Les nouvelles forêts carbone. Le cas des projets domestiques CO2 en France
Attribuer une fonction "carbone" aux forêts françaises est l'un des chevaux de bataille des forestiers français dans les débats du Protocole de Kyoto et du "Grenelle de l'environnement". Cette question est éminemment politique : durant la première période d'engagement du Protocole de Kyoto (2008-2012) la France ne peut prétendre réduire ses émissions de CO2 grâce aux puits de carbone forestier qu'à hauteur de 3,2 MtCO2/an, soit seulement 4,7% du CO2 que les forêts françaises séquestrent annuellement [1].
De plus, au cours de la première période d'engagement, la création de puits de carbone forestier en France par les forestiers français n'est pas éligible à l'émission d'Unité de réduction d'émission (URE) sur le marché européen du carbone. Devant l'impossibilité de faire reconnaître le rôle véritable que jouent les forêts françaises en termes de captation de carbone sur le marché européen du carbone, un débat est engagé en ce sens entre les représentants forestiers français publics et privés, sous l'égide de l'association France Bois Forêt [2] et de l'État français afin de faire reconnaître, à sa juste valeur, le rôle des forêts françaises dans la captation de carbone.
Bien que le rôle des forêts françaises dans la captation de carbone ait été très largement promu par deux textes de référence en 2006, des obstacles théoriques, techniques et méthodologiques, tels que précisés dans les indicateurs de gestion durables des forêts françaises (MAP, 2005), excluent encore les crédits et quotas d'origine forestière du principal marché mondial de CO2 : le marché européen ETS. D'abord, la loi d'orientation agricole du 5 janvier 2006 [3] a présenté un cadre rénové destiné à mieux valoriser le potentiel de la forêt française en dynamisant sa gestion. Puis, au cours de la même année 2006, le groupe de travail "Division par quatre des émissions de gaz à effet de serre de la France à l'horizon 2050", dit "Facteur 4" a proposé une série de recommandations pour atteindre l'objectif énoncé dans son intitulé. Ce groupe préconise notamment de valoriser le potentiel qu'offrent l'agriculture et la forêt sur plusieurs axes stratégiques que sont la substitution, la séquestration, le stockage du carbone notamment "par la mise en place de "projets domestiques CO2" qui permettraient de créditer les actions de réduction d'émissions conduites dans les secteurs non couverts par la directive européenne des quotas." (MEDD, 2006a).
C'est pourquoi, à l'instigation du Gouvernement, la Caisse des Dépôts et Consignations a proposé de transposer la logique des mécanismes de mise en œuvre conjointe (MOC) du Protocole de Kyoto à des projets portés par des acteurs nationaux sur le territoire français. Ces "projets domestiques" permettront de toucher les secteurs non concernés par le marché de quotas de CO2 (transports, agriculture, bâtiment, et certaines installations industrielles). Ainsi, les porteurs de projet qui souhaitent valoriser des actions de réduction d'émissions de CO2 sur le territoire français, se verront reverser un montant compensatoire prédéfini et garanti qui correspondra à la délivrance de crédits carbones par l'État, après mesure et certification de leurs émissions. Les projets domestiques CO2 complètent ainsi le système européen d'échange de quotas de CO2 qui prend uniquement en compte les émissions des grandes installations industrielles et énergétiques. L'arrêté du 2 mars 2007 [4], paru au Journal officiel, décline les dispositions qui permettront l'agrément des projets domestiques CO2. Il s'agit notamment pour le demandeur de "démontrer que l'activité de projet est additionnelle" et que "les émissions de GES qui résulteront de la mise en œuvre de l'activité de projet seront inférieures à celles du scénario de référence."
Dans cette droite ligne, les forestiers français revendiquent un retour de bénéfices pour les producteurs dont les pratiques sylvicoles contribuent à la captation de carbone. Ces débats ont été synthétisés dans le rapport du groupe 1 : "lutter contre les changements climatiques et maîtriser la demande d'énergie" du Grenelle de l'environnement (Grenelle de l'environnement, 2007). Il est avancé que la simple possession de surfaces boisées ne sera pas un critère d'émission d'URE. Ce sera donc probablement bien l'action de gestion qui sera rétribuée. Il reste donc aux organismes forestiers à démontrer que les gains en termes de réduction des émissions de GES sont supérieurs dans les forêts gérées que dans les forêts laissées à l'état de "nature".
Notes
[1] L'absorption totale de carbone par les forêts en France a été évaluée à 18,7 millions de tonnes de carbone par an (Pignard et al., 2004) soit 68,4 MtCO2/an pour la période 1984-1996.
[2] Voir le site Internet de l'association : www.franceboisforet.fr
[3] Loi n° 2006-11 du 5 janvier 2006 d'orientation agricole. Disponible sur : www.legifrance.gouv.fr/WAspad/UnTexteDeJorf?numjo=AGRX0500091L (Consulté le 19/10/2007).
[4] Arrêté du 2 mars 2007 pris pour l'application des articles 3 à 5 du décret no 2006-622 du 29 mai 2006 et relatif à l'agrément des activités de projet relevant des articles 6 et 12 du protocole de Kyoto. Disponible sur : www.journal-officiel.gouv.fr/publication/2007/.../publication/2007/0307#test61 (Consulté le 19/10/2007).
Clément Dodane, Université de Lyon, UMR / CNRS 5600 Environnement Ville et Société, ENS de Lyon,
pour Géoconfluences, ENS de Lyon / DGESCO, novembre 2007
Pour citer cet article :
« Les nouvelles forêts carbone. Le cas des projets domestiques CO2 en France », Géoconfluences, mai 2014.
https://geoconfluences.ens-lyon.fr/doc/transv/DevDur/popup/Dodane.htm