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La Méditerranée, un modèle spatial de référence ?

Publié le 10/03/2004
Auteur(s) : Vincent Clément , maître de Conférences à l'ENS de Lyon - Laboratoire de BIOGEO, ENS de Lyon

Mode zen

1. Les "mensurations" d'une méditerranée

2. Un espace articulé

3. La Méditerranée, réalité unique ou modèle universel ?

Le concept de "méditerranée" a été érigé en modèle spatial pour caractériser d'autres espaces dans le monde. Les exemples les plus connus sont la Méditerranée caribéenne et la Méditerranée asiatique. Mais il existe sur la planète d'autres espaces ayant la même configuration. Ainsi la Baltique, l'Arctique ou le Golfe persique sont aussi des espaces qui s'organisent autour d'une mer intérieure.

Lors d'un colloque organisé à la Maison de la Géographie à Montpellier sur le concept de "méditerranée", et dont les actes ont été publiés dans la revue L'Espace Géographique en 1995, certains participants avaient même défendu l'idée que l'Océan Indien pouvait être considéré comme une méditerranée. L'idée avait notamment été suggérée par Pierre-Yves Mangin, historien et spécialiste de l'histoire des mers d'Asie. P.Y. Mangin avait justifié son idée en expliquant que bien qu'il n'y ait pas de limite physique méridionale à l'Océan Indien, pour les Arabes et pour les Indonésiens il y a une véritable frontière psychologique : vers le sud, au-delà du 6° parallèle N., commence pour eux un monde maudit d'où l'on ne revient pas.

Considérer l'Océan Indien comme une méditerranée avait été rejeté par la plupart des géographes présents au colloque de Montpellier. Cependant, le débat a eu le mérite de mettre en évidence la nécessité de mieux définir le concept de "méditerranée", et de souligner l'impossibilité d'associer toute mer entourée de terres à une méditerranée. Par effet de miroir, ce débat invite aussi à s'interroger sur les caractéristiques de la Méditerranée de l'Ancien Monde et sur la pertinence de l'ériger en modèle universel.

Les "mensurations" d'une méditerranée

Quelles sont les "mensurations" idéales d'une méditerranée ? Cette interrogation qui ressemble à une boutade est en réalité une question tout à fait centrale, hélas trop souvent éludée. En effet la question de la taille, sur laquelle se greffe implicitement la forme et la distance, détermine trois séries de facteurs incontournables pour l'analyse d'un espace géographique : a) les interfaces, les proximités, les échanges ; b) la manifestation de conflits d'intérêt sur un espace partagé ; c) les complémentarités entre des milieux géographiques contrastés.

Les dimensions d'une méditerranée ne doivent être ni trop grandes, ni trop petites. Pas trop grandes, pour exclure les océans qui, dans l'absolu, sont aussi des mers au milieu des terres. Pas trop petites non plus, pour exclure les mers fermées ou les grands lacs, déconnectées de l'Océan mondial. Pour parler de méditerranée on peut s'en tenir à des mers dont les points les plus éloignées sont compris entre 2000 km et 4000 km. Cette taille permet à la fois l'accessibilité et la relative facilité des communications, tout en mettant en contact des espaces et des milieux différenciés. C'est le cas de la Méditerranée, qui s'étire sur 4000 km de Tanger à Beyrouth (même ordre de grandeur que la méditerranée asiatique ou caribéenne) et sur 800 km dans sa plus large épaisseur entre Gênes et Bizerte. La Méditerranée met ainsi en contact des milieux différenciés : un noyau dur à climat méditerranéen, bordé par des marges tempérées vers le nord et par le désert du Sahara qui vient lécher la mer sur les côtes de Libye et d'Égypte. La relative proximité des rivages méditerranéens a permis depuis l'Antiquité à la fois des échanges et des confrontations entre des cultures différentes, mais aussi un mélange des populations par des déplacements volontaires ou par des diasporas.

Un espace articulé

Une méditerranée n'est pas qu'un vaste plan d'eau au milieu des terres. C'est un espace articulé par des péninsules et par des îles qui constituent des médiateurs territoriaux entre la terre et la mer, facilitant ainsi les liens entre les espaces continentaux bordiers, liens qui se déclinent en logiques d'interfaces ou d'affrontements.

