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Les Nouvelles routes de la soie en Asie centrale dans la stratégie géoéconomique chinoise

Publié le 02/12/2024
Auteur(s) : Marie Hiliquin, docteure en géographie, aménagement et urbanisme, postdoctorante - IRSEM Europe

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Par sa position de carrefour entre Chine et Europe, l'Asie centrale est le pivot terrestre des Nouvelles routes de la soie. La Chine y investit des capitaux variés et tente d'accroître son influence régionale. Elle emploie des moyens considérables pour surmonter les très fortes contraintes dans cette région montagneuse et désertique. Le succès est toutefois en demi-teinte et cette politique rencontre localement des résistances, voire un rejet de la part des populations.

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Le 7 septembre 2013, le Président chinois Xi Jinping prononce un discours à l’Université Nazarbaïev à Astana, la capitale du Kazakhstan, portant sur « l’importance de l’amitié entre les peuples et du travail commun pour construire l’avenir » (Ministry of Foreign Affairs of PRC, 2013). Xi Jinping propose pour la première fois la construction conjointe du projet des routes de la soie ou Belt and Road Initiative (BRI), alors sous le nom de « One belt one road ». Le choix d’annoncer le projet à Astana au Kazakhstan, pays voisin de la Chine et important fournisseur de ressources énergétiques, annonce les prémices d’une collaboration indispensable à la Chine pour mener à bien son initiative. Les Nouvelles routes de la soie, traduction française de la BRI, sont un projet de développement économique et politique dont la légitimité repose sur l’imaginaire géographique des routes de la soie antiques (de Montety, 2016). Le gouvernement chinois propose de développer des axes commerciaux maritimes et terrestres. Si aucun objectif chiffré n’a été publié à ce jour, le gouvernement chinois a élaboré des plans de mise en œuvre, des feuilles de route ainsi que des plans et mesures pour la coopération régionale. Les voies de communication principales ciblées pour la BRI se coordonnent de la façon suivante :

  • Trois routes terrestres : une première vers l'Europe via l'Asie centrale et la Russie, une route vers le Moyen-Orient via l'Asie centrale et une route vers l'Inde contournant l’Himalaya par l’est ;
  • Deux routes maritimes : une première en direction de l'Europe via l'océan Indien et une seconde vers la région du Pacifique Sud via la mer de Chine méridionale ;
  • Enfin, six « corridors » : le nouveau pont terrestre eurasien (un corridor reliant la Chine, la Mongolie et la Russie), Chine–Indochine, Chine–Asie centrale-Asie de l'Ouest, Chine–Pakistan et Bangladesh–Chine–Inde–Birmanie (Lasserre et al., 2023 ; Wang, 2016).

L'Asie centrale revêt une importance stratégique cruciale pour le fonctionnement des routes de la soie terrestres. C’est également lors du sommet de l'Organisation de Coopération de Shanghai (OCS) à Astana en décembre 2014 que Xi Jinping expose les principaux éléments de la Silk Road Economic Belt (SREB), une composante fondamentale de la BRI (Wang, 2016). Tous les pays d'Asie centrale sont ciblés par l’initiative et la région attire d’importants investissements, chinois comme occidentaux. La BRI pourrait donc réunir la Chine et l’Asie centrale dans un cadre régional renouvelé. Sébastien Colin et Julien Thorez (2023) soulignent que « depuis le tournant des années 1990, les "routes de la Soie" ne sont pas seulement un instrument mobilisé par les puissances régionales et mondiales pour justifier leur engagement dans le champ géopolitique eurasiatique ; elles constituent également un outil d’analyse des recompositions géographiques, géoéconomiques et géopolitiques de la région ». Bien que la Chine et les pays centrasiatiques aient une longue et riche histoire de relations mutuelles, la région est davantage attachée au complexe post-soviétique tandis que la Chine s’intègre dans le complexe de sécurité régionale de l'Asie de l'Est (Buzan & Wæver, 2003 ; Qoraboyev & Moldashev, 2018). Dans les études sur la régionalisation, ces régions sont d’ailleurs analysées séparément, à l'exception des recherches sur l'OCS. L’ouverture économique chinoise, tournée vers le littoral depuis les réformes économiques de Deng Xiaoping à la fin des années 1970, s’oriente désormais vers un nouvel équilibre territorial. L’ouest de la Chine, plus spécifiquement le Xinjiang, est une opportunité de développement territorial qui s’ouvre par ailleurs vers ses voisins centrasiatiques.

