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Cinéma et production audiovisuelle : la France dans la mondialisation culturelle

Publié le 11/10/2024
Auteur(s) : Simon Renoir, maître de conférences - Avignon Université, département des sciences de l’information et de la communication, Centre Norbert Elias (CNE)

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Le cinéma a joué un rôle fondamental dans la mondialisation culturelle. Longtemps instrument au service d'une hégémonie économique et culturelle des États-Unis, il diffuse aujourd'hui une uniformisation plus hybridée, ce à quoi contribue aussi la plus grande variété des supports, avec l'essor des séries et de la vidéo à la demande. Dans la compétition mondiale, la France préserve son rayonnement, sans comparaison toutefois avec la puissance du secteur audiovisuel états-unien.

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La fin du XXe et le début du XXIe siècles ont été marqués par une forte extension de la mondialisation économique et culturelle. La mondialisation est un processus continu d'intensification et de fluidification des échanges, porté par l'essor des transports et des mobilités (populations, entreprises, etc.), accéléré depuis les années 1970 par les systèmes contemporains de communication et de circulation de l'information. Souvent examinée du point de vue de l’économie, la mondialisation est aussi culturelle du fait de la circulation des biens culturels (livres, musique, connaissances scientifiques, films, vidéos, émissions de télévision, jeux vidéo, œuvres d’art, spécialités culinaires, vêtements, etc.), lesquels sont consommés et souvent appropriés localement par les individus et les groupes sociaux. La mondialisation culturelle désigne ce processus récent, caractérisé du point de vue de l’histoire contemporaine par un double saut à la fois quantitatif, car les communications humaines se sont intensifiées et densifiées de façon incomparable, et qualitatif car les médias audiovisuels et Internet donnent accès à une abondance de contenus informationnels et culturels, lesquels accroissent les connaissances et savoirs des individus et des sociétés (Chaubet, 2013). La circulation internationale des biens culturels transforme en profondeur les identités locales (qu’elles soient nationales, régionales, ethniques, ou autres), les ouvrant à une hybridation culturelle.

Aujourd’hui, tous les secteurs des industries culturelles participent directement à la production de biens culturels et informationnels, d’emblée diffusés et médiatisés à une échelle globale, même si la plupart des contenus produits par ces industries culturelles continuent à être destinés aux marchés nationaux (titres de presse, émissions TV, livres, et même albums musicaux et films). Les plus gros blockbusters d’Hollywood (comme Avatar ou la saga Star Wars) sont directement destinés à un marché planétaire, avec des sorties simultanées sur un grand nombre de territoires, tandis que certains titres et clips musicaux (Gangnam style de Psy en a été le précurseur en 2012) se propagent sur le mode de la viralité en passant principalement par Youtube ou TikTok, puis par les chaînes de télévision et les plateformes de streaming musical. Cela aboutit à la dissémination universelle d’une culture populaire et médiatique et d’un imaginaire mondial relativement communs, constitutifs du sens que recouvre l’expression « mondialisation culturelle ». D’abord interprété dans les années 1970–80 comme un impérialisme états-unien qui aurait pour effet d’homogénéiser les cultures et de réduire la diversité culturelle (Schiller, 1978 ; Mattelart, 2017), ce processus est désormais considéré de façon plus nuancée, à partir de réflexions sur la glocalisation, l’hybridation culturelle (Canclini et al., 2005, 2005) ou encore la créolisation (Glissant dans Kande, 1999).

Secteur des industries culturelles à s’être le plus internationalisé – avec la musique – le secteur du cinéma et de l’audiovisuel (télévision, séries, vidéos en ligne) se trouve au cœur de ce processus. Les rapports entre cinéma et mondialisation renvoient depuis longtemps à des questions géopolitiques liés à la compétitivité économique et au soft power, ainsi qu’à des questions culturelles, d’abord exprimés dans les années 1980 et 1990 au nom de la défense de l’exception culturelle, en particulier par la France qui souhaitait protéger son secteur cinématographique. Il s’agissait alors de ne pas soumettre les biens culturels aux mêmes règles du libre-échange que les autres marchandises. Aujourd’hui ces enjeux sont rassemblés sous la bannière de la diversité culturelle, promue par l’UNESCO.

