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L’image de propagande en Chine, outil du contrôle social : le cas de Pékin

Publié le 14/02/2016
Auteur(s) : Léo Kloeckner, doctorant contractuel - Université Paris 1 Panthéon Sorbonne

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Le 27 octobre 2015, l’agence de presse officielle Xinhua révèle une vidéo de promotion du XIIIe plan quinquennal (2016-2021) en anglais qui fait grand bruit dans la presse internationale et sur les réseaux sociaux chinois (Weibo et Weixin notamment). Dans le clip d’animation, des personnages (David Bowie) et des motifs (un minivan Volkswagen) inspirés de la culture populaire occidentale interpellent le spectateur et un choeur chante en anglais l’importance du plan quinquennal dans le développement économique et les réformes politiques à venir en République populaire de Chine (RPC).

Une voix féminine demande au spectateur de façon programmatique en ouverture de la séquence : « Hé, avez-vous entendu parler de ce qui se passe en Chine ? Du nouveau style du Président Xi Jinping ? [1] ». La vidéo d’animation donne le ton de ce style nouveau, en rupture avec celui plus austère des dirigeants précédents, et à l’image de la figure présidentielle que construit Xi Jinping depuis le début de son mandat, celle d’un homme simple, proche du peuple, et vivant dans son temps. Le rythme soutenu, l’univers pop convoqué par la musique, les références visuelles, le procédé d’animation et le recours à l’anglais pour s’exprimer dans la vidéo sont autant d’éléments qui semblent s’inscrire en rupture avec les méthodes de communication traditionnelles du pouvoir chinois. La communication se fait ici quasiment au second degré, sur un mode plaisantin pour le moins inhabituel dans le langage officiel. Elle témoigne dans sa forme de la capacité du Parti communiste chinois (PCC) et des instances dirigeantes à investir médias digitaux et références contemporaines pour assurer une plus large diffusion des discours officiels et de la ligne idéologique du parti.
La promotion du XIIIe plan quinquennal (2016-2021) en vidéo

Capture d'écran de la vidéo The 十三五! : China's Five-Year Plan, Xinhua, 27 octobre 2015, 3'03.

Le média utilisé, une vidéo diffusée sur Internet, et principalement sur les réseaux sociaux et les plateformes de microblogging, donc visionnée en grande partie sur des téléphones mobiles ou tablettes digitales, témoigne aussi de la capacité des discours officiels à infuser l’ensemble des supports techniques utilisés par un grand nombre de citoyens chinois. Il signifie aussi l’importance pour les autorités politiques chinoises de porter à la connaissance du public les grandes orientations politiques, de diffuser la ligne officielle, afin de légitimer leur exercice du pouvoir politique, et d’emporter l’adhésion du public. Même s’ils prennent des formes nouvelles sur les smartphones et les écrans digitaux de la Chine de l’ère des réformes et de l’ouverture, celle du socialisme de marché et de l’après-1989, les discours et récits officiels produits par les autorités chinoises continuent d’être diffusés sur des supports plus traditionnels, parce qu’ils jouent encore un rôle fondamental dans les modes de gouvernement en RPC.
L’affichage, l’exhibition de ces discours, est un des moyens privilégiés utilisés par les autorités pour les porter à la connaissance du public. Ils sont diffusés via les canaux de l’information habituellement mobilisés par la propagande politique, à savoir les médias comme la presse, l’édition, la télévision, la radio, Internet, dont la censure permet de contrôler les contenus. Ils sont également matérialisés dans l’espace public par l’affichage de campagnes de propagande, sous la forme d’images ou de slogans. Les espaces urbains offrent un grand nombre d’occasions d’affichage à cette « rhétorique de l’exhibition » (Denton, 2014), par les supports matériels, architecturaux et technologiques, qu’ils offrent, en même temps qu’ils cristallisent pour les autorités chinoises un ensemble d’enjeux sociaux et politiques qui légitiment leur communication auprès du public. L’image et le slogan sont ainsi des composantes essentielles des paysages urbains chinois, truffés de signes visuels, puisque les publicités et les campagnes émanant des autorités politiques cohabitent sur les murs des villes chinoises. Bien plus que de simples éléments du décor urbain, ces slogans et ces images sont des marqueurs des enjeux sociaux et politiques retenus par les autorités. Éphémères, soumis à des temporalités d’affichage plus ou moins longues, ils donnent à voir les recompositions sociales et économiques à l’œuvre dans les villes chinoises. Les conditions de leur élaboration et de leur insertion dans l’espace urbain montrent que ces campagnes jouent un véritable rôle pratique dans le gouvernement de la ville et dans le contrôle que les autorités centrales entendent exercer sur la société urbaine et les autorités locales.

À travers l’exemple de Pékin, nous remettons en perspective la présence matérielle de l’image et du slogan dans l’espace public urbain comme un mode de publicisation de la parole politique auquel les communistes ont donné son caractère systématique et moderne. Les campagnes de propagande que nous pouvons observer à Pékin témoignent de la diversité des enjeux qui se posent aux autorités urbaines dans une ville caractérisée à la fois par sa fonction de capitale politique historique, et par ses ambitions métropolitaines régionale et mondiale. Un des ressorts principaux de ces discours est l’identification de figures et de pratiques exemplaires, censées servir de modèles et/ou de repoussoirs aux urbains à qui s’adressent les campagnes, et dont on cherche ainsi à encadrer et normaliser les comportements. C’est pour l’État central un outil de contrôle de la population chinoise, ainsi que des autorités locales, évaluées sur leur capacité à relayer la parole officielle.

