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Guerre

Publié le 25/10/2024
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La guerre est une situation de conflit ouvert, armé et organisé entre des entités politiques constitués, c’est-à-dire légitimant l’usage de la violence et la mort de l’ennemi, et donnant lieu à des combats plus ou moins circonscrits. « La guerre est, sans conteste, écrivait Gaston Bouthoul, le plus violemment spectaculaire d’entre tous les phénomènes sociaux. » (Bouthoul, 1962). Cependant, on peut s’interroger : la guerre est-elle la négation de la paix ? Ou bien est-ce le contraire ?

De la guerre, les géographes pourraient retenir qu’elle se déroule en un ou plusieurs théâtres d’opération, ou théâtres militaires. Comme dans le théâtre classique, la guerre peut être définie par une triple unité : unité de lieu, unité de temps, unité d’acteurs. La guerre est une activité spécifique, délimitée par le champ de bataille, par le temps de la guerre, par l’engagement de combattants identifiables par le port d’uniformes. La stratégie coordonne les opérations à l’échelle du conflit, la tactique à l’échelle du champ de bataille. La guerre classique, entre États westphaliens, apparaît ainsi comme une trouée dans l’étendue de la paix et de façon plus générale dans le monde des civils.

Pourtant, de nombreux facteurs, nouveaux ou non, viennent troubler cette définition de la guerre et déployer autour de la guerre une zone d’incertitude, « grise » diront certains. Beaucoup peuvent être interprétés dans la perspective plus globale d’une civilianisation de la guerre (Wenger & Mason, 2008). Quoique difficile à appréhender de façon exacte, une tendance générale est observable : depuis un siècle, les guerres font davantage de victimes parmi les civils, à cause des bombardements, plus ou moins massifs, plus ou moins précis, à cause de l’urbanisation de la population et, corollairement, de la guerre, à cause, parfois, d’idéologie, génocidaire ou non, volontairement hostile aux civils, comme dans la destruction systématique de Gaza en riposte à l'attaque du 7 octobre et à la prise d'otages israéliens par le Hamas. Dans certains conflits, la distinction entre les combattants et les civils s’amenuise. On penserait spontanément aux terroristes, dont le mode opératoire implique de se dissimuler pour frapper n’importe où, n’importe quand, n’importe qui, mais c’est plus largement le cas dans toutes les guerres dites « civiles », en Irak après 2003 ou en Syrie depuis 2011. Le recours à des entreprises militaires et de sécurité privées (EMSP), autrement dit la privatisation de la guerre, est un autre facteur de brouillage qui désinstitutionnalise la guerre et rappelle les temps anciens du mercenariat. La contestation judiciaire des opérations, aussi, remettrait en question la singularité de la guerre et du militaire. D’après Jean-Baptiste Jeangène Vilmer, il y aurait aujourd’hui une « déspécification de la guerre » (Jeangène Vilmer, 2024).

Ceci a des conséquences dans l’espace et le temps. La « guerre contre le terrorisme » – expression absurde –, engagée contre un ennemi non nommé et sans but clairement défini, menée dans un espace juridique indéterminé, combinant opérations de police et interventions militaires, sans véritable débat démocratique, au nom de la sécurité, est la réponse informelle à des organisations jihadistes elles-mêmes non-étatiques, comme Al-Qaïda, qui ont fragmenté les territoires de la guerre, pouvant frapper « l’ennemi proche » comme « l’ennemi lointain », usant de l’affrontement armé comme de l’attentat terroriste. Mais des guerres beaucoup plus « classiques » dans leurs formes comme l’invasion de l’Ukraine par la Russie peuvent aussi prendre une dimension hybride par la multiplicité d’opérations floues, discutables sur la qualification et sur l’attribution, qui les inscrivent dans une conflictualité incertaine.

On en arrive ainsi à inverser la proposition de départ. La guerre multiforme, parfois armée et meurtrière, parfois indirecte et déstabilisante, parfois déclarée et ouverte, parfois informelle et sourde, serait devenue permanente et peut-être omniprésente, en tout cas diffuse (Jeangène Vilmer, 2024). La paix serait une parenthèse dans un monde en guerre où les diverses formes de conflictualités et le recours à la violence restent un mode opératoire usuel dans un système-monde divisé en presque 200 États et n’ayant de communauté internationale que le nom. La guerre en Ukraine aurait été un dessillement pour nombre d’Européens, un « retour en modernité » (Salamé, 2024). Tandis que Josep Borrell, haut représentant de l’Union européenne pour les affaires étrangères et la politique de sécurité, affirme, en 2022, que « l’Europe est un jardin » et que « la plus grande partie du reste du monde est une jungle [qui] pourrait envahir le jardin », François Lecointre, ancien Chef d’état-major des armées français, considère, deux ans plus tard, qu’« il y avait une sorte d’arrogance de l’Europe, dans ce refus de considérer que la guerre était une possibilité » : « la guerre n’a jamais cessé d’être là ». Inversement, le risque serait là, selon Bertrand Badie, dans cette conception de la paix comme « un creux », quand il ne faudrait jamais cesser d’en faire notre projet commun (Badie 2024).

Vincent Capdepuy, octobre 2024.


Références citées
  • Badie Bertrand, 2024, L’art de la paix, Paris, Flammarion.
  • Bouthoul Gaston, 1962, Le phénomène-guerre : méthode de la polémologie, morphologie des guerres, leurs infrastructures (technique, démographique, économique), Paris, Payot.
  • Jeangène Vilmer Jean-Baptiste, 2024, Le réveil stratégique : essai sur la guerre permanente, Paris, Éditions du Seuil.
  • Salamé Ghassan, 2024, La tentation de Mars : guerre et paix au XXIe siècle, Paris. Fayard.
  • Wenger Andreas & Mason Simon J.A., 2008, « The civilianization of armed conflict: trends and implications », International Review of the Red Cross, vol. 90, n° 872.
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