Dans ce contexte, quelle place le cinéma et la production audiovisuelle français occupent-ils dans la mondialisation ? Comment évoluent-ils et s’adaptent-ils aux tendances à une intensification de la numérisation et de la circulation transnationale des biens culturels ? Un premier point situera la question du cinéma à l’intérieur du processus de mondialisation culturelle, amplifié par la numérisation, puis un second point s’intéressera au dynamisme récent du cinéma français, à sa place dans le monde et aux perspectives qui l’attendent.

1. Mondialisation culturelle et cinéma

Au cours de la période 1980–2020, le secteur du cinéma a connu une croissance continue, le box-office mondial (qui mesure les recettes tirées des ventes de place dans les salles de cinéma) passant de 16,7 milliards de dollars en 2001 à 41,8 milliards en 2018 (+150 %), puis 33,9 milliards en 2023 après une brusque chute de la fréquentation des salles pendant la crise sanitaire du covid-19. Alors que dans les années 1990, 30 à 35 % des recettes totales d’Hollywood provenaient de l’étranger, à la fin des années 2010, l’exportation représente 60 à 65 % de ses recettes, ce qui témoigne bien de l’internationalisation du secteur du cinéma (Renouard et Schlöndorff, 2020). Après une deuxième moitié du XXe siècle marquée par une forte domination états-unienne dans les flux et échanges cinématographiques et audiovisuels, la principale question débattue actuellement est de savoir si la mondialisation croissante du cinéma tend à renforcer une certaine homogénéité culturelle autour du cinéma hollywoodien, ou si, au contraire, elle ouvre vers une hybridation des cultures et donne plus de visibilité aux cinémas venant d’autres pays.

1.1. La domination du cinéma états-unien dans le monde : une hégémonie ?

Le cinéma états-unien (principalement d’Hollywood) domine le cinéma mondial depuis bientôt un siècle. Cette domination peut se mesurer par divers chiffres du box-office et par la diffusion et la notoriété, d’abord médiatique, puis incorporé à une pop culture globale, des œuvres et des stars états-uniennes. Ainsi, le box-office américain a représenté environ 50 % du total du box-office mondial jusqu’au début des années 2000. Si la part de marché des films états-uniens continue à atteindre 65 % en 2018, hors Chine et hors marché intérieur (Renouard et Schlöndorff, 2020), sa part mondiale totale est passée sous les 30 %, sous l’effet de la montée du marché chinois (document 2). ((Plus largement, les États-Unis ont nettement dominé l’économie mondiale pendant toute la deuxième moitié du XXe siècle. Ils représentaient plus d’un tiers du PIB mondial en 1945 et 23 % en moyenne entre 1970 et 1990 (Nye, 1990).)). Dans le top 50 des plus gros succès au box-office mondial ne figurent que des films états-uniens (et quelques co-productions néo-zélandaises : Le seigneur des anneaux et Le Hobbit). Ces dernières années, des films chinois s’immiscent dans le top 50 du box-office mondial (en 2023 les films Full river red, The Wandering Earth 2 et No More Bets se classent respectivement 7e, 9e et 10e), néanmoins, ces films chinois réalisent entre 91 et 93,3 % de leur chiffre d’affaires à l’intérieur de la Chine ((Nous avons pris les chiffres indiqués pour le box-office chinois et pour le box-office mondial sur les deux pages suivantes : https://en.wikipedia.org/wiki/List ; http://www.cine-directors.net/boxMonde/boxoffMonde23.html, puis avons fait des calculs et des conversions monétaires.)). Jusqu’à présent, il s’agit donc principalement d’un effet de l’essor de l’immense marché intérieur chinois stimulé par le contexte de l’émergence économique, plutôt que d’une réelle diffusion mondiale de ces films. À titre de comparaison, Fast X, cinquième plus gros résultat de l’année 2023, fait 79,3 % de ses recettes hors des États-Unis et sort en simultané dans au moins 84 pays (en fait, sa sortie à l’étranger est même antérieure de quelques jours à sa sortie nationale le 19 mai), et Oppenheimer, qui termine l’année 2023 à la 3e place, fait 65,9 % de ses recettes à l’étranger (avec une sortie simultané dans environ 70 pays).