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1. L’image de propagande dans la Chine de l’ère des réformes

1.1. « Améliorer la capacité et le niveau de contrôle de l’opinion publique [2] » 

Depuis l’arrivée au pouvoir de Xi Jinping – devenu secrétaire général et président de la commission militaire centrale du PCC en novembre 2012, puis président de la RPC en mars 2013 –, les autorités centrales n’ont eu de cesse de rappeler l’importance de l’encadrement idéologique de l’opinion publique, au nom de l’harmonie sociale et de l’unité de la nation chinoise. La présidence de Xi Jinping est globalement marquée depuis ses débuts par un durcissement dans l’exercice du pouvoir, illustré par une série de purges politiques - dont la première cible a été l’ancien maire de Chongqing, Bo Xilai, dès 2012 -, dans le cadre d’une vaste campagne contre la corruption. Ce durcissement touche non seulement la classe politique mais également différents acteurs de la société civile, tels que des organisations non gouvernementales ou des figures de la vie culturelle chinoise (professeurs d’université, écrivains, cinéastes, artistes). Les voix dissidentes ou qui semblent constituer aux yeux des gouvernants une menace pour l’harmonie sociale et l’autorité du PCC sont quasiment systématiquement inquiétées. Pour de nombreux observateurs, jamais la volonté du pouvoir politique de contrôler l’opinion publique ne s’est manifestée aussi clairement dans la Chine post-Mao.

Cela apparaît comme l'un des marqueurs du « nouveau style du Président Xi Jinping » cité dans la vidéo de promotion du XIIIe plan quinquennal. En 2015, les grandes orientations officielles annoncées par les organes centraux en charge de la propagande réaffirmaient l’importance de l’encadrement de l’opinion publique et de la diffusion de la ligne idéologique officielle, en même temps que la nécessité de recentrer celle-ci autour des discours et des idées du Président Xi Jinping (Burdanski, 2015). En janvier 2015, lors de la « rencontre nationale de travail sur le contrôle de la propagande Internet », Cai Fuchao, directeur de l’Administration générale d’État de la presse, de la publication, de la radio, du cinéma et de la télévision, rappelle la nécessité d’augmenter la « capacité à la propagande », et « d’améliorer la capacité et le niveau de contrôle de l’opinion publique ». Pour David Burdanski, l’ampleur prise par cette rencontre témoigne de la stratégie du gouvernement chinois d’utiliser désormais en priorité les réseaux sociaux et Internet comme leviers privilégiés de diffusion de la propagande et d’encadrement de l’opinion publique. À l’instar de nombreux observateurs de la RPC, il souligne l’importance  prise par la figure du Président Xi Jinping dans les discours officiels, autre nouveauté dans la Chine des réformes. Cela se traduit par la très grande couverture accordée par les médias officiels aux activités du Président et par la publication en plusieurs volumes de ses discours politiques les plus marquants.
L’omniprésence de Xi Jinping dans la presse nationale

L'étude publiée par le China Media Project en novembre 2014 révèle que Xi Jinping est, depuis Mao Zedong (1949-1976) et Hua Guo Feng (qui lui succéda de 1976 à 1978), le Président dont le nom est cité le plus souvent dans les pages du Quotidien du Peuple. Les occurrences étant mesurées au cours des 18 premiers mois du mandat de chacun des leaders du PCC, il apparaît bien qu’il ne s’agit pas, dans le cas de Xi, d’une stratégie de communication de début de mandat, mais bien d’un mode d’exercice du pouvoir qui lui est propre, et avec lequel les dirigeants avaient pris leur distance depuis Mao (Burdanski, 2015).

Certains n’hésitent pas en effet à parler de culte de la personnalité et à comparer la figure de « Xi dada » ou « oncle Xi », ainsi que l’ont surnommé les internautes, à celle du grand timonier Mao (Osnos, 2015). Certaines campagnes de propagande sont désormais entièrement articulées autour de sa figure, en particulier sur Internet, où, en octobre 2013, est publiée une vidéo sur la fonction présidentielle chinoise [3], à laquelle succèdent en 2015 trois vidéos faisant la promotion de la politique anti-corruption menée par Xi Jinping, « la ligne de masse » (Osnos, 2015) [4]. L’omniprésence sur les murs et les écrans de RPC de la campagne de propagande faisant la promotion du « rêve chinois », slogan et programme énoncé par Xi Jinping dès son arrivée au pouvoir, témoigne de cette double dynamique, de saturation du paysage visuel par le discours officiel, et de réaffirmation d’une figure présidentielle charismatique et puissante.

1.2. Assurer la légitimité du PCC dans la Chine post-1989

L’intensification récente des campagnes et l’évolution de leur contenu ne doit pas faire perdre de vue que la propagande et la production de discours officiels légitimant le pouvoir du PCC n’ont eu de cesse d’être une priorité du gouvernement de la RPC depuis les manifestations étudiantes de 1989, et constituent un mode d’exercice du pouvoir politique et de gouvernance récurrent dans un contexte politique autoritaire, notamment communiste (Brady, 2007 ; Rawnsley, 2013).
Les années 1980, après la mort de Mao et l’arrivée au pouvoir de réformateurs libéraux, constituent une parenthèse, pendant laquelle les pouvoirs du Département central de la propagande [5] sont réduits, le chef du système de la propagande de 1985 à 1987, Zhu Houze, allant même jusqu’à encourager la société chinoise à être plus créative (Brady, 2007). L’abandon progressif des campagnes de mobilisation de masse, destinées sous Mao à emporter l’adhésion du peuple au projet révolutionnaire et le relatif laisser-faire en matière de contrôle idéologique, qui va de pair avec l’affaiblissement (financier et institutionnel) du Département de la propagande, sont stigmatisés par les dirigeants de l’après-1989. Les manifestations étudiantes des mois d’avril à juin 1989 à Pékin, réprimées avec une grande violence, ont ébranlé l’autorité du PCC, pour qui l’enjeu est désormais d’asseoir sa légitimité comme parti unique (Brady, 2007 et 2011). L’expérience de la fin de l'URSS semble confirmer, aux yeux des autorités chinoises, la nécessité du maintien du contrôle idéologique pour la pérennité du régime socialiste.

