est souligné par une nouvelle ligne rouge.
Sur la troisième carte, en 1924, la ville a près de 600 000 habitants, et un nouveau « V » est formé par le Tietê et son affluent le Pinheiros, qui fait déjà paraître bien petit le premier triangle. Lui-même a ensuite été à son tour largement dépassé par la croissance urbaine ultérieure.
Cartes historiques de São Paulo : 1943 et 2016
Source : http://smdu.prefeitura.sp.gov.br/historico_demografico/ et Les contributeurs d'OpenStreetMap
Sur la carte de 1943, la ville a déjà 1 300 000 habitants (1 500 000 avec l'agglomération), le triangle originel est devenu minuscule et le second largement dépassé vers le nord, vers l'est et vers le sud, mais pas encore vers l'ouest et au sud-ouest.
Sur la carte de la ville actuelle, la ville ayant désormais plus de 11 millions d'habitants et l'agglomération plus de 19 millions, le premier « V » est presque invisible et le second ne délimite plus que le « centre étendu » (centro expandido) à l'intérieur duquel la circulation est interdite à tour de rôle aux voitures, aux heures de pointe, en fonction du numéro de leur plaque minéralogique
Photographies historiques de São Paulo
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>>> Complément : L'Avenida Paulista, un symbole
L'Avenida Paulista a été inaugurée en 1891. Elle tire son origine de la subdivision en lotissements de la Chácara Bela Cintra par un entrepreneur nommé Joaquim Eugenio de Lima. Contrairement aux Campos Elíseos et à Higienópolis, quartiers où vivaient les barons du café, l'avenue Paulista est devenue le lieu de prédilection des immigrants enrichis dans l'industrie naissante de São Paulo. Sa genèse est comparable à celle de la Cinquième Avenue de New York à la fin du XIXe siècle, où les demeures des magnats des chemins de fer et de la finance avaient un style tout aussi flamboyant.
Une grande partie des demeures de l'avenue étaient encore debout en juin 1982, quand une déclaration maladroite du président du Condephaat, le conseil chargé de la préservation du patrimoine historique, selon laquelle il envisageait le classement de certaines de ces maisons, incita les propriétaires à les détruire dans la nuit, sans licence de démolition.
L'Avenida Paulista de 1891 à 2005
Source : Avenida Paulista - A síntese da metrópole, Vito D´Alessio, sauf la dernière, Hervé Théry 2005
Pour les nouveaux riches qui choisissaient de s'installer sur l'Avenida Paulista, la meilleure façon de prouver leur réussite était de faire édifier de somptueuses maisons, appelées en portugais des « palacetes » (que l'on peut traduire par « petit palais »), chacun rivalisant de luxe avec ses voisins. Les artisans spécialisés capables de réaliser la décoration (stucs, vitraux, parquets, etc.) venaient pour la plupart d'Europe, principalement d'Italie et de France, ainsi que bien souvent les matériaux de construction et de décoration.
Anciens palacetes de l'Avenida Paulista
Source : Avenida Paulista - A síntese da metrópole, Vito D´Alessio
Il reste hélas bien peu de ces palacetes sur la Paulista, à part ceux où il a été possible de construire un immeuble moderne dans le jardin et de garder le bâtiment d'origine comme une entrée prestigieuse du nouveau bâtiment.
Palacete et immeuble moderne
Cliché : H. Théry 2006. On reconnait le palacete de la 2e photographie sur l'illustration précédente.
L'Avenida Paulista est aujourd'hui un quartier très verticalisé car elle a été pour un temps le cœur économique et financier de la ville, avant que celui-ci ne se déplace vers des quartiers plus modernes encore, le dernier en date étant celui de l'avenue Berrini.
L'Avenida Paulista vue du ciel
Source : Tuca Vieira / Folha imagem
L'avenue ayant été en partie délaissée par le monde des affaires, les propriétaires des immeubles de la Paulista et la mairie ont dû lui chercher de nouvelles fonctions et en ont trouvé avec le commerce et les loisirs. L'avenue est désormais piétonne plusieurs dimanches par mois et devient un lieu de promenade pour les habitants du quartier et pour d'autres qui viennent de plus loin pour y flâner.
Un dimanche sur l'Avenida Paulista
Cliché : Hervé Théry, 2006
- Un autre symbole de l'histoire de la ville dans Braises : Le Viaduto do chá à São Paulo, un « viaduc du thé » dans la capitale du café.
Conclusion
En un siècle et demi, la modeste bourgade a connu une extraordinaire croissance qui en a fait une des grandes villes mondiales, le centre incontesté de l'économie brésilienne, la tête de ces réseaux de transport de personnes, de marchandises, d'énergie et d'information. Cette expansion démographique s'est accompagnée d'une extension du bâti qui couvre aujourd'hui plus de 8 000 km², où cohabitent des quartiers résidentiels de grand luxe et d'autres très misérables, des zones industrielles et de services et encore bon nombre d'espaces naturels. Ces constrastes sont l'objet de la suite de ce portrait « São Paulo, contrastes, problèmes, défis ».
Pour compléter
Sitographie
- Hervé Théry, « São Paulo, capital do Brasil », in Geografias de São Paulo, tomo 2, A metrópole do século XXI, Ana Fani Alessandri Carlos e Ariovaldo Umbelino de Oliveira org., Contexto 2004, pp. 363-376 e 391-398.
- Hervé Théry, Le Brésil, pays émergé, collection Perspectives géopolitiques, Armand Colin, 2e édition 2016, 280 p.
- Claude Levi Strauss, imagens de São Paulo.
- Folha de São Paulo, quotidien paulista (en portugais).
- Atlas do desenvolvimento do Brasil, « São Paulo » : statistiques et graphiques (en portugais)
Lire la suite de ce portrait sur Géoconfluences : Portrait de São Paulo (2) : contrastes, problèmes, défis |
Hervé THÉRY,
Professeur émérite, directeur de recherche émérite au CNRS, professeur invité à l'Universidade de São Paulo (USP), co-directeur de la revue Confins, blog de recherche Braises
conception et réalisation de la page web : Jean-Benoît Bouron
Pour citer cet article :Hervé Théry, « Portrait de São Paulo (1) : une capitale du Brésil ? », Géoconfluences, novembre 2016.URL : https://geoconfluences.ens-lyon.fr/informations-scientifiques/dossiers-thematiques/de-villes-en-metropoles/corpus-documentaire/portrait-sao-paulo-1-capitale |
Pour citer cet article :
Hervé Théry, « Portrait de São Paulo (1) : une capitale du Brésil », Géoconfluences, novembre 2016.
https://geoconfluences.ens-lyon.fr/informations-scientifiques/dossiers-thematiques/de-villes-en-metropoles/corpus-documentaire/portrait-sao-paulo-1-capitale