Cette hégémonie du cinéma états-unien a débuté au sortir de la Première Guerre mondiale, lorsque les industries européennes se sont effondrées, notamment l’industrie cinématographique française jusque-là dominante avec les entreprises Gaumont et Pathé. Portée par un vaste marché intérieur et par une avance industrielle et technique, l’industrie cinématographique états-unienne s’est alors d’abord imposée chez elle et sur les marchés voisins (Canada et Mexique), puis en Europe occidentale et dans quelques autres marchés importants (Brésil, puis progressivement toute l’Amérique latine, l’Océanie, et l’Asie du Sud-Est). Malgré quelques vagues de flux et de reflux, en particulier entre 1975 et 1985 où la part des revenus des marchés extérieurs des majors passe de 50 % à 33 %, Hollywood continue aujourd’hui à façonner les normes esthétiques et techniques (genres, formats, types de narration et de personnages dominants, effets spéciaux) du cinéma, avec une nette inflexion récente vers le film de super-héros et vers des univers fictionnels (fantastique, science-fiction) (Renouard et Schlöndorff, 2020).

Cette hégémonie états-unienne est aussi le fait de politiques expansionnistes délibérées menées conjointement par les industriels et par les autorités et institutions du pays, véhiculées par une entente entre la Motion Picture Export of America (MPEA), chargée de défendre les intérêts de l’industrie cinématographique des États-Unis partout dans le monde et le département d’État des Affaires étrangères (Mattelart, 2002 ; 2017). Les États-Unis comprennent en effet rapidement que la puissance d’évocation du cinéma peut être mise au service d’une stratégie géopolitique d’influence désormais appelée « soft power ». Dans un monde où la mondialisation a rendu les économies nationales interdépendantes et a grandement accru le pouvoir d’acteurs privés (firmes multinationales, réseaux mafieux) et où la société civile et l’opinion publique contestent l’emploi de la force militaire, la nature du pouvoir se transforme. Le pouvoir coercitif de la force (hard power) se juxtapose à une forme « co-optive » (ou douce) de pouvoir, qui consiste pour une puissance à rendre légitime son modèle pour donner envie aux autres de l’accepter et de le suivre. Les principales ressources pour cela sont la diffusion de sa culture et de son idéologie à travers le monde (Nye, 1990). Le cinéma en est un vecteur de diffusion essentiel.

Grâce à ces dispositifs et à sa puissance industrielle, le cinéma états-unien s’est imposé (presque) partout dans le monde et a été un des premiers vecteurs de la propagation dans le monde entier d’un imaginaire de l’American way of life. Celui-ci comprend, d’une part, une adhésion à une idéologie libre-échangiste et consumériste incarnée par la diffusion planétaire de certaines marques emblématiques comme McDonalds, Coca-Cola, Nike ou Apple, et d’autre part, la dissémination du récit de l’odyssée de l’individu méritant de la classe moyenne en voie d’ascension sociale, raison pour laquelle il a été surnommé « usine à rêves » (Chaubet, 2013).

1.2. Numérisation et intensification de la circulation transnationale des biens médiatiques : vers une glocalisation et une hybridation culturelle ?

Depuis le début des années 2010, les entreprises du cinéma et de l’audiovisuel connaissent de profondes transformations autant dues à la mondialisation du secteur qu’à sa numérisation (Le Diberder, 2019). Le secteur est à la fois en croissance constante et en recomposition avec une polarisation de la distribution et de la consommation entre, d’un côté, une concentration des entrées en salle sur un petit nombre de blockbusters (Renouard et Schlöndorff, 2020) et, de l’autre, une segmentation autour d’un très grand nombre de titres de niche (films d’auteur et films étrangers notamment), peu viables économiquement. À cela s’ajoute un déplacement des pratiques de consommation vers les plateformes de SVOD (subscription video on demand) comme Netflix ou Disney+. La pandémie de covid-19 a amplifié ce phénomène, les plateformes SVOD se substituant aux salles de cinéma fermées (Wiart, 2021). Selon une étude récente, 40 % des abonnés à une offre SVOD déclarent aller moins souvent qu’avant, voire ne plus aller du tout au cinéma (AFCAE, 2022). Ces facteurs ont également accéléré l’érosion, déjà entamée, de la frontière traditionnelle entre cinéma et audiovisuel (Le Diberder, 2019 ; Renouard et Schlöndorff, 2020). Enfin, la numérisation a eu pour conséquence d’accroître les mécanismes liées à l’« économie de l’attention », à savoir la nécessité pour des artistes, des producteur·ices et des contenus d’obtenir de la visibilité pour pouvoir vivre et circuler sur le marché (Citton, 2014). On constate ainsi une augmentation des dépenses de promotion dans les budgets moyens des films, portée par les blockbusters hollywoodiens, tandis que la mise en visibilité des films indépendants, des films d’auteur et des films « nationaux » passe de plus en plus par les festivals de films, lesquels jouent désormais un rôle essentiel de sélection et de médiatisation de ces films (Moeschler et Thévenin, 2021).