Complément : Le système de la propagande dans la RPC en 2015

Après 1989, les moyens financiers et humains du Département central de la propagande sont augmentés. Le renforcement du contrôle du paysage visuel chinois, et en particulier pékinois, se traduit à la fois par le retour dans l’espace public urbain de campagnes de propagande de mobilisation des masses normatives et démonstratives, et par le contrôle étroit des acteurs autorisés à afficher. Depuis la suppression en 1980 du droit pour chaque citoyen chinois à calligraphier et afficher un dazibao (littéralement en chinois, « affiche écrite en grands caractères »), qui avait été garanti par la Constitution de 1975, suppression prononcée pour mettre un terme définitif à la mobilisation citoyenne autour du « mur de la démocratie » en 1979, ce sont les autorités politiques qui exercent seules, au moins en théorie, un contrôle total sur ce qui s’affiche sur les murs de la ville. Cette pratique du recours au dazibao, instrumentalisée par Mao dans le contexte de la Révolution culturelle, est bien plus ancienne et déjà attestée dans la Chine impériale. La calligraphie et l’affichage de la loi ou d’une revendication, d’une plainte ou d’une injustice sont des pratiques traditionnelles et centrales dans l’exercice du pouvoir politique en Chine (Thireau, 2010 ; Alleton, 2008), et témoignent d’une place importante de l’image dans la civilisation matérielle et la culture chinoises (Kloeckner, 2012).

1.3. Une marchandisation de la communication officielle ?

Les nouvelles orientations économiques et le passage progressif au socialisme de marché à partir de 1978, l’abandon de la rhétorique révolutionnaire par les autorités et l’impossibilité d’une mobilisation politique citoyenne après 1989 créent un certain vide idéologique (Denton, 2014). Les autorités lancent le projet de la « civilisation spirituelle » (jingshen wenming) afin de répondre à ce vide et pour faire pendant à la promotion de la « civilisation matérielle » (wuzhi wenming). La « civilisation spirituelle » succède comme élément central dans le dispositif du contrôle idéologique à l’« éducation politique » (zhengzhi jiaoyu) maoïste (Brady, 2007). Le discours politique s’adoucit et abandonne la rhétorique révolutionnaire martiale pour la promotion de valeurs plus consensuelles ou du moins plus à même de susciter un sentiment de communauté (Broudehoux, 2004 ; Denton, 2014).

Aujourd’hui encore, les termes de « civilisation », « civilisé », « spirituel » ou « esprit » irriguent la production de discours dans l’espace urbain (Boutonnet, 2011), comme l’illustre la campagne de l’« esprit de Pékin », (Beijing jingshen), initiée en 2011 par les autorités municipales pour populariser quatre valeurs considérées par le PCC comme étant fondamentales dans la construction du socialisme.
Ce changement de ton s’accompagne, dans la forme, de ce qui ressemble à une marchandisation, selon les méthodes et les standards de la publicité ou de la communication politique du monde capitaliste. L’usage de l’anglais est de plus en plus courant dans les campagnes de propagande - en tout cas dans celles qui ne sont pas adressées aux seuls Pékinois - comme c’est le cas dans la campagne de l’« esprit de Pékin », qui relève autant du marketing urbain que de la campagne de propagande.
L’usage de l’anglais et l’adoption de code visuels et graphiques élaborés dans le monde de la publicité marchande reflète les transferts de technologie et de compétences survenus entre secteur publicitaire et secteur de la propagande au cours des années 1990, à l’occasion des réformes économiques. Le Département central de la propagande recrute aujourd’hui de nombreux diplômés en communication et marketing, et a été rebaptisé Département central de la publicité du PCC, ce qui témoigne bien d’une certaine marchandisation, ou à tout le moins d’une privatisation des cadres (Lewis, 2002).
La campagne de l’"esprit de Pékin", lancée à l’hiver 2011

Dans le métro de Pékin, panneau rétroéclairé qui présente les quatre valeurs clefs : le "patriotisme" (littéralement "l’amour du pays" en Chine, un terme plus doux ici que celui de nationalisme), l’"innovation", l’"ouverture" ou "tolérance", et la "vertu" (dans un sens très proche de la virtus latine). En arrière-plan, une skyline dessinée des monuments iconiques de la capitale, montre à la fois le vieux Pékin (le temple du Ciel) et la métropole mondialisée (le siège de la télévision centrale et les gratte-ciel du quartier d’affaires).

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2. Un marqueur visuel des enjeux urbains

Les campagnes de propagande à Pékin témoignent de la diversité des enjeux qui se posent aux autorités dans une ville caractérisée à la fois par sa fonction de capitale politique historique, et par ses ambitions métropolitaines régionale et mondiale. La place occupée par les supports visuels diffusés par les autorités dans l’espace urbain est telle que l’on peut parler de paysage visuel pour désigner l’ensemble de ces artefacts, même si ce paysage est loin d’être uniforme étant donné la pluralité des acteurs impliqués dans sa production, et la diversité des enjeux économiques et sociaux qui suscitent cette production de discours.