Document 1. L'Asie centrale et sa frontière avec le Xinjiang chinois

carte de l'Asie centrale avec relief et frontières

L’Asie centrale est composée de cinq pays : Kazakhstan, Kirghizistan, Ouzbékistan, Tadjikistan, Turkménistan. Elle est souvent considérée comme une région au centre d'une rivalité stratégique impliquant de nombreux acteurs extérieurs majeurs. Elle est notamment, par sa position géographique, une zone d'importance stratégique pour la Russie et la Chine. De plus, sa proximité avec l'Iran et l'Afghanistan, deux zones d'instabilité stratégique majeure, suscite un intérêt significatif pour les pays engagés dans des opérations militaires ou des négociations diplomatiques (États-Unis et autres membres de l'OTAN). En outre, en raison de ses nombreuses ressources naturelles, gaz, uranium ou encore pétrole, l'Asie centrale devient progressivement un acteur incontournable dans les politiques énergétiques mondiales (Lasserre et al., 2019 ; Qoraboyev & Moldashev, 2018). La méfiance et les réticences de la communauté internationale ainsi que des critiques internes en Chine ont poussé le gouvernement à affiner le projet des routes de la soie. Frédéric Lasserre et al. soulignent à ce sujet que « nous assistons à la mise en place d’une sorte de BRI 2.0, plus sélective et plus contrôlée, afin d’éviter les échecs et les critiques, tant en interne que dans les pays récipiendaires. » (Lasserre et al., 2023). Le bilan est plus mitigé en Asie centrale. Certaines zones privilégiées, comme la zone économique spéciale de Khorgos à la frontière avec le Kazakhstan, connaissent certes une hausse du trafic ferroviaire et routier, mais cette augmentation reste insuffisante pour concurrencer le trafic maritime ou même créer un développement territorial du côté kazakhstanais de la frontière (Grant, 2020 ; Damiani 2024).

Lire aussi : Frédéric Lasserre, Barthélémy Courmont et Éric Mottet, « Les nouvelles routes de la soie : une nouvelle forme de coopération multipolaire ? », Géoconfluences, juin 2023.
Document 2. La zone franche de Khorgos à la frontière entre la Chine et le Kazakhstan, une vitrine des nouvelles routes de la soie

khorgos

Les anciens postes de surveillance des années 1980 ont été conservés en arrière-plan et des bas-reliefs relatant les relations entre les deux pays ont été installés, matérialisant une coopération ancienne. Cliché de Marie Hiliquin, 2023.

Dix ans après le lancement des routes de la soie, comment ont évolué les relations sino-centrasiatiques ? Si le développement des infrastructures est la priorité du gouvernement chinois, cette coopération est-elle équitable pour les pays partenaires ?

1. Les ambitions chinoises en Asie centrale

L'évolution des relations sino-centrasiatiques depuis trente ans a été marquée par une coopération régionale conçue comme un levier chinois pour renforcer sa présence en Asie centrale. Les questions économiques et sécuritaires, les tensions ethniques, fragilisent cependant encore cette position.

1.1. Trois décennies de coopération

Avec la chute de l’URSS, les relations diplomatiques sino-centrasiatiques ont connu un tournant dans les années 1990, suite à l’indépendance des pays d’Asie centrale ((Les cinq pays d’Asie centrale ont pris leur indépendance en 1991 : Kirghizistan : 31 août, Ouzbékistan : 1er septembre, Tadjikistan : 9 septembre, Turkménistan : 27 octobre, Kazakhstan : 16 décembre.)). La disparition de cette entité géographique a entraîné une première coopération sur la définition précise des frontières. Le gouvernement se préoccupe en effet de sécuriser les espaces frontaliers de la province du Xinjiang. Territoire le plus à l’ouest de la Chine, cette province partage une frontière avec huit pays, dont le Kazakhstan (1 533 km de frontière), Kirghizistan (858 km) et le Tadjikistan (414 km) ((Les autres frontières du Xinjiang sont partagées avec l’Afghanistan, l’Inde, la Mongolie, le Pakistan et la Russie.)). Malgré certaines tensions, le gouvernement chinois s’est assuré de modérer ses revendications territoriales afin de sécuriser la région et de poser les pierres d’une future coopération avec ses voisins (Cabestan, 2011 ; Kellner, 2011).

La Chine s’est également appuyée sur les « cinq principes de la coexistence pacifique », définis en 1953, pour s’assurer de la bonne coopération avec ses voisins : respect mutuel de l'intégrité territoriale et de la souveraineté, non-agression mutuelle, non-ingérence mutuelle dans les affaires intérieures de chacun, égalité et coopération pour un bénéfice mutuel, et coexistence pacifique. Ces cinq principes sont fondateurs dans la politique étrangère chinoise qui revendique « l’établissement d’un nouvel ordre international » (中华人民共和国外交部, ministère des Affaires étrangères de la République Populaire de Chine, s. d.). Ces cinq principes forment un socle pour la rhétorique du gouvernement chinois qui qualifie les objectifs de la BRI de win-win, en se reposant notamment sur le quatrième principe d’une coopération pour un bénéfice mutuel (Wang, 2016 ; Zhenmin, 2014).

Trois domaines de coopération ont ainsi été privilégiés : la création d’une organisation multilatérale, l’Organisation de Coopération de Shanghai (OCS) ; une coopération économique ; une coopération énergétique, répondant notamment aux intérêts du gouvernement chinois. Fondée en 2001 et héritière du « Groupe de Shanghai » (1996), l’OCS doit soutenir l’intégration régionale par la coopération et tend à conforter la place de la Chine comme grande puissance hégémonique, plaçant ainsi la région centrasiatique au centre des dialogues, mais aussi dans un ensemble régional unique.

Document 3. L’Organisation de coopération de Shanghai (OCS) en 2023

L'OCS

Carte extraite de l'entrée de glossaire « Organisation de coopération de Shanghai (OCS) ».

