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Le développement durable, approches géographiques

L'agriculture et l'aménagement des domaines skiables dans les Alpes : des enjeux environnementaux en montagne

Publié le 03/07/2007
Auteur(s) : Marc-Jérôme Hassid, Doctorant - Laboratoire BioGéo à l'ENS de Lyon de Lyon

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L'agriculture de montagne, dite extensive, est souvent présentée comme la garante du maintien des paysages ouverts et de la diversité floristique. Inversement, le tourisme, comme phénomène de masse, est bien souvent rendu responsable de la dégradation de l'environnement et de l'uniformisation des paysages.

Malgré ces contradictions évidentes, la juxtaposition du tourisme et de l'agriculture est effective dans les stations d'altitude. Le tourisme va même apparaître dans les années 1960 comme une solution aux difficultés de la montagne qui se vide de sa population. Les pistes de ski, sur lesquelles la pression touristique (aménagement des domaines skiables, lieu de promenade) et agricole est maximale, ressortent comme un territoire où les enjeux sont exacerbés (encadré ci-dessous). Quel est l'impact de ces deux activités sur l'environnement montagnard et, notamment, sur la biodiversité ? Agriculture et tourisme sont-ils compatibles ?

Pour tenter de répondre à cette question, nous proposons de suivre un fil chronologique depuis le XVIIIe siècle jusqu'à nos jours. Les stations de La Clusaz et du Grand-Bornand, stations dites de "première génération", sont prises comme "sondes territoriales" principales.

Terroirs et pistes de ski : les enjeux de la coexistence

Cliché : M.J. Hassid, La Plagne, août 2003

La photo ci-contre illustre les relations entre l'agriculture et les domaines skiables. En haut, à droite de la photo, on distingue la station de La Plagne Centre et le chantier en cours pour la modification du stade Jean-Luc Cretier (champion olympique 1998, originaire de La Plagne). Au premier plan, un cheptel d'environ 120 bovins (de races Tarine et Abondance) pâture sur les vastes couloirs aménagés pour la pratique du ski. Malgré l'opération de végétalisation*, des marques de dégradation des sols sont perceptibles. À droite de la photo, le talus est la marque la plus importante des travaux réalisés. Cette piste est tracée dans le gypse, une formation assez rare dans les Alpes du Nord, qui recèle bon nombre d'espèces particulières (formation de Pinus uncinata sur gypse des Alpes internes).

Historiquement, les pistes de ski sont implantées sur les domaines agricoles. Il s'agit effectivement de zones à pente relativement douce qui sont favorables aux deux activités. On assiste à un recul de l'agriculture en montagne mais les stations alpines sont cependant des espaces où elle se maintient. Ceci s'explique autant par des éléments physiques que sociaux. La création de pistes de ski génère des facilités d'accès (pistes tout terrain, 4*4 facilitant le transfert du lait). En échange, les pratiques agricoles permettent l'entretien des domaines skiables. La prime à la "vache tondeuse"**, après la catastrophe de Val d'Isère, a pour objectif de lutter contre les avalanches : en effet, le fauchage et le pâturage maintiennent une prairie rase qui retient mieux la sous-couche de neige. La double activité permet également le maintien des populations aux abords des stations de ski. De plus, des aides sont accordées par certaines communes pour soutenir l'activité agricole.

* La végétalisation est l'opération qui vise à introduire une strate herbacée ou arborée dans un site, afin de l'insérer dans le paysage et de limiter les impacts négatifs sur l'environnement (pollution de l'air, érosion des sols, etc.)

** L'Indemnité Spéciale Montagne (décret du 20 janvier 1974), ou "prime à la vache tondeuse", a été instaurée pour entretenir les paysages et lutter contre les avalanches après la catastrophe de Val d'Isère (le 10 février 1970, une coulée de neige avait franchi l'Isère puis la RN pour finir sa course en ensevelissant 39 jeunes d'un centre UCPA) : en effet, le fauchage et le pâturage maintiennent une prairie rase qui assure la réception de la sous-couche de neige.