L’espace urbain offre des occasions d’affichage importantes, à la mesure du nombre de murs et de surfaces verticales disponibles. La clôture systématique des îlots résidentiels par des murs ou des barrières mais aussi les sites de chantiers nombreux dans une ville en transformation offrent le double avantage de permettre d’afficher davantage et surtout garantit à ces supports visuels un public captif : la clôture résidentielle et le cloisonnement de l’espace contraignent les circulations.
Depuis l’arrivée au pouvoir de Xi Jinping, le slogan et le texte ont repris de l’importance sur l’iconographie. Les campagnes se succèdent dans l’espace urbain au rythme de l’agenda politique local et national, et font du paysage visuel pékinois un véritable palimpseste, puisque des images ou des slogans révolus subsistent parfois. Les transformations urbaines accélérées limitent aujourd'hui ce phénomène dans le centre-ville, mais il n’est pas rare dans les périphéries agricoles de la municipalité de voir des campagnes de propagande des années 1980, notamment celles qui avaient été réalisées en céramique pour pouvoir durer plus longtemps, lorsque le mur sur lequel elles étaient fixées a échappé à la destruction. La rupture avec les campagnes actuelles n’est pas totale, mais, dans les années 1980, la communication visuelle officielle n’est pas encore marchandisée dans sa forme et les rares témoins qui subsistent donnent à voir des formes de modernité qui semblent bien loin des réalités économiques et sociales de la capitale contemporaine.
La nouvelle campagne des « valeurs centrales du socialisme », initiée en 2015

Panneau en vinyle installé sur le mur d’enceinte d’un marché dans le centre de Pékin. On peut lire à droite, les douze valeurs réparties en quatre colonnes.
L’image et le slogan de propagande n’ont pas une présence diffuse dans l’espace urbain, ils se signalent par leur taille imposante et leurs couleurs vives, celles du parti et du drapeau chinois, le rouge et le jaune.

 

Campagne des années 1980 sur le mur en céramique d'une école

"Aimer le socialisme", dans le centre de Pékin.

et sur le mur en céramique d'une ferme

"Faire attention à la distance de sécurité entre les lignes électriques et l’antenne de télévision", à Xiji, district de Tongzhou (voir la carte, infra).

2.1. « Le rêve chinois »

La campagne la plus importante du moment en Chine est sans conteste celle du « rêve chinois » (zhongguo meng). Elle marque l’arrivée au pouvoir de Xi Jinping au début 2013, puisque c’est lors de son discours inaugural qu’il énonce cette formulation et son programme de « rajeunissement de la grande nation chinoise » [6]. En cela, il s’inscrit dans la geste des dirigeants chinois qui ont chacun formulé un slogan programmatique en début de mandat, le « rêve chinois » succédant à la « société harmonieuse » (hexie shehui) de son prédécesseur Hu Jintao (Boutonnet, 2009). Le slogan est suffisamment flou pour permettre une identification collective à un projet de grandeur associé en images à des valeurs pacifiques. D’après une étude menée par la Harvard Business School sur la réception de cette campagne dans les médias sociaux en 2013, plus de 41 % des internautes associaient le slogan du « rêve chinois » à celui du peuple, alors que seuls 21 % d’entre eux voyaient dans ce rêve celui de l’État chinois [7].
Le slogan est décliné dans de très nombreuses campagnes de propagande et la relative obscurité de sa formulation permet de le servir sous de multiples versions.

La campagne du « rêve chinois »
Dans les rues de Pékin

"Patrie, mère, profonde gratitude", écran digital géant suspendu à une passerelle entre deux bâtiments à Pékin.
Sur l’écran sont diffusés en alternance des contenus politiques et publicitaires.

« Le rêve chinois, le rêve du métro »

Panneau rétroéclairé dans le métro de Pékin. Sur la gauche de l’affiche, le train tire dans son sillage les termes de "métro", "rêve", "Chine", "Pékin", "puissance", "développement de la grande vitesse". Il est ici fait référence au projet de puissance et de grandeur nationale, interprété comme l’avènement d’une modernité urbaine métropolitaine.

La campagne est très aboutie visuellement, et marque un tournant important dans la communication officielle et les stratégies visuelles du Département central de la propagande. Elle met en scène des formes d’art folklorique traditionnel, chacune des réalisations ayant été sélectionnée par le Comité artistique de la communication publique. On peut y voir des poteries d’argile, de nombreux papiers découpés, des reproductions de gravures sur bois, de la peinture à l’encre de Chine. À la reproduction de ces œuvres est systématiquement associé un slogan formulé de façon poétique voire une citation littéraire d’un classique chinois. C’est la nation chinoise entière qui est convoquée sur les murs de Pékin, à travers ses productions folkloriques et la mise en scène d’artefacts ou de poèmes témoignant d’une richesse historique et d’une diversité nationale et géographique, vécue sur un mode harmonieux. La nouveauté dans cette campagne, c’est la multiplicité des références, notamment confucéennes ou prérévolutionnaires, mettant en scène un folklore autrefois méprisé comme réactionnaire, qui coexistent avec des références visuelles au réalisme socialiste.

À l’Université de Pékin

En haut : "le rêve chinois, mon rêve". Cette petite fille est devenue extrêmement célèbre en quelques semaines, rencontrant un vif succès auprès des internautes et du public, au point d’incarner la campagne et le slogan ;
en bas : "La morale naît dans la frugalité".
Sur l’affiche est précisée la provenance des œuvres, ici les sculptures d’argile de l’atelier de
Nirenzhang, à Tianjin.