Les péninsules découpent l'espace méditerranéen en plusieurs sous-ensembles avec une dissymétrie majeure entre rive nord et rive sud en Méditerranée puisque les péninsules sont toutes ancrées sur la rive septentrionale du Mare Nostrum. Le découpage le plus évident est celui qui oppose le bassin occidental et le bassin oriental de la Méditerranée, de part et d'autre de la charnière italienne. À une échelle plus fine, les péninsules sont séparées par de grandes échancrures qui individualisent des sous-ensembles maritimes (mer Égée ou mer Adriatique par exemple).

Le rôle des îles est lui aussi essentiel dans l'articulation de l'espace méditerranéen. Les îles s'inscrivent dans le prolongement des continents et des péninsules. Ce sont des territoires ambigus, à la fois mi-terrestres et mi-maritimes. Par convention internationale, les îles sont intégrées dans le calcul de la superficie de la Méditerranée dont elles représentent environ 4%. Leur répartition souligne la dissymétrie existante entre les deux rives : comme les péninsules, elles se concentrent principalement au nord de la Méditerranée.

Îles et péninsules ont incontestablement facilité les communications et les échanges en Méditerranée depuis l'Antiquité. Les navigateurs n'étaient jamais éloignés de plus de 350 km d'un rivage ce qui, en cas de gros temps, leur permettait de trouver aisément des havres naturels où s'abriter. On comprend ainsi que dès l'Antiquité grecque, la navigation ait été maîtrisée sur l'ensemble de la Méditerranée : Ulysse, au cours de son périple, était parvenu jusqu'aux colonnes d'Hercule (Détroit de Gibraltar). D'où aussi la conscience précoce des peuples riverains de la Méditerranée d'habiter autour d'une mer commune, comme l'exprima Platon de manière humoristique : "Comme des grenouilles autour d'un marais, nous sommes tous assis au bord de la mer".

La Méditerranée, réalité unique ou modèle universel ?

L'analogie est le principe essentiel sur lequel se fonde toute classification. La Méditerranée n'est pas le seul espace à avoir été érigé en modèle. Le modèle alpin par exemple sert aussi à caractériser d'autres espaces montagnards dans le monde. On parle ainsi des Alpes scandinaves ou des Alpes de Sichuan. En observant un atlas du monde, on s'aperçoit que la Méditerranée caribéenne ou la Méditerranée asiatique possèdent une configuration des lieux qui rappelle la Méditerranée de l'Ancien Monde. La ressemblance est toutefois partielle puisque ces deux méditerranées ne mettent pas en contact deux grandes masses continentales. Elles s'appuient sur une seule façade continentale (Amérique centrale ou Asie) et sont incomplètement fermées par des guirlandes insulaires. Ce sont aussi des espaces moins bien articulés en raison du nombre plus limité de péninsules et par la quasi-absence d'îles relais au cœur de leur espace maritime.

Face à ces copies imparfaites, on serait tenté de croire que la Méditerranée de l'Ancien Monde est un espace unique. L'ambiance climatique particulière de la Méditerranée, l'historicité des lieux et en particulier la romanisation, la familiarité des paysages méditerranéens, l'héritage culturel, tout ceci concourt à faire de la Méditerranée un monde à part. Mais que la Méditerranée soit un espace unique n'est pas contradictoire avec le fait de la poser en modèle universel. Un modèle est par définition un objet de référence, une sorte d'archétype idéalisé auquel on se compare. En ce sens, notre Méditerranée peut servir de modèle pour analyser les espaces qui dans le monde ont une configuration géographique comparable, comme les méditerranées caribéenne ou asiatique. Le modèle de référence peut aussi être le point de départ d'un questionnement transposable à d'autres espaces organisés autour d'une mer intérieure. Une méditerranée fonctionne-t-elle en vase clos, ou, au contraire, forme-t-elle un monde ouvert sur l'extérieur ? Est-ce une interface ou une frontière ? Un finistère partagé entre des masses continentales, ou un espace central autour duquel s'organise les flux et les échanges ? Ces différentes interrogations qui traversent la géographie de la Méditerranée sont tout à fait transposables aux autres méditerranées dans le monde.

Vincent Clément, pour Géoconfluences le 01/03/2004

Mise à jour :   01-03-2004

 

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Pour citer cet article :  

Vincent Clément, « La Méditerranée, un modèle spatial de référence ? », Géoconfluences, mars 2004.
https://geoconfluences.ens-lyon.fr/doc/etpays/Medit/MeditScient.htm