Initialement considérée comme un relai de la diplomatie russe, l’OCS permet désormais à la Chine de défendre un certain nombre d’intérêts en créant des conditions favorables à son développement (Chabal, 2016; Facon, 2006). L’organisation doit notamment permettre de créer un environnement stable et pacifique tout en luttant contre les « trois maux », parfois même appelés les « trois forces du mal » par les autorités (三股势力, Sāngǔ shìlì). Cette expression se réfère au terrorisme, au séparatisme et à l’extrémisme religieux qui auraient infiltré la société, plus particulièrement au Xinjiang (Chao, 2011 ; Ma, 2013). Ce discours légitime la mise en place de la société de surveillance et de répression existante dans la province, créant un système qualifié « d’orwellien » et se traduisant par une violence extrême à l’égard des minorités opprimées (Lasserre et Vergeron, 2020). Le lancement du projet des routes de la soie et l’importance stratégique de la province du Xinjiang ont entraîné de sévères persécutions envers les populations ouïghoures et d’autres minorités ethniques, dont des populations kazakhs et kirghizes. Les révélations des Xinjiang Papers en 2019 ont entraîné de nombreuses réactions internationales, bien que peu de sanctions politiques ou économiques n’aient été appliquées.

Encadré 1. Les Xinjiang Papers (2019)

La question de la menace terroriste, que Sean R. Roberts qualifie de « mirage », occupe le cœur des débats sur la politique chinoise sécuritaire à mener dans la province du Xinjiang. La Chine a utilisé cette menace terroriste pour justifier ses politiques répressives, bien que peu de preuves étayent cette théorie. Le chercheur Adrian Zenz soutient que les politiques de la Chine au Xinjiang constituent une forme de nettoyage culturel visant à éradiquer l'espace réservé à l'identité et à la nation ouïghoure (Zenz, 2021). Ces affirmations sont devenues prépondérantes lors de la révélation des camps de concentration ouïghours et autres ethnies minoritaires de la province. En 2014, le concept de « transformation par l’éducation » fait son apparition dans le Xinjiang. Son application est menée sur des groupes de population ouïghoure ou musulmane et est apparue en parallèle avec la campagne de « désextrémisation » ou de « déradicalisation », intégrant une volonté d’éradication des cultures minoritaires.

Le 16 novembre 2019, le New York Times révèle le scandale des Xinjiang Papers, des documents internes chinois qui lui ont été transmis par un membre du Parti anonyme, documentant la répression contre les populations considérées comme des « minorités ethniques ». Ces documents sont composés de 403 pages de documents incluant 96 pages de discours de Xi Jinping, 102 pages de discours d’autres personnalités politiques, 161 pages de directives et de rapports sur le contrôle de la population ouïghoure dans le Xinjiang, et 44 pages d’enquêtes internes sur des fonctionnaires locaux (Ramzy & Buckley, 2019).

Grâce à un pistage caméra très avancé, une importante surveillance des réseaux sociaux (notamment WeChat) et une intelligence artificielle, les services de police chinois ont établi une veille sur des centaines de ouïghours dès 2018. Le média The Intercept qui dévoile ces documents rapporte que ces très nombreux documents d’enquête permettent de montrer la surveillance accrue de la population ouïghoure, mais aussi le fonctionnement des services de police. Il détaille également la surveillance des groupes marginalisés, téléphonique, en ligne et financière, montrant comment la surveillance prétendument à l'affût de l'extrémisme se limite souvent à l'activité religieuse (Yaël, 2021). Ces documents fournissent une perspective étendue sur la manière dont les systèmes de surveillance étendus au Xinjiang s'entrelacent pour réprimer les populations minoritaires, révélant ainsi l'ampleur de leur impact sur la vie quotidienne locale (Zenz, 2023).

Cette violence à l’égard des minorités a eu des conséquences sur les sociétés centrasiatiques, entraînant une perception négative des populations locales vers la Chine. Comme en Europe, la condamnation du génocide n’a cependant que peu affecté les échanges économiques, la Chine demeurant un acteur incontournable de la mondialisation et de la scène politique internationale. Lors du sommet Chine – Asie centrale en 2023 à Xi’an, berceau historique des routes de la soie, le président Xi Jinping a rappelé que les relations d’amitié entre les pays centrasiatiques et son pays permettent de développer une coopération politique, économique, sécuritaire, humanitaire, de promouvoir l’intégration régionale et un développement harmonieux. Ce discours a été l’occasion de rappeler les avancées de projets d’infrastructures, mais aussi sa volonté d’élargir les relations économiques et commerciales et l’interconnexion des deux zones géographiques (Xi, 2023). La Russie et la Chine, principaux initiateurs de la création de l’OCS, proposaient deux types de coopération différents : la Russie, avant tout politico-militaire, la Chine, principalement politico-économique. L’approche chinoise est ainsi complémentaire avec les besoins de développement des pays centrasiatiques dans les années 2010, notamment le Kazakhstan, et la volonté d’essor économique, de diversification des marchés et d’approvisionnement énergétique chinois (de Haas, 2017). L’arrivée des nouvelles routes de la soie en Asie centrale en 2013 confirme cette tendance et la volonté chinoise d’instaurer une coopération économique.

