Quand le tourisme se diffuse à travers le monde

Publié le 04/02/2011
Auteur(s) : Jean-Christophe Gay, professeur des universités - IAE Nice, université Côte d’Azur
Luc Vacher - Université de La Rochelle
Laure Paradis - CNRS, Université de Montpellier

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Rien de mieux que des cartes pour figurer la diffusion spatiale d'un phénomène. Celles que nous présentons ici ont été élaborées par l'Équipe MIT dans le cadre des recherches pour Tourismes 3, ouvrage à paraître en 2011 chez Belin [2]. C'est la première fois, à notre connaissance, qu'une telle entreprise est menée à l'échelle mondiale et depuis les origines du tourisme. Préalablement à leur commentaire, l'ampleur de la tâche et un certain nombre de choix que nous avons dû faire nécessitent une mise au point méthodologique.

1. Le dessous des cartes

La réduction d'une dynamique complexe à quelques milliers de lieux peut paraître audacieuse et si, au cours de nos recherches, nos connaissances sur le sujet ont progressé en valeurs absolues, nous avons également pris conscience qu'en valeurs relatives nos lacunes augmentaient. Malgré le dépouillement de nombreux ouvrages et d'un grand nombre de revues scientifiques en ligne, des milliers de travaux d'histoire locale n'ont pu être consultés. Par ailleurs, nos investigations n'ont pas été toujours fructueuses suivant les contrées étudiées, en raison du manque criant de travaux sur certaines, telles celles africaines. Face à ces problèmes, nous n'avons pourtant pas renoncé à notre entreprise.

Lucides sur les limites de notre projet, qu'il faut juger à l'aune de ce qu'il apporte, nous avons dû faire des choix sur les lieux représentés. De la sorte, avons-nous écarté les lieux très visités mais pas dominés ou créés par le tourisme, tels que les grandes métropoles. On ne trouvera donc pas sur nos cartes Paris, Londres ou Sydney. Par ailleurs, face à une impossible exhaustivité, nous avons dû mettre à contribution la notion de notoriété quoiqu'incertaine et relative : ce que nous considérons comme un lieu notoire ne l'est peut-être pas pour un Japonais ou un Canadien. Nous revendiquons cette subjectivité qui, forcément, se traduit par un certain francocentrisme. La nature partiale du jugement d'importance d'un lieu a toutefois été modérée par la prise en compte de son caractère emblématique, de sa taille ou de sa primauté régionale, que traduit, pas toujours parfaitement, la place qu'il occupe dans les guides touristiques actuels que nous avons abondamment exploités.

La datation de l'apparition du tourisme n'a pas été simple et nous avons dû renoncer à certains lieux faute d'avoir une information fiable. Que signifie l'apparition du tourisme en un lieu ? S'agit-il du passage enregistré du premier touriste ? du premier séjour touristique ? des premières constructions destinées aux touristes, spécialement pour leur hébergement ? Dans de nombreux travaux, cela n'est pas précisé. Sachant qu'il est plus aisé, à partir d'un corpus documentaire approximatif, d'inférer une période qu'une date précise et considérant que l'année exacte du début du tourisme en un lieu est moins significative que l'époque à laquelle cela s'est produit, nous avons choisi de placer les lieux sur des cartes représentant des périodes, dont la pertinence touristique n'est pas toujours évidente. Toutefois, faute d'une analyse plus poussée qui reste à faire, nous avons opté pour cette solution plutôt que de tomber dans une périodisation erronée du phénomène touristique à l'échelle planétaire. C'est dire si le travail présenté n'est qu'une étape dans une démarche de recherche de longue haleine.

Sous le capot. Les aspects techniques d'une carte dynamique

Les données sur les lieux touristiques ont été fournies par les membres de l'Équipe MIT et compilées sur fichiers Excel à l'aide d'une grille permettant de préciser la date ou la période d'apparition du lieu touristique, sa localisation et les données qualitatives sur les processus localement à l'œuvre et expliquant la mise en tourisme du lieu. Ces données collectées entre 2003 et 2009 ont ensuite été organisées sous Access. Elles ont ensuite été géoréférencées avec le logiciel Arcgis dans un système d'information géographique. Le géoréférencement consiste à associer à une donnée, ici un lieu touristique, des coordonnées géographiques en latitude et en longitude permettant son affichage dans les divers systèmes de projection visualisables grâce au logiciel. Une série de vérifications a ensuite été effectuée pour contrôler la localisation de lieux qui avaient changé de nom ou ayant le même nom que d'autres lieux.