 

Un système semi autarcique avant le début du XXe siècle

Le site archéologique de la Balme de Thuy témoigne de l'implantation de l'homme dans la vallée de Thônes à partir du IVe millénaire avant J.C.. L'activité sylvo-pastorale domine jusqu'au Moyen-Age. Puis on assiste à l'expansion des ordres monastiques (Chartreux du Reposoir et d'Entremont) et à l'implantation de peuplement à caractère permanent dans les fonds de vallée (La Clusaz, Le Grand-Bornand, Thônes). L'examen des tableaux ci-dessous montre une grande diversité de la production agricole avec la culture généralisée des céréales (avoine pour l'alimentation du bétail, seigle). En altitude, l'exploitation des alpages est de plus en plus poussée et l'estivage s'organise comme en témoigne les variations du cheptel entre l'hiver et l'été.

Les ressources de la communauté de La Clusaz en 1754 (productions animales et végétales)

Productions et mesures sous l'Ancien Régime : voir Eugen Weber, 1983

Les productions agricoles dans la Vallée de Thônes sont finalement assez similaires à celles observées dans l'avant-pays savoyard (documents des Archives départementales). La population locale vit en semi autarcie avec cependant quelques nuances : le vin et l'huile de noix sont importés ; le fromage apparaît déjà comme une source de revenus.

Les photos anciennes du Grand-Bornand et de La Clusaz, ainsi que des témoignages (documents ci-dessous), montrent que cette agriculture traditionnelle se maintient au moins jusqu'au milieu du XXe siècle.

Village du Grand-Bornand (Le Chinaillon, 1400 mètres)

Cliché : G. Fournier, 1950

La polyculture (trèfle et luzerne en alternance avec la pomme de terre) s'impose au niveau des versants adret de faible pente (premier plan) où sont positionnées les habitations. Au second plan (Pointe de Deux Heures et Pointe d'Almet, 2 210 mètres), le fauchage des prairies permanentes était généralisé sur le massif jusque dans les années 1970, malgré les très fortes pentes. La plus grande partie de la production était donc orientée, au milieu des années 1950, vers la production fourragère pour l'alimentation du bétail en hiver.

Témoignage d'un habitant du Grand-Bornand

"En 1972, mes parents étaient agriculteurs. Vous voyez, voici leur ferme. Il y avait des champs de partout à l'époque. Tout était en champ de labour. On cultivait les pommes de terre en première année puis on mettait du trèfle et de la luzerne.

Puis on faisait un ressemis. En 1945, il y a eu la construction de la route de La Colombière, une route touristique (…).

Avant, on vivait de l'agriculture avec de petites exploitations d'une quinzaine de bêtes. Puis, dans les années 1970, certains agriculteurs sont partis dans la plaine. Au fil du temps, il y a eu un agrandissement des fermes avec parfois 50 vaches. Moins de fermes mais plus de bétail. L'agriculture a changé, c'est un peu l'usine. Avant c'était artisanal, authentique. Le produit, le reblochon n'est plus le même qu'avant. L'alimentation se fait par la farine. Le foin vient de la Drôme."

Entretien réalisé par M.J. Hassid, mai 2006

L'introduction d'espèces exogènes dans le milieu montagnard (luzerne, trèfle, etc.) est donc généralisée depuis plusieurs siècles, ceci jusqu'à des altitudes proches de 1700 mètres. Ce modèle semi autarcique va être remis en question au début du XXe siècle. Le tourisme est une opportunité pour la montagne qui se vide de sa population. Mais la juxtaposition des systèmes agricole et touristiques, outre l'emprise du tourisme d'hiver sur les alpages, correspond également à la rencontre de deux groupes culturellement différents (Rambaud, 1974).

 

L'ouverture au tourisme du XXe siècle

Dès 1902, on assiste au désenclavement de la Vallée de Thônes par la création de la route touristique vers le Col des Aravis puis le Col de la Colombière. Ce tourisme, essentiellement estival, permet la découverte et la promotion du Reblochon, dont la production va fortement augmenter au cours du XXe siècle (voir l'exemple des fromages des Alpes du Nord, page en nouvelle fenêtre). L'extension des voies de communication joue également un rôle prépondérant pour le transport des marchandises.

