Créolisation, créolité
Le terme de créolisation désigne la mise en contact de plusieurs cultures et sa résultante : l’apparition de nouvelles formes culturelles distinctes et originales. Ces formes sont « totalement imprévisibles par rapport à la somme ou à la simple synthèse » des cultures mises en présence (Cruz-Rodriguez, 2010). La créolisation est donc beaucoup plus qu’un simple métissage. Elle est un « métissage qui produit un résultat imprévisible et imprévu » (Glissant, 2001).
L’étymologie de créolisation est signifiante. Le terme vient du portugais criollo, soit « ce qui est né sur place », c’est-à-dire dans la colonie, par opposition à ce qui relève du Portugal, ceci dans le contexte de la colonisation à l’époque moderne. Le terme a donné en français le mot créole, qui désigne les personnes d’origine européenne nées dans les colonies, particulièrement dans le contexte de l'économie sucrière.
Le terme de créolisation s’est ensuite progressivement imposé dans le monde post-colonial, notamment aux Antilles, pour caractériser les processus culturels nouveaux liées à la rencontre de sociétés africaines issues de l’esclavage, de sociétés européennes autrefois esclavagistes, mais aussi de cultures diverses (indiennes, médio-orientales notamment…) issues des migrations.
Le concept a été théorisé dans les années 1970 par le poète et historien barbadien Edward Kamau Brathwaite. Celui-ci voulait ainsi qualifier l’unité culturelle croissante des Grandes et des Petites Antilles, quelles que soient les puissances coloniales ayant laissé un leg culturel (France, Royaume-Uni, Espagne, Pays-Bas...). Selon lui, ce phénomène a, dès le XVIIIe siècle, touché toutes les couches de la société, des planteurs aux esclaves.
« Créolisation » a ensuite connu un glissement notionnel, ainsi qu’une certaine notoriété dans le monde francophone, grâce aux travaux d’Édouard Glissant (Le discours antillais, 1982) et de Jean Bernabé, Raphaël Confiant et Patrick Chamoiseau (Éloge de la créolité, 1989). La créolisation ne relèverait que pour partie d’une antillanité (les spécificités de la culture antillaise créatrices d’une identité spécifique) puisque le Cap Vert, La Réunion ou encore Maurice sont également touchées par la créolisation. Par ailleurs, cette acception remet partiellement en question le concept de négritude, longtemps défendu aux Antilles par Aimé Césaire, en l’enrichissant et en le sortant d’une vision afro-centrée. Selon Glissant, la créolisation serait enfin irréversible et très rapide : c’est « la création d’une culture ouverte et inextricable, qui bouscule l’uniformisation par les grandes centrales médiatiques et artistiques. Elle se fait dans tous les domaines, musiques, arts plastiques, littérature, cinéma, cuisine, à une allure vertigineuse… » (Glissant, 2005).
Le concept de créolisation a également connu un certain succès dans le monde anglophone, principalement aux États-Unis comme un moyen de repenser et de rénover dans le contexte des études postcoloniales le thème du « melting pot ».
Le terme de créolité est, quant à lui, polysémique. Il peut simplement désigner l’état de fait issu du processus de créolisation. Il s’applique notamment aux langues créoles qui ne sont pas un pidgin, une simple synthèse voire une simplification des langues européennes, mais une fusion d’apports complexes qui a permis la création d’une langue désormais native dans les sociétés créolisées. Créolité peut également désigner une théorie politique : celle de l’unité du monde créole (« la pan-créolité ») à réaliser. Le terme peut enfin désigner de façon plus précise le mouvement littéraire de défense des valeurs culturelles et spirituelles propres aux créoles des Antilles françaises. Patrick Chamoiseau et Raphaël Confiant en sont des représentants majeurs.
Politiquement, dans le contexte des années 2020 de remise en cause des politiques migratoires, le terme a été employé en France par plusieurs personnalités de gauche comme une vision s’opposant à la théorie d’extrême-droite du « grand remplacement » dans lequel une culture chasserait l’autre. Plus globalement, le concept de créolisation remet en cause le modèle d’assimilation « à la française ». En effet, il met à mal la notion d’identité nationale dans son acception figée, immuable, en défendant, non « une identité racine » mais « une identité relation » ou une « identité-rhizome », et donc une interaction continue entre les cultures.
L’utilité voire la pertinence du terme sont parfois contestées, au profit du concept plus ancien et plus englobant d’hybridation culturelle.
(SB et CB), octobre 2024.
Références citées
- Cruz-Rodriguez José Manuel (2010). « Antillanité et créolité : le travail sur la nomination pour bâtir une identité », Nouvelles Études Francophones, vol. 25, n° 1, University of Nebraska Press, 2010, p. 4.
- Glissant Édouard (2001). « Métissage, Créolisation, Latinité », Académie de la latinité Rio de Janeiro, mars 2001.
- Glissant Édouard (2005), entretien de Frédéric Joignot avec Édouard Glissant. « Pour l’écrivain Edouard Glissant, la créolisation du monde est "irréversible" ». Le Monde, 3 février 2011.
Pour aller plus loin
- Jean Bernabé, Raphaël Confiant, Patrick Chamoiseau. Éloge de la créolité. 1989
- Romain Cruse. Une géographie populaire de la Caraïbe. Mémoire d’encrier. 2014
- Édouard Glissant. Le discours antillais. Gallimard. 1982
Pour compléter avec Géoconfluences
- Simon Renoir, Cinéma et production audiovisuelle : la France dans la mondialisation culturelle. Géoconfluences, octobre 2024.