1.2. Les objectifs visés par la Chine : vers une intégration régionale et une influence croissante

Les plans quinquennaux de la République Populaire de Chine, établis depuis 1953 (à l'exception de 1963-1965), définissent les objectifs économiques et sociaux du pays. L'ouverture économique des années 1990 a introduit une « économie socialiste de marché ». La BRI s'inscrit dans les 12e (2011-2015), 13e (2016-2020) et 14e (2021-2025) plans quinquennaux, visant à assurer une croissance durable.

Le 12e plan quinquennal a intégré la BRI dans une stratégie globale de développement, visant à améliorer les infrastructures de transport et renforcer les connexions avec les pays voisins, notamment en Asie centrale, tout en affrontant les défis énergétiques et environnementaux. La Chine a proposé un modèle de gouvernance économique mondiale visant une coopération économique approfondie et un système commercial multilatéral et équilibré. Le 13e plan quinquennal a positionné la Chine pour devenir une puissance internationale, en mettant l'accent sur une stratégie de développement régional et une politique d'ouverture nationale axée sur la BRI. Les accords bilatéraux ont favorisé les investissements, permettant à la Chine de maintenir des relations « amicales » sans contraintes sur les droits de l'homme. La pandémie de covid-19 a néanmoins perturbé l'économie chinoise et les objectifs de la BRI, nécessitant une adaptation des priorités dans le 14e plan quinquennal. Ce dernier met la BRI au centre de la politique de développement de la Chine, renforçant sa position dans la gouvernance mondiale et promouvant un développement vert. Cependant, il existe une tension entre la stimulation de la consommation pour la croissance économique et les impératifs écologiques. La politique d'ouverture de la Chine soulève aussi des questions sur la concurrence et le respect de la propriété intellectuelle, tandis que sa transparence dans la gestion de la pandémie est critiquée.

Dans l’optique de la réalisation de ces objectifs, la province du Xinjiang est cruciale pour les routes de la soie terrestres vers l'Asie centrale, nécessitant une coopération étroite avec les pays centrasiatiques dans les secteurs énergétiques, métallurgiques et de transport.

Encadré 2. À frontière sino-kazakhstanaise, la zone spéciale de Khorgos

La zone spéciale de Khorgos est un résultat de la politique nationale chinoise avec le développement d’un réseau de transport et de commerce international, ainsi qu’une diversification des marchés d’exportation et d’accords privilégiés signés avec le gouvernement kazakhstanais. Dans les années 1980, cette zone n’était qu’un simple marché frontalier favorisant le « commerce de valise » entre la Chine et le Kazakhstan. En 2012, cet espace prend son essor avec l’inauguration d’une voie de chemin de fer reliant les deux pays grâce à une zone de transbordement. La différence d’écartement des rails créait en effet une rupture de charge importante ((L’écartement des rails en Chine est de 1435 mm, il s’agit de l'écartement standard utilisé dans de nombreux pays, dont la plupart des pays européens, tandis qu’au Kazakhstan, comme dans les autres anciennes républiques soviétiques, l'écartement des rails est plus large, 1520 mm.)). En 2023, 7 762 trains ont traversé la zone à destination de l’Asie centrale et de l’Europe, soit une augmentation de 9,8 % par rapport à l’année précédente (Railfreight, 2023). Si le trafic augmente, il n’est cependant pas en mesure de concurrencer le trafic maritime.

La zone de Khorgos comprend un port sec de 130 hectares, un parc logistique de 225 hectares, une zone industrielle de 225 hectares et un centre international de coopération frontalière (documents 4 et 5). Ce centre est accessible 30 jours sans visa et permet la libre circulation des personnes, des biens et des transports. Il est également l’illustration de l’asymétrie de développement entre les deux pays. La zone chinoise est bien plus développée : fréquentation importante, densité et hauteur des bâtiments, aménagements urbains soignés et végétalisés ou encore une sécurité renforcée par la présence de caméras et de policiers patrouillant en permanence. La zone kazakhstanaise est encore majoritairement en cours de construction, seuls quelques bâtiments commerciaux déserts sont présents.

Document 4. Le site frontalier de Khorgos, une zone au développement économique dissymétrique

carte de la zone frontalière de Khorgos / Khorgos special zone map

Document 5. Le centre international de coopération frontalière

Khorgos côté kazakh

5a. Centre international de coopération frontalière, côté kazakhstanais. Cliché de Marie Hiliquin, 2023.

Khorgos côté chinois

5b. Centre international de coopération frontalière, côté chinois, Cliché de Marie Hiliquin, 2023.

Enfin, il existe une inégalité pour les acheteurs à Khorgos : un visiteur chinois a le droit d'exporter quotidiennement des marchandises en franchise de droits d'une valeur de 8 000 yuans (environ 1 000 euros) ; tandis qu’un visiteur en provenance du Kazakhstan a le droit, une fois par mois, d'exporter en franchise de droits des marchandises achetées d'une valeur de 500 euros et pesant jusqu'à 25 kg. De nombreuses infrastructures touristiques, notamment des hôtels, sont encore en cours de construction de chaque côté de la zone. Grâce à des prix attractifs et à la zone franche les deux gouvernements espèrent créer un tourisme commercial en attirant plusieurs milliers de personnes chaque week-end.