La Clusaz : évolutions d'un village de montagne

Les photos ci-contre permettent de constater l'évolution du village de La Clusaz au cours du XXe siècle. L'urbanisation croissante du village avec l'avènement du tourisme en est l'élément principal. Le village qui comptait un millier d'habitants au début du siècle peut en accueillir près de 25 000 aujourd'hui. Les habitations se sont implantées majoritairement dans le Val des Confins, ouvert dans les marnes à lits de grès du nummulitique, qui correspond au secteur le plus favorable à la mise en culture. Les remontées mécaniques et les pistes de ski (à droite de la photo) sont implantées sur le massif orienté nord-ouest (massif de l'Aiguille). En bas du versant, les prairies permanentes qui permettent la pratique du ski en hiver, ont remplacé les cultures de céréales. On assiste globalement, autour du noyau central de la station, à une diversification des espèces végétales présentes du fait des changements des pratiques agricoles et de l'urbanisation. L'aménagement des domaines skiables vient s'ajouter aux modifications du milieu menées par des générations d'agriculteurs et de forestiers. L'introduction d'espèces exogènes lors d'opérations de végétalisation n'est pas un phénomène nouveau. Ceci démontre que "la nature, c'est d'abord de l'espace, un espace de moins en moins naturel, de plus en plus territorialisé, c'est-à-dire approprié, exploité, artificialisé…" (Bertrand C., Bertrand G., 1995). Cependant le degré d'anthropisation doit être précisé en fonction du territoire d'étude.

GEarth.gif    Pour survoler La Clusaz avec Google Earth ou Google Map, le fichier .kmz et les coordonnées : 45°54'26.81"N / 6°25'41.11"E

Voir page méthode (nouvelle fenêtre)

Village de La Clusaz et son clocher à bulle

Carte postale du début du siècle

Urbanisation de la station village de La Clusaz

Cliché : M.-J. Hassid, juillet 2003

Les premières remontées mécaniques sont implantées vers 1930, mais le tourisme hivernal ne se développe réellement qu'après la seconde guerre mondiale. Les stations de La Clusaz et du Grand-Bornand, des stations dites de première génération, se développent à partir d'un village existant.

Téléphérique du massif de Beauregard, La Clusaz, années 1960

Au premier plan, la patinoire de La Clusaz et le téléphérique de Beauregard reliant le centre du village (1050 mètres d'altitude) à la pointe de Beauregard (1644 mètres). Ce dernier a été démonté en 2003 et remplacé par une télécabine pour permettre d'améliorer le débit skieur. Au second plan, la chaîne des Aravis dont le principal sommet (La Pointe Percée) culmine à 2750 mètres.

Télé-traineau dans la station de La Clusaz en 1935

(Documents du site Internet de l'Office de tourisme de La Clusaz)

Puis, à partir des années 1970, se développent les stations intégrées (La Plagne, Les Arcs…). Plus rarement appelés "intégrales" mais aussi "usines à ski", elles atteignent un caractère industriel, qui apparaît comme nouveau en montagne, mais banal dans le domaine de l'exploitation rationnelle des loisirs de masse (Knafou, 1978). Le tourisme s'impose comme une activité économique majeure, en suscitant de nombreuses combinaisons professionnelles avec l'agriculture.

Ainsi, dans les communes touristiques des Alpes du Nord, plus de 30% des agriculteurs sont des pluriactifs (Simon, 2002).

Aujourd'hui, la pratique des sports d'hiver, de décembre à avril, représente l'essentiel de l'offre touristique. La bonne santé financière des stations de sports d'hiver françaises (986 millions d'euros de chiffres d'affaires pour la saison 2005 - 2006) a permis une progression des investissements de près de 200% en moins de 10 ans. Surtout le ratio dépenses d'investissement / chiffre d'affaires est passé de 19% en 1995 à 40% en 2005.