À partir de la base de données géoréférencées sur les lieux touristiques, des fichiers permettant la visualisation des lieux en fonction de leur date d'apparition ont été générés. La visualisation des données a pu se faire de manière classique, comme c'est le cas dans l'ouvrage Tourismes 3, en générant une série de cartes correspondant aux lieux apparus à différentes époques. La base de données a aussi permis de générer une carte animée. Cette carte dynamique en .avi, lisible à partir de n'importe quel lecteur multimédia, permet de visualiser sur un fond de carte l'apparition progressive des lieux touristiques en fonction des informations saisies dans la base. Cette carte est dynamique, mais elle est aussi interactive, puisque que le curseur du lecteur multimédia permet d'observer la carte a une période choisie par l'utilisateur. C'est la carte présentée ici. L'exportation des données pour générer l'animation temporelle en .avi. a été réalisée à l'aide du logiciel ArcMap.

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L'exportation de la base de données peut aussi se faire au format .kml (ici non disponible) ce qui permet de la voir dans Google Earth sous forme d'une animation temporelle. En effet, grâce à un détournement de la fonction "lumière du soleil" de Google Earth, la visualisation progressive des lieux touristiques sur le globe, ou de tout autre tracé GPS daté, est possible par l'intermédiaire du "curseur de temps" qui apparaît alors.

2. Au fil du temps, les processus de la diffusion

Le tourisme est né à un moment précis, le XVIIIe siècle, dans un lieu précis, l'Angleterre, Bath ou Brighton constituant les matrices à partir desquelles se sont élaborés les lieux touristiques. La société anglaise est l'acteur pionnier de cette innovation qui va ensuite se diffuser en suivant la communauté britannique à travers le monde selon les routes commerciales et celles de la colonisation. Mais à la fin du XVIIIe siècle, seule une partie de l'Europe de l'Ouest et le nord-est des États-Unis ont des lieux touristiques. Présente à Spa, Ostende, Boulogne-sur-Mer ou Nice, l'aristocratie d'Outre-Manche est imitée par les élites continentales qui créent leurs propres lieux avant 1800, tels Scheveningen (Pays-Bas) ou Hyères. On reconnaît aisément l'axe du Grand Tour de l'Europe (Grand Tour of Europe) [3], qui a préparé la venue des touristes en Suisse, en Italie jusqu'à Rome ou Naples (Vedi Napoli, e poi muori !), en Allemagne, au Benelux et en France. Le sud de la Suède avec Loka, Medevi, est également atteint. Les rivages de la Manche, de la mer du Nord et de la Baltique sont les plus touristifiés, loin devant ceux de la Méditerranée. De l'autre côté de l'Atlantique, les stations thermales ont le vent en poupe tandis que les premières stations balnéaires ne naissent qu'à la fin du XVIIIe siècle, telles Nahant (Massachusetts) ou Cape May (New Jersey).

Dans la première moitié du XIXe siècle, ces deux premiers foyers s'élargissent : pour l'Europe vers les littoraux de l'Atlantique et de la mer Baltique surtout, en Europe centrale et en Russie, jusqu'au piémont du Caucase avec Kislovodsk ; en Amérique vers le sud-est des États-Unis et le Québec, où l'élite aristocratique canadienne-française choisit pour premier lieu de séjour touristique Kamouraska (Québec), alors que celle canadienne-britannique investit Murray Bay sur la rive Nord du Saint-Laurent. La colonisation génère ses premiers lieux touristiques, en Afrique du Nord et aux Indes, mais également aux antipodes. En Asie du Sud-Est, les Britanniques cherchent la fraîcheur en altitude en construisant les premières hills stations dès les années 1820-1830.

Les Néerlandais et les Français les imiteront un peu plus tard et, en Australie comme en Nouvelle-Zélande, on cherche à dupliquer les lieux touristiques anglais et les "Brighton" se multiplient, près de Sydney, Melbourne, Adelaïde, Christchurch ou Dunedin durant la seconde moitié du XIXe siècle. Cette période correspond à une spectaculaire accélération du processus de diffusion, par une multiplication des lieux touristiques et par l'extension de l'écoumène touristique, corrélative à l'installation d'Européens aux quatre coins du monde. Désormais, la Chine, le Japon, l'Asie du Sud-Est, l'Australie et la Nouvelle-Zélande, l'Afrique du Sud autour du Cap, ou l'Amérique du Sud sont dotés de lieux touristiques. Les Alpes et les rivages méditerranéens connaissent une forte mise en tourisme pendant que toute l'Amérique du Nord, de l'Atlantique au Pacifique, est affectée par ce phénomène. L'apparition de nouvelles pratiques touristiques autour de l'apprentissage du ski ou de la natation par exemple favorise une diversification des lieux.