2. La présence chinoise en Asie centrale

La présence économique croissante de la Chine en Asie centrale suscite des interrogations quant à son influence géopolitique et aux dynamiques de pouvoir dans la région. Les investissements massifs et la coopération économique rencontrent une résistance populaire qu’un soft power intense ne parvient pas à résoudre.

2.1. Une présence économique croissante

Le forum de coopération en matière d'industrie et d'investissement Chine-Asie centrale à Qingdao en février 2023 a été l’occasion pour le gouvernement chinois de rappeler que les états centrasiatiques jouent un rôle clé dans les chaînes industrielles et d’approvisionnement régional du pays. La Chine souhaite renforcer la coopération commerciale mise en place, mais aussi développer de nouvelles activités : technologies de l'information, intelligence artificielle, transformation intelligente et verte des industries traditionnelles. La commission nationale du développement et de la réforme de Chine (CNDR) a souligné que la valeur commerciale du pays avec les cinq états centrasiatiques avait augmenté d’environ 40 % en 2022 (Ouyang, 2023). Il est ainsi intéressant d’observer la répartition des financements chinois sur une décennie entre 2013, année de lancement de la BRI, et 2023, représentés sur la carte du document 6.

Document 6. Financements chinois en Asie centrale : montants, secteurs et types de financements par État

Financements chinois en Asie centrale

Les investissements chinois dans les pays d'Asie centrale ont suscité un intérêt croissant en raison de leur rôle potentiel dans le remodelage de la dynamique économique et géopolitique de la région. Le Kazakhstan, en tant que principal récipiendaire, bénéficie d'une stratégie d'investissement chinoise capitalisant sur sa position géographique clé lui permettant d’accéder à la mer Caspienne et de se rapprocher des portes de l’Europe. Le pays dispose également de ressources naturelles stratégiques pour la Chine : gaz, pétrole mais aussi uranium. Le pays produisait 43 % de la production mondiale d’uranium en 2022 dont la moitié était exportée en Chine (World nuclear association, 2023). Cette relation s'inscrit dans un schéma plus large de partenariat stratégique, consolidant le Kazakhstan en tant que plaque tournante énergétique et économique régionale. Le Kirghizistan et le Tadjikistan, bien que recevant des montants moins élevés, démontrent la volonté chinoise d'étendre son influence économique dans des économies plus petites et potentiellement vulnérables. Ces investissements, ciblant principalement les infrastructures de transport et énergétiques, peuvent être interprétés comme une stratégie de consolidation de l'influence chinoise dans ces pays, bien que leur efficacité à long terme et leur effet sur la dynamique régionale doivent être relativisés. L'Ouzbékistan et le Turkménistan, également riches en ressources naturelles, sont devenus des partenaires stratégiques clés pour la Chine dans le domaine énergétique. Les investissements chinois dans ces pays visent à garantir l'accès aux ressources énergétiques et à développer des corridors commerciaux et logistiques, consolidant ainsi la position économique et géopolitique de la Chine dans la région.

Encadré 3. Exemple d'une infrastructure de transport ambitieuse : la liaison ferroviaire Chine-Kirghizistan-Ouzbékistan (CKU)

Le projet CKU, en discussion depuis les années 1990, prévoit la construction d’une ligne de chemin de fer d'environ 523 km : 213 km en Chine, 260 km au Kirghizistan et 50 km en Ouzbékistan. En 2003, la Chine a investi près de 2,8 millions de dollars, mais la complexité du montage financier, l’instabilité politique ouzbek et kirghize dans les années 2000 et la prouesse technique d’un tel projet le laissent encore en suspens à ce jour. Un itinéraire avait été privilégié : Kachgar – col de Torugart (3 752 m d’altitude) – Jalal-Abad – Kara-Suu – Andijan. En 2016, la section ouzbèke Angren-Pap a été finalisée grâce à un impressionnant tunnel financé par la Chine (Ren et Lasserre, 2021). La section kirghize nécessiterait près de 90 tunnels et relierait la ville de Kachgar, dans le sud du Xinjiang, deuxième pôle urbain le plus important de la province.

En 2022, les trois pays ont signé un accord de coopération lors du sommet de l’OCS. Le président ouzbek Shavkat Mirziyoyev a approuvé les plans et souhaite attirer jusqu'à un milliard de dollars de financement par an grâce à des partenariats public-privé. Le projet permettrait de relier l’Europe en sept à huit jours contre environ deux semaines actuellement. De nombreuses inquiétudes subsistent quant à la capacité du Kirghizistan à participer au financement du projet, mais aussi aux difficultés techniques du passage du col de Torugart.