Depuis les années 1990, une période d'aménagement des domaines skiables (photo ci-dessous) a succédé à leurs créations et leurs extensions. Il s'agit essentiellement : de renouveler le parc des remontées mécaniques pour augmenter le débit horaire ; de relier les domaines skiables entre eux pour augmenter l'offre ski ; d'augmenter la superficie enneigée artificiellement (graphique ci-contre).

Investissement pour l'aménagement des domaines skiables

Source : SEATM

L'exemple de l'aménagement du domaine skiable du Grand-Bornand en juillet 2005

Aménagement du domaine skiable du Grand-Bornand, secteur du Maroli

Cliché : M.-J. Hassid, juillet 2005

Le Grand-Bornand au pied du belvédère du Mont Lachat du Châtillon

 

Cette photo est prise quelques mètres en dessous du sommet du Mont Lachat de Châtillon, (2 050 mètres d'altitude) sur la Piste 2000 (carte ci-contre). Ce secteur s'étend en direction du nord-est jusqu'au pied du massif opposé, où l'on distingue les fermes du Maroli d'en Bas (1 584 mètres). L'enveloppe visible du domaine skiable est d'environ 100 hectares. Au premier plan (en partie dans l'ombre), la piste 2000 permet, depuis 2002, de relier le sommet du Mont Lachat au secteur du Maroli.

Les travaux de terrassement ont permis d'éliminer le dévers en réalisant d'importants tirs de mines dans la formation calcaire du Carixien. Les objectifs de l'opération de végétalisation sont partiellement atteints : si les processus d'érosion sont limités, la végétation n'est que partiellement installée. Le secteur est délicat à traiter du fait de son altitude (1 800 à 2 000 m) et surtout de son orientation au nord. Au second plan, le téléski de Maroli a été remplacé, en 2002, par le télésiège de Maroli pour augmenter la desserte de ce secteur.

Le long de ce télésiège, une piste a été retracée. Anciennement, elle traversait une lande à rhododendron (de couleur vert foncé). L'objectif de ce terrassement est de combler les creux et de remplacer la lande par une végétation rase, afin de faciliter la réception de la neige et le damage de la piste. Le terrassement est limité, mais laisse une cicatrice importante. La partie supérieure de la piste a été végétalisée en 2004 et s'insère dans le paysage (vert clair au niveau du virage du chemin carrossable).

Au centre de la photo, on distingue nettement les travaux engagés pour la construction d'une retenue collinaire de 300 000 m³ depuis juin 2005. La présence de lac est assez rare dans les Préalpes calcaires où dominent les eaux souterraines karstiques, ce qui en fera un élément particulier du paysage.

L'ensemble du secteur est un alpage, exploité de juin à octobre par les agriculteurs. Les terrains, propriétés privées ou communales, leur appartiennent ou sont loués.

Le point sur l'enneigement artificiel

Pendant l'été 2005, ODIT France - DEATM* a réalisé une enquête dans 56 stations afin de faire un bilan de l'exploitation de ces installations au cours de la saison hivernale 2004-2005. La superficie enneigée dans ces stations représente 1 475 hectares. La saison 2004-2005 a été particulièrement consommatrice d'eau selon cette étude**, avec une consommation moyenne de 3 553 m³/ha et un débit moyen de 124 m³/h. La hauteur moyenne de neige fabriquée durant la saison 2004-2005 est de 71 cm pour l'ensemble des installations étudiées. Actuellement, on estime que l'eau provient à 55% des retenues collinaires, 30% des cours d'eau et 15% des réseaux d'eau potable. 57% des heures de production de neige fabriquée l'a été durant le bimestre novembre-décembre, 40% durant le bimestre janvier-février et 3% en mars-avril (ODIT France-DEATM, 2005). Rappelons que la neige est tombée très tardivement à la fin du mois de décembre 2004. Dans les prochaines années, la création de retenues collinaires devrait se poursuivre notamment pour limiter les conflits d'usages (concurrence avec les prélèvements pour l'eau potable).

