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Temps de l’histoire

Publié le 07/12/2023
Auteur(s) : Robin Degron
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Les trois temps de l’histoire correspondent à une théorie formalisée par l’historien et géographe Fernand Braudel, considéré comme le fondateur de la géohistoire (Ribeiro, 2012). C’est dans son travail sur la Méditerranée et le Monde méditerranée à l’époque de Philippe II (1949) qu’il développe ces trois temps, qui correspondent, au plan formel, aux trois parties de l’œuvre.

Le premier temps, celui des civilisations, de « la longue durée », est d’échelle millénaire. Il emporte avec lui religions, arts et mentalités en se matérialisant dans l’architecture, la peinture, la littérature, la musique et l’art de vivre des peuples du Bassin méditerranéen. Le deuxième temps perçu par Braudel est social. Dans le droit fil de l’École des Annales, fondée par Marc Bloch et Lucien Febvre, et de la conception marxiste de l’Histoire (Thuillier et Tulard, 1990), ce temps-là oscille au gré des mouvements séculaires de l’économie, des modes de production et du commerce : esclavage, servage, salariat, avènement du capitalisme industriel puis financier dictent largement la vie quotidienne des communautés humaines et, plus largement, de toutes les communautés vivantes. Troisième et dernier temps de l’historien, « le temps des individus » selon la formule braudélienne, celui de nos vies et de notre quotidien.

La théorie braudélienne des trois temps a connu une grande postérité mais elle a aussi fait l’objet de critiques, ou en tout cas de débats. D’autres auteurs se sont essayés à une analyse du temps au prisme des sciences humaines et sociales, en particulier le sociologue Georges Gurvitch, fondateur des Cahiers internationaux de sociologie. S’opposant à Braudel, qu’il considérait comme un théoricien de l’histoire « impérialiste », Gurvitch admettait l’importance des temps historiques mais il relativisait leur valeur explicative et considérant qu’ils découlaient des temps sociaux (Maillard, 2005). Il défendait une échelle de huit temporalités : 1) le temps de la longue durée et au ralenti, 2) le temps « trompe l’œil » ou « temps surprise », 3) le temps des battements irréguliers entre l’apparition et la disparition des rythmes, 4) le temps en retard sur lui-même, 5) le temps d’alternance entre retard et avance, 7) le temps en avance sur lui-même, 8) le temps explosif de la création. Fernand Braudel répond en constatant le caractère trop qualitatif des temps proposés par Gurvitch. Selon lui, dans ce découpage du sociologue, le temps est difficilement mesurable : « le temps des sociologues ne peut être le nôtre […] Notre temps est mesure, comme celui des économistes. Quand un sociologue nous dit qu’une structure ne cesse de se détruire pour se reconstituer, nous acceptons volontiers l’explication que l’observation historique confirme d’ailleurs. Mais nous voudrions, dans l’axe de nos exigences habituelles, savoir la durée précise de ces mouvements, positifs ou négatifs » (Braudel, 1958).

Robin Degron, novembre 2023.


Références citées
  • Braudel Fernand (1949). La Méditerranée et le Monde méditerranée à l’époque de Philippe II, Thèse d’État, tome 1 et 2, réédition 1993, collection Références, Le Livre de poche, 533 et 800 pages. Réédité en version abrégée en 2017 sous le titre La Méditerranée, Flammarion, coll. « Champs », 370 p.
  • Braudel Fernand (1958). « Histoire et sociologie », introduction du Traité de sociologie (sous la direction de Georges Gurvitch), tome 1, PUF, p. 83-98.
  • Maillard Alain (2005). « Les temps de l’historien et du sociologue », Cahiers internationaux de sociologie, 2005/2, n° 119, p. 197–222.
  • Ribeiro Guilherme (2012), « La genèse de la géohistoire chez Fernand Braudel : un chapitre de l'histoire de la pensée géographique », Annales de géographie 2012/4 (n° 686), p. 329–346.
  • Thuillier Guy et Tulard Jean (1990). Les écoles historiques, PUF, collection « Que sais-je ? », 128 p.
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