Il existe une diversification significative des financements chinois attribués aux pays d'Asie centrale sur la période 2013-2023. Le Kazakhstan représente 60 % du PIB de la région avec seulement 25 % de sa population totale. Il se démarque par un nombre substantiel de projets dans les deux catégories, soulignant également la diversification de la présence chinoise dans les secteurs économiques du pays (document 6). L'Ouzbékistan est le deuxième récipiendaire de financements chinois sur la décennie considérée, et ils sont presque aussi diversifiés que ceux du Kazakhstan, ce qui témoigne de l’intensification du partenariat économique entre les deux États. À titre d’exemple, en 2023, la filiale chinoise de Sinomach, IPPR, a remporté un contrat de 310 millions de dollars pour la conception paysagère des installations touristiques et de divertissement de Kainar, visant à créer un nouvel itinéraire touristique sur les rives du lac Iessik. Le Kirghizistan et le Tadjikistan présentent des chiffres relativement plus modestes, bien que révélateurs d'une croissance soutenue de l'empreinte chinoise, en particulier dans des domaines cruciaux tels que les infrastructures. En contraste, le Turkménistan se distingue par le nombre le plus limité de projets, une tendance qui peut être interprétée à la lumière de sa structure gouvernementale centralisée. Ces observations soulignent l'impératif pour la Chine d'ajuster ses stratégies d'investissement en fonction du poids économique et politique spécifiques à chaque État de la région, une démarche essentielle pour optimiser l'efficacité de ses initiatives et maximiser leurs effets socio-économiques.

Ces chiffres s’expliquent également par une coopération énergétique datant des années 2000 entre la Chine et le Turkménistan. Trois projets de construction et un investissement pour un montant total de 7,39 milliards de dollars ont été réalisés par la China National Petroleum Corporation entre 2007 et 2012 dans le secteur énergétique (American Enterprise Institute, 2023), avant la période considérée sur la carte du document 6 ci-dessus.

Encadré 4. Le projet TAPI : un gazoduc centrasiatique

La Chine tente de sécuriser ses importations à l’aide de nombreuses infrastructures terrestres et accords avec les gouvernements centrasiatiques. Le projet TAPI (Turkménistan-Afghanistan- Pakistan-Inde), est un projet de gazoduc qui permettra de transporter du gaz naturel depuis le gisement de Galkynysh - Yashlar au Turkménistan jusqu’au Pakistan et à l’Inde en traversant l’Afghanistan. Le projet est développé par la TAPI Pipeline Company Limited et son actionnariat est réparti entre les quatre pays impliqués : Turkmengaz (85 %), Afghan Gas Enterprise (5 %), Inter State Gas Systems (Pakistan, 5 %), et GAIL (Inde, 5 %) et financé par la Banque asiatique de développement (BAD). La construction du gazoduc a démarré en décembre 2015 et devait être achevée en 2019. Le tronçon afghan est néanmoins problématique en raison de l’instabilité politique du pays et de l’opposition du gouvernement taliban. Le gazoduc doit passer du champ turkmène de Galkynysh aux villes afghanes de Herat et Kandahar, pour rejoindre Quetta et Multan au Pakistan jusqu'à la ville de Fazilka dans l'ouest de l'Inde.

En janvier 2023, le PDG de TAPI Pipeline Company Limited, Muhammetmyrat Amanov, a rencontré des dirigeants talibans dans le bâtiment du ministère des Affaires intérieures de Kaboul. La BAD avait temporairement suspendu son soutien au projet, estimant que la sécurité du projet ne pouvait être assurée et ne reconnaissant pas le régime taliban. Si ce projet se réalisait, une extension du gazoduc pourrait à l’avenir être construite pour relier la Chine et l’Iran.

2.2. Le soft power des routes de la soie

Les tensions ethniques et économiques face à la montée en puissance de la Chine dans la région ont conduit le pays à mettre en place un certain nombre d’outils de soft power comme les instituts Confucius. Ces établissements culturels sont souvent présentés comme des coquilles vides de savoir, et un rapport du Sénat français les présente comme une « stratégie contrariée » (Gattolin, 2021). Les instituts Confucius sont présents en Asie centrale depuis près de vingt ans, et sont désormais un emblème des routes de la soie et vecteurs de connaissance et de soutien scientifique. Cette stratégie s’intègre en effet dans le domaine de la route de la soie dite « intelligente ». Les objectifs affichés sont d’approfondir la coopération en matière de formation, de lancer des initiatives de coopération technologique et de cultiver les talents professionnels de toute sorte.

Lire aussi : Nashidil Rouiaï, « Sur les routes de l'influence : forces et faiblesses du soft power chinois », Géoconfluences, septembre 2018.

Un premier institut a ouvert en mai 2005 à Tachkent, suivi d’un second, en 2009, à l’université Al-Farabi au Kazakhstan qui a remplacé le centre de langue chinoise construit en 2002. En avril 2017, l'Institut Confucius au Kazakhstan a été récompensé par le Consulat général de la République populaire de Chine pour sa contribution à l'éducation, à la communication culturelle et à l'amitié entre la Chine et le Kazakhstan pendant dix ans. Les deux instituts coopèrent avec l’université de Lanzhou. En 2008, un nouvel institut est ouvert à Bichkek, en coopération avec l’université du Xinjiang et l’université des sciences humaines de Bichkek. Ces instituts ont pour objectifs d’enseigner le chinois, de promouvoir la culture chinoise, de perfectionner les professeurs de langue chinoise, de renforcer la compréhension mutuelle entre les populations, de fournir assistance et conseil, d’organiser les examens HSK ((Le HSK est un test de certification en chinois reconnu par le ministère de l’Éducation en Chine, équivalent au TOEIC en anglais.)) ou des événements culturels et de mettre en œuvre des projets scientifiques de sinologie.