* Observation, Développement et Ingénierie Touristiques France (ODIT France) est un Groupement d'intérêt public (GIP) destiné à favoriser des activités de développement ou d'intérêt commun dans le domaine du tourisme. Il est né de la fusion, en 2004, de l'Agence française de l'ingénierie touristique (AFIT), de l'Observatoire national du tourisme (ONT) et du Service d'études et d'aménagement touristique de la montagne (SEATM) - www.odit-france.fr

** Selon une étude de l'Agende de l'eau Rhône-Méditerranée-Corse, l'enneigement artificiel correspond à un ratio de 4 000 m³/ha/saison contre 1 700 m³/ha/saison pour le maïs et 5 000 m³/ha/jour pour un golf haut de gamme 18 trous

Source Agence de l'Eau RMC, 2005

Voir aussi (nouvelle fenêtre) : Gestion de la ressource en eau et contrainte touristique en montagne, Alimenter et entretenir le manteau neigeux (Marc-Jérôme Hassid)

 

L'opération de végétalisation : mesures correctives et  risques pour l'environnement

Lors de la création des domaines skiables dans les années 1950, les skieurs empruntaient de vastes espaces non damés et peu aménagés. Pour faciliter la pratique du ski, le terrassement s'est développé à partir des années 1970. Pour le Service d'étude et d'aménagement touristique de la montagne (SEATM, 1990), "il faut aménager la piste de sorte que chaque participant ait l'impression d'être un bon skieur". L'aménagement des pistes de ski s'est fait particulièrement ressentir à la fin des années 1980 lorsque l'enneigement était très déficitaire. Aujourd'hui, l'aménagement s'impose  pour permettre la création et la conservation du manteau neigeux (barrières à neige, enneigement artificiel, damage précoce dès la première chute de neige). Les photos ci-dessous illustrent les travaux engagés pour l'aménagement des domaines skiables.

Les travaux engagés pour l'aménagement des domaines skiables

Piste de ski avant terrassement, La Clusaz (juin 2004)

Piste de ski après terrassement, La Clusaz (mai 2005)

Clichés : M.-J. Hassid

L'ensemble des structures générées par le terrassement (La Clusaz, 2005)

Les travaux de terrassement des pistes génèrent souvent plusieurs structures (image ci-contre):

  • la piste proprement dite (en orangé), secteur de pente modérée, fortement compactée et imperméabilisée à la suite des passages répétés des engins de terrassement. Des rigoles sub-aériennes (lignes rouges) permettent d'évacuer les excès d'eau de ruissellement ; elles sont dirigées vers une forêt ou une prairie naturelle qui serviront de zone tampon ou directement vers un cours d'eau (ligne bleue),
  • des talus, secteur de forte pente (en vert), globalement perméables. Les déblais sont exposés aux risques de décrochements en masse, de glissements rotationnels (en rouge), etc. Les remblais sont généralement moins problématiques.

Les terrassements de la piste de ski génèrent des dommages importants sur l'environnement tant d'un point de vue pédologique et floristique (destruction des biocénoses et des biotopes) que d'un point de vue fonctionnel (modification du régime hydrique et des propriétés épuratoires des sols).

Projection de compost*, La Clusaz, juin 2004

Projection hydraulique d'engrais minéraux et de semences*, La Clusaz, août 2003

Clichés : M.-J. Hassid

Drain bétonné pour l'évacuation des eaux de ruissellement sur une piste de ski La Plagne, mai 2006

* Dans le cas des deux techniques (projections de compost ou hydraulique), les mélanges des espèces végétales semées sont constitués, en majorité, de graminées (Fétuque rouge / Festuca rubra, Ray grass / Lolium, Fléole des prés / Phleum pratense) auxquelles s'ajoutent des légumineuses (Lotier corniculé / Lotus corniculatus , Trèfle blanc / Trifolium repens) et quelques espèces sauvages. L'introduction d'espèces exogènes dans le milieu montagnard est donc toujours d'actualité.