En haut : "Comme un dragon dans le ciel, la nation chinoise s'élève à l’horizon ;
en bas : "Dans la réalisation de ses rêves, la Chine a le vent en poupe".
Papiers découpés rouges provenant du comté de Yuncheng dans la province du Shanxi.

2.2. Les campagnes éditées par la Municipalité, entre marketing urbain et défis environnementaux

Sur les murs de Pékin se donnent aussi à voir des enjeux plus locaux, à travers les campagnes d’affichage éditées par la Municipalité, les autorités d’arrondissement ou de district. Parfois, certaines campagnes nationales, à l’instar de celle de promotion des « valeurs centrales du socialisme », prennent une couleur locale, parce que la Municipalité ne se contente pas de reprendre la ligne idéologique officielle annoncée par les autorités centrales et dispose d’une certaine latitude pour la réalisation des supports visuels diffusés dans l’espace public. Cela donne ainsi à Pékin une campagne nationale, faisant la promotion des douze valeurs centrales du socialisme, mais aux couleurs de Pékin. Si les éléments de langage et les formulations ne changent pas de ceux que l’on pourrait rencontrer dans une autre ville pour la même campagne, l’iconographie en revanche ancre le message dans le paysage pékinois, sans doute pour susciter l’adhésion et l’identification.

La campagne des "valeurs centrales du socialisme" à Pékin
"Patriotisme, dévouement, honnêteté, fraternité"

Panneau de vinyle sur une palissade de chantier à Pékin.

Ci-dessus, le slogan est accompagné d'un paysage urbain standard.
Ci-contre, dans un décor citant des hauts lieux du tourisme et du socialisme dans la capitale, les valeurs de "démocratie", "harmonie", "liberté" et "patriotisme" sont identifiées respectivement par l’Assemblée du peuple, la tour de CCTV (la télévision centrale chinoise), la grande muraille de Chine et la place Tian’anmen.

"Les valeurs centrales du socialisme" en vignettes

Affichette collée à l’entrée d’un complexe résidentiel à Pékin.
De gauche à droite et de haut en bas : "prospérité", "démocratie", "civilisation", "harmonie", "liberté", "égalité", "impartialité", "État de droit", "patriotisme", "dévouement", "honnêteté", "amitié".

Certaines campagnes menées par la Municipalité sont véritablement spécifiques à la ville de Pékin et répondent aux enjeux qui se posent aux autorités. Depuis plusieurs années, les campagnes de mobilisation et de sensibilisation de l’opinion publique à propos de la pollution se sont multipliées dans toute la Chine. Depuis 2013, les autorités pékinoises ont accepté de reconnaître le grave problème de pollution atmosphérique auquel doivent faire face les habitants. Les résidants n’avaient pas attendu les campagnes officielles pour dénoncer les nuisances sur les réseaux sociaux et les sites de microblogging notamment, aussi les campagnes visant à promouvoir des comportements non polluants apparaissent comme en décalage non seulement avec la réalité quotidienne des Pékinois qui doivent affronter le "smog" mais aussi avec l’attitude effective des autorités, qui rechignent à faire appliquer les régulations anti-pollution, tant les intérêts financiers et industriels en jeu sont importants.
D'autres campagnes sont liées à la capacité des autorités municipales à exercer certaines prérogatives en matière de gouvernement urbain. Un grand nombre des campagnes municipales ou locales sont liées à la diffusion des règlements urbains et de la loi. En 2015, la Municipalité de Pékin a par exemple mis en place une politique anti-tabac relativement efficace qui a donné lieu à une grande campagne d’affichage. Après avoir tenté plusieurs fois sans succès de bannir le tabac des lieux publics, les autorités municipales ont mis en place des sanctions plus sévères et ont déployé un arsenal administratif et coercitif plus conséquent pour garantir l’application de la mesure. Des policiers ont été chargés de veiller à ce que la mesure soit respectée et une hotline a été mise en place pour faciliter la dénonciation des contrevenants.

Campagne anti-tabac

 "Une vie sans tabac, nous en profitons toi et moi". "La 'réglementation concernant le contrôle des fumeurs dans la municipalité de Pékin' prend effet le 1er juin 2015 : les fumeurs contrevenant à la loi s’exposent à des amendes pouvant aller jusqu’à 200 yuans pour les individus et 10 000 yuans pour les entreprises. Ligne téléphonique de signalement et de dépôt de plainte : 12320".

Campagne "Redoubler d’efforts pour un joli Pékin"

« Respirer le même air, une responsabilité collective, un effort partagé ». Sous les portraits et les signatures de Guo Chuan, navigateur en solitaire, et de Nie Yijing, présentatrice télé, est écrit : « ambassadeurs d’intérêt public pour la protection de l’environnement à Pékin ».

2.3. Les campagnes officielles, révélatrices de la façon dont les autorités perçoivent les publics auxquels elles s’adressent

Le contenu des supports diffusés sur les murs de Pékin varie en fonction des objectifs poursuivis, de même que les formulations de la parole officielle varient en fonction des publics auxquels elle s’adresse.