Le centre Confucius au Tadjikistan est ainsi en coopération directe avec la China University of Petroleum suite à la signature d’un accord le 13 septembre 2014 avec l'Institut de métallurgie. L’objectif est de former des compétences en langue chinoise destinées à servir les entreprises minières et métallurgiques locales (China University of Petroleum, 2020). Aucun institut Confucius n’a été ouvert au Turkménistan, mais l’apprentissage de la langue a été introduit par le gouvernement dans les années 2010. En 2014, environ 1 500 étudiants ont bénéficié d’une bourse pour étudier en Chine (Izimov, 2016). L’apprentissage de la langue chinoise est en effet un levier de coopération entre la Chine et l’Asie centrale. En février 2016, Dariga Nazerbayeva, alors vice-Première ministre du Kazakhstan, avait déclaré que les enfants kazakhs devraient apprendre le chinois en plus du kazakh, du russe et de l'anglais. Cette volonté politique n’a cependant pour le moment pas été suivie d’effets concrets dans le système scolaire. On trouve désormais un certain nombre d’instituts au Kazakhstan, à Aktobe, à Karaganda et à l’université Ablai Khan à Almaty. Gaukhar Nursha, chercheur affilié à l'université nationale kazakhstanaise Al-Farabi, a mené une enquête auprès de tous les instituts du Kazakhstan pour évaluer pourquoi les étudiants ont décidé de participer à ces programmes. Selon ses données, les inscriptions aux cours non linguistiques étaient faibles, suggérant que la plupart des étudiants n'étaient pas particulièrement intéressés par l'apprentissage de la culture et de l'histoire chinoises. L’utilité de l’apprentissage du chinois pour les étudiants relève avant tout d’un opportunisme professionnel. Les instituts ont également été fortement critiqués pour la propagande qu’ils véhiculent en lien avec les directives de Pékin (Nursha, 2018).

Ainsi, la présence chinoise n’est pas seulement économique. Elle se traduit désormais par un ancrage croissant dans les sociétés centrasiatiques. Toutefois, malgré ce volontarisme gouvernemental, la coopération avec les élites locales et la multiplication des projets de développement d’infrastructures, la Chine se heurte encore à la résistance des populations et à un contexte géopolitique instable amplifié par les récentes actions russes. La Chine demeure également un acteur secondaire derrière la Russie lors de grandes crises politiques. La tradition de coopération avec cet état est bien plus ancrée dans les mœurs de la population, mais aussi chez les élites.

3. L’avenir incertain de la présence chinoise en Asie centrale

L'espace régional centrasiatique est marqué par des divisions géographiques et historiques qui favorisent la coopération avec la Russie, rendant l'expansion chinoise plus délicate.

3.1. Un espace régional divisé

Au-delà des relations historiques préétablies dans leurs relations d’états satellites et d’une proximité linguistique, les états centrasiatiques connaissent une coopération avec la Russie de par leur positionnement, comme le souligne Svetlana Gorshenina :

« La géographie [en fait la topographie, NDE] favorise la politique expansionniste russe : sans rupture continentale ni obstacles naturels incontournables susceptibles de freiner les efforts des conquérants ou au moins de délimiter des zones d’influences, les responsables politiques de la Russie pensent toujours qu’ils élargissent leurs « propres » frontières sans annexer les territoires des autres. » (Gorshenina, 2012).

Gorshenina Svetlana (2012). « Chapitre premier. Les projets russes de progression vers l’Asie : Fantasmes, stratégies et justifications ». In : Asie centrale : L’invention des frontières et l’héritage russo-soviétique. CNRS éditions.

Tandis que la Russie s’appuie sur un passé et une histoire commune, encore récente, la Chine est entravée dans son expansion par des éléments physiques (document 7). La structure topographique entre la Chine et l’Asie centrale a servi en partie de support au tracé des frontières actuelles. Même si cela n’a pas imperméabilisé la frontière aux échanges, cette structure pose néanmoins le problème de la traversée de ces espaces par les infrastructures de transports. Les contraintes sont très fortes : les hautes plaines de Dzoungarie au nord et du Tarim au sud (entre 800 et 1 300 m) sont enclavées et comportent en leur centre des déserts de sable : le Gurbantünggüt au nord (47 000 km²) et le Taklamakan (331 000 km²) au sud. Ce dernier est aussi appelé « Mer de la mort » ou « lieu des ruines » et est couvert à 85 % de champs de dunes mouvants. Sur leurs périphéries se trouvent des talus d’éboulis creusés en gobis formant à l’ouest le désert de Gobi sur le « plateau mongol » (Sanjuan et al., 2010). Enfin, la topographie des espaces transfrontaliers eux-mêmes entrave le développement des corridors de transport vers l’Asie centrale : montagnes de l’Altaï au nord, du Tian Shan au sud. Ces difficultés topographiques contraignent la Chine à une grande implication technique dans la mise en œuvre des corridors de développement. Il s’agit avant tout de créer un trait d’union entre deux pôles économiques de rang mondial : l’Union européenne et la Chine littorale.