La végétalisation est l'opération qui vise à introduire une strate herbacée ou arborée dans un site, afin de l'insérer dans le paysage et de limiter les impacts négatifs sur l'environnement (pollution de l'air, érosion des sols, etc.). Classiquement, il s'agit de projeter hydrauliquement un mélange de semences et d'engrais (900 kg/ha). Une autre technique, la reconstitution de sol, tend à se développer. Il s'agit alors d'épandre des déchets organiques en forte dose (de 30 à 150 t/ha de matière sèche), en préalable à la projection de semences. Dans les stations de ski des Alpes du Nord, les fumiers ainsi que les composts à base de boue d'épuration (schéma fléché infra) sont les plus employés.

De la végétalisation aux boues d'épuration

L'épuration des eaux usées et la production de boues d'épuration en France

Les collectivités sont à l'origine de la production d'eaux usées plus ou moins contaminées selon la nature des activités humaines. Elles sont traitées dans des stations d'épuration (STEP) afin de rejeter une eau épurée dans les milieux naturels, principalement les cours d'eau. Ce traitement entraîne la production de boues d'épuration qui peuvent être définies comme le résidu d'un processus industriel visant à la dépollution des eaux usées.

En France, l'essentiel des boues d'épuration est épandu sur les terres agricoles car il s'agit de la filière qui présente le plus d'avantages d'un point de vue environnemental et la plus rentable économiquement. En effet, ces boues contiennent des éléments fertilisants (azote, phosphore) nécessaires à la croissance des plantes. Néanmoins, elles contiennent également des éléments indésirables (pathogènes, Eléments Traces Métalliques*), ce qui nécessite un encadrement adapté pour leur utilisation.

En l'absence d'activité industrielle d'envergure, les boues produites par les STEP en zone de montagne ont une faible charge en éléments indésirables qui ne sont néanmoins pas absents. Elles sont épandues sur les pistes de ski après leur traitement par compostage.

* par exemple, zinc, cuivre, cadmium, plomb, mercure, etc. les trois derniers, sont des toxiques à faible dose, dangereux pour la santé humaine.

Vulnérabilité des sites et cycle de l'eau : trois scénarios d'épandage des composts de boue d'épuration sur les pistes de ski

  • Scénario de la piste A : elle est éloignée de tout cours d'eau et de nappes identifiées, le risque de transfert d'éléments vers les eaux superficielles ou souterraines est donc nul, ce qui permet d'atteindre les objectifs de recyclage des matières organiques.
  • Scénario de la piste B :   elle se situe en bordure de cours d'eau, le risque de transfert d'éléments vers les eaux superficielles est élevé et dépend de la position des drains et de la présence éventuelle de zones tampons.
  • Scénario de la piste C : elle se situe au-dessus d'une nappe clairement identifiée (périmètre de protection d'une zone de captage), qui peut faire l'objet de prélèvements pour l'alimentation en eau potable d'une commune proche. Le risque de transfert d'éléments vers les eaux souterraines et plus précisément vers les eaux d'alimentation est très élevé.

Pour élargir et compléter, en corpus documentaire de ce dossier :

Entre déchets et recyclages, des flux à risque social et environnemental

Des entretiens semi-directifs réalisés dans les stations de ski auprès des agriculteurs, ont montré qu'ils ne perçoivent pas forcément de manière négative les terrassements et la végétalisation des pistes de ski. Nombre d'entre eux voient dans les terrassements une possibilité d'extension de leur pâturage : "On peut gagner des champs. Si c'est bien fait, ça va très vite. C'est gagné pour le temps, pour eux et pour nous. Il n'y a pas besoin de faire de débroussaillage". La création de nouvelles pistes de ski, en regagnant de l'espace sur la forêt ou les landes à rhododendron, permet de produire de la ressource fourragère. Il s'agit d'un travail de remise en valeur de l'alpage. Ce constat n'est pas une nouveauté ; tout ce qui est boisé ou embroussaillé est inapte à la production agricole et représente une menace pour les prés (Napoléone, Lasseur, 2004).

