La Méditerranée : introduction du dossier

Publié le 25/06/2024
Auteur(s) : Jean-Benoît Bouron, agrégé de géographie, responsable éditorial de Géoconfluences - DGESCO, ENS de Lyon.
Yves-François Le Lay, professeur des universités en géographie - École normale supérieure de Lyon

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Page d'introduction au dossier "La Méditerranée, une géographie paradoxale", un dossier ouvert en 2004 et réactualisé à partir de 2020.

Citer cette introduction

Un dossier représentatif d’un moment de la géographie scolaire

En 2004, Géoconfluences, alors tout jeune site internet, consacrait un dossier à la Méditerranée et l’intitulait « La Méditerranée, une géographie paradoxale ». De quels paradoxes parlions-nous alors ? Ceux d’une interface, où les frictions le disputent aux échanges, la fermeture à l’ouverture. On y présentait les clivages et les contacts, les écarts de développements et les échanges. Le court texte de cadrage, encore disponible en archive, inscrivait le dossier dans le cadre d’un programme applicable à la rentrée 2004 qui envisageait la Méditerranée, selon les mots de l’époque, comme un exemple « d’interface Nord/Sud ». Les articles publiés dans cette première version du dossier, de 2004 à 2008, déclinaient l’idée de « géographie paradoxale » selon plusieurs thèmes : unité ou fracture, coopération ou tensions, fermeture ou échanges.

Les articles publiés alors restent utiles aujourd’hui. Par exemple, celui de Vincent Clément (mars 2004) aborde le « concept » de Méditerranée. Un peu comme les Alpes ont servi de référence à l’analyse des montagnes (au point qu’il existe des Alpes australiennes, japonaises, mancelles…), les travaux sur la Méditerranée permettent de monter en généralité pour saisir un type de situation géographique. Certes, d’autres toponymes ont donné des noms communs par antonomase. Par exemple, le mot méandre vient du nom d’un fleuve anatolien se jetant dans la mer Égée. Mais rares sont les noms géographiques ayant donné des concepts transposables : on parle ainsi, notamment depuis les travaux du GIP Reclus, d’« une » méditerranée pour désigner d’autres mers fermées, caractérisées par des fonctions d’interfaces et des écarts de richesse : le système Caraïbe, l’Asie du Sud-Est..

Un dossier renouvelé et qui entre en résonance avec les autres dossiers du site

De nouveaux articles ont enrichi le dossier à partir de 2020. Que sont devenus les paradoxes posés près de vingt ans plus tôt ?

Un premier paradoxe est temporel : la Méditerranée, objet géographique à forte teneur historique, a donné naissance à la géohistoire à travers l’œuvre de Fernand Braudel. Son approche diachronique recourt à différentes échelles temporelles, y compris le temps long. Elle invite à mettre en perspective l’actualité, parfois violente, comme les morts de migrants en mer ou les conflits proche-orientaux. La Méditerranée fut aussi un laboratoire d’expériences politiques à partir des printemps arabes, une série de révolutions qui a tantôt renversé des dictateurs et tantôt renforcé certains régimes autoritaires. La crise de l’accueil migratoire a donné lieu à des ressources publiées ailleurs sur le site comme la carte à la une de Nicolas Lambert en 2015 (Les damnés de la mer) ou l’article sur la cartographie des exilés syriens par David Lagarde (novembre 2020).

Aborder les espaces méditerranéens par la longue durée reste pertinent, notamment pour traiter la question démographique. La Méditerranée est devenue l’un des espaces sentinelles qui permettent de caractériser un processus inédit dans l’histoire de l’humanité, à savoir le vieillissement de la population mondiale. Les trajectoires démographiques des pays méditerranéens sont étudiées par l’article de Yoann Doignon (décembre 2020). L’exemple de l’Italie, l’un des États européens les plus touchés par le vieillissement, est présenté dans l’article de Cécilia Fortunato et Elena Ambrosetti (février 2020). La question du temps long est aussi abordé, sous un autre angle, par l’article de François Moriconi-Ebrard et Rémi Pascal (janvier 2020), qui se demandent comment cartographier l’urbanisation en Libye dans une maille administrative changeante.