Document 7. Système de contraintes et jeux de puissance en Asie centrale

contraintes et jeux de puissances

3.2. Une présence chinoise difficilement acceptée

Le rempart physique n’est désormais plus un obstacle suffisant pour entraver la présence chinoise en Asie centrale. Sébastien Peyrouse évoque le « syndrome du « péril jaune » pour désigner la peur des migrations chinoises vers l’Asie centrale qui a pourtant toujours été un berceau d’accueil de migrations (allemands, coréens, polonais, russes…) (Peyrouse, 2008). Au Kazakhstan, la migration chinoise est caractérisée par un entre-soi. Les Han travaillent généralement pour de grandes sociétés chinoises implantées sur place, en particulier dans le domaine énergétique, en employés du secteur de la construction ou comme commerçants. Pour les locaux, cette présence de travailleurs chinois interroge le bénéfice des routes de la soie pour les populations locales, notamment sur la création d’emplois, contrairement à ce qui a été avancé dans la rhétorique du « gagnant-gagnant » employée par le gouvernement chinois. La répartition de la population chinoise dans le pays s’est en effet diversifiée dès les années 1990, où elle était recensée entre la ville d'Almaty et les oblasts d'Almaty et d'Aktobe. Dans les années 2000, on trouvait des travailleurs chinois à l'ouest dans les oblasts d'Aktobe, de Atyrau et de Mangistau. Le nombre de travailleurs licenciés attirés par Astana était également parmi les plus importants en 2006 (Sadovskaya, 2007). On trouve ici une application de la théorie push and pull des migrations. Côté pull, le phénomène d’attractivité du Kazakhstan grâce aux emplois des entreprises chinoises. Côté push, le phénomène provoquant le départ d’une personne de son pays d’origine, peut correspondre à de nombreux facteurs dans ce cas : une volonté de soutien au PCC, un emploi et un salaire attractif voire dans certains cas la simple perspective d’un emploi.

Le 17 janvier 2019, une manifestation antichinoise a eu lieu à Bichkek. Les manifestants ont demandé un moratoire sur la délivrance de passeports kirghizes aux citoyens chinois, à l'exception des personnes appartenant à l'ethnie kirghize, un examen minutieux de toutes les entreprises financées par la Chine, ainsi que la vérification de la pertinence des prêts contractés auprès de la Chine. Ils demandent également l'expulsion des citoyens chinois résidant illégalement au Kirghizistan et l'arrêt des quotas de main-d'œuvre pour les Chinois. Les manifestants ont également exprimé leur désapprobation à l'égard des mariages entre des femmes kirghizes et des hommes chinois, demandant l'interdiction de l'enregistrement des mariages mixtes et l'imposition d'amendes (Aliyev, 2019).

De nombreuses voix se sont également levées contre les persécutions des populations non-Han au Xinjiang. Le 21 septembre 2019, des manifestations populaires antichinoises ont éclaté à Astana et Almaty. Au cours de ces manifestations, des manifestants ouïghours se sont joints aux activistes kazakhstanais pour exprimer leurs revendications concernant les relations entre le Kazakhstan et la Chine. La question des Kazakhs et des Ouïghours détenus dans les camps du Xinjiang était portée par une profonde critique du système chinois (Pron & Szwajnoch, 2019). Le 27 mars 2021, les autorités kazakhstanaises ont arrêté au moins 20 personnes à Astana alors que des manifestants se réunissaient à Almaty, Astana, Oral, Chymkent et Aqtobe. Les manifestants s’opposaient à l’influence croissante de la Chine et aux politiques de répression du Xinjiang (Radio Free Europe, 2021).

Conclusion

Les perspectives économiques offertes par les nombreux investissements ne permettent pas d’effacer les préoccupations qui subsistent quant à la dépendance croissante des pays bénéficiaires à l'égard de la Chine. Les implications en termes de gouvernance, de transparence et de durabilité environnementale des projets financés soulèvent de nombreuses inquiétudes au sein de la communauté internationale. Cette complexité souligne la nécessité d'une analyse nuancée des investissements chinois en Asie centrale, mettant en balance les bénéfices économiques potentiels avec les défis politiques et environnementaux sous-jacents. La présence chinoise interroge sur le libre-arbitre politique et économique des états centrasiatiques. Le Kazakhstan et l’Ouzbékistan s’affirment comme des partenaires privilégiés de la Chine tandis que le Kirghizistan et le Tadjikistan peinent à diversifier les secteurs d’accords nécessaires à leurs économies. Les différents projets chinois s’inscrivent dans une logique de bénéfice à l’égard du pays, mais les retombées économiques demeurent incertaines tandis que la population centrasiatique s’affirme progressivement contre cette présence.


Mots-clés

Retrouvez les mots-clés de cet article dans le glossaire : BAD | contrainte physique | corridors | frontière | intégration régionale | Nouvelles routes de la soie | OCS | ressources | soft power | Xinjiang.

 

Marie HILIQUIN

Docteure en géographie, aménagement et urbanisme, Université de Lille et Université Littoral Côte d’Opale, ULR 4477 - TVES - Territoires Villes Environnement & Société. Post-doctorante à l'IRSEM Europe.

 

Édition et mise en web : Jean-Benoît Bouron

Pour citer cet article :  

Marie Hiliquin, « Les Nouvelles routes de la soie en Asie centrale dans la stratégie géoéconomique chinoise », Géoconfluences, décembre 2024.
https://geoconfluences.ens-lyon.fr/informations-scientifiques/dossiers-regionaux/la-chine/articles-scientifiques/routes-de-la-soie-en-asie-centrale