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Île ou rocher en droit maritime

Publié le 03/11/2025
Auteur(s) : Florian Aumond, maître de conférences HDR en droit public - Université de Poitiers, CECOJI (UR 21665)
Marie Redon, maîtresse de conférences en géographie - université Sorbonne Paris Nord

En droit maritime, la distinction entre un rocher et une île se fonde sur le fait qu’un rocher ne peut accueillir d’installations humaines permanentes et autonomes, contrairement à une île. Cette différence entraîne d’importantes conséquences, notamment sur la délimitation des zones économiques exclusives (ZEE).

L’une des étapes de cette distinction juridique est le verdict rendu par la Cour permanente d’Arbitrage de La Haye en juillet 2016 quant au différend opposant la République populaire de Chine et la République des Philippines (affaire n° 2013-19), notamment au sujet du statut des îles Spratley. Cet arbitrage précise les conditions d’attribution des ZEE définies par la CNUDM, dite convention de Montego Bay, en 1982. Il a d’abord été réaffirmé que l’île doit revêtir un caractère naturel, ce qui exclut en principe toutes les constructions artificielles ; l’île peut être de différentes natures géologiques mais doit être le fruit d’une élévation spontanée du plateau continental. Le second caractère, « découverte à marée haute », doit être fondé sur des données scientifiques. Une catégorie d’île est expressément distinguée : les rochers qui se caractérisent par le fait qu’ils ne se « prêtent pas à l’habitation humaine ou à une vie économique propre ». Dans ce cas, il n’y aura ni ZEE, ni reconnaissance juridique du plateau continental induite par l’élément émergé. La distinction entre île et rocher devient donc fondamentale. En 2016, le Tribunal a donc procédé à l’examen détaillé de la signification du terme de « rocher » : juridiquement, le terme doit être entendu de façon large, et non pas stricto sensu. Un « rocher » n’est donc pas composé uniquement de pierre, mais peut être constitué d’autres matériaux. En outre, les conditions juridiques permettant la qualification de « rocher » doivent être appréciées de « façon objective » c’est-à-dire que si un élément maritime ne dispose pas d’une capacité objective à se prêter à (« to sustain » en anglais) une activité économique ou des habitations humaines, il ne peut prétendre à une zone économique exclusive et à un plateau continental.

D’après le spécialiste du droit maritime Yann Tephany (2016), l’analyse est encore plus intéressante lorsque les arbitres se penchent sur le sens donné au verbe « to sustain » : une « habitation humaine » doit correspondre à une communauté de personnes pouvant satisfaire à ses propres besoins pour une période indéterminée. De même, une « activité économique propre » renvoie à la capacité pour les habitants de l’élément maritime de disposer d’une activité économique indépendante, c’est-à-dire qui ne provient pas uniquement de l’extérieur. De plus, cette activité économique ne peut se fonder uniquement sur des activités extractives. Enfin, le Tribunal précise que l’activité économique et l’habitation humaine ne sont pas des conditions cumulatives : « un élément maritime disposant de l’un ou l’autre de ces caractères pourra disposer d’une zone économique exclusive et d’un plateau continental ».

La ZEE française au large des Glorieuses tient beaucoup à la présence de bases militaires, comme c’est le cas aussi avec l’atoll de Clipperton, au large du Mexique, qui rapporte plus de 430 000 km² de ZEE à la France en dépit de son caractère manifestement inhabitable. Mais c’est bien d’un statut juridique d’île que jouit actuellement Clipperton, qui « présente un grand intérêt scientifique pour la surveillance météorologique et géostratégique dans le Pacifique Nord, car située sur une grande zone de passage maritime. De plus, elle permet les observations de l’océan, des grands fonds et de leur biodiversité, face aux évènements climatiques planétaires » (Tchékémian, 2022). Bien des km² de ZEE se jouent sur le lien entre présence militaire et intérêt scientifique.

Florian Aumond et Marie Redon, novembre 2025.


Références citées
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