Les lieux touristiques dans le monde selon la période de la première fréquentation

La première moitié du XXe siècle n'est que le prolongement de la période précédente. On assiste à une densification des lieux touristiques dans les domaines déjà concernés. Toutefois, ce demi-siècle est marqué par l'entrée dans l'écoumène touristique d'îles tropicales du Pacifique et de la Caraïbe, en raison de l'amélioration des moyens de transport, les bateaux embarquant des touristes commençant à sillonner la Mélanésie ou les Antilles. Quant à la colonisation, en Asie du Sud-Est notamment (Indochine, Indes néerlandaises…), mais également en Afrique de l'Est (Kenya, Madagascar), elle continue de produire de nouveaux lieux touristiques.

Depuis 1950, le transport aérien a permis une spectaculaire extension de l'espace touristique, qui a débordé les espaces habités, affectant les déserts chauds, les régions polaires ou les forêts équatoriales. Les littoraux tropicaux, dont les îles et archipels lointains de l'océan Indien ou du Pacifique, attirent toujours plus investisseurs et touristes. Le modèle des 3 S (Sea, Sand & Sun) est devenu un moteur majeur de la touristification du monde, alors que les littoraux des pays du Nord, avec la remarquable augmentation des départs en vacances des populations, ne sont qu'une succession de lieux touristiques, pendant que les stations de ski s'y sont multipliées.

Aujourd'hui, il n'y a plus guère de lieux qui résistent à la mise en tourisme du Monde et l'écoumène touristique déborde l'écoumène humain de l'"habiter" sédentaire car le tourisme est fondamentalement un déplacement et participe de ce fait pleinement à la mise en circulation du Monde à différentes échelles.


Notes et ressources

[1] Jean-Christophe Gay (UMR Espace CNRS-université de Nice-Sophia Antipolis) ; Luc Vacher (UMR LIENSs CNRS-université de La Rochelle) ; Laure Paradis (UMR CBAE CNRS-université Montpellier)

[2] Déjà parus, les ouvrages de l'Équipe MIT (Mobilités, Itinéraires, Territoires), Université Paris 7 - Diderot, dir. R. Knafou :

  • - Tourismes 1, Lieux communs, Belin, 2002
  • - Tourismes 2, Moments de lieux, Collection Mappemonde, Belin, 2005

www.editions-belin.com/ewb_pages/f/fiche-article-tourismes-2-5126.php

[3] C'est l'aristocratie et la haute bourgeoisie britanniques (mais aussi allemandes) qui ont popularisé le terme de "tour" lorsque le "Grand Tour de l'Europe" (Grand Tour of Europe) devint un passage obligé de l'éducation des jeunes gens fortunés à partir du XVIIIe siècle. Les lieux privilégiés par ces voyages, qui duraient environ une année souvent en compagnie d'un tuteur, étaient ceux des grandes villes au riche patrimoine culturel et artistique (en Italie, en France, puis en Grèce, etc.) mais aussi certains sites de montagne qui étaient particulièrement prisés (les Alpes). Les milieux artistiques ont aussi alimenté ce mouvement trans-européen (Flaubert, Stendhal, Goethe, A. Dumas, M. Twain, ...). La mise en tourisme de Pompéi ou d'Herculanum doit beaucoup à ces engouements.

 

Jean-Christophe GAY,
UMR Espace CNRS-université de Nice-Sophia Antipolis​

Luc VACHER,
UMR LIENSs CNRS-université de La Rochelle

Laure PARADIS,
UMR CBAE CNRS-université Montpellier

 

 

Édition et mise en web : Sylviane Tabarly pour Géoconfluences, février 2011.

Pour citer cet article :

Jean-Christophe Gay, Luc Vacher et Laure Paradis, « Quand le tourisme se diffuse à travers le monde », Géoconfluences, février 2011.
URL : https://geoconfluences.ens-lyon.fr/doc/typespace/tourisme/TourDoc3.htm

Pour citer cet article :  

Jean-Christophe Gay, Luc Vacher et Laure Paradis, « Quand le tourisme se diffuse à travers le monde », Géoconfluences, février 2011.
https://geoconfluences.ens-lyon.fr/doc/typespace/tourisme/TourDoc3.htm