Si les travaux de terrassement ne sont pas une menace directe pour l'exploitation, la remise en herbe revêt une dimension importante pour la profession agricole. Pour les agriculteurs rencontrés dans les stations, une bonne reprise de la végétation passe avant tout par une bonne gestion de la terre végétale et par l'apport d'amendement (compost, fumier, terre végétale) pour enrichir les sols. Les agriculteurs interrogés dans les stations de sport d'hiver, sont avant tout à la recherche de rendements améliorés. L'utilisation d'espèces fourragères exogènes est préférée aux espèces locales.

Malgré une grande diversité de cas et de situations dans les Alpes françaises, les opérations décrites précédemment correspondent globalement à ce que nous pourrions nommer le modèle français. Il est pertinent de s'intéresser à d'autres techniques d'aménagement des domaines skiables. Nous avons retenu la station de Crans-Montana-Aminona, dont le modèle est, en apparence, plus écologique.

 

Techniques de conservation des sols dans une station Suisse : Crans-Montana-Aminona

Des observations de terrain dans la station de Crans-Montana-Aminona et des entretiens auprès d'un nombre limité d'acteurs du canton du Valais, ont permis de retenir quelques points forts de techniques alternatives de terrassement et de végétalisation.

Tout d'abord, la création de nouvelles pistes est faite de manière à limiter les atteintes portées à l'environnement ; les terrassements doivent faciliter le passage du skieur sans modifier toutefois profondément la topographie du site. Un effort considérable est réalisé au niveau de la gestion de la terre végétale. La remise en place des mottes, technique jugée coûteuse par certains, est une clef importante du succès de l'opération de "végétalisation". Elle est une garantie de retour à un niveau élevé de diversité pédologique et floristique à court terme, le sol contenant l'information du site.

Au-delà des aspects de diversité, la bonne gestion de la terre végétale permet d'améliorer la capacité d'infiltration et de stockage des eaux. Le ruissellement est réduit, le site retrouve un fonctionnement proche du système initial. De ce fait, nous ne pouvons plus parler d'opération de végétalisation, mais d'opération de conservation des sols.

Par ailleurs, les semis ne sont réalisés que sur les étendues identifiées comme sensibles à l'érosion, ce qui permet de limiter l'introduction d'espèces exogènes. Les mélanges dits "d'altitude" s'apparentent aux mélanges français à forte proportion de graminées. Aucun apport d'engrais n'est réalisé.

Les techniques de végétalisation que nous avons observées dans la station de Crans-Montana-Aminona, font l'objet de travaux scientifiques depuis maintenant plus d'une vingtaine d'années en Suisse (Urbanska, 1995 ; Fattorini, 2001). Les entretiens menés auprès de plusieurs interlocuteurs semblent montrer que ces techniques tendent à se répandre depuis seulement quelques années. Cette évolution, qui reste fragile et ne concerne à ce jour que quelques stations, est la combinaison de plusieurs facteurs : contraintes réglementaires, pressions environnementales, changement du management des entreprises de remontées mécaniques.

À Crans-Montana-Aminona, deux ans après terrassement et végétalisation

Cliché : M.-J. Hassid, août 2006

GEarth.gif    Pour survoler Crans-Montana-Aminona avec Google Earth ou Google Map, le fichier .kmz et les coordonnées : 46°18'51.52"N / 7°28'53.81"E

Citons, parmi les textes fédéraux suisses :

  • l'Ordonnance du 19 octobre 1988 qui fixe les dispositions relatives à l'Étude d'Impact sur l'Environnement (OEIE, 2005) et qui s'applique pour les terrassements de pistes supérieures à 2000 m²,
  • l'Ordonnance aux sols (Osol) du 1er juillet 1998 qui a pour but de garantir à long terme la fertilité des sols

 

L'intérêt culturel porté aux questions d'environnement en Suisse, ressentis à travers des entretiens et la lecture d'articles de presse, semble le socle indispensable à cette dynamique positive.

 

En conclusion : quel équilibre trouver entre la montagne surexploitée et la montagne abandonnée ?