Prenons l’exemple de la politique de contrôle des naissances, pilier du contrôle social par le PCC, bien qu’elle ait été assouplie en 2015 avec la fin de la politique de l’enfant unique. Cette dernière n’est pas présente de la même façon sur tout le territoire de la municipalité de Pékin et elle n’est pas promue dans les mêmes termes selon le contexte socio-économique des populations auxquelles elle s'adresse. Proportionnellement à l’ensemble des supports visuels diffusés dans l’espace urbain, la politique de contrôle des naissances occupe une place plus importante que la promotion de la ligne idéologique officielle dans des territoires marqués par une certaine marginalité sociale et territoriale. Elle est en revanche rare en centre-ville.

Cette géographie sommaire de la répartition des campagnes sur le territoire municipal révèle la manière dont le pouvoir produit des formes d’exemplarités et en fait le récit de manière différenciée en fonction des populations cibles. La spatialisation de ces campagnes d’affichage donne à voir la manière dont le pouvoir se représente la répartition des groupes sociaux à l’échelle municipale. Les autorités semblent s’adresser à un public qu’elles supposent moins éduqué, plus susceptible d’enfreindre les règles du contrôle des naissances voire même à qui elles attribuent des pratiques archaïques, quand elles communiquent dans les périphéries rurales de Tongzhou, alors même que le bourg de Xiji est prospère et bien intégré en termes fonctionnels et économiques au district de Tongzhou.
Le bourg de Xiji, dans les marges rurales de la municipalité de Pékin

Campagnes de planning familial dans la périphérie rurale de Pékin (bourg de Xiji, district de Tongzhou)

Panneau en PVC.
"Contrôler le nombre d’habitants pour améliorer la qualité de la population".

Panneau en PVC.
"Pourquoi les mariages consanguins sont-ils dangereux ?".

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3. La fabrique de la ville modèle

Un des ressorts principaux des discours officiels est l’identification de figures et de pratiques exemplaires, censées servir de modèles et/ou de repoussoirs aux urbains à qui s’adressent les campagnes, et dont on cherche ainsi à encadrer et normaliser les comportements. Cette domination du régime de l’exemplarité dans les campagnes de propagande permet de questionner le statut des supports visuels diffusés dans l’espace public. Ces derniers visent à susciter de l’exemplarité parmi les urbains, et à permettre aux autorités locales de parvenir à leurs objectifs en matière de gouvernement urbain et d’encadrement des conduites, de prévention d’éventuels comportements déviants, potentiellement dangereux pour l’harmonie et l’ordre urbain. Mais ils sont aussi indirectement un moyen pour les autorités urbaines de s’afficher elles-mêmes comme exemplaires, aux yeux du public comme des autorités centrales.

3.1. Devenir une « ville civilisée »

La production de récits d’exemplarités au service d’une réforme des mentalités et des comportements est un ressort classique des modes de gouvernement dans les pays autoritaires. En Chine, le recours à la production de figures exemplaires au service de la mobilisation des masses pour la révolution et la modernisation économique du pays a été particulièrement intense pendant le Grand Bond en avant, épisode d’industrialisation accélérée et de mobilisation violente des masses paysannes. Dans les années qui ont suivi, les communes populaires ou industrielles qui réussissent à remplir et dépasser les objectifs de production fixés par l’État ont eu pour modèles respectifs Dazhai et Daqing (Sanjuan, 2010). La propagande maoïste donne alors naissance à la figure d’exemplarité dont la postérité a été la plus longue dans l’histoire de la Chine communiste après Mao : Lei Feng. Image d’Épinal du bon soldat dévoué à la cause du peuple et à l’Armée de libération populaire, il est élevé au rang de héros et de modèle à suivre en 1962, un an à peine après sa mort (Sanjuan, 2005). Dès 1963, est fondé un programme qui existe encore, « apprendre de Lei Feng » et le 5 mars devient la « journée comme Lei Feng », dédiée à la réalisation de bonnes actions.

Puisqu’il incarne encore aujourd’hui la figure exemplaire par excellence, de nombreuses campagnes de propagande qui en appellent à une civilisation spirituelle et une modernisation sociale font directement référence à lui. C’est le cas des campagnes de mobilisation déployées par les acteurs urbains, municipaux ou à l’échelle de l’arrondissement, pour décrocher le titre de « ville civilisée de la nation » (quanguo wenming chengshi). Le système d’évaluation des villes civilisées existe depuis 2005 et il fonctionne comme une compétition entre villes ou quartiers pour décrocher un label. C’est la commission centrale de direction de la construction de la civilisation spirituelle qui délivre le titre de ville civilisée, si les gouvernements urbains candidats ont rempli les conditions requises dans des domaines aussi divers que le niveau de service urbain, l’efficacité des campagnes de propagande, le nombre d’équipements publics, la gestion du budget ou la qualité environnementale. Pour Carolyn Cartier, « la campagne de la ville civilisée de la nation est une forme de mobilisation ou d’"agitprop" post-socialiste descendante (top-down) et commercialisée », qui donne lieu à la diffusion dans l’espace public de slogans très nombreux exhortant à la construction d’une civilisation spirituelle et à la modernisation urbaine (Cartier, 2014 : 265).
La campagne "Chaoyang civilisé"

Banderole de vinyle dans l’arrondissement de Chaoyang.
"Étudier l’esprit de Lei Feng, être une personne morale" , Bureau de construction de la civilisation spirituelle de l’arrondissement de Chaoyang. Le petit personnage sur la gauche est la mascotte du programme "Chaoyang civilisé".

C’est précisément parce que le niveau d’éducation légale et idéologique de la population fait partie des critères d’évaluation pour l’obtention du titre de « ville civilisée », que ces campagnes donnent lieu à des activités de mobilisation de masse qui rappellent en effet l’"agitprop" soviétique ou maoïste. La ville de Wuhan a, par exemple, organisé en décembre 2014 des séances obligatoires de récitation des slogans des campagnes de propagande en cours, afin de s’assurer que la population avait une connaissance suffisante de la ligne idéologique officielle pour que les autorités municipales puissent espérer décrocher le label de « ville civilisée » [8].