Document 1. Nombres d’entrées au cinéma par habitant en France (1942-2023)
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1942;1943;1944;1945;1946;1947;1948;1949;1950;1951;1952;1953;1954;1955;1956;1957;1958;1959;1960;1961;1962;1963;1964;1965;1966;1967;1968;1969;1970;1971;1972;1973;1974;1975;1976;1977;1978;1979;1980;1981;1982;1983;1984;1985;1986;1987;1988;1989;1990;1991;1992;1993;1994;1995;1996;1997;1998;1999;2000;2001;2002;2003;2004;2005;2006;2007;2008;2009;2010;2011;2012;2013;2014;2015;2016;2017;2018;2019;2020;2021;2022;2023

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Remarquer les creux liés à la libération (1944) et à la crise Covid (2020). La diminution de 1957 à 1968 correspond à l'arrivée de la télévision dans les foyers, et celle de 1982 à 1989 à la multiplication des chaînes et aux débuts du magnétoscope. Source : données compilées par Wikipédia.

Dans ce contexte, à côté du cinéma états-unien, un petit nombre de pays a su conserver une industrie relativement robuste (France, Grande-Bretagne, Japon, Inde), d’autres ont été des pôles de production vivaces avant de fléchir (Italie, Allemagne, Argentine), et quelques-uns sont émergents (Espagne, Corée du Sud, Chine, Indonésie, Iran, Israël, etc.). Si la domination du cinéma états-unien (et plus largement des programmes audiovisuels états-uniens – séries, émissions télévisées) est incontestable, l’interprétation assimilant la mondialisation culturelle à un impérialisme américain et à une homogénéisation culturelle, dominante dans les années 1970 et 1980, est contestée et nuancée depuis une vingtaine d’années. Les revendications visant à faire reconnaître une « exception culturelle » (largement portées par les professionnels du secteur cinématographique français), en amont des négociations du GATT, puis après 1994 de l’OMC, ont effectivement permis aux États qui le souhaitaient d’adopter des mesures protectionnistes sur les secteurs culturels, ce qui a vraisemblablement permis de maintenir une diversité culturelle aux échelles nationales. Depuis les années 1990, de nombreux auteurs ont montré à juste titre que les flux culturels ne se font pas à sens unique (des États-Unis vers le reste du monde) et que la circulation transnationale des biens culturels opérée par les industries culturelles et médiatiques prolonge le processus de créolisation né avec les colonisations dès les débuts du monde moderne (Gilroy, 2010[1993]), jusqu’à donner naissance à des « cultures hybrides » (Canclini et al., 2005). Il en résulte que les contenus culturels empruntent de plus en plus à des formes et traditions issues d’une pluralité de cultures et d’identités, avec pour conséquence la diffusion d’une nouvelle norme caractérisée par une hybridation et un cosmopolitisme culturels (Beck, 2016 ; Cicchelli et Octobre, 2018).

De ce point de vue, les tendances récentes du développement du cinéma dans la mondialisation font apparaître un phénomène de « glocalisation » caractérisé par des situations d’imbrication du global et du local. La glocalisation résulte d’un processus simultané d’unification et de fragmentation des cultures, lesquelles « opèrent, dans un même mouvement, et la défense de leur spécificité et leur propre traduction des expériences culturelles étrangères » (Chaubet, 2013). Par exemple, une unification des principaux marchés nationaux s’opère sous l’effet de l’expansion mondiale des plateformes de streaming et de SVOD (Youtube, Netflix, Prime Vidéo, Disney+, voire TikTok et Instagram – toutes états-uniennes sauf TikTok qui est chinoise), mais ces opérateurs sont obligés de tenir compte des spécificités culturelles locales pour composer leurs catalogues dans chaque pays – et des productions non états-uniennes ont compté parmi les plus gros succès mondiaux ces dernières années (La Casa de Papel ou Squid Games).

