Immobilisateurs, primacistes et prioriseurs
Sous la seconde administration Trump, trois courants antagonistes se dégagent pour définir la ligne de conduite des États-Unis en matière de défense. Ils sont généralement désignés par leurs noms anglais : restrainers (que nous traduisons par immobilisateurs, to restrain signifiant « immobiliser ») ; primacists (ou « primacistes ») et prioritizers, pour lesquels on peut forger le néologisme « prioriseurs ».
- Les primacistes (primacists) entendent poursuivre la ligne de conduite classique des néoconservateurs : ils prônent l’interventionnisme militaire, à chaque fois que les intérêts des États-Unis sont mis en cause, sur n’importe quel théâtre d’opération. C’est une politique à visée hégémonique, pariant sur une communauté d’intérêt entre le système militaro-industriel et ceux des États-Unis dans leur ensemble.
- Les prioriseurs (prioritizers) estiment que cette politique a montré ses limites : d’une part, les interventions étatsuniennes en Afghanistan ou en Irak ont été des échecs stratégiques coûteux en troupes, en argent et en image. D’autre part, la montée en puissance de la Chine invite à repenser les priorité pour concentrer les moyens sur le seul théâtre crucial pour l’avenir des États-Unis : l’Indopacifique. Il s’agit de cesser le saupoudrage des moyens militaire pour répondre à une nouvelle donne stratégique mondiale. La Heritage Foundation, de même que les conseillers Steve Bannon et Tucker Carlson, focalisés sur la menace chinoise, peuvent être considérés comme des prioriseurs (Graham, 2025).
- Les immobilisateurs (restrainers) font le même constat mais n’en tirent pas la même conclusion. Pour eux, la menace chinoise est relative et elle ne remet pas en cause l’existence des États-Unis. Ceux-ci devraient renoncer à toute forme d’interventionnisme en dehors du continent américain (qu’ils appellent « l’hémisphère occidental »), ce qui fait de cette doctrine un continentalisme. Cette ligne est portée par des conseillers comme Dan Caldwell et Jennifer Kavanagh (Allard et Blum, 2025).
Le point commun de ces trois doctrines est de ne faire aucun cas des alliés européens des États-Unis : dans les trois cas, ils n’ont qu’à s’adapter au changement de stratégie en acceptant la nouvelle donne ou en assurant eux-mêmes leur propre défense.
Les promoteurs de ces doctrines militaro-diplomatiques s’affrontent sur le terrain des idées mais se retrouvent sur un certain nombre de points en commun, notamment l’espoir que la présidence de Donald Trump soit l’occasion de revoir en profondeur la stratégie des États-Unis dans la durée. La ligne de conduite peu lisible de l’administration Trump est aussi une façon de pousser en avant tantôt l’une de ces doctrines, tantôt l’autre, comme pour tester chacune sans en choisir aucune.
(JBB), septembre 2025. Merci à Vincent Cerutti pour ses conseils.
Références citées
- Allard Léonie et Blum Julian (2025), « "Le Groenland est plus important pour les États-Unis que le Donbass" : quelles seront les priorités du Pentagone ? », Le Grand Continent, 18 septembre 2025.
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Graham David A. (2025), The Project. How Project 2025 Is Reshaping America and the World, W. H. Allen, "Penguin", Londres, 2025, p. 134-136.







