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La Belgique, plaque tournante du trafic de cocaïne à l’échelle mondiale

Publié le 29/03/2023
Auteur(s) : Clara Loïzzo, professeure en classes préparatoires aux grandes écoles - lycée Masséna, Nice
Dans un contexte de forte croissance du trafic de cocaïne à l'échelle mondiale et européenne, le port d'Anvers devient un maillon central de la chaîne logistique illégale mise en place par les trafiquants, ce dont témoignent les saisies record annoncées par les douanes belges. Le trafic de cocaïne fonctionne comme un marché mondialisé avec ses lieux de production, ses flux et ses hubs logistiques, ses marchés de consommation.

Bibliographie | citer cette brève

Avec près de 110 tonnes, les saisies de cocaïne au port d’Anvers ont battu en 2022 (SPF Finances, 2023) tous les records, témoignant de l’accélération des trafics au sein de cette interface majeure de la mondialisation. La place centrale de la Belgique au sein de ces trafics est le résultat d’une recomposition des routes du trafic de drogue, l’un des flux de la mondialisation grise qui repose sur des techniques de dissimulation de plus en plus sophistiquées et une adaptation constante des itinéraires face au renforcement des contrôles, tout comme dans le cas des migrations clandestines. Plusieurs facteurs se combinent pour expliquer la place désormais devenue centrale de la Belgique, et plus particulièrement du port d’Anvers, au cœur d’un narcotrafic mondialisé.

Document 1. Saisies de cocaïne des 5 premiers pays de l’UE classés par quantité saisie en 2020, en kilogrammes
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    Belgique;Pays-Bas* ;Espagne;Italie ;France ; Portugal  Saisies en tonnes true
  2010 6844; 10000; 25242; 3841; 4125; 3244;   #666666
  2020 70254 ; 43836 ;36888 ; 13426 ; 13145 ; 10066   #E31E51

Source : EMCDDA (Observatoire européen des drogues et des toxicomanies), 2022.
*Pays-Bas : estimation 2010 et donnée 2019.


À l’échelle mondiale, l’accroissement de la production de coca, notamment grâce à des plants génétiquement modifiés, augmente la quantité disponible et donc les flux, dans le contexte d’une augmentation de la consommation avec l’ouverture de nouveaux « marchés » (jeunes, Europe de l’Est). Si l’Amérique du Nord demeure le marché de consommation principal, de nombreux narcotrafiquants préfèrent désormais se tourner vers l’Europe, où la cocaïne est la 2e drogue la plus populaire avec environ 3,5 millions de consommateurs (EMCDDA, 2022), en évitant de passer ainsi par le Mexique et ses puissants cartels.

À l’échelle régionale, il semblerait que les routes de la drogue, qui ont longtemps privilégié la Méditerranée (Maroc / Espagne), se réorientent vers une plaque tournante plus septentrionale, centrée sur les grands ports de la rangée nord-européenne : les saisies se sont ainsi multipliées dans les ports d’Hambourg, de Rotterdam ou encore du Havre (1,9 tonne saisie en février 2023, près de 2 tonnes échouées le même mois sur une plage de la Manche (France Bleu ; Le Monde)). Mais c’est le port d’Anvers qui concentre la majorité des flux. La plupart des sources estiment, sans détailler leur calcul, que les 100 tonnes saisies ne représentent qu’environ 10 % du trafic total. Même s’il faut se méfier des estimations exprimées en pourcentage lorsque le total est inconnu, cela représenterait, si ce calcul était juste, l’équivalent de 50 à 60 milliards d’euros de cocaïne qui transiteraient ainsi chaque année par le grand port belge. Deuxième port européen après Rotterdam, niché au fond de l’estuaire de l’Escaut et bien connecté à un dense réseau intérieur donnant accès à un immense arrière-pays européen, le port belge au cœur de la rangée nord-européenne est un nœud majeur du commerce maritime mondial, qui voit transiter chaque année 240 millions de tonnes de marchandises, ce qui en fait le 15e port mondial pour le trafic de conteneurs avec 12 millions d’EVP manutentionnés en 2022.