Ainsi, ces vingt dernières années, la domination états-unienne persiste mais semble de plus en plus concurrencée par d’autres pôles de production, avec des cinémas nationaux soutenus publiquement dans de nombreux pays (Chantepie et Paris, 2021), par exemple en Corée du Sud dont l’ensemble des produits de sa pop culture (musique, séries TV, films, jeux vidéo, voir hallyu dans le glossaire) est en passe de concurrencer l’hégémonie de la pop culture états-unienne (Cicchelli et Octobre, 2022). Plus précisément, une distinction est parfois faite entre un « impérialisme médiatique » qui concerne les infrastructures et les canaux médiatiques et communicationnels (les contenants), toujours largement sous hégémonie américaine, et un « impérialisme culturel » qui concerne les contenus (films, séries, chansons, livres, jeux vidéo, etc.), qui s’ouvre davantage sur une mondialisation multipolaire (Athique, 2016).

2. Le cinéma français dans la mondialisation

La France a une tradition ancienne dans le cinéma puisque l’invention du cinématographe et les premières projections de films par les frères Lumière ont eu lieu en France en 1895. Jusqu’à la Première Guerre mondiale, la France domine le cinéma mondial autour de deux entreprises historiques, Gaumont et Pathé. Cette histoire joue sans doute un rôle dans la volonté politique, affirmée dès les années 1930 et souvent réaffirmée depuis, de défendre le cinéma français face au cinéma états-unien. Au cours des dernières décennies, le cinéma français est demeuré l’un des premiers cinémas nationaux dans le monde. Toutefois, les évolutions récentes apportent de nouveaux défis auxquels les différents acteurs du secteur doivent s’efforcer de répondre.

2.1. Le « premier des autres » cinémas ?

Les professionnels et les spécialistes français du secteur ont coutume de dire que le cinéma français est le « premier des autres cinémas », après le cinéma états-unien (Renouard, 2012). S’il pointe loin derrière ce dernier en termes de chiffre d’affaires et de parts de marché (par exemple pour l’année 2010, le film Inception a généré à lui seul 531 millions de dollars, quand l’ensemble des films français atteignaient 452 millions d’euros de recettes, soit 600 millions de dollars en 2010), il est néanmoins celui qui s’exporte le mieux à la fois en nombre d’entrées, en volume de films et en nombre de territoires. Pour des raisons historiques et politiques, la France fait partie des rares pays à avoir su maintenir une industrie du cinéma forte et dynamique. Parmi plusieurs indicateurs de sa bonne santé, citons le fait que les films français sont ceux qui circulent le plus et sont le plus souvent récompensés dans les grands festivals internationaux (les neuf plus prestigieux, dont Cannes, Venise et Berlin), devant les films états-uniens (Farchy et al., 2019). En outre, le système réglementaire et institutionnel construit autour du Centre National du Cinéma et de l’Image Animée (CNC) et des lois de régulation de l’audiovisuel est unique au monde et a fait de la France au cours des trente dernières années la plaque tournante de la production des films indépendants du monde entier (Vinuela, 2021).

Document 2. Le cinéma français, une diffusion discrète face à l’hégémonie des États-Unis

Carte du cinéma français dans le monde et du cinéma américain (états-Unis, USA)

Les États-Unis, regroupés ici avec le Canada anglophone, ont un marché de 715 millions d’euros dominé à 95,7 % par les films étatsunien, la part des films français étant de 0,2 %. En Chine, la part des films français est de 0,1 %, celle des États-Unis de 12,1 %, pour un marché total de 712 millions d’euros (le 2e mondial). Les marchés où les films français représentent la plus grande part des recettes sont la Suisse (13,1 %), la Belgique, la Grèce, la Pologne, et la Croatie (6,5 %).