Le deuxième paradoxe est la permanence de la question agricole, dans une tension entre temps très long et temps très court. Fondamentalement politique depuis l’Antiquité, son importance était déjà saisie par Braudel, et elle reste cruciale pour comprendre tant les printemps arabes que le sort des migrants dans les huertas productivistes ou les revendications pour un slow food et la patrimonialisation des régimes alimentaires méditerranéens. Surtout, cette agriculture est affectée par les changements environnementaux globaux, qui touchent particulièrement les espaces méditerranéens autour du thème de l’eau.

Les deltas méditerranéens sont sujets aux problèmes d’ordre agricole, entre concurrence pour l’usage de l’eau, tensions entre usages agricoles et protection de la biodiversité, pression foncière et adaptation au changement climatique. Dans le dossier, c’est l’objet d’étude de l’article de Lisa Ernoul, Camille Roumieux et Alain Sandoz (janvier 2020). Le delta du Nil est traité dans le dossier sur la Géographie critique des ressources par un article de Delphine Acloque (juin 2022). Ailleurs sur Géoconfluences, la question agricole et hydrique est abordée à travers la patrimonialisation des oliveraies andalouses, la pénurie d’eau en Catalogne (Martin Charlet), la déprise dans la plaine de Berre (Anne Lascaux)…

La question de la pauvreté a quelque chose de paradoxal dans une partie des États méditerranéens où elle se présente de manière intégrée. Non stigmatisée, elle peut donner lieu à des relations de solidarité et à une économie informelle qui permet d’anticiper et de compenser les crises. Mais l’arrivée de nouveaux habitants, l’essor des inégalités et l’affirmation du néolibéralisme ébranlent la valorisation de tels liens dans une forme de vie collective et de proximité. Plus particulièrement, la question de la pauvreté énergétique en Espagne est étudiée par Lise Desvallées.

On peut relever enfin un contraste saisissant entre d’une part l’attractivité touristique des espaces méditerranéens, et leur forte patrimonialisation, et d’autre part l’effondrement du tourisme dans certains pays en lien avec les crises à caractère politique ou pandémique. L’étude de la patrimonialisation de Djerba, dans le dossier sur le tourisme, aborde ces questions (Mathilde Bielawski, 2024).

Si l’on pourrait poursuivre l’exercice indéfiniment, il est prudent de s’arrêter avant de lasser. Le dossier « Méditerranée, une géographie paradoxale » reste ouvert : il continuera d’accueillir de nouvelles publications. Au-delà de la question des découpages, qui mériterait en elle-même un article, il montre que la géographie régionale (ou « des territoires ») reste pertinence pour comprendre, de manière spatialisée et exemplifiée, de grandes thématiques géographiques.

 

Jean-Benoît BOURON
Responsable éditorial de Géoconfluences

Yves-François LE LAY
Responsable scientifique de Géoconfluences

Pour citer cet article :

Jean-Benoît Bouron et Yves-François Le Lay, « Introduction : peut-on encore faire une géographie des ressources ? », introduction du dossier Géographie critique des ressources : énergies, matières, foncierGéoconfluences, juin 2022.
URL : https://geoconfluences.ens-lyon.fr/informations-scientifiques/dossiers-thematiques/geographie-critique-des-ressources/intro

Dernière mise à jour : juin 2024

Pour citer cet article :  

Jean-Benoît Bouron et Yves-François Le Lay, « La Méditerranée : introduction du dossier », Géoconfluences, juin 2024.
https://geoconfluences.ens-lyon.fr/informations-scientifiques/dossiers-regionaux/la-mediterranee-une-geographie-paradoxale/intro