Cet aperçu a montré que la notion de biodiversité reste particulièrement difficile à appréhender aussi bien d'un point de vue physique que social. Tout d'abord, l'introduction d'espèces exogènes dans le milieu montagnard n'est pas un processus nouveau. La culture de céréales était fréquente jusque dans les années 1960. Alors que les discours concernant la biodiversité se veulent plutôt alarmistes (voir Paul Arnould, en document annexe dans la page en nouvelle fenêtre, Biodiversité, de la confusion des chiffres et des territoires), il est intéressant de relever qu'on assiste globalement, autour du noyau central des stations, à une diversification des espèces végétales présentes du fait des changements des pratiques agricoles (passage de cultures mono-spécifiques à des prairies permanentes plus diversifiées). L'enjeu de la biodiversité est encore peu évoqué par les acteurs locaux qui sont les principaux aménageurs de ces milieux dits "sensibles".

La généralisation des techniques de génie écologique (compost, fumier et engrais minéraux) répond certainement à une attente du plus grand nombre. Un gazon verdoyant sur les pistes de ski, qui rappelle les terrains de football, est finalement des plus rassurant pour le visiteur urbain qui envahit ces territoires quelques semaines dans l'année. Dès lors, la prise en compte de la biodiversité dans les milieux montagnards passe inévitablement par un réexamen de la biodiversité dans d'autres lieux de vie. Par exemple les villes, longtemps perçues comme des espaces de non nature, à la biodiversité inexistante (Arnould, 2006). Le jardin en mouvement, proposé par Gilles Clément, l'implantation d'espèces sauvages dans certains aménagements paysagers urbains (voir Emmanuel Boutefeu, La nature en ville : des enjeux paysagers et sociétaux) sont d'autres exemples de diversification d'espèces floristiques. Ce changement de culture, aussi bien urbain que rural, ne peut être qu'un phénomène lent, perceptible au bout d'une, voire plusieurs générations.

Au-delà de la biodiversité, l'étude débouche sur un constat plus global (Marcelpoil, Boudières, 2006) : les sociétés des stations alpines sont dans une période de réexamen stratégique de leur développement, de leur mode de gouvernance et de leur identité. L'intégration des questions d'environnement dans les politiques de développement et le devenir de l'agriculture dans les stations de sports d'hiver sont d'actualité. Le maintien de l'agriculture dans les stations de montagne est largement encouragé par les pouvoirs publics. Pourtant, la compatibilité de l'activité agricole et de l'activité touristique se pose. Dès lors, une question majeure d'aménagement du territoire est soulevée : quel équilibre trouver entre la montagne surexploitée (montagne des stations) et la montagne du vide, terre d'abandon ?

 

Indications bibliographiques

  • Arnould P. - "Biodiversité : la confusion des chiffres et des territoires" - Annales de Géographie, pp.80-101, 2006
  • Bertrand C. et Bertrand G. - La géographie et les sciences de la nature dans Bailly A., Ferras R., Pumain D., Encyclopédie de géographie, 1995
  • Clément G. - Bibliographie et blog : www.gillesclement.com/cat-livres-tit-Livres
  • Fattorini M. - Establishment of transplants on machine-graded ski runs above timberline in the swiss alps - Restoration Ecology, 9, 2, 2001
  • Hassid M.-J. - "Alpage, boue et eau en montagne : les enjeux de la végétalisation des pistes de ski dans les stations alpines" - Thèse de doctorat soutenue le 11 décembre 2006 à l'ENS de Lyon
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Pour compléter, pour élargir, sur Géoconfluences, des ressources

 

 

Marc-Jérôme Hassid, docteur de l'ENS de Lyon, laboratoire Biogéo, UMR 5600

Pour Géoconfluences, le 4 juillet 2007

 

Pour citer cet article :  

Marc-Jérôme Hassid, « L'agriculture et l'aménagement des domaines skiables dans les Alpes : des enjeux environnementaux en montagne », Géoconfluences, juillet 2007.
https://geoconfluences.ens-lyon.fr/doc/transv/DevDur/DevdurScient5.htm