Précisons toutefois que ces calculs et indicateurs, qui sont produits depuis 1994 par UniFrance, association qui soutient l’exportation du cinéma français, et par le CNC, se basent sur une définition relativement large de la catégorie « film français », incluant un grand nombre de co-productions avec des pays étrangers. La plupart des films de réalisateurs et de réalisatrices comme Ken Loach, Kleber Mendonça Filho, Jia Zhangke ou Naomi Kawase reçoivent l’agrément du CNC et entrent donc dans les statistiques d’exportation des films français. En fait, depuis une trentaine d’années, l’origine nationale des films est de plus en plus confuse car les collaborations entre pays se sont multipliées et la production s’est nettement internationalisée (Elsaesser, 2005) sous l’impulsion du Conseil de l’Europe et de l’Union européenne qui ont mis en place des dispositifs d’aides et de financement en ce sens (Renouard, 2012). La France ayant, à l’échelle européenne, et même mondiale, l’un des secteurs cinématographiques les plus robustes, elle s’est retrouvée au cœur du système de financements par co-productions. Ainsi, le critère de nationalité dans la notion de « cinéma français » est davantage fondé sur le plan économique (il s’agit avant tout de films produits et financés par des sociétés françaises), que sur le plan esthétique, d’autant plus pour le cinéma d’auteur qui incarne le cosmopolitisme et l’hybridation des cultures, déjà évoqués, propres à la « seconde modernité » (Beck, 2016).

Au cours de la période 1994-2019, la part du cinéma français dans le marché mondial a plutôt progressé, avec une évolution en trois phases : de 1995 à 2005, la progression est timide et les volumes d’exportation restent assez faibles (jamais au-dessus de 60 millions d’entrées), de 2005 à 2011, la progression est constante et se situe autour des 70 millions d’entrées en moyenne, enfin pendant la décennie 2010, l’évolution est en dents de scie avec des années exceptionnelles (143 millions d’entrées en 2012) et d’autres beaucoup plus faibles (40 millions en 2016) (Renouard et Schlöndorff, 2020). Cependant, on remarque un tassement, voire une tendance à la baisse depuis 2015 qui semble se poursuivre jusqu’à aujourd’hui, même s’il est difficile d’analyser les années 2020 à 2022 en raison de la pandémie (les volumes sont très faibles mais la part de marché du cinéma français dans le monde en 2020 atteint 2,7 %, l’un de ses meilleurs scores sur la décennie).

Document 3. Nombre d'entrées des films français en salle dans le monde entre 2004 et 2023
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2004;2005;2006;2007;2008;2009;2010;2011;2012;2013;2014;2015;2016;2017;2018;2019;2020;2021;2022;2023

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Données UniFrance, 2024.

Document 4. Répartition des entrées des films français, en France et ailleurs dans le monde, 2014–2023
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Données 2023 non définitives. Source UniFrance, CNC, 2024.

Les tendances générales sont à une internationalisation de la distribution des films français, avec un nombre sans cesse croissant de films exportés. Depuis 2018, les deux tiers des films français trouvent au moins une sortie internationale et le nombre total de films exportés augmente. Néanmoins, la part de marché reste stable sur la même période, ce qui signifie que la moyenne d’entrées par film diminue. Même si des films français de nature et de genre très variés s’exportent dans le monde, en particulier des films d’auteur – vus comme la principale identité du cinéma français depuis la Nouvelle Vague des années 1960 –, mais aussi des films d’animation, des comédies familiales et des drames, les plus gros succès sont généralement des films de genre à gros budget et en langue anglaise comme Taken (2008) ou Lucy (2014) (record pour un film français à l’international et meilleur box-office mondial pour un film non hollywoodien) produits par Luc Besson et sa société EuropaCorp. Citons encore The Artist (2011), film franco-belge financé par des capitaux américains, dont l’action se déroule aux États-Unis, tourné à Hollywood et qui reçoit cinq Oscars en 2012.

De façon générale, si dans les années 1960 et 1970, le cinéma français produisaient régulièrement des films qui se situaient aux premières places de certains box-offices à l’étranger (notamment en Italie, en Allemagne et en Europe de l’Est) et qui participaient à la définition d’une certaine identité française dans les imaginaires d’autres pays, ce n’est plus le cas depuis les années 1980 et il est désormais très rare de voir un film français (et en langue française) devenir un succès mondial.

