La Suède devient le 32e membre de l’OTAN
Pour compléter | citer cette brève
Candidate depuis mai 2022 à l’alliance militaire héritée de la Guerre froide et menée par les États-Unis, la Suède avait d’abord vu son adhésion bloquée par les vetos turc et hongrois, toute intégration d’un nouveau pays exigeant l’unanimité des membres. La Turquie comme la Hongrie ont longuement différé leur accord, utilisant leur position ambiguë comme un levier pour obtenir des concessions de la part de l’Union européenne et de l’Alliance atlantique dans un contexte de tensions accrues avec les institutions communautaires et avec les États-Unis, avec plusieurs points de blocage (critique par la Turquie de l’accueil de réfugiés kurdes en Suède, question du respect de l’état de droit en Hongrie). Les deux pays ont ainsi montré leur capacité à peser dans le jeu diplomatique macro-régional, selon une stratégie déjà suivie au printemps dernier à l’occasion de la demande d’adhésion de la Finlande à l’OTAN (officialisée en avril 2023). Mais les ratifications de la demande d’adhésion suédoise par le parlement turc, puis par le parlement hongrois, ont levé le dernier obstacle à l’adhésion de la Suède à l’OTAN, effective le 7 mars 2024.
Document 1. L’OTAN en Europe. Carte de Pascal Orcier, mars 2024. >>> Voir : Pascal Orcier, 2010-2024, « L'Europe entre associations, alliances et partenariats. L'état de l'Union européenne, de la zone euro, de l'espace Schengen et de l'Otan », Géoconfluences, mises à jour régulières, et notamment la partie sur l’OTAN. |
Fondée en 1949 dans le contexte de la Guerre froide, l’Organisation du Traité de l’Atlantique Nord, qui comptait à sa création 12 États, s’est progressivement élargie, de façon accélérée après 1999. Dans une évolution parallèle et quasi-conjointe avec celle de l’Union européenne, l’alliance transatlantique a ainsi intégré, après la fin de la Guerre froide, des États anciennement membres de l’URSS ou du Pacte de Varsovie (ex-RDA, Pologne, États baltes, République tchèque – aujourd’hui Tchéquie –, Slovaquie, Hongrie, Roumanie, Bulgarie, Albanie), suscitant une vive opposition de la part de la Russie qui voit ainsi son ascendant se restreindre dans une région qu’elle considère depuis longtemps comme sa sphère d’influence. Mais le raidissement des tensions russo-européennes expliquent une nouvelle phase, plus récente, d’élargissement de l’OTAN (renouvellement de la demande d’adhésion de l’Ukraine, demande d’adhésion de la Finlande – effective en avril 2023 - et de la Suède), la clause de défense collective incluse dans l’article 5 du traité de l’OTAN apparaissant comme une garantie de protection face à l’attitude d’une Russie jugée de plus en plus menaçante et qui multiplie les opérations de déstabilisation.
Document 2. Des fusiliers marins finlandais et suédois lors d’un entraînement aux opérations amphibies auprès de l’OTAN, dans le nord de la Norvège, dans le cadre de la préparation de l’opération Nordic Response 24. Cliché : OTAN. |
Dans le cas des deux pays nordiques, l’adhésion à l’OTAN remet en cause une tradition historique de neutralité, qui remonte au lendemain des guerres napoléoniennes en ce qui concerne la Suède, après avoir été une puissance de premier rang à l’époque moderne. En pratique, elle avait toutefois engagé depuis les années 2000 un processus de rapprochement avec les pays occidentaux, en ratifiant le Traité de Lisbonne en 2007 (qui engage les pays membres de l’Union européenne à une assistance mutuelle en cas d’attaque), et en signant une déclaration de solidarité avec l’OTAN en 2009 et avec ses voisins nordiques (Norvège, Finlande, Danemark, Islande) en 2011, puis un accord de soutien avec l’OTAN en 2014 à la suite de l’invasion de la Crimée. La Suède pourrait jouer un rôle essentiel dans l’OTAN, avec sa situation permettant de relier la Norvège, membre fondateur de l’organisation, et la Finlande frontalière de la Russie, et dans une position intermédiaire entre la très stratégique mer Baltique et la région arctique dont l’importance géopolitique est aujourd’hui accrue. L’intégration de la Suède « verrouille » la Baltique, dont la totalité des riverains est désormais membre de l’OTAN, à l’exception de la Russie via ses fenêtres maritimes de Saint-Pétersbourg et de Kaliningrad (voir Loïzzo, 2023).
L’inquiétude suscitée par la Russie a conduit la Suède à renforcer considérablement sa sécurité : doublement du budget de la défense entre 2020 et 2024 le portant à 2,1 % du PIB (suivant les recommandations de l’OTAN), rétablissement partiel du service militaire, remilitarisation de l’île de Gotland en position-clé au centre de la Baltique, signature d’un accord bilatéral de coopération en matière de défense avec les États-Unis (décembre 2023) mettant à la disposition de l’allié américain dix-sept bases militaires sur le sol suédois. Au début du mois de mars, et avant même son intégration officielle au sein de l’alliance transatlantique, la Suède participe à « Nordic Response », un exercice militaire de grande ampleur mobilisant 20 000 soldats issus de 13 pays dans les régions arctiques et sub-arctiques de la Norvège, de la Suède et de la Finlande, et s’inscrivant dans le cadre plus large de « Steadfast Defender », qui, avec 90 000 hommes sur le terrain, est l’exercice militaire de l’OTAN le plus important depuis la fin de la Guerre froide.
De façon contradictoire, les manœuvres militaires de la Russie destinées à intimider ses voisins les poussent dans les bras de ceux qui sont considérés comme ses rivaux géopolitiques, l’Union européenne et l’OTAN. Inversement, l’intégration d’un nombre croissants d’États à ces deux ensembles a poussé la Russie à durcir progressivement son attitude à mesure que son influence refluait dans son voisinage européen, jusqu’à lancer des manœuvres militaires en Ukraine, plus ou moins déguisées en 2014, et ouvertement depuis 2022.
Pour compléter avec Géoconfluences
- Clara Loïzzo, « La relance de l’élargissement de l’Union européenne », Géoconfluences, février 2024.
- Clara Loïzzo, « Kaliningrad : une exclave territoriale russe à haute valeur stratégique », Géoconfluences, décembre 2023.
- Pascal Orcier, 2010-2024, « L'Europe entre associations, alliances et partenariats. L'état de l'Union européenne, de la zone euro, de l'espace Schengen et de l'Otan », Géoconfluences, mises à jour régulières.
Sur le site partenaire Géoimage
- Danemark/Suède – Les détroits danois : verrou stratégique de la mer Baltique et laboratoire de coopération transfrontalière
- Russie - Norvège - Finlande : Kirkenes/Petchenga, une région frontalière arctique très sensible
Clara LOÏZZO
Professeure en classes préparatoires aux grandes écoles, lycée Masséna, Nice
Édition et mise en web : Jean-Benoît Bouron
Pour citer cette brève :
Clara Loïzzo, « La Suède devient le 32e membre de l’OTAN », Géoconfluences, mars 2024.
URL : https://geoconfluences.ens-lyon.fr/actualites/veille/breves/suede-dans-l-otan