Stratégie
Le mot « stratégie » provient du grec strategos, désignant l’art de conduire une armée. En langage militaire, la stratégie s’élabore à l’échelle de la guerre et du théâtre d’opérations, la tactique se déployant à l’échelle de la bataille et du terrain.
Longtemps limité au vocabulaire militaire, l’usage du terme a progressivement été étendu à de nombreux domaines : politique, économie, gestion, sciences sociales… Dans son sens courant, il désigne la manière organisée et réfléchie de coordonner des moyens pour atteindre un objectif dans un contexte donné. En géographie, la notion a trouvé une place relativement tardive (Brunet et Dollfus, 1990). Elle apparaît surtout à partir des années 1960–70, dans les champs de l’aménagement et de la géopolitique, avant de se diffuser dans les analyses économiques, sociales et environnementales. Elle est aujourd’hui employée pour qualifier l’action d’acteurs situés dans l’espace à une échelle surplombante, qu’il s’agisse d’États, d’entreprises, de collectivités territoriales, ou encore d’organisations institutionnelles (établissements publics ou privés tels que les hôpitaux et les universités, mais aussi syndicats, associations, etc.) et de groupes sociaux (Lévy, 2003). La stratégie désigne alors l’ensemble des choix et des pratiques spatialisés par lesquels un acteur, ou un système d’acteurs, cherche à défendre ses intérêts, à s’adapter ou à infléchir des dynamiques territoriales, dans des contextes souvent marqués par l’incertitude, la négociation ou le conflit. Elle suppose l’articulation d’objectifs, de moyens et de ressources, en fonction de contraintes et d’opportunités locales, ainsi qu’une lecture de l’environnement dans des rapports de pouvoir.
Y compris hors du domaine militaire, la stratégie se distingue de la tactique : plus globale et de plus longue durée, elle vise à transformer un état de l’espace plutôt qu’à gérer de façon ponctuelle des situations immédiates. Les usages en géographie sont multiples. En aménagement, on parle de stratégies de développement territorial ou de stratégies urbaines, qui associent collectivités, institutions et entreprises autour de projets spatialisés. Par opposition, l’urbanisme tactique s’intéresse à la gestion in situ de situations précises en fonction du contexte local. En géopolitique, la stratégie renvoie aux rapports de force entre acteurs autour de territoires disputés, qu’il s’agisse de frontières, de ressources ou de zones d’influence (Subra, 2016). En géographie économique, on étudie les stratégies de localisation des entreprises ou les stratégies d’innovation des territoires. En géographie sociale et culturelle, le terme peut désigner les manières dont des groupes organisent leurs pratiques spatiales pour défendre des intérêts, exister dans l’espace public ou maintenir leur identité.
La stratégie est aussi mobilisée pour analyser la gouvernance territoriale (Vanier, 2009). Les acteurs publics ou privés élaborent des stratégies afin de faire face à l’incertitude – crises économiques, changement climatique, transition énergétique (Brédif et Tabeaud, 2013) –, mais aussi pour construire des récits destinés à légitimer leur action. La notion met ainsi en lumière l’articulation entre dispositifs concrets (plans, programmes, localisations) et dimensions symboliques (discours, images, représentations). En géographie, la stratégie peut donc être comprise comme une clé d’analyse de la fabrique territoriale. Elle permet d’interroger la manière dont les acteurs se situent, coopèrent ou s’affrontent pour transformer l’espace, et de saisir les dynamiques multiscalaires qui en résultent.
Aline Stevenoot, septembre 2025.
Références citées
- Brédif Hervé et Tabeaud Martine (2013). « Entre climat et stratégie, une relation problématique », Espaces Temps.
- Brunet Roger et Dollfus Olivier (dir.) (1990). Géographie universelle : mondes nouveaux. Belin – Reclus.
- Lévy Jacques (2003), « Stratégie spatiale ». In Lévy, J. et Lussault, M. (dir.) Dictionnaire de la géographie et de l’espace des sociétés. Belin, p. 873–875.
- Subra Philippe (2016), Géopolitique locale. Territoires, acteurs, conflits. Armand Colin.
- Vanier Martin (dir.) (2009). Territoires, territorialité, territorialisation. Controverses et perspectives. Presses universitaires de Rennes.
Pour compléter avec Géoconfluences
- Arthur Deveaux-Moncel, « Le droit contre le droit. Le "lawfare" ou les usages stratégiques de la norme », Géoconfluences, septembre 2025.
- Yves-Marie Rault-Chodankar, « L’Inde dans la mondialisation pharmaceutique Sud-Sud », Géoconfluences, mai 2025.
- Clara Loïzzo, « La Russie, puissance arctique contrariée », Géoconfluences, février 2025.
- Marie Hiliquin, « Les Nouvelles routes de la soie en Asie centrale dans la stratégie géoéconomique chinoise », Géoconfluences, décembre 2024.
- Romane Michaux et Lionel Laslaz, « Le Parc national de forêts face au dilemme de son acceptation sociale : une analyse géographique », Géoconfluences, juin 2022.
- Vaimiti Goin, « L’espace indopacifique, un concept géopolitique à géométrie variable face aux rivalités de puissance », Géoconfluences, octobre 2021.
- Mélanie Duval, Ana Brancelj et Christophe Gauchon, « Élasticité des normes et stratégies d’acteurs : analyse critique de l’inscription au patrimoine mondial de l’UNESCO », Géoconfluences, juin 2021.
- Matthieu Adam, « Confluence, vitrine et arrière-boutique de la métropolisation lyonnaise », Géoconfluences, novembre 2020.
- Daniel Gilbert et Philippe Viguier, « La Compagnie des Alpes : développement, stratégie et internationalisation d’un acteur majeur du tourisme et des loisirs en France », Géoconfluences, mai 2018.