Les tendances générales sont à une internationalisation de la distribution des films français, avec un nombre sans cesse croissant de films exportés. Depuis 2018, les deux tiers des films français trouvent au moins une sortie internationale et le nombre total de films exportés augmente. Néanmoins, la part de marché reste stable sur la même période, ce qui signifie que la moyenne d’entrées par film diminue. Même si des films français de nature et de genre très variés s’exportent dans le monde, en particulier des films d’auteur – vus comme la principale identité du cinéma français depuis la Nouvelle Vague des années 1960 –, mais aussi des films d’animation, des comédies familiales et des drames, les plus gros succès sont généralement des films de genre à gros budget et en langue anglaise comme Taken (2008) ou Lucy (2014) (record pour un film français à l’international et meilleur box-office mondial pour un film non hollywoodien) produits par Luc Besson et sa société EuropaCorp. Citons encore The Artist (2011), film franco-belge financé par des capitaux américains, dont l’action se déroule aux États-Unis, tourné à Hollywood et qui reçoit cinq Oscars en 2012.

De façon générale, si dans les années 1960 et 1970, le cinéma français produisaient régulièrement des films qui se situaient aux premières places de certains box-offices à l’étranger (notamment en Italie, en Allemagne et en Europe de l’Est) et qui participaient à la définition d’une certaine identité française dans les imaginaires d’autres pays, ce n’est plus le cas depuis les années 1980 et il est désormais très rare de voir un film français (et en langue française) devenir un succès mondial.

Par ailleurs, la décennie écoulée a vu une évolution notable de la répartition géographique des exportations cinématographiques françaises. Alors qu’entre 1995 et 2015 les États-Unis étaient systématiquement le premier territoire d’exportation du cinéma français, ce territoire recule sensiblement depuis une dizaine d’années pour se situer désormais plutôt entre la 5e et la 10e position. Le volume d’entrées sur ce territoire, qui oscillaient régulièrement entre 10 et 15 millions par an, tombent aujourd’hui entre 1,5 et 3 millions. Si pendant quelques années (2014-2017), la Chine était également devenue un gros marché pour les films français, ce n’est plus le cas depuis cinq ans, du fait de règles politiques plus strictes sur l’importation de biens culturels étrangers. Désormais, les films français s’exportent surtout en Europe de l’Ouest (qui a toujours été le plus gros marché autour de l’Allemagne, l’Italie, l’Espagne et le Benelux) et en Europe de l’Est dont la part augmente considérablement ces dix dernières années (chiffres tirés du site Internet d’UniFrance). Il semble de plus en plus difficile de s’imposer sur des territoires anglophones et en dehors de l’aire culturelle européenne.

2.2. Un secteur en mutation face aux défis de la numérisation et de la mondialisation croissantes

Les défis principaux pour le cinéma français à l’heure de la mondialisation culturelle sont donc principalement de deux ordres. Le premier défi consiste à s’intégrer et à maintenir un rang élevé au sein d’une mondialisation culturelle plus multipolaire qu’auparavant, qui voit émerger de nouveaux pôles de production, particulièrement en Asie avec la Corée du Sud, la Chine et l’Inde. Deuxième défi, le cinéma français est plus ou moins contraint de s’adapter au nouveau capitalisme du divertissement qui valorise les contenus appartenant à une « pop culture » globale esthétisée (Cicchelli et Octobre, 2022) à fort potentiel de divertissement (dont font partie les feuilletons et les séries), davantage que des contenus issus de la culture savante, à forte légitimité culturelle, comme les films d’auteur, intimement associés à l’identité du cinéma français. En effet, tant l’extension de la mondialisation que le processus de numérisation et de plateformisation de la culture favorisent le déploiement de ce « capitalisme du divertissement ».

Les récentes politiques culturelles publiques d’aide et de soutien au secteur du cinéma (et de l’audiovisuel) semblent viser à relever ces défis. D’une part, l’ouverture du cinéma français aux co-productions internationales se poursuit, de même que l’européanisation des politiques, des infrastructure d’aide, et des plateformes de communication et de promotion. D’autre part, les pouvoirs publics ont pris acte de l’érosion des frontières entre films et séries TV en réalisant en 2021 une fusion entre UniFrance et TV France International (ancienne association en charge de la promotion des contenus audiovisuels français à l’étranger). Cette fusion devrait permettre de gagner en efficacité dans la promotion internationale des contenu audiovisuels français (surtout les séries) car c’est surtout sur ce segment que la France a une marge de progression importante. Par exemple, en 2022, alors que 6,5 % des films présents dans les catalogues des plateformes SVOD dans le monde sont français, les séries françaises ne constituent que 2,5 % de ces catalogues (document 5).