Trafic mondial de cocaïne


 

À l’échelle locale, le volume de ces flux rend les contrôles effectifs extrêmement difficiles, avec un délicat équilibre à trouver entre les impératifs sécuritaires et la fluidité du trafic, quand le transport maritime mondial et la compétitivité des ports reposent aujourd’hui sur des logiques toyotistes de flux tendus et de « juste à temps » : les normes européennes n’imposent ainsi de contrôler que 1,5 à 2 % des conteneurs. Les narcotrafiquants déploient des stratégies particulièrement inventives pour dissimuler la précieuse poudre blanche (torpilles sous-marines, caches dans la double coque sous la ligne de flottaison, cocaïne liquéfiée transportée avec des engrais ou injectée dans des textiles), mais la plupart du temps, la cocaïne voyage comme les marchandises légales : dans des conteneurs. Sont particulièrement prisées les « boîtes » qui renferment des matières premières en provenance d’Amérique Latine (bois, fruits tropicaux, fèves de cacao), et notamment les conteneurs de bananes ou d’ananas qui doivent être manutentionnés rapidement car ce sont des marchandises très périssables. Les conteneurs issus des principaux pays producteurs de coca (Colombie, Pérou, Bolivie) ou d’Amérique centrale, région traditionnelle de transit, sont particulièrement surveillés. L’étendue du port (120 km², récemment étendu avec la construction de deux nouveaux terminaux) et sa disposition ouverte (par opposition au port de Rotterdam plus fermé) complique encore la tâche des douaniers, alors même que l’ampleur du trafic suppose un ensemble de relais et de complicité au sein même du personnel portuaire (policiers, dockers, douaniers, entreprises d’import-export). Le narcotrafic fleurit aussi grâce à la présence en Belgique de groupes criminels bien implantés : mafias italienne, albanaise, clans hollandais, ou encore « Mocro Maffia », organisation néerlando-marocaine en lien avec le royaume chérifien qui est une autre plaque tournante du trafic de drogues. Il s’appuie sur de nombreux laboratoires clandestins en Belgique et aux Pays-Bas qui transforment la cocaïne-base ou la pâte de coca, et produisent des drogues de synthèse (ecstasy, métamphétamines), ensuite réexpédiées comme la cocaïne vers toute l’Europe ou vers l’Asie et le Moyen-Orient via le hub anversois.

La hausse du trafic en Belgique entraîne une augmentation de la criminalité – corruption, blanchiment, violents règlements de compte, tentative d’enlèvement du ministre de la Justice – qui justifient la nomination en février d’une commissaire nationale en charge du combat contre les drogues. Le gouvernement promet une lutte active contre la corruption, le recrutement de douaniers et policiers plus nombreux, ainsi qu’un renforcement des moyens techniques de contrôle et de police judiciaire. Le caractère souterrain de ces flux, la puissance des groupes impliqués et le caractère transnational de cette criminalité organisée rendent par définition difficile la lutte contre les trafics. Elle impose en tous les cas une collaboration renforcée entre les acteurs, à différentes échelles. C’est le sens des accords signés par la Belgique :

  • avec les pays voisins, comme la coopération Hazeldonk qui associe policiers et douaniers belges, néerlandais, luxembourgeois et français et permet de mener des opérations conjointes ;
  • avec des États plus lointains, pays de départ ou de transit de la cocaïne ou concernés par les flux financiers du blanchiment : protocole de coopération policière signé avec l’Équateur en février 2023, accord d’échanges d’informations signé avec le Panama en mars 2023 (d’autant plus important que près de 20 % de la flotte mondiale bat pavillon panaméen et que c’est le principal pavillon de complaisance au monde) ou encore avec les Émirats Arabes Unis en 2022.

Références citées
Pour aller plus loin

 

 

Clara LOÏZZO

Professeure de chaire supérieure, lycée Masséna de Nice.

 

Édition et mise en web : Jean-Benoît Bouron

Pour citer cette brève :  

Clara Loïzzo, « La Belgique, plaque tournante du trafic de cocaïne à l’échelle mondiale », brève de Géoconfluences, mars 2023.
URL : https://geoconfluences.ens-lyon.fr/actualites/veille/breves/belgique-anvers-cocaine