3.2. « Être un Pékinois civilisé et poli »

Les campagnes de construction de la civilisation spirituelle sont l’occasion de produire des discours très injonctifs et d’opérer une mobilisation de la population sur le registre de l’amélioration de soi.

Parfois, l’injonction s’affiche jusque dans des espaces habituellement exempts du regard des autorités ou de la main du parti, comme les restaurants ou les toilettes publiques. Dans le contexte de promotion de la « frugalité » comme valeur centrale du socialisme et comme levier idéologique de la lutte contre la corruption des cadres portée par Xi Jinping, des campagnes contre le gaspillage alimentaire sont apparues sur les murs et les tables des restaurants en ville. Et les appels à la propreté sont énoncés jusque dans les toilettes publiques. Les campagnes de civilisation spirituelle sont ainsi devenues, avec le programme de la ville civilisée de la nation, de véritables leviers de contrôle social et de transformation des comportements. En réponse à des politiques sanitaires ou pour produire une image lisse de l’environnement urbain dans un contexte d’exposition médiatique internationale comme lors des Jeux olympiques ou de grands sommets internationaux à Pékin, elles stigmatisent parfois certaines pratiques quotidiennes comme antithétiques de la civilisation, à l’instar des campagnes anti-crachat (Kloeckner, 2012).

Campagne de promotion de la frugalité

Dans un restaurant du district de Dongcheng, près du menu, trois affiches invitent les clients à "Préparer des aliments sains, qu'on peut manger le coeur léger. S'opposer au gaspillage jusque dans l'assiette. Manger avec civilité, trouver son bonheur dans la frugalité" (affiche de gauche), "créer ensemble un district urbain civilisé, profiter tous ensemble d’une belle vie. Se conduire de façon honorable, Agir en tenant ses promesses" (affiche de droite). Sur l’affiche du milieu sont calligraphiées en style cursif les douze valeurs centrales du socialisme. 

Campagne d'hygiène dans les toilettes publiques

"Un petit pas en avant, c’est un grand pas pour la civilisation".
Dans de nombreuses toilettes publiques est affiché un appel à la propreté. Le slogan officiel a ici été repris par les propriétaires d'un restaurant de Pékin qui l'ont affiché au dessus des urinoirs.

 

Les campagnes menées par le Bureau de construction de la civilisation spirituelle de la municipalité de Pékin ne se font cependant pas toujours sur ce mode injonctif et intrusif, elles donnent également à voir sur les murs de la ville des exemplarités positives. Sur le modèle de Lei Feng, la Municipalité a lancé en 2011 une campagne qui retient l’attention des passants, et élit et récompense les meilleurs Pékinois de l’année. Intitulée « Pékinois modèles » (Beijing bangyang), l'opération met à l’honneur des individus exemplaires dans leur manière d’agir, souvent parce qu’ils se mettent au service des autres, se sacrifient ou se dévouent en faveur des plus faibles. Le slogan de la campagne, « j’apprends des modèles et j’agis en conséquence » fait des portraits des lauréats qui sont affichés en ville, des exemples à suivre, le but de la campagne n’étant pas de distribuer des récompenses à de braves citoyens mais plutôt de susciter une envie d'imitation. Les candidats sont sélectionnés dans la population pékinoise par le comité organisateur de la campagne sur recommandation, soit des autorités locales, par exemple au sein du comité de résidants où les autorités côtoient les habitants de façon quotidienne, soit  des médias ou du grand public.

"Suivre la ligne des valeurs centrales du socialisme, être un Pékinois civilisé et poli"

Banderole de tissu, Pékin.
L’appel à la réforme de son comportement se fait directement à l’adresse des individus, désignés de façon très directe.

 

Dans le parc de Beihai à Pékin, affiche "Pékinois modèles, portraits des lauréats"

Un homme lit attentivement l’un des portraits de la campagne des "Pékinois exemplaires", celui de M. Yan Zhiguo : "Yan Zhiguo, homme, cadre retraité de la Poste aérienne de Pékin. Cinq jours après son mariage avait lieu le grand tremblement de terre de Tangshan, laissant sa femme paraplégique. En 38 ans, il n’est jamais parti, il n’a jamais renoncé : il est resté auprès de sa femme, se dévouant pour la soigner".

La campagne "Pékinois modèles" en 2011

Source : site Internet de la campagne
Le site donne l'objectif, les étapes du calendrier depuis la recommandation jusqu'à la sélection, puis le mode d'élection, à laquelle peuvent participer les internautes. En haut, dans l’un des écussons donnant des exemples de comportements modèles, on voit un portrait de Lei Feng, portant un chapeau de l’armée chinoise. 
Pour voir l'image en meilleure résolution cliquer ici.

Les campagnes de propagande et de mobilisation collective qui mettent en scène la participation des citoyens ordinaires, par Internet ou par téléphone, sont de plus en plus nombreuses. Elles sont sans doute un moyen pour les autorités locales d’envoyer aux populations urbaines le signal de leur volonté de les intégrer au gouvernement urbain local en les faisant participer à l’élaboration de modèles sociaux, et de créer un sentiment de communauté en les impliquant dans la course au titre de ville ou arrondissement civilisé.

