Espèce porte-drapeau, espèce-phare, espèce parapluie
Une espèce porte-drapeau ou espèce-phare (flagship species) est une espèce emblématique bénéficiant d’une représentation positive de la part du grand public et facilitant la mobilisation en faveur de la protection de son habitat. L’une des premières utilisations du mot concerne les tortues de mer (Frazier, 2005). On parle aussi à propos de ces espèces d’un charisme non humain (Lorimer, 2007). On peut citer le panda et les grands singes (comme l’orang-outang) pour les forêts équatoriales et tropicales, l’ours blanc pour les milieux arctiques, le dugong sur les rivages tropicaux (Surmont, 2024) ou encore le tigre pour la jungle indienne.
L’importance des espèces porte-drapeau est connue depuis longtemps des écologues et des ONG environnementalistes. Leur capital de sympathie facilite la levée de fonds et rend plus spectaculaires les campagnes de communication. Par exemple le WWF vend des peluches jaguar pour la protection du cerrado brésilien, et on ne compte plus les représentations d’ours blancs prisonniers d’une banquise menacée par le changement climatique.
On peut aussi qualifier ces espèces d’espèces-parapluies lorsque leur protection bénéficie aux autres espèces appartenant au même écosystème, mais qui ne sont pas pourvues du même charisme. La protection du castor d’Europe a pu ainsi profiter à d’autres espèces menacées par la destruction ou l’artificialisation des écosystèmes aquatiques (Le Lay, Arnoud et Comby, 2017).
L’usage d’espèces porte-drapeau pour la protection des milieux fait aussi l’objet de critiques. Le charisme d’une espèce dépend en partie de sa ressemblance avec l’espèce humaine. Les mammifères génèrent plus de sympathie que les invertébrés : « Le sort d'un scarabée ne fait pas pleurer comme celui d'un bébé phoque » (Libération, 1998, déclaration d’un opposant au tracé de l’autoroute A28 entre Le Mans et Tours, à propos du scarabée pique-prune, espèce protégée dont la découverte a finalement abouti au contournement de la forêt de Bercé par l’autoroute). On peut opposer à cette critique le capital-sympathie des abeilles, dont l’image est souvent utilisée pour justifier la population des populations d’insectes en général.
Ériger des espèces en mascotte conduit à en fournir des représentations anthropomorphiques (peluches, déguisements pour les activistes, dessins d’animaux parlant pour exprimer leur cause, etc.) et donc à protéger de ce qui ressemble à l’humain et non à protéger la nature pour elle-même. Cela pose aussi la question des milieux dépourvus d’une espèce étendard et de leur préservation. Cependant, des espèces à faible charisme initial peuvent bénéficier d’une revalorisation de leur image et aboutir ainsi à une protection ou une meilleure prise en compte de leur habitat. Ainsi, la manière dont les méduses sont mises en valeur par les jeux de lumière dans les aquariums publics permet d’améliorer leur image auprès des visiteurs et de les sensibiliser à la protection des milieux marins (Estebanez, 2014).
(JBB) novembre 2018, dernières modifications : octobre 2024.
Références citées
- Estebanez, Jean (2014), « L’océan domestiqué : les aquariums comme dispositifs d’extension de l’Ecoumène », Géoconfluences, 7 juillet 2014.
- Frazier, John (2005). Frazier, John G. 2005. "Marine Turtles: The Role of Flagship Species in Interactions Between People and the Sea." MAST. 4 (1): 5–38.
- Le Lay, Yves-François, Arnould, Paul et Comby Emeline (2017), « Le castor, un agent en eau trouble. L’exemple du fleuve Rhône », Géocarrefour [En ligne], 91/4 | 2017.
- Libération (1998). Hélène Crie-Wiesner, « Le scarabée pique-prune met l'A28 en danger. L'espèce est protégée, le projet d'autoroute bloqué », 1er juillet 1998.
- Lorimer, Jamie (2007). “Nonhuman Charisma.” Environment and Planning D: Society and Space, vol. 25, no. 5, Oct. 2007, pp. 911–932.
- Surmont Emmanuelle (2024), « Protéger la nature bleue à Mayotte : aires marines protégées, rapports de force et conflictualités », Géoconfluences, octobre 2024.