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Amazonie : l’archéologie pour en finir avec le mythe de la "forêt vierge"

Publié le 19/11/2018
Les travaux des archéologues, en particulier Stéphen Rostain du CNRS, permettent de revenir sur l'anthropisation précoce et profonde des milieux amazoniens à l'époque précolombienne, voire sur leur urbanisation, pour en finir avec l'image d'Épinal d'une forêt primaire intouchée.

Bibliographie | citer cette brève

L’Amazonie véhicule un puissant imaginaire autour de sa forêt. Cet imaginaire est une construction mentale collective, européo-centrée, édifiée dès les premières descriptions et consolidée au cours des siècles suivants. Elle repose sur une conception occidentale du rapport entre la nature et les sociétés, et sur des préjugés raciaux.

Le plus tenace de ces préjugés fait de l’Amazonie le milieu « naturel » par antonomase. Avec les milieux arctiques et les milieux arides chauds, elle figure parfois sur les cartes parmi les espaces vides d’hommes, et même parmi les « déserts » (humains). Si on sait qu’aucun milieu n’est « naturel » (par définition un milieu est le résultat d’interactions dynamiques entre des actions anthropiques et des composantes naturelles), il a parfois été tentant de voir dans les forêts équatoriales d’Amazonie des espaces où l’action des sociétés humaines a été réduite à la portion congrue, un « enfer vert » ou une « forêt vierge ».

C’est oublier les millénaires d’occupation humaine par des groupes sociaux divers et parfois très nombreux. Lors de leur première rencontre avec les explorateurs européens, les habitants de l’Amazonie avaient déjà été décimés par le choc microbien transmis de proche en proche dans tout le continent américain. La décimation est ici à entendre au sens propre : la mortalité liée aux maladies importées d’outre-Atlantique pouvait atteindre et dépasser les 90 %.

Ensemble de plateformes rectangulaires en terre du site de Nijiamanch le long de la falaise du lit de la rivière Upano.

Ensemble de plateformes rectangulaires en terre du site de Nijiamanch le long de la falaise du lit de la rivière Upano. Cliché de Stephen Rostain (source CNRS).

 

Les travaux de Stéphen Rostain, ainsi que ses interventions publiques très accessibles aux non-spécialistes, permettent de se faire une idée de l’ampleur du peuplement pré-colombien en Amazonie. Après avoir rappelé les effets du choc microbien, l’archéologue explique que les sociétés qui ont vécu dans la région ont profondément transformé leur milieu par des travaux de terrassement de grande ampleur (endiguement, creusement de bassins, surélévation de chemins...). Il rappelle aussi les raisons qui ont conduit à sous-estimer cette anthropisation pendant des décennies :

  • L’absence d’intérêt pour la question, lié aux préjugés sur la forêt dite « vierge » ;
  • Le mépris pour certaines sources écrites comme des récits d’explorateurs décrivant des villes importantes en Amazonie, considérés comme fantaisistes et écartés ;
  • L’absence de constructions en pierre, obligeant l’archéologie à requérir le concours d’autres sciences comme l’écologie, la pédologie, l’ethnobotanique, l’hydrologie ou la géomorphologie, pour identifier les traces d'une présence humaine passée.

Dans des travaux plus récents (Koppe, 2024), Stephen Rostain et son équipe ont mis au jour l'existence d'une vaste cité précolombienne sous la forêt équatoriale dans la vallée d'Upano, en Équateur. Cette fois, plutôt que le choc microbien, c'est peut-être une série d'éruptions volcaniques qui expliqueraient l'abandon du site par ses habitants.


Pour aller plus loin

Sur l’anthropisation, exogène cette fois, de l’Amazonie par fronts pionniers, avec des cartes de la densité humaine à l'époque de l'article (en 2002), voir :

 

 

Par Jean-Benoît Bouron, 2018, dernière mise à jour en 2024.

 

Pour citer cette brève :

Jean-Benoît Bouron, « Amazonie : l’archéologie pour en finir avec le mythe de la "forêt vierge" », Géoconfluences, novembre 2018, mis à jour en janvier 2024.
URL : https://geoconfluences.ens-lyon.fr/actualites/veille/breves/amazonie-l2019archeologie-pour-en-finir-avec-la-foret-vierge