3.3. La propagande, critère important d’évaluation des autorités urbaines

Ces campagnes sont aussi un moyen pour les gouvernements locaux de signaler aux autorités centrales à la fois leur capacité à encadrer les masses et leur force d’occupation du terrain. On peut légitimement questionner le statut des campagnes de promotion des valeurs centrales du socialisme, ou des campagnes de candidature à la « ville civilisée » comme moyen de contrôle des administrés. Si les autorités urbaines déploient une telle énergie à manifester leur investissement dans la modernisation urbaine, la mobilisation des masses et la transformation des conduites sociales par un affichage omniprésent, c’est parce que l’obtention du titre de « ville civilisée » est une validation de leur capacité à bien gouverner et donc potentiellement un sésame pour une promotion au sein du PCC ou de l'administration urbaine (Cartier, 2014 ; Dutton, 2008).
Ainsi ces campagnes, et l’ensemble des matériaux visuels, images et slogans, présents sur les murs de Pékin, sont-ils destinés autant aux cadres évaluateurs qu’aux publics auxquels ils s’adressent. À cet égard, la notion de « fonction d’avertissement » de la propagande, mise en évidence par Huang Haifeng, est intéressante : il affirme que la seule présence dans l’espace urbain des campagnes d’affichage compte autant que l’efficacité de leur contenu et qu’une de leurs fonctions est d’avertir indirectement le public de la capacité des autorités à être présentes dans l’espace urbain (Huang, 2016). Plus encore, cette « fonction d’avertissement » de la propagande sert aux autorités locales à signaler à leurs rivales ou au gouvernement central qui les évalue et détermine leur carrière, qu’elles sont engagées pleinement et efficacement dans le gouvernement urbain.


Conclusion

La propagande et les discours officiels constituent un pilier central dans l’exercice du gouvernement urbain en Chine. Le contexte autoritaire fait de la mobilisation de masse par l’image un outil du contrôle social privilégié pour les autorités urbaines. Le paysage visuel pékinois peut être considéré comme le produit d’une gouvernance fortement marquée par des relations de pouvoir descendantes, de type top-down, bien que le pouvoir mette en scène la participation de la base dans l’élaboration des modèles urbains et sociaux légitimes. Les autorités municipales et locales ne sont cependant pas totalement maîtresses de ces relations hiérarchiques, puisqu’il s’agit également pour elles, à travers les campagnes de propagande, de manifester au pouvoir central leur capacité à être des gouvernants modèles, dans un contexte marqué depuis le début des années 2010 et l’arrivée au pouvoir de Xi Jinping, par la volonté affichée du pouvoir central de contrôler davantage les autorités locales.

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Notes

[1] "Hey have you guys heard what’s going on in China ? President Xi Jinping new style ?"

[2] "Tígao yúlùn yindao nénglì hé shuipíng"», discours de Cai Fuchao, directeur de l’Administration générale d’État de la presse, de la publication, de la radio, du cinéma et de la télévision, en janvier 2015, lors de la « rencontre nationale de travail sur le contrôle de la propagande internet » (Quánguó wangluò xuanchuán guanli gongzuò huìyì) (Burdanski, 2015).

[3] "How Leaders are Made", vidéo publiée en octobre 2013, 5'28, en anglais, visible sur YouTube.

[4] Compilation des trois vidéos de la campagne anti-corruption du Nouvel An chinois 2015, vidéo publiée en février 2015, sous-titres en anglais, visible sur YouTube.

[5] ou zhonggong gongchandang zhongyang weiyuanhui xuanchuanbu, 中共共产党中央委员会宣传部

[6] ou zhonghua minzu weida fuxing de zhongguo meng, 中华民族伟大复兴的中国梦

[7] Étude menée par Chris Marquis et Zoe Yang, de la Harvard Business School. Une version de leur travail a été publiée dans le numéro de juin 2013 de China Economic Report (Zhongguo Jingji Baogao) publié par le Centre de recherche du conseil des affaires d’État.

[8] Source : Cao Siqi, "Wuhan rolls out ‘socialist core values’ recitation campaign", Global Times (journal officiel chinois), 26 décembre 2014.

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Pour compléter :

Ressources bibliographiques

 

Ressources webographiques
Les sites universitaires
  • China Media Project : centre d’études journalistiques et médiatiques de l’Université de Hong Kong.
  • Line 21 Project : site australien qui contient des articles et surtout une banque d'images en libre accès sur la propagande contemporaine (de 2005 à aujourd'hui) et la diplomatie publique de la RPC.
  • Transnational China Project : programme de recherche basé à l’Université de Rice au Texas, États-Unis. Données en ligne et banque d’images sur la propagande dans les villes chinoises depuis les années 1990.
Les sites officiels

 

Léo KLOECKNER,
doctorant contractuel, Université Paris 1 Panthéon Sorbonne, UMR 8586 Prodig

conception et réalisation de la page web : Marie-Christine Doceul,

pour Géoconfluences, le 10 février 2016

Pour citer cet article :
Léo Kloeckner, « L’image de propagande en Chine, outil du contrôle social : le cas de Pékin », Géoconfluences, 2016, mis en ligne le 14 février 2016
URL : http://geoconfluences.ens-lyon.fr/informations-scientifiques/dossiers-regionaux/la-chine/corpus-documentaire/image-de-propagande-en-chine/

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Pour citer cet article :  

Léo Kloeckner, « L’image de propagande en Chine, outil du contrôle social : le cas de Pékin », Géoconfluences, février 2016.
https://geoconfluences.ens-lyon.fr/informations-scientifiques/dossiers-regionaux/la-chine/corpus-documentaire/image-de-propagande-en-chine