Document 5. Œuvres françaises sur les plateformes SVOD dans le monde (en %)
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Films 38.8;6.7;6.5;5.4;3.5;39.1 États-Unis;Inde;France;Royaume-Uni;Chine;Autres #93bac8;#caca00;#e31e51;#fbddec;#f39400;#d5d4d3
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Séries 35.9;9.4;6.9;5.9;4.3;2.5;35.5 États-Unis;Royaume-Uni;Japon;Corée du Sud;Chine;France;Autres #93bac8;#fbddec;#00a19a;#f39400;#fbea0e;#e31e51;#d5d4d3
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Total (films + séries) 38.0;6.4;5.5;5.4;3.9;40.8 États-Unis;Royaume-Uni;Inde;France;Japon;Autres #93bac8;#fbddec;#caca00;#e31e51;#00a19a;#d5d4d3

La France est le 4e pays le plus représenté sur les plateformes de vidéo à la demande à l’étranger, derrière les États-Unis, le Royaume-Uni et l’Inde, et le premier pays de l’Union européenne. Source : UniFrance, 2023. Retrouvez ces graphiques dans la banque d'images de Géoconfluences.

Enfin, avec la création de MyFrenchFilmFestival en 2012, un festival de films francophone disponible entièrement en ligne sur environ soixante-dix plateformes SVOD partenaires couvrant à peu près tous les pays du monde, UniFrance cherche depuis le milieu des années 2010 à ouvrir des débouchés pour les films francophones (plutôt des films d’auteur à petit et moyen budget) sur des plateformes SVOD alternatives et régionales. Plus récemment, la création en 2023 (toujours par UniFrance) d’un nouveau festival numérique, MyMetaStories, témoigne de la volonté de prendre en compte les mutations du secteur. En effet, les films de la sélection de MyMetaStories sont européens et non plus français, et le festival est accessible à l’intérieur du jeu vidéo de construction libre Minecraft, jeu le plus joué en ligne dans le monde. La promotion du festival s’est faite principalement par des joueurs et créateurs de contenus sur la plateforme Twitch. Par ces dispositifs, UniFrance vise un public global, plus jeune et, a priori, moins sensible aux formes savantes associées au cinéma d’auteur, qu’aux formes divertissantes associées au jeu vidéo.

Conclusion

Avec une mondialisation culturelle devenue multipolaire et dans un secteur de l’audiovisuel au sein duquel le cinéma perd sa prépondérance, le cinéma français n’a plus le succès ni le prestige qu’il avait dans les années 1960 et 1970, qui restent considérées comme son « âge d’or ». Il conserve néanmoins de la vitalité, grâce à l’un des systèmes de production les plus forts au monde, grâce à sa formation et à ses savoir-faire et grâce à la place prépondérante de la France dans le circuit des festivals de films (Cannes bien sûr, mais aussi Séries Mania à Lille, Annecy pour l’animation et Clermont-Ferrand pour le court-métrage). À l’heure où la mondialisation culturelle, accélérée par la plateformisation, accouche d’une pop culture globale, de plus en plus consommée par des publics globaux et cosmopolites, la France, par l’intermédiaire de sa création cinématographique et audiovisuelle, joue toujours un rôle important dans les échanges culturels, dans la production d’un imaginaire culturel global qui sillonne les chemins de la diversité, de l’hybridation et du cosmopolitisme.


Pour aller plus loin

Mots-clés

Retrouvez les mots-clés de cet article dans le glossaire : cinéma | covid-19 | firmes multinationales | mondialisation | soft power

 

Simon RENOIR

Maître de conférences, Avignon Université, département des sciences de l’information et de la communication, Centre Norbert Elias (CNE)

 

Édition et mise en web : Jean-Benoît Bouron

Pour citer cet article :  

Simon Renoir, « Cinéma et production audiovisuelle : la France dans la mondialisation culturelle », Géoconfluences, octobre 2024.
https://geoconfluences.ens-lyon.fr/informations-scientifiques/dossiers-thematiques/geographie-du-politique/articles/cinema-france-mondialisation